Je ne peux pas répondre par message privé à Aaa, alors je le remercie chaleureusement pour ses reviews !


1914, Sahel.

Hassan avait l'impression d'étouffer, le crâne compressé dans son masque à gaz. L'uniforme militaire renforcé par des couches supplémentaires de manteaux, les mains emmitouflées dans d'innombrables chiffons et tissus pour protéger sa peau, il observait avec le cœur battant la chamade la fumée couleur jaunâtre du gaz lacrymogène se déverser, poussée à toute vitesse dans sa direction par le vent du Sahara.

C'était une fausse attaque chimique. Une simulation, un simple test. Mais ces jets de produits chimiques dans le désert étaient nécessaires. La prochaine fois, peut être que ce sera les allemands qui attaqueront les tranchées des tirailleurs algériens et Hassan n'acceptait pas que sa population meure d'une manière aussi atroce, la peau et les poumons brûlant, alors que l'ennemi n'a pas le courage de sortir de son trou pour se battre pour de vrai, avec sa cavalerie, ses fusils et ses baïonnettes.

Une trentaine de minutes s'écoula. À la fin, une fois hors de portée du gaz mortel, Hassan retira brusquement le masque, puis les linges entourant ses mains, puis les manteaux qu'il laissa tomber froissés négligemment sur le sable, prenant de grosses goulées d'air. Bon sang, il faisait plus que 30 degrés ici, cet entraînement aurait été beaucoup moins laborieux dans des régions au climat plus doux, à l'image du front qui se trouvait dans le nord de l'Europe. Il se tourna vers France et Angleterre qui retiraient également leurs masques.

« Tout le monde va bien ?

S'enquit le français. Les deux autres ne répondirent que par un hochement de tête positif.

— Bon très bien. Le gaz ne peut donc pas passer à travers ces masques.

Hassan haussa un sourcil et ne tarda pas à répliquer, alerté par cette conclusion trop brève.

— Comment on peut en fabriquer à grande échelle ? On est en pénurie de coton.

— On trouvera autre chose qui coûte moins cher et qu'on peut fabriquer plus vite. Des feuilles de cellulose, par exemple. »

Peu convaincu même si le savoir-faire français en matière de récup et de plan de secours était généralement très efficace, l'algérien haussa les épaules en essayant d'ignorer le regard en biais qu'Arthur lui portait, et surtout le ''tu le laisse te parler sur ce ton ?'' indigné que l'anglais souffla à son allié français. Les deux européens s'éloignèrent ensemble en bavardant, et au début le maghrébin les ignora, beaucoup plus intéressé par cette gourde remplie d'eau fraîche qui allait apaiser sa gorge rendue sèche par cette journée pénible passée dans le désert aride. Mais le regard d'Angleterre était toujours posé sur son dos, et la discussion entre les deux européens devenait de plus en plus tendue.

Algérie n'aimait pas du tout Angleterre.

En tant que première puissance mondiale, il était le plus dangereux et aucune de ses actions n'avait jamais de conséquence puisque personne n'avait le pouvoir de l'arrêter. Sa façon de traiter ses colonies n'avait pas grand-chose à voir avec l'humanisme colonial naïf de France qui se croyait en mission divine civilisatrice, hypocrite pilleur qui se cache sous l'argument de la charité chrétienne. Angleterre ne s'encombrait pas de faux semblants. Quand l'Inde essayait de résister, il l'affamait. Quand le Nigeria du Nord résistait, il faisait en sorte de déclencher une guerre civile avec le Nigeria du Sud. Toutes les nations européennes étaient folles à lier, au point d'accepter cette stupide guerre au gaz chimique, mais Arthur était sans doute celui dont il fallait le plus se méfier.

Hassan se rapprocha d'un pas discret de la tente où les deux européens s'étaient réfugiés pour écouter leur discussion. France avait l'air étrangement agacé et Angleterre, plus déterminé que jamais.

« L'Empire Ottoman nous a déclaré la guerre et s'est allié à Allemagne.

S'énervait Angleterre devant un France qui n'avait pas l'air de comprendre en quoi c'était si grave.

— J'ai fort à faire à Charleroi. Ce qui se passe dans l'Orient, c'est le dernier de mes soucis. Et puis Sadik est tellement affaibli qu'il ne représente pas une menace.

— Justement Francis, c'est l'occasion idéale pour tuer cette alliance dans l'œuf. Toutes les nations du Moyen-Orient complotent contre l'Empire Ottoman pour le renverser, on devrait les aider militairement et financièrement. On a désespérément besoin d'alliés.

