Avertissement : blessures, pensées suicidaires

Chapitre quatre : Un retour attendu.

Ils avaient été abandonnés là, au milieu de l'église qui avait autrefois servie de tribunal. C'était la nuit. Un vent glacial soufflait, portant avec lui de gros flocons de neige. Le blanc de l'hiver s'était infiltré dans les ruines, recouvrant les quelques bancs qui restaient, l'autel et même le Christ en croix.

Rampa respirait par la bouche pour la première fois depuis ce qui lui semblait être une éternité, enfin débarrasser du bâillon. Sa langue crochue goutait l'air avec un plaisir incomparable. Il n'aimait pas le froid, mais ce soir, la neige, l'hiver, la Terre, étaient tellement, tellement meilleur que tout le reste.

Le froid, le jeûne et le collier de restriction qu'il portait toujours, ne lui permettait pas de bouger. Il était épuisé, prêt à dormir pour les trois prochains siècles au moins, ou à mourir enfin, et c'était peut-être pour le mieux.

Quand Belzébuth lui avait dit « Aziraphale mourra », après la dernière séance de torture, juste avant de les relâcher, il n'y avait pas eu de mensonge dans son regard. Et pour avoir vu tout ce qui avait été fait à l'Ange, il était arrivé à cette conclusion de lui-même.

La haine qu'il ressentait pour l'Enfer, le Ciel et Elle n'avait d'égale que la haine qu'il ressentait pour lui-même. Tout ce temps, toutes ses batailles perdues, cette condamnation horrible à n'être rien d'autre qu'un spectateur des tourmentes de son Ange, sans rien pouvoir faire pour le sauver, lui qui l'avait pourtant sauvé tant de fois dans le passé… Comment ne pas se haïr pour cela ?

Il aurait préféré ne rien voir, ne rien savoir, pouvoir se leurrer en se disant que l'Ange allait bien, que quelqu'un comme lui ne pouvait qu'attirer la sympathie, peut-être la moquerie, mais rien de plus méchant. Il aurait préféré être prit par le Ciel, torturer par le Ciel, détruit par le Ciel. Il aurait préféré voir son Ange brûler dans les flammes de l'Enfer.

Mais non, il avait été condamné à regarder. Ô Gabriel, ce grand connard de Gabriel, avait eu le nez fin. Il n'y avait pas de condamnation plus cruelle, plus diabolique que ça pour lui. L'obliger à trahir ainsi son Ange, trahir les sentiments qu'ils se portaient l'un à l'autre. Il les avait condamnés à la misère pour le reste de leurs vies.

La haine, la rage, la culpabilité brûlaient en lui et s'il n'était pas déjà un Déchu, son âme aurait été consumée, détruite par toute la négativité qui lui faisait physiquement mal.

Alors peut-être était-il mieux de ne plus lutter, de s'endormir ici, dans la neige, et de mourir enfin.

Rampa avait conscience d'Aziraphale, tout proche. Blessé, agonisant même, mais inconscient. Il ne comprenait pas pourquoi l'Enfer les avait relâchés mais, ce petit répit juste avant la fin était le bienvenu. Il ne le méritait pas, mais mourir au côté de son Ange était la meilleure des morts possible.

Rampa utilisa le peu de force qu'il avait pour chercher son Ange du regard. Il était juste là, à moins d'un mètre, mais pour le Démon et ses muscles endolorie par les années d'immobilités et le froid, c'était comme s'il était à des kilomètres de lui. Dommage, il aurait aimé lui tenir la main, comme ce jour-là, dans une autre vie, lorsqu'ils s'étaient tenue la main sous la table, comme si de rien n'était.

Il referma les yeux, priant pour que l'obscurité l'envahisse pour de bon… Et sursauta lorsque quelqu'un cria son nom. Et celui de l'Ange.

Rouvrant les yeux de surprise, Rampa fut éblouis par le rais lumineux d'une lampe de poche avant que la lumière ne se détourne et qu'un humain ne court vers lui. Non pas un humain. Plusieurs en faites, et malgré l'obscurité de la nuit et l'agitation du groupe qui les entourait, il reconnut sans mal des visages venant d'une autre vie, des visages qu'il ne pensait jamais revoir un jour.

Book Girl voulu-t-il dire sans en avoir la force, lorsque la jeune femme se pencha sur lui, une couverture de survit à la main.

Un soulagement inattendu l'inonda. Il était certain de mourir, et le voulait toujours, mais revoir une dernière fois ses amis humain lui réchauffait le cœur. Il ne s'y attendait pas mais, au final, pourquoi pas ? Ça n'allait de toute manière rien changer.

- - Ca va aller, lui répondit-elle. Tout ira bien maintenant.

