LE PRISME DE VERRE
•
Chapitre 6 : Magenta
Le vent matinal souffle délicatement sur son visage, tandis qu'il reste debout au bord d'un des rochers, observant d'un air absent le paysage. Un peu plus de douze heures se sont écoulées depuis que John, Sherlock et les autres ont étés exposés au gaz hallucinant du Dartmoor, mais le médecin sent au fond de lui que les effets persistent légèrement, lui donnant par moment de brefs vertiges, comme après une nuit de sommeil peu ou pas du tout réparateur. Être ainsi exposé au soleil dans cette large plaine calme, sans touriste, est reposant, laissant à John le temps de respirer et de se détendre. Des pas s'approchent alors, et il reconnaît tout de suite à qui ils appartiennent. Il réprime un soupir en voyant Sherlock se tenir désormais à côté de lui, muet comme une carpe, mais ayant clairement beaucoup de choses à dire. Le vent prend un malin plaisir à ébouriffer ses boucles, ce qui ne dérange guère le détective. Une minute passe sans un mot, un malaise demeurant toujours entre les deux amis. Finalement, Sherlock se décide à se lancer.
- Je suis vraiment désolé, tu sais.
- Mh.
John n'est pas vraiment présent, n'écoutant que d'une oreille les dires de son semblable. Même si au fond, il commence à ne plus lui en vouloir, il ne peut s'empêcher de garder une rancune envers Sherlock. Il sait que ce n'est pas mature, mais face à une telle moquerie, et une telle mise en scène, John a encore du venin à cracher.
- Ça t'amusait de me voir me chier dessus en pensant que j'allais me faire buter ? demande t-il le ton sec.
- C'était pour l'enquê-
- Réponds à ma question.
- …Plutôt, oui.
- Tu es vraiment un enfoiré.
- Je suis désolé.
John s'apprête à dire une autre pique, mais en voyant l'expression de Sherlock, ses mots ne peuvent sortir. Il a déjà été témoin d'expressions semblables à de la mélancolie, de la culpabilité ou de la tristesse chez le détective, mais guère aussi prononcée qu'à cet instant. C'est comme si cette fois-ci, contrairement devant le restaurant tout à l'heure, il était vraiment peiné, ne sachant quoi dire ou faire pour réellement appuyer ses excuses. Mais John le comprend de par ses yeux embués, ses paupières clignant à maintes reprises, et ses lèvres tremblotantes. John ravise ainsi son jugement, et bien qu'il demeure un fond d'amertume au fond de son cœur, il préfère enterrer la hache de guerre. De toute manière, remuer le couteau dans la plaie ne sert à rien.
- D'accord. Excuses acceptées.
- Vraiment ? Tu ne dis pas ça pour me faire plaisir ?
- Non.
- Je… Merci.
Et puis John remarque autre chose, qu'il fait signale tout de suite au concerné.
- Ta main, elle tremble encore.
- Ouais. Je n'arrive pas à la calmer. Il faut dire que ce n'est pas tous les jours qu'on voit une bête pareille, même en hallucinant.
John soupire, compatissant. C'est la deuxième fois que Sherlock admet avoir peur. Sauf qu'à cet instant, il n'a ni verre d'alcool pour étancher une fausse soif, ou un quelconque touriste à déduire pour passer ses nerfs. Et vu le long trajet qui reste à parcourir pour rentrer à Londres, John sait que Sherlock risque de trop se crisper, et de se mettre en danger. Alors, sans trop réfléchir, il fait ce que son instinct lui dit de faire, il calme son ami, il lui prend délicatement la main, sa paume entourant celle couverte du gant en cuir. Il sent Sherlock se tendre un bref instant, surpris par le geste, avant de se détendre, et de joindre ses doigts à ceux de John. Le vent en profite pour souffler plus discrètement.
- Respire, et observe le paysage, Sherlock. On a le temps.
- Merci, John.
Il ferme les yeux. Il est détendu. Il sent à travers son gant la chaleur de la main de son ami. Le médecin sent alors un pouce doucement caresser sa main, le contact bien plus fort que les précédents. Le geste le fait cligner des yeux, se réveillant ainsi en douceur dans la chambre déjà à moitié éclairée par le soleil.
