Bonjour/soir à vous, précieux lecteurs ^^

Tout d'abord, un grand merci à Amaniel, pour son gentil message (un véritable ange).

On m'avait demandé (il y a fort-fort longtemps, oups '^^) l'origine du titre de cette fic. Il s'agit d'une parole de chanson. Que j'aurais du créditer plus tôt... Mea culpa. World So Cold de 12 Stones. Lisez les paroles / écoutez à vos risques et périls, parce que ! spoiler !.

Pour ceux qui ça intéresse, j'entame le chap 12 (yeah!) et le repas de début d'année n'est toujours pas terminé... SEY, ou comment écrire des scènes interminables foisonnant de détails inintéressants et de débuts d'intrigues ne mêlant à rien. Donc me voilà, à poster au lieu de réécrire les derniers 5.000 mots pondus (plus le bon tiers du chap 10, parce que erm... même moi j'ai des limites concernant la violence gratuite). Envoyez moi des encouragements, je sens que je vais en avoir besoin...

Bonne lecture !^^

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Chapitre 6

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Albus,

Je ne veux pas savoir ce que vous avez dit à Horace, mais vous allez me faire le plaisir de vous excuser. Et sur le champ.

Poudlard a besoin d'un professeur de Potion qui ne végète pas dans ses appartements en vidant sa réserve de brandy. Je refuse de prospecter pour un nouvel enseignant à quelques jours de la rentrée des classes.

Débrouillez-vous comme vous voulez, mais réparez-moi Horace. Ou alors vous allez devoir vous trouver une autre Directrice-Adjointe.

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Minerva

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P.S. : La liste des premières-années a été mise à jour, comme vous l'aviez demandé, et notre nouveau collègue insiste pour avoir un entretien avec vous.

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26 Août

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Un mouvement près de ses côtes sortit brutalement du sommeil Corvus. Il tenta de se redresser, de fuir la menace, le temps que ses capacités cérébrales se réveillent à leur tour ; mais un corps lourd et immobile gisait au-dessus de lui.

Parfois, il semblait à Corvus que premier souvenir qu'il possédait était l'instant où sa mère l'avait déposé dans un coin sombre d'une ruelle ; avait remonté sa robe jusqu'à mi-cuisse, descendu son corsage pour exposer sa poitrine ; s'était avancée à pas calculés vers un passant innocent dans un faux sourire paisible ; et, dans un mouvement d'une fluidité démontrant la pratique et une rapidité démentant la moindre hésitation, dans un mouvement, un seul, ne prenant même pas la peine de s'arrêter, elle avait plongé sa dague dans la gorge de l'homme.

Un frisson glacé descendit de sa nuque jusqu'au bas de son dos.

Un ronflement sortit de la carcasse amorphe de James Potter.

Corvus eut la soudaine et irrépressible envie d'étrangler cet insupportable morpion trouvant que dormir sur la poitrine de quelqu'un était une ravissante idée. L'intrus grogna une insanité en gobelbabille et roula le poids mort de l'autre côté du lit. Le sale gosse n'esquissa pas un mouvement et ronfla davantage. L'étranger laissa aller son crâne contre l'oreiller dans un grognement de désespoir.

Avec la vie qu'il avait vécue, changeant de pays et de fuseau horaire avec une régularité de métronome, Corvus avait appris à dormir n'importe où, n'importe quand, et en faisant fi des inconvenances sonores. La présence d'un morveux dans son lit n'aurait pas dû le gêner autant.

Pourquoi avait-il accepté, d'ailleurs, de partager son lit avec le morveux en question ?

Ah. Oui. Parce que Corvus avait eu la très douteuse idée de combler les trous dans l'éducation de cet indécrottable morpion, et qu'en échange d'une nuitée, ledit parasite s'était engagé à lui fournir deux ou trois grimoires du laboratoire de Fleamont.

L'intrus s'était laissé aller dans cette maison ; il était temps qu'il reprenne du poil de la bête et s'instruise.

"Rien n'est plus important que le savoir, mon fils." avait dit et répété Charlus Potter.

Et si Fleamont avait quelque chose à en redire, il pourrait profiter de l'opportunité pour parler à son neveu, au lieu de se terrer dans son laboratoire et de laisser des dizaines de photographies dans les couloirs.

Corvus inspira profondément dans l'obscurité, et écarta son oncle de son esprit.

La douce lumière de la lune éclairait faiblement le papier peint bleu, le sel incrusté sur la fenêtre créant des ombres chinoises sur le mur de la chambre. Créant des ombres de doigts sales et de griffes acérées.

Les yeux jaunes du lycanthrope passèrent rapidement devant ceux de l'enfant.

"A une prochaine fois, j'espère." avait retenti dans son dos la voix polie du lycanthrope.

Corvus avait été trop préoccupé à se soustraire des griffes de la menace pour se poser des questions, mais…

Mais pourquoi James ? Pourquoi cibler le fils d'une riche famille vivant le plus loin possible de la société ? Pourquoi un garçon brillant par sa stupidité ? Alors que juste à côté, s'était trouvé Corvus.

Certes, l'intrus appréciait ne pas avoir été la cible du prédateur, pour une fois, mais objectivement parlant, le lycanthrope aurait dû s'en prendre à lui, pas à James.

Corvus était le fils de criminels s'étant fait des ennemis partout. Assurément, si ces derniers avaient voulu se venger de ses parents, il aurait été la proie idéale.

D'un point de vue physique, Corvus était plus en forme, plus mature que son jeune cousin. Si l'individu louche avait voulu l'ajouter à sa meute, il aurait été un candidat mieux adapté. Sauf s'il s'agissait d'un pervers collectionnant les petits garçons et les transformant pour qu'ils soient exclus de leur famille, et les avoir tout à lui sans craindre la justice.

L'estomac de l'étranger se révolta à cette sombre pensée.

Ça collait. Aussi repoussant que soit cette hypothèse, elle tenait la route.

Mais dans ce cas, pourquoi faire du repérage dans un magasin d'apothicaire, au lieu d'autres boutiques attirant les jeunes sorciers, comme le marchand de glaces ou de balais ?

A moins que le prédateur ait déjà choisi sa proie, ait attendu l'arrivée en fanfare d'Euphemia pour … pour quoi, exactement ?

Si Corvus suivait ce raisonnement, si l'individu louche avait eu connaissance des pratiques commerciales douteuses de Parkinson, et s'était planqué dans les rayonnages pour mieux espionner Euphemia et/ou sa progéniture, pour quelle raison l'avait-il fait ?

Pourquoi ? Quel intérêt de s'en prendre à James, s'il n'était pas un pervers aux doigts sales ? Pour quelles raisons est-ce qu'un lycanthrope s'intéresserait à un jeune sorcier ?

Pour le manger ?

"Toi qui aime tant les questions, Jurgen, j'en ai une pour toi : Est-ce que te manger est vraiment du cannibalisme, si je ne suis plus vraiment humain ?" avait ricané un lycanthrope résidant dans la Zone Incartable de Transylvanie.

Sauf que les lycanthropes se jetant sur de pauvres innocents pour les dévorer ne portaient pas de chapeaux melons. Ils ne portaient rien du tout en général, complètement fous et réduits à l'état de bête sanguinaire.

Sauf que la menace était intelligente. Elle avait prouvé être autre chose qu'une bête en quête de chair fraîche. L'individu louche avait changé de visage dès que sa présence avait été découverte, s'était fait passé pour un honnête citoyen dans un mensonge fluide.

"A une prochaine fois, j'espère." avait retenti dans son dos la voix polie du prédateur.

Or, l'individu ayant posé ses yeux jaunes sur James ressemblait beaucoup plus aux spécimens qu'il avait croisé dans les Carpates, et qui s'étaient amusés à lui faire peur.

"Les loups vivent en meute, Jurgen." lui avait expliqué une habitante des Carpates. "Et ils n'aiment pas les têtes inconnues. Parce que les têtes inconnues, en Transylvanie, ça veut dire qu'un individu au passé louche s'est fait traquer jusqu'ici, le territoire le plus dangereux du globe." avait ajouté la cracmolle elle-même recherchée pour le meurtre de ses propres parents. "Et quand un mage noir en fuite est acculé, dans une zone de non-droit dépourvue de gouvernement et de forces de maintient de l'ordre, laisse-moi te dire que ça fait des étincelles. Et si en plus les aurors et autres chasseurs de prime rappliquent et se mettent en tête d'appliquer leurs lois, chez nous, ça devient rapidement un gros bordel avec des dommages collatéraux impressionnants." avait dit la tenancière de la seule auberge respectable, occupée à laver des draps tachés de sang. "Alors, tu te doutes bien, pour des types obligés de vivre sur le seul endroit sur Terre ne les considérant pas comme des monstres, l'arrivée d'une nouvelle tête et des ennuis qui vont avec, ça leur fait pas franchement plaisir." avait-elle terminé en pendant tranquillement son linge à une cordelette.