— L'explosion de l'Empire pourrait suffire à tuer Sadik…

— Je sais mais c'est un mal pour un bien. Il y a des territoires riches à récupérer là bas, pour moi… et pour toi, bien sûr.

Il y eut un long silence. Hassan ne pouvait rien voir mais il savait que Francis était en train de réfléchir sérieusement à cette solution. La réponse finit par venir, hésitante.

— Écoute, on en discutera plus tard. Pour l'instant, ce n'est pas la priorité. Les allemands gagnent du terrain, ils seront bientôt à Paris.

Nouveau silence. Puis un soupir résigné du côté anglais.

— Tu as raison… Mais on en reparlera. »

Puis un bruit d'eau s'écoulant dans un récipient. Probablement Angleterre qui se sert un thé. Le tissu de la tente s'agita un instant puis s'écarta pour laisser passer France qui tomba né à né avec Algérie l'oreille collée à l'entrée.

Hassan eut un mouvement de recul surpris tandis que l'européen fronçait les sourcils, jetait un regard en arrière pour s'assurer que l'anglais était bien concentré sur son breuvage, puis attrapait sa colonie par le bras pour s'éloigner de la tente avec lui en chuchotant, bien que le ton agacé transformait surtout sa voix en sifflement.

« Tu m'espionnes maintenant ?!

— J'ai le droit de savoir ce qui se passe. Moi aussi je donne mon argent et mes soldats pour cette guerre.

France souffla d'agacement et passa à côté d'Hassan presque en lui bousculant l'épaule. L'algérien fronça les sourcils et le suivit aussitôt, bien décidé à ne pas lâcher le morceau.

— France !

— Quoi encore ?

— Ne sois pas aussi arrogant qu'Angleterre et ne pense pas que Sadik est inoffensif. Il ferait n'importe quoi pour que son empire retrouve sa grandeur d'antan.

— S'il veut m'envahir, il devra d'abord affronter Russie, Grèce et peut être aussi Italie. Il est entouré d'ennemis potentiels en Asie et en Afrique. Son armée sera décimée en un rien de temps. De quoi je suis sensé m'inquiéter ?

— Tu peux te le mettre dans la poche, comme tu l'as fait avec Italie.

— Impossible. Russie et Angleterre ont tous les deux intérêt à ce que l'Empire Ottoman explose. Sadik ne rejoindra jamais notre alliance.

— Et un accord secret ?

France n'avait pas l'air de comprendre où il venait en venir. Algérie continua, de plus en plus passionné dans son discours.

— Rencontre-le secrètement, promets-lui des territoires que tu ne lui donneras jamais, fais-le rêver comme Allemagne ne l'a jamais fait, tu verras qu'il sera pris d'une force nouvelle et envahira Berlin du jour au lendemain.

— Non. La neutralité, c'est tout ce que je peux promettre.

— Mais…

— Merde Hassan, arrête de me parler de Sadik ! Arthur est complètement paranoïaque, il croit que tu pourrais le rejoindre et livrer tous nos plans d'attaque à Ludwig.

— Tu y crois ?

— Bien sûr que non imbécile, je te fais confiance désarmé et les yeux fermés. Maintenant ça suffit, le sujet est clos. La France ne se mêlera pas des affaires de l'Empire Ottoman. »

Francis commençait à réellement s'énerver alors Hassan n'insista pas. Du moins, pas tout de suite. Penser qu'il allait abandonner, ce serait sous-estimer l'influence qu'il avait sur lui.

L'Algérie avait tout intérêt à ce que l'Empire Ottoman survive à cette guerre et en sorte renforcé. Il s'agissait de la dernière puissance qui vivait au plus près de l'Europe et qui pouvait encore avoir une réelle influence et protéger les intérêts de l'Islam et des musulmans dans un Empire unifié. Les petites nations du Moyen-Orient qui complotaient pour le renverser n'étaient pas aussi puissantes et se feront sans doute dévorer ou instrumentaliser tôt ou tard par les grandes puissances européennes.

Et France le savait très bien.


Comme prévu, au bout de quelques semaines de débat, France céda et quitta provisoirement le front pour se rendre à Nice où une rencontre discrète avec Sadik fut organisée. Le turc avait l'air beaucoup plus mal en point que dans tous les scénarios catastrophes que le français avait imaginé, ce qui le rassura un peu.