John baisse le regard, et sourit en voyant sa main entourée par celle de Mary, cette dernière aimant dormir blottie contre lui. Les rayons encore délicats de l'aube éclaire la peau claire et douce de Mary, la faisant presque scintiller comme la surface calme d'une belle étendue d'eau pure. La pigmentation de Mary se conjugue bien avec celle de John, encore assez foncée par endroit, le soleil d'Afghanistan ayant a priori marqué son épiderme pour une bonne partie de sa vie. Sa fiancée dormant encore un peu, John en profite pour se retourner délicatement, faisant ainsi face à la femme de sa vie.
Allongée sur le côté, le visage détendu, elle est magnifique. Ses cheveux blonds en désordre tombent çà et là sur son front et autour de sa mâchoire, tandis que ses fines lèvres rosées tremblotent par moment, signe d'un réveil imminent. John sourit, heureux de partager le même lit avec cette femme incroyablement patiente et attentive. Sans elle, il n'aurait aucune idée à quoi il ressemblerait aujourd'hui. Il lui est aussi reconnaissante de l'avoir aidé à parler à Sherlock. Tous les filles avec qui il sortait, lors de sa colocation avec le détective, étaient au mieux indifférentes, au pire monstrueusement jalouses de Sherlock. Mary est différente, plus mature et ouverte d'esprit, le poussant presque physiquement à aller lui parler, consciente de l'importance du détective dans le cœur de son fiancé.
Mary se réveille d'ailleurs paisiblement, quoiqu'un peu chatouillée par un doigt taquin que John fait doucement glisser sur sa joue, sachant bien que sa compagne est très sensible à cet endroit. Elle marmonne au début, sortant lentement de son sommeil, avant de pousser un petit rire amusé. John frémit, il aime tellement ce son. Quelques minutes plus tard, il se prépare tranquillement dans la salle de bains juste en face de la chambre, prenant son temps étant donné que lui et Mary sont en congés. Cette dernière est encore au lit, lisant un roman qu'elle a commencé il y a quelques jours. John lui a déjà parlé de son envie d'en écrire un, mais n'ayant pas le courage. En attendant, tous deux aiment relire de temps en temps les articles de son blog quant aux enquêtes, non sans quelques taquineries de Mary.
La jeune femme repose son livre, préférant regarder son fiancé, en train de se raser, éliminant désormais le moindre poil qui ose pousser sur le bas de son visage.
- Je suis contente que tu es fait ça, dit-elle, le ton malicieux.
- Quoi donc ? demande John.
- Que tu ais rasé cette moustache. Je dois d'ailleurs remercier Sherlock.
- Je ne suis pas rasé pour lui. Et puis tu pouvais me le dire, je l'aurai enlevé plus tôt.
- Elle te plaisait bien.
- Je crois bien que j'étais le seul.
- C'est bien vrai ! répond Mary avec un sourire espiègle.
John feint de râler, mais ne peut s'empêcher de sourire à son tour. Mary est douée pour détendre l'atmosphère et le faire rire. C'est aussi pour ça qu'il l'aime. Même dans le pire, elle trouve toujours le meilleur. Une fois son visage rincé et séché, John retourne auprès de sa fiancée, un sourire bien moins innocent sur les lèvres. Et Mary n'est pas en reste. Avec un léger gloussement complice, elle se rallonge, laissant John la surplomber, ses mains de chaque côté de son visage. Leurs lèvres n'étant plus qu'à quelques millimètres l'une de l'autre, ils sentent leurs respirations, et l'air expulsé par chaque mot prononcé.
- Ma chère Mary, vous êtes bien moqueuse, ce matin, dit John d'un ton bas, mais avec un rictus qui en dit long.
- Je vais être punie, alors ?
- Tout à fait.
John embrasse alors Mary, le cœur battant, gonflé d'amour et de reconnaissance. Mais à cet instant, il n'y a pas que cette partie du corps qui est gonflée. Quelques minutes plus tard, les quelques vêtements que portait le couple sont négligemment jetés par terre, laissant la peau de l'un à la merci de l'autre. Une des choses que John préfère chez Mary, c'est sa voix, et il adore la faire chanter. Ses oreilles se délectent ainsi de chaque soupir et gémissement de la belle blonde, tandis qu'il se penche entre ses cuisses écartées, ses lèvres et sa langue allant chérir le délicat clitoris. Le cri que Mary laisse s'échapper fait oublier tout le reste à John.