Ces lycanthropes-, étaient sains d'esprits, organisés et incroyablement plus dangereux que leurs congénères. Et ces lycanthropes-, ne dévoraient pas les gens juste parce qu'ils le pouvaient. S'ils s'en prenaient à des humains, c'était personnel. C'était parce que quelqu'un avait voulu jouer au plus malin avec une meute de créatures féroces et dotées d'une mémoire atrocement longue.

La question, maintenant, était de savoir qui, entre Euphemia et Fleamont, avait jugé intelligent de se frotter à une meute de lycanthropes, et espérer s'en tirer sans "dommages collatéraux impressionnants", comme l'avait si bien décrit l'habitante de Transylvanie.

La vieille peau était une ancienne duelliste, plus du genre à foncer dans le tas et à subir directement les conséquences de son caractère de harpie, qu'à planter des dagues dans le dos des gens et à se tirer quand le vent commençait à tourner. Si grief elle avait eu avec des lycanthropes, l'un des deux camps ne serait plus là pour témoigner.

Pour ce qui était de Fleamont, Corvus avait une version tronquée du potionniste. Il ne l'avait, après tout, que croisé au moment où Dorea l'avait laissé chez lui comme un bagage encombrant. Certes, il était apparemment décidé à communiquer par l'intermédiaire de photographies vieilles de trente ans, et avait eu l'idée controversée d'emménager l'une de ses bibliothèques dans une serre tropicale. Mais il ne s'agissait là que d'informations indirectes, tirées par déduction plus qu'observation, donc susceptibles d'être incorrectes.

Que savait-il vraiment de Fleamont ?

Vieillard retranché dans son manoir et préférant la solitude au fourmillement de la foule. Ancien proche de ses parents, que Dorea et Charlus respectaient encore suffisamment pour lui confier leur fils. Potionniste respecté et reconnu internationalement dans une société où les voyages internationaux étaient rares et coûteux.

"Et devine d'où viennent ses racines roses ?" lui avait murmuré James dans un ton conspirateur. "Du Brésil." avait-il répondu avec des étoiles dans les yeux.

Toujours allongé dans le lit à baldaquin et au milieu de draps bleus, Corvus leva un sourcil curieux.

Pour les sorciers, préférant se cantonner à leur bout de terre avec la même férocité qu'une moule à son rocher, le simple fait d'importer des produits était une entreprise beaucoup plus compliquée que chez leurs voisins moldus, pour qui le commerce et la prise d'opportunités étaient une seconde nature. De ce fait, il était… curieux de savoir comment, par quels moyens, Fleamont se faisait livrer ses ingrédients.

"A une prochaine fois, j'espère." avait retenti dans son dos la voix polie du lycanthrope.

Corvus grinça des dents dans le silence relatif de la Chambre Bleue. Comme en réponse, James se retourna dans le lit à baldaquin et atterrit, à nouveau, contre le garçon plus âgé.

"Corvus ?" avait fait une voix frêle et inquiète dans l'obscurité d'un magasin.

Quelque chose se serra dans la poitrine de l'enfant.

"Tu ne veux quand même pas laisser tes petits camarades tous seuls avec moi, n'est-ce pas ?" avait essayé de l'amadouer le pire monstre qu'il ait connu.

Et, non. Corvus n'avait aucune envie de laisser son cousin à la merci d'un prédateur, de n'importe quel prédateur.

La main de l'intrus qui n'était pas broyée par le poids mort du garçon s'accrocha au pyjama de son cousin.

Corvus avait presque peur de la nouvelle possessivité qui se manifestait pour ce gosse tenant plus du lemming que de l'être humain. Rien que d'imaginer le marmot louvoyer au bord d'une falaise, il avait déjà une montée de tension.

Corvus… ne comprenait pas vraiment pourquoi. Il détestait la présence de ce môme braillard et envahissant. La moindre de ses actions l'horripilait. Son manque d'intelligence et de curiosité le navrait.

Il ne supportait pas James, alors… pourquoi ?

Pourquoi était-il l'exception parmi toutes les pauvres âmes innocentes qu'il avait condamné par son inaction ? Pourquoi avait-il la soudaine envie de jouer au professeur avec un morpion cherchant toujours un prétexte pour échapper à ses exercices de mathématiques ?

Corvus… ne comprenait pas vraiment pourquoi. Et ne pas mettre le doigt sur la raison d'un tel changement intérieur le perturbait plus que les portraits arborant les traits présents sur son visage.

"Personne ne possède la vérité totale et universelle, Corvus." souffla la voix éthérée de Charlus. " … ne jamais réfuter la nouvelle réalité qui se présente à toi en s'accrochant à des croyances obsolètes." avait expliqué son père.

Et… peut-être que la raison n'était si importante que cela ; mais… Corvus ne comprenait pas.

Le garçon sur sa poitrine émit un petit bruit de protestation et bava sans gêne sur sa chemise empruntée.

Pourquoi James ?

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Il s'avérait, pour la véracité historique, que James Potter tenait effectivement plus du boursouf en manque d'attention que de l'être humain.

- James, grogna l'étranger en essayant de se défaire des bras emprisonnant sa taille.

- Mmmhn, répondit le dernier Potter en date. 'Core cinq minutes, marmonna-t-il sans dignité en enterrant plus profondément son visage dans la poitrine de son oreiller humain.

Corvus retenait ses leçons. Et, à cet instant, alors que les cheveux incoiffables de son boulet personnel lui chatouillait le menton, il décida de ne plus jamais accepter de dormir en compagnie d'un autre individu. Surtout si l'individu en question s'avérait être un moutard sans éducation s'accrochant désespérément à n'importe qui.

- James, répéta l'intrus en forçant davantage sur les bras maigres du garçon. Le jour se lève, insista-t-il en se redressant comme il put.

- Rmmgn, prononça distinctement le noble James Potter en roulant enfin de l'autre côté du lit.

Honnêtement, Corvus n'arrivait pas à comprendre par quel miracle ce sale gosse avait réussi à lui faire accepter son dernier caprice. A posteriori, les yeux humides du marmot n'étaient plus si convaincants qu'ils ne l'avaient été quelques heures plus tôt.

Par la fenêtre incrustée de sel, l'intrus arrivait à distinguer les premières lueurs de l'aurore. Même après le chaos émotionnel qu'avait été la journée de la veille, Corvus n'était pas assez inepte mentalement pour oublier qu'Euphemia avait ordonné à une couturière de se présenter chez elle au petit matin.

"La ponctualité est la politesse des rois." lui avait dit une vieille ménagère moldue.

Se prélasser improductivement dans un lit n'était de toute façon pas un comportement digne de son nom. Contrairement à l'exemple que semblait donner James.

Le garçon grogna un autre son incompréhensible avant d'enfouir sa tête sous les draps bleus.

Corvus profita de l'absence de témoins pour lever bien haut les yeux au ciel, et il se prépara pour ce qui s'annonçait être une nouvelle journée peu paisible. L'étranger repassa sa robe en dentelle, et déplora encore une fois la plaque d'irritation grandissant sur sa peau au niveau des poignets et du cou. Il passa un instant ses doigts dans ses cheveux incoiffables, les rendant légèrement plus présentables, avant de sortir de la Chambre Bleue.

Un nombre encore plus conséquent de photographies envahissaient les couloirs du manoir.

Corvus ressentit une légère pointe d'agacement, loin de la colère de la veille, à la vue de cette tentative de communication bâclée. Il passa devant les guéridons sans jeter les cadres aux murs, et sans adresser un regard supplémentaire aux visages familiers.

Une conversation en bonne et due forme s'imposait avec Fleamont Potter ; pour au moins confirmer son hypothèses sur les entreprises parfaitement légales de son oncle au-dessus de tout soupçon.

La tête d'Euphemia, quand elle apprendrait que son époux n'acceptait peut-être pas les pots-de-vins, mais bénéficiait des services de contrebande louche et avait suffisamment enragé une bande de lycanthropes pour qu'ils essayent de s'en prendre à James. Assurément, si elle ne mourrait pas d'une apoplexie, sa voix d'harpie allait être entendue sur des kilomètres.

L'étranger s'arrêta devant le hall d'entrée, et ne remarqua aucun manteau accroché, ni aucun écart de température laissant suspecter que quelqu'un ait ouvert la porte précédemment défoncée par sa mère. Le jeune homme se dirigea ensuite vers la cuisine, pour se préparer de quoi se remplir l'estomac avant l'entretien avec la couturière.

Corvus n'avait jamais eu de vêtements sur-mesure, il ignorait combien de temps, exactement, prendrait la jeune sorcière pour ajuster les diverses robes qu'avait commandé Euphemia. Techniquement, avec l'aide de la magie, tout le travail d'ourlets ne devrait prendre que quelques minutes, mais l'étranger préférait prendre ses précautions. Après tout, les sorciers n'étaient pas réputés pour leur sens logique et leur esprit pratique. Ce que les moldus accomplissaient dans un minimum de temps et d'efforts prenait souvent un temps considérable aux magiciens. Corvus était d'ailleurs quelque peu curieux de savoir par quel moyen la couturière allait se compliquer la vie.