Cette rencontre était tout de même très bizarre. La dernière fois qu'ils avaient eu l'occasion de se voir seul à seul, Hassan était encore sous domination ottomane.

Ce fut Sadik qui parla en premier, d'un ton lassé, comme s'il avait hâte que ça se termine.

« Pourquoi je suis là ?

— Pour parler de ce qu'il adviendra de toi à la fin de la guerre.

Un petit rire sarcastique lui répondit.

— Quelle impatience… Je n'ai pas encore perdu et tu n'as pas encore gagné. Pour l'heure, je ne vois aucun espoir d'armistice et de paix.

— Peut être, mais rien ne nous empêche de nous y préparer.

— Dans ce cas, je voudrais qu'après ma mort, mes cendres soient jetées dans le lac de Van et qu'on renomme l'île de la Crète en l'appelant l'île de Sadik, cela fera un bel hommage post mortem.

L'Empire avait l'air si résigné à l'idée de mourir que cela surprenait véritablement France. Hassan avait pourtant assuré que Sadik serait prêt à tout pour retrouver ne serait-ce qu'un quart de sa grandeur d'antan. Peut être que c'était trop tard et qu'il était plus brisé que ce qu'on pensait, au point que ce soit impossible de le sauver ?

— Sadik, au nom de notre vieille alliance, je te promets que si je gagne la guerre, tu ne mourras pas. Ce n'est pas dans mon intérêt que l'Angleterre et la Russie gagnent en puissance en te détruisant, même s'ils sont mes alliés. Les forces doivent impérativement rester équilibrées.

L'opportunisme français était parfois effrayant, surtout lorsque Francis le dissimulait derrière de la fausse bienveillance. Mais bon. Ce plan allait dans l'intérêt de Sadik, pourquoi devrait-il s'en priver ?

— Et moi, qu'est-ce que je dois faire ?

— Fais ce que tu veux, je m'en moque. Je fermerais les yeux. Mais reste loin de la France. Et dis-moi ce que je peux faire pour t'aider à mon échelle.

France s'avança doucement en prononçant la dernière phrase, prenant les mains du turc dans les siennes. Sadik sentait ses barrières défensives céder. Cela faisait si longtemps que plus personne ne prenait la peine de l'écouter…

— Et bien… Arthur et Ivan ne sont pas les seuls qui veulent me détruire. Il y a aussi Majid.

— L'Arabie Saoudite. J'en ai entendu parler, il veut lancer une guerre sainte contre toi.

— Exactement. Mais j'ai un plan pour contrer ce massacre.

— Tu peux tout me dire. S'il le faut, j'enverrais du renfort. »

Ils passèrent une heure supplémentaire à discuter, à observer des cartes du Moyen-Orient tandis que Sadik expliquait dans les moindres détails son plan pour se défendre contre les attaques à venir de son ennemi saoudien. France l'écouta, l'approuva, parfois le conseilla, et au fil de la discussion, l'ottoman se détendit et laissa complètement tomber cette attitude défensive et résignée.

Lorsque l'Empire Ottoman quitta la pièce avec une confiance renforcée envers France, celui-ci resta seul un moment, s'installant à son bureau. Il commença à rédiger quelque chose. Un rideau caché au fond de la salle bougea un instant puis s'écarta, révélant la présence d'une troisième personne qui était cachée depuis tout ce temps et espionnait la conversation qui avait eu lieu. L'inconnu éclata de rire et frappa ses mains entre elles pour simuler un applaudissement.

« Alors là je suis impressionné, Francis. Je ne pensais pas qu'il cracherait le morceau aussi facilement et dévoilerait l'intégralité de ses plans.

La silhouette sortit de l'ombre et tira une chaise pour s'asseoir à la même table que l'occidental, une mine réjouie sur le visage. France releva la tête vers lui.

— Ces renseignements ne sont pas gratuits. Tu as une dette envers moi maintenant, Majid.

— Et je l'honorerais. Mais pourquoi tant de secrets ? Pourquoi ne pas avoir parlé de notre petit arrangement à tes alliés ?

— Ils sont voraces. Ils ne m'auraient pas laissé une seule miette.

— Alors autant se décider maintenant. Quand on démantèlera cet Empire infernal, quelle partie souhaites-tu ?

Et sans la moindre hésitation, France tendit sa main vers un point extrêmement précis.

— Je veux le Liban. »


TOUT CE CINEMA POUR AVOIR LE LIBAN. Et oui, notre Francis n'a aucune pitié et il manie l'art du mensonge 8D