•
Au moment de se réveiller, Sherlock se sent étonnamment détendu, pour la deuxième fois depuis son retour à Londres. Recouvert par la douce couverture, il peut presque encore sentir la chaleur du plumage du phénix de son rêve. Cependant, le détective se dit qu'il va devoir tout de même faire une lessive, ses draps étant tâchés par endroit… Sherlock se lève de son grand lit double, s'étirant toujours comme un chat, son dos ne faisant plus du tout des siennes. De même pour son visage. Sherlock craignait la veille de se réveiller avec une migraine et un visage à moitié gonflé, mais en s'observant dans le miroir de la salle de bains, il est soulagé de constater qu'à part une minuscule trace bleue, son visage n'est aucunement déformé. Bonne nouvelle. Il ne tenait pas à voir Eric le visage ne serait-ce qu'un peu difforme.
Penser au restaurateur fait à la fois sourire et trembler Sherlock. N'ayant enfilé à la va vite qu'une robe de chambre, le détective voit très bien la semence séchée qui demeure sur sa peau. Une bonne douche bien chaude s'impose, pour le plus grand plaisir de Sherlock. Après quoi, une fois habillé d'un de ses habituels costumes, il surprend son estomac crier famine, la dernière denrée ingurgitée étant la barbe à papa de la fête foraine. Pas un véritable repas en somme. C'est donc avec le désir d'embaumer tout l'appartement que Sherlock prépare diverses choses pour un petit déjeuner inhabituellement copieux. Madame Hudson en est surprise lorsqu'elle monte dire bonjour, amenant un thé et des biscuits sur un plateau. En observant ce que son protégé a dégusté, elle se dit que le thé sera finalement pour elle. Elle est d'autant plus souriante quand le détective l'invite à le prendre avec lui pendant qu'il termine de boire un grand bol de café noir avec de morceaux de sucre. Autour de lui gisent des miettes de pain grillé, quelques gouttes de confiture de fraise, un pot vide d'un fromage blanc, et le verre vide qui contenait un jus d'orange.
Une fois les boissons avalées, les deux compères se souhaitent une bonne matinée, et Hudson redescend tranquillement, chantonnant, tandis que Sherlock commence déjà à remettre de l'ordre dans la cuisine, déposant la vaisselle dans l'évier. Même après la longue séance de ménage avec sa logeuse à son retour, il demeure dans les placards de la cuisine quelques produits désormais inutiles, la date de péremption étant dépassée, ou bien parce que c'est le détective qui ne veut pas les consommer, étant mine de rien difficile avec la nourriture, la gourmandise ne lui ayant jamais fait défaut. C'est ainsi que dans l'optique de faire de la place pour ranger plus d'expériences, Sherlock prend un grand sac poubelle et commence à trier. La plupart des produits à jeter s'avère être des choses rangées dans les étagères les plus hautes, celles inaccessibles pour Hudson. Sherlock compte lui donner les denrées encore mangeables qui ne l'intéresse pas.
À un moment, Sherlock récupère un flacon presque vide. C'est un flacon de parfum pour homme. Il appartenait à John. Sherlock s'en souvient. Il lui avait piqué pendant que le médecin était en voyage avec une de ces filles insipides avec qui il sortait. Avoir ainsi une odeur associé à John au creux de son cou rassurait Sherlock. Aujourd'hui, le tout petit fond qui demeure dans le récipient dégage encore beaucoup de senteur, sauf que John a changé de parfum depuis. Pendant qu'il le soignait hier, Sherlock pouvait sentir Sauvage de Christian Dior, alors que celui qu'il tient à la main est Bleu de Chanel. Non sans une once de nostalgie, Sherlock porte le bouton spray à son nez, inspirant une dernière fois le parfum, avant de jeter le flacon au fond du sac. Le reste du ménage se fait dans un grand calme, le reste des placards ne contenant rien de véritablement lié à John.