"Le fil dans le chas avant de planter l'aiguille, ma chérie." lui avait appris une moldue.

Corvus connaissait la base du travail éreintant de couture, tricot et broderie. Il avait trouvé la complexité des techniques et la précision d'orfèvre de ce métier ingrat assez fascinant, et avait engorgé autant de savoirs que les ménagères moldues lui avait permis. Sans vraiment de surprise, quand il se faisait passer pour une fille, personne ne posait de question indiscrète sur son intérêt pour un ouvrage "féminin". Personnellement, Corvus appréciait le challenge de la création d'un objet en utilisant un schéma particulier d'entrecroisements de fils et la dextérité que lui apportait le travail d'aiguille.

"Corvus, ne trouves-tu pas cela fascinant ?" s'était ravi son père un nombre incalculable de fois devant des ouvrages moldus.

Et, oui, le digne fils de Charlus Potter était facilement fasciné par l'ingéniosité moldue. Et apparemment, Fleamont Potter aussi.

Ici, une imposante horloge à pendule bloquant une porte ; au plafond, un chandelier possédant encore une étiquette de prix en Livre Sterling ; là, un miroir ne faisant que refléter les visages sans donner de commentaires déplacés ; au sol, des tapis aux couleurs criardes ne se trouvant pas dans les boutiques du Chemin de Traverse.

Dans l'avenue commerçante londonienne, Corvus avait eu un aperçu des goûts décoratifs en vigueur ; et ceux des Potter tranchaient superbement avec le reste de leurs concitoyens. Certes, le manoir ne regorgeait pas de ronds oranges et de tapis duveteux en plumes roses, mais un observateur consciencieux remarquait les détails indiquant que les propriétaires se permettaient quelques libertés décoratives.

D'ailleurs, le couple Potter se permettait, apparemment, des libertés dans d'autres domaines. Les photographies suspectes découvertes dans le couloir aux portraits, les vêtements moldus que portait James, la robe étriquée qu'Euphemia avait enfilé pour faire leurs achats, la façon dont sa tante détestait entrer en communication avec ses semblables… Tout cela laissait supposer que les autres Potter frayaient non seulement avec les moldus, mais ne semblaient pas spécialement apprécier la communauté magique locale.

Intéressant. De tous les qualificatifs qu'il aurait pu trouver pour décrire ses gardiens, "misanthropes" était une nouveauté.

Cette hypothèse, en fait, expliquait la localisation isolée de leur demeure, ainsi que le manque de visiteurs ou de camarades de jeu. La prochaine fois qu'on l'obligerait à prendre un thé avec les fossiles des maisons d'à côté, il essaierait de passer le temps en cassant du sucre sur le dos des sorciers, et de voir si Euphemia était aussi prolifique en matière de noms d'oiseaux envers ses propres congénères. Au pire, les vieilles reliques se sentiraient tellement insultées que plus aucune ne souhaiterait le recevoir chez elles.

Un plan brillant, jugea-t-il en entrant dans la cuisine impeccable des Potter. Corvus n'était pas habitué à un tel niveau de propreté dans une cuisine. Pour être honnête, il n'avait visité que peu de maisons sorcières, et ne possédait comme élément de comparaison que les demeures moldues. Les demeures moldues pauvres, ajouta-t-il mentalement en passant une main sur la table bois trônant au milieu de la pièce. Assurément, avec un peu de magie, le niveau acceptable d'hygiène devait être sensiblement plus élevé. Les yeux gris de l'enfant n'observaient pas la moindre pelure de légumes oubliée dans un coin, pas de salissure sur les bocaux soigneusement rangés dans le vaisselier, aucun récipient empilé dans un évier en attendant d'être lavé, et pas d'outils négligemment laissés sur le plan de travail.

"Oh, mon ange, non, ce n'est pas comme qu'on pèle des carottes, voyons." l'avait gentiment rabroué une moldue le prenant pour sa progéniture.

Corvus ouvrit un placard et sortit de quoi préparer son petit-déjeuner. Tout comme la couture, cuisiner ne lui apparaissait pas comme un art "inférieur". Au contraire, il trouvait même que la pratique régulière de la préparation culinaire augmentait la qualité de brassage de ses potions.

Il loucha un instant sur la collection de thé d'Euphemia, hésitant à ajouter du sel ou des algues dans les délicats pots en porcelaine. Il préféra cependant faire preuve de maturité et se mit à préparer un Earl Grey comme son père les aimait.

Corvus n'avait peut-être jamais mis les pieds en Grande-Bretagne avant son séjour forcé en Cornouailles, ce n'était pas pour autant qu'il ignorait tout de la culture anglaise. Ses parents ayant été élevés sur cette île, ils avaient gardé au fil des ans une certaine tendresse pour ce breuvage somme toute… passable. Ça restait tout de même de l'eau chaude avec des herbes, quoi qu'en dise les experts.

L'élève assidu cassa un œuf dans un saladier et versa la quantité nécessaire de sucre. Pour ce genre de recette basique, il n'avait de toute façon pas besoin d'outils de mesure. Il se fiait autant à son expérience qu'à la précision de ses yeux.

Quelques minutes plus tard, Corvus était attablé devant une assiette de pancakes recouverts de miel, substitut adéquat au sirop d'érable qu'il affectionnait particulièrement, et une tasse de thé fumante. Ce fut ainsi que le trouva sa tante, seulement habillée d'une robe de chambre usée jusqu'à la corde et ses cheveux grisonnants agencés dans une tresse lache.

- Il est à peine six heures du matin, le salua-t-elle en clignant laborieusement des yeux.

Corvus prit le temps de s'essuyer le coin des lèvres avec une serviette avant de répondre.

- Vous aviez dit, et je cite : "demain matin, à la première heure", articula son neveu avant de porter à sa bouche un morceau de pancake dégoulinant de sucre.

La sorcière plissa ses lèvres fripées. De dégoût pour sa nourriture, ou sous l'impertinence de sa réponse, il ne savait pas. Il s'en fichait un peu, en vérité.

Il ressortit la fourchette de sa bouche en la faisant tinter entre ses dents. Euphemia grimaça davantage sous le bruit inconfortable de l'émail rayé. L'enfant retint un ricanement victorieux et se concentra sur ses pancakes. Sa tante s'attabla face à lui et agita nerveusement sa baguette d'un bout à l'autre de la cuisine. Le silence confortable de la pièce fut définitivement ruiné par le concert de casseroles et poêles se fracassant l'une contre l'autre.

Corvus leva les yeux de ses pancakes pour foudroyer de son regard de Black la vieille peau revancharde. Euphemia ne le regardait même pas, agitant mollement sa baguette vers les fourneaux. Un grésillement et une odeur de lard grillé envahit la cuisine. Des assiettes s'entrechoquèrent dans son dos avant que l'une d'elle se pose sous le nez de la sorcière. Puis, enfin, le capharnaüm sonore prit fin, les ustensiles reprenant leur juste place dans les placards.

- Ne me dis pas que tu te lèves tous les jours en même temps que le Soleil, marmonna l'acariâtre femme en se laissant aller contre le dossier de sa chaise.

- Pas vous ? répliqua dans un sourire taquin l'unique individu matinal de cette maisonnée.

- Pas de vouvoiement avec moi, grogna-t-elle en se passant une main fatiguée sur le visage. Si nous sommes forcés de passer les sept prochaines années ensemble, autant laisser tomber l'hypocrisie et les "manières" inutiles, cracha-t-elle ces derniers mots dans un mépris nullement dissimulé.

- Oui, tante Euphemia, répondit le jeune garçon dans un excès de politesse.

La sorcière fronça ses sourcils châtains sous l'affront à peine voilé.

- Le sarcasme et l'impertinence mal placée aussi, ajouta-t-elle sèchement.

A la périphérie de sa vision, il vit un œuf s'exploser contre le bord d'une poêle, et se répandre sur la gazinière dans un crépitement et une odeur de brûlé. Euphemia marmonna une insanité de son cru avant d'agiter une nouvelle fois sa baguette. La catastrophe se nettoya d'elle-même. Sa tante inspira profondement avant de reprendre la parole, plantant ses intenses yeux noisettes dans les siens.

Corvus Potter détestait être fixé par d'autres yeux que ceux de ses parents.

Le futur criminel ne baissa pas le regard, et continua à tranquillement manger ses pancakes.

- Je ne suis pas ton ennemie, Corvus, prononça la sorcière ayant insulté sa mère devant lui.

L'enfant prit tout son temps pour découper un morceau carré de sa nourriture.

- Nul besoin de vous forcer à m'apprécier, asséna-t-il. Ce n'est pas parce que nous partageons un nom ou un espace vital que nous devons passer plus de temps ensemble que nécessaire, développa-t-il en enfournant sa fourchette, le couvert tintant contre ses dents.

Euphemia plissa une nouvelle fois ses lèvres fripées. Mécontentement, ou agacement ?

