-Et tu ne m'as rien dit! Il a fallu qu'il parte à la recherche de notre enfant pour que tu daignes m'en toucher un mot!
Nasuada s'était rarement mis aussi fortement en colère contre Eragon. Contre quiconque, en fait. La reine ne savait pas si sa fureur venait plus du fait qu'Eragon ne lui avait rien dit ou du fait que c'était lui que Murtagh était allé voir en premier. Se défoulait-elle sur Eragon pour faire sortir la déception que lui avait inspiré le retour de Murtagh? Elle était plus inquiète par la réponse que par la question.
Se réajustant sur sa chaise, Nasuada leva les yeux vers le miroir qui se tenait devant elle. Eragon, debout de l'autre côté de la surface, soutenait le regard de la reine, impassible. Autrefois, il aurait totalement perdu le contrôle de ses moyens devant une telle colère, mais le Dragonnier avait murit.
-Je comprends votre colère, Ma Dame, mais je persiste à croire que j'ai agit pour le mieux.
Eragon prit une pose, s'attendant visiblement à entendre Nasuada répliquer. Comme elle ne disait rien, il continua :
-Je me devais de lui apprendre qu'il a eu un enfant. Murtagh l'aurait appris de toute manière et le choc n'aurait été que plus grand.
Nasuada le fusilla du regard, mais garda son calme.
-Tu aurais pu au moins me dire qu'il est venu te voir! Qu'il..., la reine était au bord des larmes à présent, qu'il est vivant!
Nasuada évitait visiblement de prononcer le nom de Murtagh. Pour ne pas la gêner, Eragon fit de même.
-Je ne voulais qu'il ait à s'expliquer. Il allait mal… Je ne voulais pas qu'il ait à se tourmenter pour vous, bien qu'il le faisait déjà. Il avait besoin de temps pour… réfléchir.
Nasuada savait qu'il avait raison, mais, pour des raisons purement égoïstes, elle lui en voulait encore. Elle aurait tant voulu avoir des nouvelles, au diable les problèmes que ça créerait!
-Vous savez que j'ai raison, ajouta Eragon.
Il regarda la reine et, pour la réconforter, dit :
-La première chose qu'il a demandé, quand il est revenu, est si vous alliez bien.
Nasuada baissa lentement les yeux, comme si elle avait honte de l'attention que Murtagh lui donnait. La reine s'imagina, bien malgré elle, comment aurait pu être sa vie si Murtagh était resté, si elle n'était pas la reine de l'Alagaësia. Nasuada voyait Selena s'élancer dans un champ, comme elle l'avait déjà vu faire, mais au lieu d'atterrir dans les bras de Roran, c'était Murtagh qui l'accueillait et la levait dans les airs en riant. Elle arrivait et les embrassait. Ils étaient heureux. À cette pensée, un petit rire éclaira son visage maussade. Eragon la ramena à la réalité :
-Ma Dame? Voulez-vous que je vous laisse?
Pour la première fois depuis qu'elle était reine d'Alagaësia, la souveraine laissa quelqu'un la voir comme Nasuada et non la reine. En échappant un sanglot, elle s'ouvrit à Eragon :
-Je l'aime, Eragon. Je l'aime depuis si longtemps! J'ai pris tant de temps à le réaliser et c'est… c'est trop tard. Ça n'aurait jamais fonctionné mais j'aurai au moins voulu lui dire… qu'il le sache…
Le Dragonnier, consterné de voir la personne calme et en contrôle qu'était Nasuada lui exprimer ses sentiments, aurait voulu pouvoir la toucher, rien que pour lui dire qu'il était là, qu'il compatissait. Eragon fit la seule chose qu'il pouvait faire, parler. Lentement, il commença :
-Ma Dame… je…, Eragon parut réaliser quelque chose et il continua d'une voix plus assurée, je suis sûr qu'il vous aime aussi.
La reine esquissa un sourire et le Dragonnier ajouta d'un ton résigné :
-Je vais avertir Roran qu'il pourrait venir à Carvahall.
Sur ce, Eragon mit fin à la conversation, laissant Nasuada seule.
o0o
Roran se passa une main dans les cheveux.
-Tu crois vraiment qu'il va venir?
-Je ne lui ai pas dit l'emplacement, mais je pense qu'il a un sens de déduction et des capacités magiques assez développés pour qu'il puisse savoir que Selena est ici. Pour répondre à ta question, je ne sais pas s'il va venir, mais je suis presque sûr qu'il sait où elle est.
Ça faisait longtemps que Roran n'avait été aussi angoissé. Lorsque Eragon lui avait annoncé la possibilité que Murtagh puisse venir à Carvahall, il avait été furieux, mais la colère avait rapidement laissé place à l'inquiétude. Le guerrier avait peur que la présence dans l'ancien Parjure vienne ébranler le petit nid de bonheur qu'il avait construit avec Katrina.
Après la guerre, Roran avait reconstruit Carvahall en doublant sa grandeur et en transformant le petit village en une ville fortifiée. Mais, malgré tous les efforts qu'il avait fait pour donner à Carvahall une nouvelle grandeur, l'homme avait voulu retourner à ses racines de fermier. Sur les ruines de son ancienne ferme, il avait construit une maison où il vivait tranquillement avec Katrina, Ismira et Selena, qu'il considérait comme sa fille. Les deux fillettes s'entendaient à merveille et ils formaient une famille heureuse. Roran voulait protéger ce bonheur à tout prix et il était décidé à empêcher qui que ce soit de faire du mal à sa famille. Pourtant, en ce moment, il se sentait plus impuissant que jamais.
-Et s'il vient je fais quoi?
Eragon attendu quelques secondes avant de répondre en pesant ses mots.
-Je garderai cette communication ouverte de sorte que tu n'auras qu'à me dire de venir si il y a un problème. Ensuite, on verra.
Après une petite pause, le Dragonnier reprit :
-De toute manière, je ne crois pas que Murtagh veuille créer des problèmes. S'il vient, c'est sûrement juste pour la voir.
Seulement peu rassuré par ces paroles, Roran se promit tout de même d'exposer toute la situation à Katrina le soir même.
Eragon, ne sachant rien des doutes de son cousin, décida de profiter du fait d'avoir une discussion seul à seul avec lui. Il demanda d'un ton beaucoup plus détaché :
-Et comment va Katrina? Es-tu toujours sous le charme?
Roran éclata d'un rire franc, oublia ses problèmes pour un moment et se mit à bavarder avec le Dragonnier de choses plus futiles.
Après une longue conversation, Eragon fut appelé à autre chose et les deux garçons partirent chacun de leur côté, le sourire aux lèvres.