Une fois la cuisine rangée, Sherlock fait comme prévu une lessive, ne voulant plus tout laisser à madame Hudson comme un adolescent peu débrouillard. Juste à côté de la machine à laver qui commence à tourner, il y a un petit meuble. Dans un des tiroirs, Sherlock est intrigué en ouvrant une petite boîte, contenant un rasoir et plusieurs lames rangées à côté. Celles sur le rasoir sont comme neuves, n'ayant que très peu servi. Pourtant, Sherlock remarque quelques traces de sang, bien que sèches depuis longtemps. Sauf qu'il sait que John est très habile de ses mains, il est médecin après tout, et il n'avait jamais vu la moindre coupure après chaque rasage de son ami. Et puis les traces de sang sur les lames sont étrangement larges. Sherlock déglutit, comprenant rapidement. La gorge quelque peu nouée, il jette tout le nécessaire à la poubelle. Pour se rassurer, il se répète plusieurs fois que John lui a maintenant pardonné.
Voulant se changer les idées, Sherlock refait le tour des noms des sans abris, comptant ainsi combien il doit à chacun. La simple participation permet à chacun d'avoir une petite rançon. Le détective sourit en constatant qu'il va devoir tirer un nombre assez important de liquide. Ça ne le dérange pas. Son entourage ne s'en rend pas forcément compte, mais la famille Holmes s'avère avoir beaucoup de moyens. Ainsi concentré dans ses petits calculs, Sherlock n'entend pas tout de suite les pas montant les escaliers. Ce n'est que lorsque la treizième marche grince qu'il soupire, reconnaissant le son de la marche. Il fallait bien qui lui « rende visite » à un moment ou un autre…
- Quel est la raison de ta venue, frangin ?
Sherlock retient un rictus en entendant Mycroft souffler alors qu'il vient à peine de franchir la porte, toujours en compagnie de son sempiternel parapluie. Quand il est d'humeur bien moins mature, Sherlock se moque de son frère en insinuant certaines choses avec ledit parapluie. Mais aujourd'hui, il n'est pas d'humeur à ça. Là, il se sent plutôt neutre, réellement intrigué quant à la la visite de Mycroft. Si c'était une nouvelle enquête de la plus haute importance, il aurait d'abord un dossier, mais aussi un air plus sérieux sur son visage toujours aussi boudiné au niveau des joues. Bon, c'est faux, mais les petites blagues sur la surcharge pondérale de son aîné fera toujours sourire Sherlock. En attendant, la réponse de Mycroft ne vient pas, tandis que ce dernier s'assoit en face de son cadet, prenant ainsi place dans le fauteuil de John. Si ça l'est toujours, du moins. Quelque peu agacé, par l'absence d'une quelconque phrase de Mycroft, Sherlock réitère à sa manière sa phrase.
- Tu t'ennuies au point de venir me voir ?
- Je viens simplement prendre des nouvelles.
- Pourquoi ? Tes caméras de sécurité sont toutes en panne et tous tes sous fifres sont en congés ?
- Pas le moins du monde. Je veux simplement m'assurer directement que tu vas bien.
- Je vais bien dans ce cas. Tu peux donc partir.
- Je le vois assez bien, oui. Tu me caches une bonne nouvelle ?
- Ta définition de « bonne nouvelle » change tout le temps. Soit plus clair.
- Tu vois très bien de quoi je veux parler.
Sherlock relève la tête de sa liste de contacts des sans abris, regardant enfin son frère. Le regard légèrement froncé, le détective n'aime toujours pas quand son frère fourre son nez dans des choses qui ne le regarde pas. Et puis il sait pertinemment que Mycroft a très certainement tout déduit de ce qu'il a fait la veille. Se contenant de rougir, Sherlock espère que son frère s'abstiendra de tout commentaire quant à son échange avec Eric hier soir. Cependant, l'aîné ne semble pas s'en rendre compte, ou il cache bien son jeu, ses déductions se tournant semble t-il naturellement vers une autre personne. Et il ne manque pas de prendre un ton narguant.
- Tout va mieux avec John ?
- Oui.
- Qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Rien du tout.
- Tu n'es pas déçu ?
- Pourquoi est-ce que je le serai ?
- John vit avec quelqu'un d'autre.
- Et Mary est une femme intelligente et sensible, contrairement à toutes les autres greluches avec qui John sortait.