- Au cas où tu n'aurais pas encore compris, mon garçon, ouvre bien tes oreilles, le menaça-t-elle dans un grondement inquiétant. Tu fais désormais partie de cette famille, que toi ou moi le voulions ou non, claqua sa voix dans la cuisine rutilante. Crois-moi, j'aurais préféré que les circonstances m'épargnent, renifla-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine tombante. Mais les choses sont ce qu'elles sont, philosopha-t-elle. Pour le reste du monde, Corvus, je suis ta mère, osa-t-elle prononcer. Ce qui signifie, continua-t-elle sans se rendre compte de l'horreur qu'elle venait de sortir. Que j'aimerai que notre relation soit autre chose que du mépris cordial, dit-elle pendant que le garçon était rendu muet d'outrage. Alors, certes, concéda-t-elle. Toute cette histoire n'a pas commencé sous les meilleurs auspices, et toi et moi sommes des êtres immensément butés préférant se faire perforer l'estomac plutôt que de ravaler notre fierté, se méprit-elle gravement sur le genre d'individu qu'était son neveu. Mais je pense que nous sommes capables de faire mieux, décida-t-elle. D'au moins ne pas nous agresser verbalement à chaque occasion. Qu'en dis-tu ? lui proposa-t-elle un cessez-le-feu.

Corvus n'avait aucune envie d'être cordial avec une mégère osant penser qu'elle arrivait au petit orteil de Dorea Potter.

L'intrus enfourna la fourchette dans sa bouche, referma ses dents sur l'argenterie et retira le couvert dans un atroce bruit de crissement.

Euphemia plissa davantage ses lèvres ridées. Toute la partie inférieure de son visage était contorsionnée en une grimace de souffrance et d'agacement.

Corvus retint un sourire victorieux.

- Je pensais que la couturière devait passer aux aurores, changea-t-il de sujet de conversation et découpant minutieusement une part de pancake.

Un soupir énervé s'échappa de la carcasse de sa tante.

- "A la première heure", ici, ça veut dire : à la première heure décente, expliqua-t-elle.

Honnêtement, la décence était quelque chose de tellement subjectif…

- A savoir ? demanda-t-il en sauçant le miel avec une part de pancake.

- A savoir entre sept et huit heures, précisa-t-elle en faisant léviter la poêle de lard et d'oeufs jusqu'à eux. Tu en veux ? lui offrit-elle aussi poliment que son agacement lui permettait.

Manger salé et gras, dès l'aube, lui donnait aisément la nausée.

- Non merci, fit Corvus en réprimant une grimace dégoûtée et en se forçant à finir son propre petit-déjeuner.

Les minutes suivantes du repas se déroulèrent sans anicroche particulière, les deux Potter concentrés sur leur nourriture et peu désireux d'entamer la discussion.

Corvus, depuis qu'il était en Cornouailles, préférait prendre ses repas loin de toute compagnie indésirable. En général, ses journées commençaient avec le Soleil, et l'enfant profitait du calme de l'aurore pour piller le garde-manger. Le reste de son temps, honnêtement, était passé à observer les vagues et le vol acrobatique des oiseaux. A part quand James venait le déranger, Corvus ne bougeait que rarement de la journée, et végétait dans ses sombres pensées jusqu'à ce que son ventre ou ses articulations ne crient grâce.

Son père aurait eu honte de lui.

"Rien n'est plus important que le savoir, mon fils." avait dit et répété Charlus Potter.

L'estomac plein de l'étranger se tordit dans son abdomen.

Une telle oisiveté, une telle paresse intellectuelle était impardonnable. Son père, portant aux nues toute forme de connaissance, aurait eu honte de la loque improductive qu'était devenu Corvus au cours de ces quelques jours en Cornouailles.

Il devenait temps de faire autre chose que se morfondre sur soi.

Il devenait temps d'enfermer à double tour ces émotions indésirables, honteuses, faibles, et de faire honneur à son nom et ses parents.

"Rien que de la faiblesse." siffla sa mère dans son esprit.

S'apitoyer sur son sort, regretter un passé révolu était inutile, improductif. Se rouler dans la boue de ses émotions, juste par faiblesse, était un comportement purement indigne.

"De la dignité, Corvus." lui avait dit sa mère en lui relevant le menton de ses doigts abîmés. "C'est la seule chose que tu peux emmener avec toi dans la tombe." avait-elle ajouté en nettoyant des traces de larmes sur son visage.

L'enfant se redressa sur sa chaise, et releva bien haut le menton, sentant les doigts fantomatiques de sa mère sur son visage.

Euphemia releva ses intenses yeux noisettes de son assiette et arqua un sourcil grisonnant dans sa direction. Sa tante n'avait pas besoin d'ouvrir la bouche pour exprimer sa curiosité teintée d'agacement. Corvus pouvait presque entendre le "Quoi ?" grinçant de la sorcière.

L'intrus mordit dans son dernier morceau de pancake et sa fourchette, utilisant le bruit strident de ses dents pour s'épargner une question indiscrète. Euphemia grimaça et son corps de vieillarde frémit sous le son de l'émail rayé.

- Veux-tu bien cesser ? grogna-t-elle tout de même en le foudroyant de son regard déstabilisant.

"Rien n'est plus important que le savoir, mon fils." avait dit et répété Charlus Potter.

Et, de même que passer des heures à fixer mornement le paysage était improductif, se faire une ennemie de la maîtresse de maison était une grave erreur.

"Rien n'est plus important que le savoir, mon fils." avait dit et répété Charlus Potter.

Rien n'était plus important qu'engranger des connaissances nouvelles, et, dans ce manoir isolé, la source de savoir la plus facile d'accès restait la sorcière venant de lui offrir un cessez-le-feu.

Corvus détestait devoir s'abaisser à réclamer des miettes à la femme insultant sans honte sa mère.

"Dignité ? Quelle dignité ?" avait reniflé un prestidigitateur. "Crois-moi, Janet, plus tu passes pour un idiot, moins on pense que tu viens de faire les poches de ton voisin." avait dit ce moldu au sourire contagieux.

Corvus s'essuya calmement le coin des lèvres et posa lentement sa fourchette couverte d'éraflures. Puis, ravalant sa fierté, ressassant inlassablement les mots de son père, il offrit à sa tante un petit sourire contrit. La sorcière plissa un court instant ses yeux noisettes de suspicion, et posa à son tour ses couverts, lui offrant muettement une oreille attentive. La pointe de son couteau tinta faiblement la porcelaine de son assiette.

L'intrus planta ses yeux de Black dans ceux de la sorcière et força les mots à sortir de sa gorge :

- Auriez-vous du temps à m'accorder après la visite de la couturière ? demanda-t-il posément en ayant l'impression que des éclats de verre lui déchiraient la bouche.

Euphemia Potter cligna lentement ses yeux noisettes, semblant douter de ses propres oreilles. Puis, constatant que le garçon était sérieux, elle se racla inconfortablement la gorge.

- Hum… regarda-t-elle discrètement autour d'elle en quête de soutien. Pour… euh... quoi exactement ? termina-t-elle dans une confusion évidente.

- Je souhaiterai que vous m'appreniez quelque chose d'important, prononça pour la énième fois l'enfant élevé au milieu des criminels.

"T'es pas un peu jeune ?" avaient demandé certains.

"C'pas que j'veux pas, mais j'ai pas grand chose à t'apprendre…" avaient essayé de se défiler d'autres.

"Comme quoi ?" avaient accepté ses professeurs.

- Ça dépend quoi, répondit Euphemia Potter en posant un regard glacé sur sa charge et en se redressant sur son siège.

De sa stature d'adulte, la duelliste surplombait Corvus de toute sa taille et de toute son expérience. L'unique raison pour laquelle elle ne croisa pas les bras sur sa poitrine, fut pour glisser discrètement une main à sa ceinture. À sa baguette.

"Ne montre jamais à quel point tu es intimidé. C'est donner du pouvoir à ceux qui en possèdent déjà trop." résonna encore la voix de Charlus.

L'étranger ne détourna pas le regard.

- Ce que, selon vous, il est nécessaire de savoir pour survivre, répondit l'élève assidu pour la millième fois.

"Il existe des leçons que toute personne saine d'esprit devrait apprendre." répéta la voix aigrie de sa professeure.

Les yeux inquisiteurs restèrent posés sur lui un long moment ; jugeant la véracité de ses paroles, mesurant sa valeur, cherchant dans ses yeux de Black une réponse qu'ils ne trouveraient pas.

Corvus Potter détestait être fixé par d'autres yeux que ceux de ses parents.

Ce n'était pas la première fois qu'un individu lui inspirant une légère pointe de dégoût et une dose saine d'effroi le fixait inconfortablement du regard. Il s'agissait même d'une réaction atrocement familière. Ces yeux ne le lâchant pas du regard, braqués sur lui comme s'il était le seul être présent dans la pièce ; ces yeux le jaugeant, l'inspectant de bas en haut, le soupesant comme une pièce de viande sans conscience ; ces yeux cherchant quelque chose, fouillant sans honte dans son âme d'enfant, sans jamais trouver ce qu'ils cherchaient ; ces yeux aux nuances différentes, parfois marquées de lubricité et d'avidité, parfois adoucies par une pitié écoeurante, mais toujours, toujours

Le fixant comme s'il était une curiosité, une abomination dont jamais personne n'aurait imaginé un jour l'existence.

