Même si la fiction n'a aucun rapport avec L'Ombre du Temps, de Taranis K, je vous conseille d'y jeter un coup d'œil ! Nos fictions se déroulent tous deux dans un univers post-apocalyptique sombre, avec des chapitres courts et des personnages attachants.


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— Et là, je peux vous faire une roucoulette, ce qui veut dire…

— … Que tu as gagné.

Le sourire de Kaya accompagne sa victoire inattendue. En dépit de son innocence et de sa fragilité, l'adolescente est une adversaire redoutable aux jeux. Un jeu, dont tu ne saisis pas véritablement les règles mais qui vous a permis de passer les heures.

À ses côtés, Usopp, la félicite pour son esprit stratégique. Paula et Kaku observent, acceptent la défaite et se contentent d'un rictus plus discret.

Toi, au milieu de tout cela, prend plaisir à jouer. À vivre.

Devant toi, un plateau semblable à celui d'un échiquier est noyé sous diverses pièces et bibelots en tout genre. Il n'y a pas de Roi, ni de Reine, de Cavaliers ou de Pions. À la place, des allumettes, jouets en plastiques, petites ampoules, gommes et morceaux de tissus font la loi.

Kaya se penche sur toi. Elle a visiblement remarqué ton air circonspect et tes sourcils dressés.

— Ne t'en fais pas, tu y arriveras mieux la prochaine fois !

— Bien sûr, ajoute Usopp en bombant le torse, tu n'arriveras jamais à me battre. Je suis le meilleur joueur de Marie-Geoise qui existe !

À l'autre bout de la table, Paula expire un épais nuage de fumée.

— Je crois pourtant me souvenir que Kaku et moi t'avons battu à six reprises, ces deux derniers mois.

Le jeune garçon se crispe soudain, avant que des rougeurs ne colorent ses joues métissées.

— Oui… Mais c'est parce que… Je vous ai laissés gagner !

— Allons, Usopp, ne le prends pas comme ça.

— Tu ne peux pas comprendre Kaya, tu n'es pas encore championne !

— Certes, mais si tu continues… Je ne t'embrasserais pas.

Les deux adolescents échangent un regard, puis la jeune fille se penche afin de dérober un baiser à son petit-ami rougissant. Tu les trouves attendrissants, semblables à deux perles protégées du monde et de ses horreurs par une épaisse carapace. Leur lumière éclipse les ténèbres, au moins pour un instant.

Puis Usopp se redresse, monte sur la table et s'y installe comme s'il s'agissait d'un trône. Son trône.

— Lorsque mon père voyageait à la surface, il a été témoin d'incroyables choses !

Un rictus amusé se peint sur tes lèvres, et celles de tes camarades de fortune. Vous savez ce que ces mots signifient et vous savez que cela tiendra les cauchemars à l'écart. Kaya, la plus enthousiasmée, repose son menton entre ses paumes, les yeux brillants de curiosité.

— Ah bon ? Lesquelles ?

— Sache, ma chère Kaya, que lorsque mon père voyageait à la surface, il a fait la rencontre d'un peuple aux coutumes très étranges… En débarquant sur un nouveau continent, il a été accueilli par des hommes et des femmes qui portaient, tous sans exception, des masques sur le visage !

Comme toujours, Paula se prend au jeu et questionne son adorable conteur :

— Mais pourquoi avaient-ils besoin de porter des masques ?

Et Usopp, torse bombé, sourire aux lèvres, répond en mimant la scène :

— Eh bien, d'après les locaux, il s'agissait d'une mesure gouvernementale afin de protéger la population d'un mal inconnu. Mais mon père, et nombreux des locaux, n'étaient pas dupes !

— Qu'est-ce que tu insinues ? rétorque aussitôt Kaya.

— Voyez-vous, les gens de ce continent s'aimaient trop ! Ils étaient tous si passionnés et amoureux, que des centaines de bébés naissaient chaque jour. Toute la population s'entendait trop bien, à tel point que le pouvoir en place craignait, certes, l'insurrection mais surtout les montagnes de couches culottes et de biberons qu'il faudrait obtenir pour tous les foyers !

Alors, vous riez. Vous riez car cela vous apparaît à le fois absurde et hilarant. Tu imagines des piles de biberons, des collines envahies sous les couches culottes sales et des villes ensevelies sous une armée de bébés braillards.

— Pour restreindre l'amour de sa population, le gouvernement a alors mis en place des mesures dites « sanitaires ». Tout le monde devait porter un masque en permanence, garder deux ou trois mètres de distance avec son prochain et tous les rassemblements étaient interdits !

— Mais comment faisaient-ils pour travailler ? demande Kaya avec inquiétude.

— Je me demande surtout comment ils faisaient pour s'amuser, réplique Paula avec un sourire amusé.

— Certains habitants, plus malins que d'autres, ont commencés à concevoir des masques à braguettes !

Tu ne peux t'empêcher de rire et d'imaginer la chose.

— Des masques à braguettes ? C'est original…

— Et ainsi, lorsque la police détournait le regard, les amoureux ouvraient les braguettes et recommençaient à se bécoter ! Quant aux rassemblements, les locaux se réunissaient tous les soirs sur internet afin d'échanger et d'encourager les rencontres !

— Ingénieux, déclare Kaku en affichant un sourire pensif.

— Et pour sûr, ils l'étaient ! Les bébés continuaient de pleuvoir, d'envahir les rues, les avenues jusqu'aux montagnes. Le gouvernement ne comprenait pas, mais comme leur population se faisait très discrète, ils n'avaient aucune preuve et pensaient que Dieu plantait une petite graine dans chaque femme une fois la nuit tombée. Le sommet du continent pensait réellement qu'un complot divin perturbait leurs plans.

De petites larmes perlaient sur les joues de Kaya, elle riait fort jusqu'à souffrir de maux de ventre. Les histoires de son petit-ami lui faisaient toujours cet effet.

— Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?

Usopp vous dévisage un à un, fait planer le suspense avec un sourire mutin, puis hausse soudain les épaules en avouant :

— Eh bien… Le pays a fini noyé sous les couches culottes, les biberons, et les bébés braillards. Le gouvernement a fait faillite et mon père est devenu Président du continent !

Vous l'applaudissez, un irrépressible fou-rire vous a tous fauchés. Vous vous amusez de cette histoire grotesque, de ce dénouement aussi improbable qu'absurde et du sourire confiant du jeune garçon. Kaya se jette alors sur son petit-ami, le serre entre ses bras, rit puis l'embrasse sous les regards amusés de leurs compères.

Toi, tu oublies le temps. Tu oublies les ténèbres et la mort qui vous guette.


Un chapitre un peu joyeux pour changer !