- Je vois. Tu me surprends, Sherlock.
- Ce serait bien la première fois.
- Qu'est-ce qui te rend si… détendu ?
Sherlock note la courte hésitation de Mycroft quant au choix du mot. Son frère est envahissant, arrogant, et sarcastique, mais il y a une chose dont Sherlock ne peut nier, c'est son soutien constant, même s'il l'exprime depuis toujours d'une étrange façon. Quand il était petit, adolescent, ou au début de l'âge adulte, Mycroft est toujours venu en aide. Et si par aide, cela veut dire parfois le faire attacher dans de solides sangles pendant une désintoxication, poser une série de question digne d'un interrogatoire après une enquête dangereuse ou envoyer un agent lambda pour l'espionner, Mycroft veille toujours à la sécurité de son cadet.
Après la chute, coordonnée par l'aîné, les deux frères ont dus réfléchir pendant des jours avant et après, ayant conscience de l'ampleur du réseau criminel créé par Moriarty, sa toile d'araignée comme Sherlock aimait désigner. C'est environ une dizaine de jours après son faux suicide que Mycroft a laissé Sherlock partir dans un jet privé pour le premier lieu de sa mission, à durée indéterminée à ce moment là. Durant toute l'opération, ils sont restés en contact par divers moyens, veillant à maintenir le secret de sa fausse mort à l'ennemi, mais aussi à l'ami, John, Lestrade et Hudson devant impérativement croire jusqu'au bout à sa mort pour ne pas éveiller le moindre soupçon. Cependant, deux mois avant la fin de la mission, Sherlock a perdu tout moyen de communication avec son frère, devant s'occuper des dernières groupes du réseau seul. Quand Mycroft l'a retrouvé enchaîné et torturé en Serbie, Sherlock ne l'a guère tout de suite dit, mais une quinzaine d'heures plus tard, à bord d'un autre jet, alité, son frère à son chevet, le cadet a tenu à le remercier. Et même si un simple « merci » croassé peut paraître succin, pour les deux frères, cela est largement convenable, car très significatif. Sherlock se souvient d'ailleurs du contact bref de son frère avant qu'il ne se rendorme, sa main effleurant doucement la sienne, comme pour le remercier d'être resté en vie.
C'est la tête pleine de pensée, et au fond de reconnaissance, que Sherlock accepte de répondre à son frère… Mais à sa manière.
- Si je perds, je te donne la réponse.
- D'accord, se contente de répondre Mycroft, souriant en comprenant où son frère veut en venir.
En entendant Sherlock et son frère échanger diverses piques, madame Hudson monte voir ce qu'il se passe, ne comprenant pas. Elle regarde discrètement à travers la porte entrouverte, surprenant les frères Holmes en train de se disputer une houleuse partie de Docteur Maboul. Et apparemment, Sherlock est bien plus doué que son aîné.
- Il est truqué, ce jeu ! râle Mycroft.
- Ce sont tes doigts qui ne savent pas se coordonner, plutôt.
- La ferme !
Et puis Hudson sourit en les entendant rire malgré les taquineries. Elle retourne dans son logement, heureuse que Sherlock soit aussi détendu. D'ailleurs, le détective ne cache pas sa joie lorsque le jeu sonne pour la quatrième fois, tandis que Mycroft rate une fois de plus son opération, le nez rouge n'en finissant plus de clignoter. La partie terminée, Sherlock range le jeu dans un des tiroirs de la petite commode du salon, pendant que son frère grommelle plus ou moins discrètement.
- Tu as gagné, Sherlock. Bravo.
Le ton n'y est pas, mais le cadet sait que c'est uniquement parce que Mycroft a toujours été mauvais perdant. Quelle ironie, étant donné le poste important qu'il emprunte au sein de la politique et de la justice. Ce dernier se lève, prêt à partir. Au final, il ne sera pas resté longtemps, mais la visite a duré suffisamment longtemps pour confirmer que oui, Sherlock va bien. Il est rassuré qu'il fasse tout pour aller bien. Alors qu'il franchit le seuil de la porte, Mycroft s'arrête, étant retenu par un petit raclement de gorge de son cadet. Ce dernier semble détendu, plus ouvert, et surtout, s'apprêtant à dire quelque chose.