Corvus mit de côté la nausée commençant à s'installer en lui, et garda un visage impassible, attendant le verdict de la sorcière.

- En Grande-Bretagne, prononça Euphemia dans une lenteur suspecte. La vie des enfants sorciers n'est pas régulièrement mise en danger, lui expliqua-t-elle en fronçant le nez de mépris.

Corvus sentit la colère bouillir en lui devant l'insulte voilée.

L'enfant s'humecta les lèvres, se permettant quelques secondes précieuses pour calmer ses nerfs, avant de prendre la parole.

- Admettons, mit-il de l'eau dans son vin pour le bienfait de ses ambitions. Peut-être, qu'effectivement, je n'ai pas la nécessité d'apprendre comment me protéger ; juste l'envie, mentit l'individu connaissant la précarité de l'existence humaine.

- La question est donc réglée, grinça Euphemia en croisant les bras sur sa poitrine pour ponctuer sa déclaration.

- Vous êtes celle qui vient de proposer d'améliorer notre relation, ma tante, changea-t-il de stratégie. Je pensais que vous auriez sauté sur l'occasion, titilla-t-il le dragon endormi.

Corvus pouvait presque voir la fumée sortir des narines de la vénérable sorcière.

- Soit, grogna la duelliste. Qu'est-ce que tu veux savoir, exactement ? répéta-t-elle en commençant à taper énergiquement la mesure sur son bras de ses doigts gauches.

L'intrus s'adossa à sa chaise.

- Ce que jugez important, répondit l'élève assidu.

La sorcière haussa un sourcil grisonnant, un éclat familier brillant dans ses yeux noisettes. Le même éclat de malice que cet horrible morpion de James. Corvus commençait à regretter d'avoir ouvert la bouche.

- Tu n'as rien contre les mathématiques, j'espère ? musa dans un rictus sadique la vieille sorcière.

L'élève assidu était capable de calculer la course des astres dans le ciel et de comprendre relativement bien des cours de physique quantique. Non, il n'avait rien contre les mathématiques ; il adorait la danse logique des chiffres valsant dans son crâne.

- Je me débrouille, retint-il le sourire conspirateur qui menaçait de s'étaler sur son visage.

- Bien, décréta Euphemia avec finalité. Donc tu pourras aider James dans ses leçons, tomba le couperet inattendu.

- Pardon ? crut mal comprendre l'intrus apparemment forcé au babysitting.

Certes, il s'était déjà résolu à combler les failles dans l'éducation du morveux, et à lui dispenser les connaissances indispensables à la survie ; mais se faire embaucher en tant que nourrice restait une pilule amère à avaler.

- Ce qui est important et nécessaire, ici, Corvus, jubila la vieille bique dans un immense sourire victorieux. C'est savoir "donner" pour après "recevoir", dit-elle en se laissant à son tour aller contre le dossier de sa chaise.

Corvus plissa les yeux gris qu'il tenait de Dorea.

- Vous me testez, comprit-il.

- Je t'enseigne la résilience face aux créatures les plus butées du monde connu : les enfants, ricana sans grâce la mégère impitoyable.

L'étranger empêcha ses dents de crisser les unes contre les autres ; estimant que son émail avait déjà assez souffert pour la journée et ne désirant pas exprimer ses émotions devant sa tante.

- Admettons que j'arrive à mettre du plomb dans sa cervelle. Selon vos propres mots, si je "donne" de mon temps, vous me devrez une leçon un peu plus enrichissante que celle-là, marchanda l'enfant élevé au milieu de criminels autrement plus roublards.

"C'est comme ça que roule le monde, Janey. Je te rends un service ; tu me rends un service." avait craché le vieux gobelin en exhalant un nuage de fumée. "C'est pour ça que c'est toujours amusant de passer des marchés avec des idiots croyant encore en 'l'honnêteté'." avait-il ricané en remettant son cigare entre ses dents pointues.

Euphemia fronça ses sourcils grisonnants dans une suspicion marquée, à peine le fantôme de son précédent amusement sur ses lèvres.

- Il va falloir te montrer un peu plus précis, fut-elle ouverte à la négociation.

Corvus s'accorda un court instant de réflexion. En règle générale, il prenait ce qu'on lui offrait et préférait ne pas influencer ses professeurs, mais, si sa tante lui proposait de choisir, il n'allait pas cracher sur cette opportunité.

"Le monde appartient à ceux qui réussissent à s'en tailler une part, Janey." l'avait averti un gobelin s'épanouissant dans le crime organisé. "Et ceux qui n'en sont pas capables servent de marche-pied aux autres."

Que savait-il d'Euphemia Potter ?

Duelliste ; frayant aussi bien avec le monde moldu que celui des sorciers ; sensiblement plus âgée que son aspect physique laissait supposer ; mère protectrice envers sa progéniture ; femme d'affaires impitoyable ; épouse de l'un des plus grands potionnistes vivants ; connaissance de l'actuel propriétaire de la Baguette ; membre distant d'une société dont il ignorait tout des rouages délicats et subtils.

Si Corvus souhaitait récupérer la Relique, il allait avoir besoin de pions. Et, pour manipuler des pauvres imbéciles sans qu'ils se rendent compte de la supercherie, il allait devoir comprendre les règles régissant cette communauté.

"Tu vas voir, ma mignonne, personne ne va comprendre comment nous sommes sortis d'un repaire de mafieux avec tout leur argent. " avait déclaré un magicien moldu dans un sourire inspirant la confiance aveugle.

- Comme vous ne cessez de le répéter, ma tante, reprit l'élève assidu. Mon éducation possède quelques... lacunes dans certains domaines. Les manières et la culture générale en font partie, articula-t-il sous la grimace de la vieille femme.

- Crois-moi, personne ne veut apprendre comment marcher avec un balais dans le fondement, rétorqua crudement la sorcière. Ou savoir quel couvert va avec quel plat. Ou s'habiller d'horreurs étriquées et engoncées dans des corsets étroits juste parce que c'est décent, cracha Euphemia dans un haine glacée mal dissimulée.

A cet instant précis, Corvus vit sa mère chez cette femme qui ne ratait pas une occasion pour dire tout ce qu'elle pensait de Dorea Potter. Son visage plein de rides aussi froid que le marbre, aussi invulnérable qu'un bloc de béton. Ses yeux intenses recelant une tempête d'émotions meurtrières.

"Ta mère est un être d'une complexité regorgeant de contradictions, Corvus", lui avait expliqué son père. "Et, comme tous ses pairs, elle est le résultat d'une éducation tenant plus de la barbarie qu'autre chose ; où les apparences ont plus d'importance que les émotions et les opinions d'une fillette."

Sur les traits si différents d'Euphemia, Corvus voyait le visage de sa mère à chaque fois que les Black étaient mentionnés.

"Ce qui est important, ce n'est pas d'avoir toujours raison, c'est de ne jamais réfuter la nouvelle réalité qui se présente à toi en s'accrochant à des croyances obsolètes." avait expliqué son père.

C'était étrange et déstabilisant, de voir des parts de sa mère si adulée chez une femme qu'il méprisait.

- Certes, convint l'enfant obéissant légèrement étourdi par le parallèle qu'il venait de faire. Il n'empêche que j'apprécierai votre aide pour faciliter mon intégration auprès des autres élèves, se ressaisit-il en jouant sur la corde sensible de la sorcière.

Corvus Potter se contrefichait de son intégration et des autres enfants coincés avec lui le temps d'une année. Il avait juste besoin d'avoir toutes les cartes en main pour mieux manipuler les plus utiles. Se faire apprécier de ses camarades ? Il n'en voyait pas l'intérêt. Se faire des amis ? Il n'avait qu'un vague concept de ce qu'était l'amitié.

Corvus, comme ses parents, n'avait pas d'amis, seulement des connaissances plus ou moins utiles et fiables.

Mais cela, évidemment, Euphemia l'ignorait. Elle le prenait pour un petit garçon à l'esprit pollué par les croyances de ses parents, à peine capable de faire du mal à une mouche.

"C'est un enfant." avait-elle insisté devant Albus Dumbledore. "Il n'est même pas capable de virer James de sa chemise !" avait-elle braqué sa main vers les deux garçons dans un geste théâtral digne des avocats plaidoyants pour leurs clients.

Sa tante pinça ses lèvres fripées, égara ses yeux noisettes le long de la pièce ; puis, comme pour les caprices de James, l'intrus vit sur son visage ridé l'instant précis où elle céda.

- Très bien, admit-elle sa défaite dans un soupir las. Mais seulement l'absolu nécessaire, précisa-t-elle en braquant un index inflexible sur son neveu.

Corvus arqua ses lèvres dans un fin sourire, savourant discrètement sa victoire.

- Je n'en demande pas plus, ma tante.

.


.

L'employée de Gaichiffon sonna à sept quarante-huit, d'après l'horloge moldue du couple Potter.