Elle était si certaine de ce qu'elle affirmait que cela fit sourire Rampa. Il n'avait pas la force de la contredire, mais savait intérieurement que c'était un mensonge. Tout était si faux, si mauvais… Il tourna la tête vers Aziraphale, et s'il en avait la force, il aurait été surprit.

Newton et Shadwell, éclairé par Madame Tracy, étaient en train de placer son Ange sur une civière, après avoir sécurisé sa nuque dans une minerve. Ce n'était pas facile, du fait des ailes d'Aziraphale, détruites mais toujours grandes, qui les gênaient.

Il voulait demander comment tout cela était possible, comment ils avaient su, mais il n'avait pas la force de parler. Il était déchiré entre l'envi de dormir enfin et celle de rester conscient, pour rester avec son Ange même si, les dernières années l'avait bien montré, il ne lui servait à rien.

- - Nous nous sommes inquiétés depuis des années. Expliqua Anathème, étrangement consciente du déroulé de ses pensées. Vous avez disparu depuis presque trois ans. Vos plantes vont bien. La librairie est fermée et protégée. Votre voiture est dans mon garage. Tout va bien.

En parlant, elle l'avait manipulé, étrangement habile, pour l'allonger sur le côté, afin de faire glisser sous son dos une seconde civière, et Rampa était tellement raide que s'était comme manipuler une planche de bois.

- - J'ai brûlé le livre d'Agnes, je suis désolée, tellement désolée, si j'avais sue… Des larmes s'étaient installer dans sa voix, et elle fut interrompu par Newton, qui en avait fini avec Aziraphale. Les deux humains échangèrent un bref câlin, avant qu'elle ne reprenne. Adam a changé les choses. Il a fait en sorte que qu'on puisse savoir ce qui se passait. Et ce qui allait se passer. Ca va aller maintenant. Ca va aller maintenant.

Rampa n'était pas certain que ce soit à lui qu'elle s'adresse, mais il s'en fichait un peu, son regard était tourné vers Aziraphale, son Ange maintenant installé sur la civière que les deux humains emmenaient loin de lui. Non, il ne pouvait pas le prendre. Il devait rester avec lui ! Il devait voir ! Il devait…

L'inconscience le prit avant même qu'il n'est une chance de se débattre, et il ne remarqua même pas la piqûre dans son bras.

ooOoo

Deux ans et demi plus tôt…

Aziraphale et Rampa avaient disparue. D'après Anathème et Adam, ils n'étaient plus sur Terre.

Le conseil de guerre s'était réuni au Jasmine Cottage. Il y avait Anathème bien entendu, et son fiancé Newton, Madame Tracy, qui avait trainé avec elle un Sergent Shadwell bougonnant, et bien entendu Adam et sa bande.

Le garçon se tenait au centre du salon, sur le seul fauteuil disponible quand tous les autres s'étaient installé sur les canapés. Il caressait nerveusement Toutou et le chien, allongé sur ses genoux, était étrangement calme.

Personne ne parlait mais la pièce bourdonnait d'une énergie nerveuse tel que finalement, Anathème se leva, prenant l'excuse d'aller chercher à boire alors que personne n'avait touché à son verre, pour s'enfuir vers la cuisine.

Là, devant l'évier, elle resta un instant immobile, ne sachant pas trop quoi faire, puis elle céda et frappa l'un de ses placards de colère. Mais cela ne l'apaisait pas. Et quelque part, elle préférait rester en colère. Ca masquait assez efficacement sa culpabilité.

Bon sang, si elle n'avait pas été si idiote, si elle n'avait pas eu l'idée folle de vivre sa vie par elle-même, ils n'en seraient pas là ! Si Agnes avait pris la peine d'écrire un second livre, c'était forcément pour une bonne raison ! Une bonne raison qu'elle avait été trop bête pour comprendre !

Et elle avait tout brûlé ! Leur seule chance de savoir ce qui était arrivé à leurs amis immortels, ceux à qui ils devaient d'être toujours vivants aujourd'hui, ceux qui avaient pris tous les risques pour sauver un monde qui n'était techniquement même pas le leur.

Qui aurait cru que tous les humains ici présents soient si impactés par la disparition d'inhumains qu'ils ne connaissaient que depuis un an ? Pourtant, il avait été facile de devenir ami avec eux… Rampa, sous ses airs bougon de « méchant », était d'une générosité sans borne, et doté d'un humour fin et piquant. Quant à Aziraphale, il était brillant, gentil et adorablement salaud quand il le voulait.

Elle savait, au plus profond de son âme, qu'ils n'allaient pas bien. Lors de leurs dernière rencontre, ils ne s'étaient pas cachés attendre un retour de bâton de la part de leurs anciens employeur. Et il était évident que ce retour de bâton était enfin arrivé.