- Je vais t'épargner quelques neurones. J'ai rencontré un « poisson rouge ».
- Vraiment ?
Mycroft sait que Sherlock n'aime pas ce terme, trop vaste, trop évasif. Et étant donné la grimace que fait son frère, poisson rouge est bien trop grossier pour la personne auquel il pense. Ce qui étonne d'autant plus Mycroft, c'est l'ouverture d'esprit de Sherlock. Chose qu'il ne manque pas de faire remarquer.
- Tu as bien changé, dis-moi.
- Je crois que le réseau de Moriarty y est pour beaucoup.
- Ton dos, au fait… ?
- Je te l'ai dit, Mycroft, je vais bien.
Le sourire qu'ils s'échangent en dit long, les surprenant chacun. Il est rare qu'ils se sourient ainsi. Chaleureusement, sincèrement, communiquant leur amour fraternel. Mycroft part ainsi sans plus un mot, soulagé, son parapluie claquant discrètement alors que Sherlock referme la porte avec la même lenteur. Adossé au battant, le détective prend une profonde respiration, laissant le soleil chauffer comme il peut son visage à travers la fenêtre. Il fait taire une minuscule voix qui lui dit que tout est trop beau pour être vrai. Elle a tort. C'est la réalité. Qui plus est un nouveau quotidien. Il aime celui d'autrefois, avant la chute. Mais c'est à cet instant, à cette seconde près que Sherlock comprend qu'il aime aussi celui-ci. Tout le monde va bien, et les blessures sont derrières.
Une brève sonnerie le sort de ses pensées. C'est son téléphone qui vient de recevoir un message. Un sans abri lui confirmant les différents points de rendez vous pour être payé. Sherlock sourit davantage. C'est un bon prétexte pour marcher tranquillement, après la course et la bagarre de la veille.
•
Cela lui prend environ deux heures de faire le tour et de donner à chaque sans abri le compte juste, mais Sherlock fait cela sans broncher, habitué depuis longtemps à faire ça. Il se souvient de l'étonnement de John quand il a découvert cette bien singulière collaboration. Aujourd'hui, le médecin connaît quelques membres du réseau de Sherlock, certains l'ayant bien aidé à retrouver le détective quand il poursuivait le saboteur.
C'est vers midi, sous un des ponts de la Tamise, que Sherlock donne le dernier paiement à un sans abri. Après quoi, il remonte au quai, marchant tranquillement le long de la barrière, regardant d'un air rêveur le fleuve. Ils en a vu des magnifiques à travers le monde, et il aimerait les admirer réellement avec John ou Eric. Avec quelqu'un qui rend le moindre paysage bien plus beau. Il se sent un peu bête, n'ayant guère souvenir d'une quelconque pensée aussi fleur bleue de sa part. Il faut dire que les articles qu'écrivait John et que le détective relit de temps en temps ne l'aide pas. Son ami a une jolie plume. Il pourrait sans problème écrire un livre.
- Sherlock !
Le détective s'arrête, intrigué par la voix qu'il l'appelle. Une voix qui, comme presque à chaque fois, lui revient tout de suite en mémoire. Il se retourne, et sourit, faisant face à la jeune femme qu'il l'interpelle d'un ton amical.
- Bonjour, Mary.
•
Sherlock est assez étonné quand Mary l'invite à venir déjeuner avec John et elle au restaurant qu'elle indique. Le détective accepte tout de même, ne refusant guère une occasion de voir son ami. Au fil du repas, il s'avère que John a toujours un excellent appétit, mangeant parfois trop rapidement aux yeux de sa compagne. Cela ne dérange pas Sherlock, habitué depuis plus longtemps à la gourmandise de John. Ce n'était pas vraiment flagrant quand ils sont allés pour la première fois au restaurant d'Angelo, mais les suivantes, John s'avérait apprécier chaque plat concocté par le chef toujours aussi reconnaissant et fan de Sherlock, ayant prit aussi en compte dès le deuxième repas ne plus désigner John comme un rencard. Même si parfois, une bougie était posée. Aujourd'hui, la dernière visite de Sherlock remonte à trois jours, sans John. Et Angelo a manqué d'étouffer le détective tant il l'a serré dans ses bras.