La couturière était plantée devant le perron du manoir, vêtue de son uniforme vert pomme et d'un chapeau pointu à larges bords masquant une grande partie de son visage. Une valise en cuir était derrière elle, contenant de toute évidence les robes exigées. Ses mains gantées de dentelle étaient servilement croisées devant elle.

- Entrez, ordonna Euphemia en ouvrant plus largement la porte que Dorea avait défoncé huit jours plus tôt.

La jeune sorcière baissa légèrement la tête et pénétra dans la demeure, traînant à sa suite la valise imposante. Elle retira rapidement sa cape aux couleurs de sa patronne et l'accrocha au porte-manteau du hall d'entrée. Le chapeau démesuré suivit. Les cheveux crépus de l'employée étaient tirés à quatre épingles sur son crâne, relevés dans un chignon purement fonctionnel. La couleur éclatante de son uniforme contrastait avec son teint sombre. Ses yeux noirs étaient servilement baissés à ses propres pieds. Ses dents blanches mordillaient nerveusement un coin de ses lèvres pulpeuses.

- Le boudoir suffira, pensa à voix haute sa tante tout en faisant signe à la jeune femme de la suivre.

La nouvelle arrivante, que Corvus estimait âgée de dix-sept à vingt-et-un ans, marcha silencieusement dans l'ombre de la duelliste.

Euphemia avait quitté sa robe de chambre élimée pour une robe cintrée couleur ivoire. La tresse lache avait disparue pour être remplacée par trois nattes artistiquement liées ensemble par un ruban de soie mauve. La vieillarde grogna une insanité dans sa barbe et se gratta le cuir chevelu. Sa respiration avait perdu de sa profondeur. Sa démarche était trop raide pour une ancienne duelliste.

- Saleté de corset, jura-t-elle dans un murmure en foudroyant le vide devant elle.

Apparemment, dans la société sorcière britannique, il existait un certain standing vestimentaire auquel tout le monde était obligé de se plier, même chez soi.

Euphemia ouvrit un peu trop violemment la porte du boudoir, présentant à la pauvre couturière l'horreur visuelle qu'étaient les murs orangés et le divan d'une affreuse couleur moutarde. D'un geste agacé de sa baguette, la maîtresse de maison déplaça le mobilier. L'employée s'installa dans l'espace dégagée pour elle ; elle posa sa valise en cuir sur la table basse en fer forgé et dévoila son contenu.

Trois robes noires ; un chapeau pointu noir ; une paire de gants en cuir tirant légèrement sur le vert ; une cape noire en laine épaisse avec des attaches en argent ; des souliers vernis incapables de résister à une flaque d'eau ; et une pile de tissus pliés au fond de la valise, que Corvus avait du mal à identifier.

- Commençons par les uniformes, voulez-vous ? exigea Euphemia en s'affalant avec grâce sur le divan relégué dans un coin de la pièce.

La couturière s'approcha d'un pas du jeune garçon, armée d'une robe noire et d'un assortiment d'épingles, ses yeux fixant toujours le plancher.

"L'intégrité de ton corps et de ton esprit, gamin, c'est la seule chose qui mérite d'être protégée." avait déclaré la femme brisée lui ayant appris à protéger son esprit.

Corvus prit une courte inspiration, carra les épaules pour se donner du courage, et entreprit de dégrafer les boutons en nacre de son col.

"Les vieux pervers vont se l'arracher." avait rêvassé un trafiquant en posant ses mains sales aux ongles jaunis sur sa peau dénudée.

Il s'était préparé à cette épreuve. Il pouvait faire abstraction de son inconfort, masquer à ces inconnus les preuves physiques de sa faiblesse. Il pouvait se dévêtir sans repenser aux doigts écoeurants s'attardant trop longtemps sur lui. Il pouvait le faire.

"Ne montre jamais à quel point tu es intimidé. C'est donner du pouvoir à ceux qui en possèdent déjà trop." souffla son père dans son esprit.

L'enfant réprima un frisson de dégoût et continua à s'exposer aux yeux étrangers, un bouton après l'autre.

Un lourd soupir résonna dans le boudoir, provenant de l'atroce divan.

- Tu sais que nous possédons au bas mot treize concoctions différentes pour soulager les irritations et les démangeaisons, n'est-ce pas ? grinça sa tante dans un grognement excédé. Il habite dans un maison de potionniste, par Merlin, marmonna-t-elle dans sa barbe en croisant fermement les bras sur sa poitrine. Ne pouvais-tu pas juste me dire que ta robe ne te convenait pas ? lâcha-t-elle dans un soupir à fendre la pierre.

Les plaques rouges sur son cou avaient effectivement un aspect assez impressionnant, mais n'étaient rien de plus que de bêtes irritations. Honnêtement, Corvus avait vu et vécu pire que de l'urticaire.

- Dentelle à proscrire, nota dans un murmure la couturière.

- Même ce qu'elle a bien voulu laissé est empoisonné, renifla dans sa barbe Euphemia.

Corvus plissa ses yeux de Black sur sa tante insultant encore une fois sa mère, et garda sa bouche close malgré l'envie de cracher sur la robe de la vieille carne acariâtre.

La tête pleine de critiques et réparties salées qu'il s'imaginaient envoyer à sa tante, l'étranger se débarrassa de sa robe avec moins de difficultés qu'imaginé.

"Tu sais comment on reconnaît une victime, gamin ?" lui avait demandé sa redoutable professeure. "Quand elle voit des choses qui n'existent plus que dans son crâne." avait-elle dit d'une voix grinçante d'ironie.

Corvus pinça les lèvres, n'appréciant pas que son propre cerveau se ligue contre lui.

Il fixa obstinément ses pieds, tentant d'endiguer la vague de nausée commençant doucement à monter, et enfila rapidement la robe noire que lui présentait la jeune femme. Pour son plus grand mécontentement, Euphemia estima que l'habit méritait quelques ajustements. Il resta donc debout et immobile, avec une étrangère à quelques centimètres de lui, respirant le même air que lui, frôlant sa peau de ses doigts nus et s'activant avec son aiguille.

Il s'était préparé à cette épreuve. Il pouvait faire abstraction de son inconfort, masquer à ces inconnus les preuves physiques de sa faiblesse. Il pouvait se dévêtir sans repenser aux doigts écoeurants s'attardant trop longtemps sur lui. Il pouvait le faire.

"Les vieux pervers vont se l'arracher." avait rêvassé un trafiquant en posant ses mains sales aux ongles jaunis sur sa peau dénudée, en posant ses yeux avides et lubriques sur son corps d'enfant.

Ce n'était pas la première fois qu'un individu lui inspirant une légère pointe de dégoût et une dose saine d'effroi le fixait inconfortablement du regard. Il s'agissait même d'une réaction atrocement régulière quand ses parents le présentaient à leurs connaissances. Les yeux de ces hommes, femmes, et créatures humanoïdes quand il assistait contre son gré à des discussions qu'il écoutait sans le vouloir ; ces yeux ne le lâchant pas du regard, ou seulement pour lancer une oeillade incrédule à ses parents, braqués sur lui comme s'il était le seul être présent dans la pièce ; ces yeux le jaugeant, l'inspectant de bas en haut, le soupesant comme une pièce de viande sans conscience ; ces yeux cherchant quelque chose, fouillant sans honte dans son âme d'enfant, sans jamais trouver ce qu'ils cherchaient ; ces yeux aux nuances différentes, parfois marquées de lubricité et d'avidité, parfois adoucies par une pitié écoeurante, mais toujours, toujours

Le fixant comme s'il était une curiosité, une abomination dont jamais personne n'aurait imaginé un jour一

Sauf que la jeune fille ne détachait pas ses yeux du sol.

Corvus eut la soudaine impression d'avoir loupé une marche.

La fille ne le regardait pas.

"Je suis sûre que tu en as déjà vu, gamin, des êtres qui ne respirent que parce qu'ils ne sont pas encore morts." avait dit sa professeure, aigrie par une vie de mauvais traitements.

"L'intégrité de ton corps et de ton esprit, gamin, c'est la seule chose qui mérite d'être protégée." avait-elle déclaré.

L'absence de contact visuel prenait un tout nouveau sens.

Et, bizarrement, être en présence d'une créature sachant à quel point un corps était sacré fit détendre les muscles de ses épaules, et atténua légèrement le malaise s'accrochant à sa peau comme une boue gluante.

Même si Corvus se fourvoyait gravement sur son compte, un comportement aussi … servile 一 son regard éternellement baissé, ses mains jointes sur son bas-ventre ou occupées à tordre le bord de ses vêtements, ses tics nerveux trahissant une anxiété 一 indiquait qu'elle connaissait intimement la cruauté du monde.

Le garçon pencha légèrement sa tête brune sur la droite, inspectant la couturière s'affairant autour de lui, lui imaginant un passé, une histoire, tout un panel de raisons toutes plus tragiques les unes que les autres.

Les habits s'enchainèrent les uns à la suite des autres ; et l'esprit de Corvus tournait à plein régime, focalisé sur la présence devant lui, se concentrant sans vraiment le vouloir sur autre chose que l'instant présent.