Anathème tapa encore le pauvre meuble, qui n'y était pour rien, et qui céda dans un craquement misérable, lui entaillant douloureusement la main. La jeune femme, jura, mais savoura la douleur comme un répit dans la tempête de colère et de culpabilité qui dévastait son esprit.

Newton, qui l'avait silencieusement suivit, lui pris la main, la faisant sursauté de surprise, pour la conduire jusqu'à l'évier. Avec douceur, il lui fit passer la paume sous l'eau.

- - Tu sais…. Commença-t-il, maladroit comme toujours.

- - N'ose pas dire que ce n'est pas de ma faute. Le coupa-t-elle, énervé. Si je n'avais pas brûlé le livre d'Agnes…

- - Je ne t'ai pas empêché de le faire non plus. Lui répondit-il dans un moment de bravoure.

La jeune femme souffla de colère, tel un dragon, mais Newton soutint son regard, certain de pouvoir autant porter le blâme qu'elle. Cependant, avant qu'Anathème ne rajoute quoi que ce soit, un troisième intervenant fit connaitre sa présence.

- - Tu pourrais réparer ça.

C'était Adam. Du haut de ses douze ans, il était plus grave qu'un enfant ordinaire. Si ses amis étaient là, avec lui, ils se sentaient moins concernés, ou plutôt, moins impliqués, parce qu'ils n'étaient que des enfants et que c'étaient des problèmes d'adultes après tout. Ils avaient déjà affrontés les Cavaliers de l'Apocalypse, cela ne suffisait-il pas ?

Mais Adam n'était pas comme eux. Malgré qu'il ait réécrit la réalité, et réinitialisé le compteur de temps de la Terre, il restait un être hors du commun. Pas un humain. Pas un Démon non plus, mais autre chose.

- - Tu pourrais savoir. Expliqua-t-il, énigmatique.

- - C'est impossible Adam. J'ai brûlé…

- - Mais tu pourrais savoir. Insista-t-il. Tu es la descendante d'Agnes. Tu pourrais savoir comme elle.

Anathème resta un instant silencieuse, avant de couper l'eau et de prendre un torchon pour enrouler sa main blesser dedans.

- - Il n'y a pas eu d'autre voyante dans ma famille depuis Agnes. Soupira Anathème, dépitée. Je n'ai pas son don.

- - Mais je pourrais te le donner. Répondit Adam avec assurance.

La jeune femme resta silencieuse un long moment, le souffle coupée. Elle n'avait jamais pensé devenir une voyante à son tour. Le don d'Agnes était unique et elle avait appris depuis qu'elle était enfant qu'il n'y aurait plus personne de son niveau.

Mais c'était sans compter sur un ancien Antéchrist et sa capacité à changer la réalité. Il pouvait réécrire cette partie de l'histoire, lui donner le même don qu'Agnes. Pas recréer le livre détruit, comment pourrait-il quand personne ne l'a jamais lu et ne savais ce qu'il contenait ? Mais lui permettre d'en écrire un autre.

Elle ne serait plus seulement la descendante d'Agnes, plus seulement une jeune femme voulant vivre sa vie par elle-même sans guide ni notice, mais elle serait une voyante elle-même, avec une connaissance de l'avenir qui pourrait leur permettre de retrouver leurs amis.

- - Ok, dit-elle enfin d'une voix ferme, en tendant sa main non blessé à Adam.

- - Ok ? S'étonna Newton ? Mais tu ne voulais pas…

- - Chéri, cela nous permettra de savoir enfin où sont ces chers messieurs, coupa Madame Tracy, debout dans l'embrasure de la cuisine.

- - Pour ma part, gronda Shadwell avec une mauvaise foi évidente, ils peuvent très bien brûler en Enfer, cela m'importe peu.

Cela lui attira un coup sur la main de la part de Pepper.

- - Ca serait cool de voir le future, fit Brian avec excitation.

- - Et on pourrait savoir où sont Monsieur Fell et Monsieur Rampa. Compléta Wensleydale.

Adam acquiesça et tendit la main pour saisir celle d'Anathème, qu'elle lui tendait encore. L'univers l'écoutait toujours, et lui parlait, un murmure agréable dans le fond de son esprit. L'univers l'aimait mais il n'avait plus autant de pouvoir qu'avant. Néanmoins, et peut-être avec un peu d'aide, il parvint à réveiller chez Anathème un don qu'elle portait sans savoir.

Du moins, l'espérait-il lorsqu'il lâcha la main de la jeune, les paupières lourdes de fatigue après avoir usé toute son énergie pour plier l'univers à sa volonté.

A suivre...