Le restaurant dans lequel se trouve le trio d'amis est dans le même style, chaleureux, discret, et avec une carte bien variée. Après sa longue marche, Sherlock a bien envie de ravir ses papilles, imitant John et Mary qui ne se privent guère non plus de se faire plaisir. Ainsi, entre deux bouchées, ils échangent avec énergie sur pleins de choses. Le malheureux John s'en prend à plusieurs reprises plein la poire quand Sherlock évoque des anecdotes croustillantes de certaines enquêtes. John ne se laisse pas faire, ayant lui aussi de nombreux dossiers compromettant sur le limier. L'ancienne moustache fait aussi parti des échanges mi amicaux, mi chamailleries, leurs rires étant parfois trop fort aux oreilles des autres clients. Sherlock est heureux de constater ça. Il adore ennuyer le monde avec sa bonne humeur, et celle de John. Une de ses phrases préférées que le médecin a prononcé est On ne peut pas rire, on est sur une scène de crime, ne pouvant cependant pas s'empêcher de pouffer. Réentendre ce son donne du baume au cœur à Sherlock. John est beau quand il rit, et il n'est pas le seul à s'en rendre compte, Mary lui jetant de nombreux regards brillants quand il est occupé à boire une gorgée de vin blanc ou à manger une bouchée de son repas une fois de plus copieux.
Au moment du dessert, Mary s'éclipse, se rendant aux cabinets, laissant ainsi John et Sherlock seuls. Un silence plutôt gênant remplace alors l'absence de la jeune femme, et le duo d'amis se demande quand est-ce que le serveur va arriver pour servir les commandes. Finalement, c'est John qui lance la conversation.
- Ta blessure, ça va ?
- Ça n'a pas gonflé, et puis j'ai prit un cachet avant de sortir pour la douleur.
- Pour une fois que tu suis mes conseils de médecin, répond John avec un sourire taquin.
Sherlock détourne le visage, faisant tout pour ne pas exprimer la moindre trace d'émoi. Depuis le début du repas, John adresse ce sourire à Mary, et uniquement Mary, conformant bien le fait que c'est un couple joyeux, les petites chamailleries enfantines devant sans aucun doute pimenter leur quotidien. Alors pourquoi John lui offre aussi ce sourire ? À moins que ce ne soit une mauvaise interprétation ? Oui, c'est sûrement ça. John a toujours aimé son côté sarcastique. Pour ça, même deux ans plus tard, il n'a pas changé. Sherlock doit s'absenter un instant, car John l'appelle d'une petite voix.
- À quoi tu penses ?
- Tu vas bien, je suis content.
- Je peux te dire la même chose.
Sherlock est frustré, car le malaise semble toujours palpable. Qu'est-ce qui les rend si crispés ? Il ne comprend pas, et c'est agaçant. Avant, ils parlaient de choses plus ou moins improbables, que ce soit d'expériences (parfois ratées et malodorantes), d'enquêtes ou même de choses plus terre à terre, Sherlock se souvenant en détail de toutes les fois où John lui posait telle ou telle question en rapport avec le violon ou son palais mental. À force de réfléchir à toute vitesse, le détective se rappelle d'une chose, et même si ce n'est pas très judicieux d'en parler, il veut en avoir le cœur net.
- John, j'ai retrouvé ce matin… un rasoir à toi.
- Et alors ?
- Il y avait du sang, et…
- Oh. Je vois. J'avais oublié.
- Désolé, s'excuse Sherlock, la tête baissée.
- Je ne l'ai fais qu'une fois, et c'était trop douloureux.
- Je suis désolé, je ne pensais pas que ma… mort t'affecterait autant.
- Sherlock, est-ce que je peux te demander quelque chose ?
- Demande-moi ce que tu veux, dit aussitôt le détective.
- Arrête de t'excuser à chaque fois que l'on se voit. Je préfère quand tu parles d'enquêtes bizarres comme on faisait à l'instant avec Mary.