- Du parme et du rose, pour un garçon encore plus maussade que la météo écossaise ? éructa Euphemia.

La couturière baissa encore plus la tête, marmonnant quelque chose comme "surprenez-moi". La jeune fille tenait entre ses mains à la peau sombre une robe d'une qualité différente que l'épaisse laine noire des uniformes. Et la couleur, apparemment, n'était pas au goût de sa tante.

- Vous avez quelque chose contre les couleurs claires, Mère ? musa l'intrus avec autant de sarcasme que cette appellation le méritait.

La sorcière âgée arqua un sourcil, comme seuls les aristocrates pouvaient le faire, exprimant sa perplexité et tout le jugement qu'elle ressentait envers son sens de la mode.

- Du rose, Corvus, vraiment ? insista-t-elle dans un mépris amusé.

Corvus portait du noir depuis qu'il avait laissé son père sur un embarcadère moldu. Pour un individu changeant de visage, de nom, et de tenue plus souvent que de brosse à dents, il s'agissait là d'une condition intenable. A chaque fois qu'il croisait dans un miroir le même reflet, dépourvu d'artifices, vêtu des mêmes habits, de la même couleur, un sentiment de fausseté le prenait à la gorge. Alors, oui, Corvus Potter avait besoin de porter autre chose que du noir, s'il ne voulait pas hurler de frustration à chaque fois qu'il se voyait dans une glace. Ou, du moins, se retenir de hurler de frustration. Le digne fils de ses parents n'était pas tombé suffisamment bas pour être incapable de contenir une émotion aussi prévisible.

Il s'avérait, pour la véracité historique, que la couturière avait choisi exactement le vêtement adéquat. La robe d'intérieur duveteuse était d'une douceur à se damner, le délicat velours apaisant sa peau agressée par les dentelles, les larges manches agrémentées de fourrure embrassait chacun de ses gestes dans une grâce digne … d'une robe de chambre moldue.

Corvus l'adorait déjà.

Rien que pour la comparaison, rien que pour le fait que des femmes au portefeuille garni se promenaient dans leur chambre à coucher avec ce type de vêtement, lui donnait envie de caqueter de jubilation au nez et à la barbe de la vieille sorcière trouvant le rose trop kitsch.

L'enfant tourna sur lui-même, satisfait de voir le tissu voleter autour de lui et l'expression d'incrédulité profonde visible sur le visage de sa tante.

- Elle est parfaite, enfonça-t-il l'ultime clou dans le cercueil, un grand sourire illuminant ses traits juvéniles.

La jeune couturière croisa brièvement son regard, une esquisse de sourire timide faisant frémir ses lèvres pulpeuses.

- Est-ce que vous auriez du bleu électrique ? s'amusa-t-il dans une fébrilité enfantine. Après tout, la mode est aux couleurs frappantes, lâcha-t-il en s'émerveillant du visage rouge d'Euphemia, en train de s'étrangler d'outrage avec sa salive. Ou du orange vif ? Mieux, du lycra, s'imagina-t-il frayer parmi la progéniture des vieux croutons traditionalistes avec un attirail à la mode de cette glorieuse année 1969.

Corvus était à deux doigts de glousser hystériquement.

- C'est clair qu'avec une horreur pareille sur le dos, ton intégration à Poudlard va se faire sans problème, grinça sarcastiquement la vieille peau aigrie.

Oui. Certes.

L'intrus se rembrunit d'un coup, son enthousiasme douché par la dure réalité, et sa pulsion latente de lancer une pierre dans un nid de frelons nettement atténuée.

La couturière présenta aux deux Potter un choix plus conforme aux attentes de la société, et d'une sobriété à pleurer de désespoir. Même le tissu était sans originalité.

Corvus se retint de grimacer à la vision du vêtement noir, en laine et doublé de fourrure d'une tristesse à pleurer. Ses yeux gris se baissèrent d'eux-mêmes sur la robe de chambre rose toujours sur son dos.

- Si vous insistez, capitula l'étranger en disant adieu à l'habit somptueux.

Après tout, l'étranger avait déjà eu des guenilles de vêtements, devoir porter quelque chose de neuf, pour une fois, était en soi un luxe. Et de toute façon, avec un sort de coloration et ses talents de couturier moldu, l'élève studieux pouvait toujours modifier la robe en fonction de ses envies du moment.

La vendeuse replia l'habit rose au fond de sa valise, et Corvus sentit quand même une pointe de déception à la pensée qu'il ne pourrait posséder cette merveille.

"Nécessité fait loi." avait écrit un moldu mort depuis longtemps ; rabrouant l'enfant de vouloir des possessions matérielles n'étant absolument pas nécessaire.

Et quand nécessité faisait loi, le superflu, comme le luxe, était à proscrire.

Corvus laissa partir la robe rose avec le même pincement au cœur que les quelques jouets, livres et autres babioles qu'il avait un jour possédé.

Et quand nécessité faisait loi, les possessions matérielles étaient à laisser derrière.

.


.

L'heure suivante, Corvus servit de mannequin : essayant les habits qu'Euphemia estimait adéquats, et obligé de rester droit quand une étrangère approchait trop près de sa peau pour son confort personnel.

Sa tante fut satisfaite avec une robe anthracite, aux boutons en argent, dont le col remontait jusqu'à sa gorge, qui descendait en lui compressant le thorax, et 一 fait intéressant 一 qui se fendait au niveau des hanches pour terminer à ses chevilles, dévoilant un pantalon en coton.

Corvus avait déjà vu ce type de vêtement auparavant. En Chine.

- Excusez-moi, ne put-il laisser passer ce détail sans au moins savoir comment l'habit traditionnel des sorciers chinois avait bien pu arriver en Grande-Bretagne.

La couturière arrêta la valse d'aiguilles en guise d'invitation à commenter son travail.

- Qui a fait cette robe ? commença-t-il par le commencement.

La jeune femme se mordit les lèvres et baissa davantage le menton. Un subtil rougissement prit place sur sa peau sombre.

- Vous, bien évidemment, marmonna Corvus. Et avez-vous suivi un patron particulier, ou est-ce une coupe normale ? laissa-t-il sa curiosité parler pour lui. Et où est-ce que vous avez bien pu trouver du coton ?

Parce qu'à moins d'avoir une serre de la taille d'un champ, l'intrus voyait mal comment une plante comme le coton pouvait pousser dans un pays aussi humide que l'Angleterre. Ce qui laissait supposer deux choses : Soit Madame Corner se fournissait chez les moldus ; soit le commerce international sorcier était plus florissant qu'il ne l'avait cru.

La couturière se figea sur place, comme une biche sur le point de se faire renverser par une voiture.

- Les hommes Sang-purs portent ce genre d'habits, intervint Euphemia d'une voix lasse.

Ce qui ne répondait absolument pas à ses questions.

- A Gaichiffon, tous vos désirs vestimentaires deviennent réalité, marmonna la jeune employée d'une voix sans émotions tout en tordant sa jupe entre ses mains.

Ce qui ne répondait toujours pas à ses questions ; mais qui le renseignait au moins sur l'implication de la couturière.

La jeune sorcière baissa encore plus la tête, rentrant pratiquement son menton dans son propre cou, comme une tortue cherchant à rentrer dans sa carapace.

Corvus se pencha vers elle, et lui souffla rapidement à l'oreille :

- Contrebande ou magasins moldus ?

Parce qu'il ne pouvait pas y avoir d'autres hypothèses. S'il existait bien un sujet sur lequel les sorciers étaient à la ramasse comparé aux moldus, c'était bien la technologie ; et plus particulièrement les moyens de transport. Honnêtement, Corvus avait vu toute une délégation d'aurors débarquer d'une diligence tirée par des Abraxans ; et un savant sorcier lui assurer que les navires à trois mâts étaient le nec plus ultra des inventions récentes. Comment diable est-ce qu'une boutique de prêt-à-porter pouvait se fournir des vêtements de l'autre bout du globe ?

Et, fait étonnant, les yeux baissés de la sorcière se fichèrent dans les siens.

Et, oh. Oh.

"Les yeux sont le miroir de l'âme, 'Bella." lui avait dit une vieille indigène résidant en Amazonie.

Un regard si sombre qu'il semblait l'aspirer comme un trou noir, Corvus n'en avait tout simplement jamais vu.

Assurément, cette sorcière, ayant l'apparence d'une biche piégée par les phares d'une voiture, était loin d'être une proie.

Dans ces yeux si noirs, l'enfant élevé au milieu de criminels savait reconnaître l'éclat particulier des individus se faisant cracher dessus à la lumière du jour et assassinant dans l'ombre. Ces individus à la patience infinie, se laissant maltraiter par des brutes sans cervelle, et se sachant supérieur au reste des chimpanzés s'excitant vainement autour d'eux. Ces personnes attendaient leur heure, et ne se laissaient pas toucher par ce que le reste du monde pensait d'eux. Et à la fin, quand toutes les cartes étaient dévoilées et que le rideau se levait, ces individus-sortaient de la mêlée pour trôner au sommet de la chaîne alimentaire.

Dans ces yeux si noirs, l'étranger voyait l'éclat brillant dans les yeux du gobelin Gnarlak, chef incontesté du monde souterrain magique des Etats-Unis d'Amérique.

Dans le regard abyssal de la sorcière, Corvus voyait une future reine.

La couturière conserva un masque de créature servile, et lui souffla tout aussi rapidement :

- Tu la fermes, ou je badigeonne tes habits de poils à gratter, le menaça-t-elle froidement avec un épais accent qu'il n'arrivait pas à identifier.

L'intrus, ayant vécu pire en matière de menace, ne se laissa pas intimider par la jeune fille à peine adulte.

- Contrebande ou magasins moldus ? répéta-t-il plus fort et distinctement.

Les yeux sombres de la jeune sorcière le transpercèrent de part en part.

Corvus Potter détestait être fixé par d'autres yeux que ceux de ses parents.

"Ne montre jamais à quel point tu es intimidé. C'est donner du pouvoir à ceux qui en possèdent déjà trop." lui avait dit Charlus.

Le digne fils de Dorea Potter offrit à la sorcière le regard glacé et aussi immuable qu'un bloc marbre de sa mère.

La couturière baissa les yeux, ses dents blanches machonnant ses lèvres pulpeuses de frustration et de colère.

- Moldus, capitula-t-elle enfin dans un murmure à la limite de l'audible.

Voilà qui expliquait pourquoi la jeune femme était aussi physiquement différente de ses compatriotes. La mixité raciale, chez les sorciers comme chez les moldus, était un concept très peu répandu et estimé. Si la couturière était née-moldue, cela expliquait à la fois l'origine des habits 一 ou du moins les matières premières comme le tissu 一 , et sa couleur de peau.

Quand des individus se cantonnaient férocement à leur bout de terre, et ne rencontraient aucune autre ethnie, la conséquence logique était qu'ils avaient tous plus ou moins la même tête. En attestait le corridor rempli de portraits, et la ressemblance frappante qu'il avait avec James.

Hormis quand quelqu'un issu du monde moldu, et plus propice au métissage, intégrait une communauté magique, il était rare de voir un sorcier présenter des traits physiques discordants du reste de la population.

Corvus se redressa avec la sensation d'émerger victorieux d'un champ de bataille.

Ce n'était pas la première fois qu'il rencontrait des entrepreneurs ambitieux usant de leurs connaissances du monde moldus pour fournir leurs concitoyens en produits indécemment hors de prix. Rien que pour l'alimentation, l'intrus se demandait comment toute une communauté arrivait à atteindre l'auto-suffisance sans agriculteurs ou éleveurs professionnels. A part en se fournissant chez leurs voisins ou en trafiquant leurs potagers, Corvus ne voyait honnêtement pas comment des milliers de personnes arrivaient à se nourrir correctement.

- Combien de temps il vous reste encore ? expira Euphemia avec une impatience tangible. Figurez-vous que j'ai autre chose à faire de mes journées, grogna-t-elle avec humeur, ses bras fermement croisés sur sa poitrine imposante.

- Je pense que nous avons bientôt fini, lâcha-t-il en savourant toujours sa petite victoire. N'est-ce pas, miss ... ? acheva-t-il la vaincue en lui demandant son nom dans un sourire atrocement chaleureux.

La jeune femme reprit son apparence de pauvre victime des évènements, et répondit mornement :

- Il ne manque plus que quelques ourlets, madame, répondit docilement la couturière en agitant sèchement sa baguette.

La danse des aiguilles reprit, volant comme des frelons enragés autour du garçon, esquintant vicieusement sa peau à quelques endroits. Et réveillant des sensations qu'il aurait préféré oublier.

"Les vieux pervers vont se l'arracher." avait rêvassé un trafiquant en posant ses mains sales aux ongles jaunis sur sa peau dénudée

Corvus déglutit la bile commençant à se répandre dans sa bouche, et décida sagement de ne pas continuer à ennuyer la sorcière devant lui.

Les uniformes furent pliés sur la table basse, l'enfant retrouva le confort relatif de la robe en dentelle, et la facture fut donnée à Euphemia.

Sa tante ne frémit pas d'un sourcil devant la somme exorbitante affichée sur le parchemin. En faisant un rapide calcul, l'élève assidu estima la dépense suffisante pour acheter une voiture moldue. Le garçon habitué aux nippes trouées et rapiécées leva ses yeux sur la vieille femme, pratiquement persuadé qu'il s'agissait là d'une plaisanterie douteuse.

- Madame Corner recevra le paiement en fin de journée, décréta-t-elle en pliant l'indécente facture.

Euphemia essaya de glisser le parchemin dans l'une de ses poches, et se rappela brutalement qu'elle était vêtue d'une robe qui en était dépourvue. Elle marmonna un juron dans sa barbe et expira un soupir de frustration.

- Bien, madame, ne la contredit pas l'employée modèle en se courbant légèrement devant l'autorité naturelle de la vénérable vieillarde.

La jeune fille verrouilla les attaches de sa valise dans un claquement sonore, prête à sortir du manoir et de la vie de Corvus.

"Le monde appartient à ceux qui réussissent à s'en tailler une part, Janey." l'avait averti un gobelin s'épanouissant dans le crime organisé. "Et ceux qui n'en sont pas capables servent de marche-pied aux autres."

Corvus Potter saisissait toujours au vol les opportunités offertes sur un plateau d'argent. Et, devant lui, s'apprêtait à se volatiliser une opportunité en or.

- Un plaisir de vous avoir rencontré, miss … ? dit-il en laissant tomber l'hypocrisie.

Les mains gantées de la couturière chiffonnèrent sa robe vert pomme, la réticence émanant par vagues de sa personne. Son visage toujours tourné vers le sol, elle leva ses yeux noirs et suspicieux vers lui.

Corvus s'humecta les lèvres, de nouveau transpercé de part en part par ce regard abyssal, et attendit le verdict de la reine masquée en souillon.

- Malkin, répondit la sorcière dans une fermeté loin du mensonge qu'elle s'était créé.

- Un plaisir, Miss Malkin, répéta l'intrus en courbant aristocratiquement sa tête dans une révérence.

Corvus, comme ses parents, n'avait pas d'amis, seulement des connaissances plus ou moins utiles et fiables. Et, cette sorcière vivant un mensonge pour le bien de ses ambitions, allait devenir au cours des sept prochaines années, un allié utile.

Malkin exsudait la suspicion par tous les pores de sa peau. Ses dents entaillèrent faiblement ses lèvres avant qu'elle ne marmonne par politesse plus qu'envie :

- A Gaichiffon, tous vos désirs vestimentaires deviennent réalité, annona-t-elle sans grand entrain, ses yeux noirs toujours braqués fermement sur lui.

Ce n'était pas la première fois qu'un individu le fixait inconfortablement du regard. Il s'agissait même d'une réaction atrocement familière. Les yeux de ces hommes, femmes, et créatures humanoïdes ne le lâchant pas du regard, ou seulement pour lancer une oeillade incrédule à ses parents, braqués sur lui comme s'il était le seul être présent dans la pièce ; ces yeux le jaugeant, l'inspectant de bas en haut, le soupesant comme une pièce de viande sans conscience ; ces yeux cherchant quelque chose, fouillant sans honte dans son âme d'enfant, sans jamais trouver ce qu'ils cherchaient ; ces yeux aux nuances différentes, parfois marquées de lubricité et d'avidité, parfois adoucies par une pitié écoeurante, mais toujours, toujours

Le fixant comme s'il était une curiosité, une abomination dont jamais personne n'aurait imaginé un jour l'existence.

Corvus Potter détestait être fixé par d'autres yeux que ceux de ses parents.

L'intrus laissa ses lèvres remonter dans un sourire poli.

- Je n'en doute pas un instant, Miss Malkin.

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Je suis foncièrement incapable de NE PAS AJOUTER DES PERSOS SECONDAIRES ! Ils poussent de partout, comme des pâquerettes ! (ceux qui reconnaissent la référence ont droit à un cookie ^^)

Et c'est là où on va aussi reconnaître les puristes et les anglophones. WHO is Malkin ? Rien que le nom est génial. Même si elle n'était pas censée avoir de nom ou de personnalité... Je voulais "juste" l'utiliser pour avoir une excuse pour parler des matières premières introuvables en circuit fermé. M'enfin bref, elle a rempli un trou dans une future intrigue, donc bon... Et je n'arrive pas à écrire des perso féminins étant autre chose que des badass, des brutes épaisses ou des evil mastermind ...

Ah. Et je commence à tomber en panne sèche d'inspiration pour les parties introductives, donc si vous voulez avoir le point de vue d'un perso particulier, ou un format spécifique, ou un thème du world-building, ou ce que vous voulez, vraiment, je suis ouverte aux propositions. ^^ (Et si en plus *a-hem* je reçois des mots gentils, ou que quelqu'un me pointe une incohérence fatale, moi, je dis pas non ^^)

Sur ce, merci d'avoir lu, et bonne journée/soirée. ;)