Le sourire que John lui adresse est doux, chaleureux, compatissant et surtout empreint d'un pardon bien plus discernable que n'importe quel discours. Sherlock comprend, et hoche la tête. Il prend alors une gorgée de vin rouge, espérant que ses pommettes ne se colorent pas de la même teinte. Quand Mary revient, les deux hommes font comme si de rien n'était, et le groupe recommence à discuter plus tranquillement, tandis que le serveur arrive avec les desserts.
•
Sherlock lâche un énorme soupir de soulagement une fois chez lui. Il avait oublié à quel point le sourire de John peut communiquer pleins de choses. Il est d'ailleurs soulagé en recevant un message de ce dernier, ayant écrit Appelle-moi si tu as besoin de quelqu'un pour une enquête, avec un petit smiley à côté. Même John aime utiliser ces petites expressions numériques, et ça n'étonne pas vraiment Sherlock. Grâce à ça, il peut imaginer quel sourire fait John en écrivant le message. Le détective préfère ne pas y penser pour le moment, consultant maintenant l'heure qu'affiche son téléphone. Quinze heures et demie. Il a largement le temps pour se préparer. Il joue avant un peu de violon pour se détendre, enchaînant un morceau de Bach et de Strauss avec une grande fluidité. Puis un peu plus tard, se rend dans la salle de bains, comptant bien prendre tout ce temps pour se mettre en valeur. Eric mérite lui aussi le meilleur.
Au final, même si ça ne lui prend pas des heures comme il s'y attendait, Sherlock ne peut s'empêcher de se regarder sous tous les angles devant la glace de son armoire. Ses cheveux fraîchement lavés et bouclés avec des bigoudis (seule Hudson est au courant) sont harmonieux, quelques boucles glissant le long de sa nuque comme il aime. Il a choisi sa chemise préférée, la pourpre, ainsi que son costume le mieux taillé, épousant à la perfection chaque centimètre de son corps. Habillé ainsi, Sherlock se sent prêt, ayant même prit la peine de mettre un peu de parfum. Il adore ça, et il se rend compte qu'il ne s'en met d'habitude presque jamais.
Il consulte son téléphone, l'heure du rendez vous est pour très bientôt. Sherlock pourrait en attendant rejouer du violon, ou faire une expérience sur le pouce, ou bien résoudre une enquête via internet, mais il préfère rester concentré sur son objectif. Il est hors de question de perdre cette magnifique seconde chance. Ainsi, Sherlock ferme les yeux, et se rend dans son palais mental, laissant une porte d'une pièce grande ouverte pour qu'une odeur embaume petit à petit le couloir principal. Un parfum délicat. Celui des roses. Sherlock espère pouvoir les revoir. Seul dans sa chambre, les paupières baissées, nul ne peut témoigner de l'intense couleur écarlate que prennent ses joues.
•
Sherlock arrive à pas feutrés à l'entrée nord de Regent's Park. La soirée débutant, le parc est fermé, les grandes grilles élégantes verrouillant le chemin. Le détective se poste devant, debout et droit, un peu tendu. En fait, il n'est pas un peu tendu, il est très nerveux. Ce n'est qu'à cet instant qu'il réalise qu'il a un rencard. C'est le premier de toute sa vie, car celui-ci est vraiment sincère, aucunement lié à une enquête. Sherlock commence à se poser moult questions, mais il n'a guère le temps d'y trouver des réponses, il aperçoit Eric arriver. Et de ce qu'il voit, son amant s'est lui aussi fait une beauté. Le détective parvient à se contrôler, et attend sagement que son semblable arrive, tout sourire. Le lampadaire à proximité du portail éclaire Eric, et le limier frissonne.
- Bonsoir, Sherlock.
- Bonsoir.
- Je préfère te le dire tout de suite, je te préfère en fait avec ce manteau, il te va bien mieux.
Sherlock ne sait guère quoi dire. Le Belstaff est son vêtement préféré, et le porte depuis des années comme une armure. Mais à quoi sert une armure si elle ne vous protège pas des compliments ? Sherlock sursaute légèrement en sentant les mains de Eric prendre les siennes, ce dernier poussant un rire espiègle et amusé.
- Détends-toi, c'est la première fois que tu fais une sortie de ce genre ? demande t-il le regard pétillant.
- Oui, je crois qu'il va falloir m'apprendre beaucoup de choses.
Sherlock dit cela sur un ton innocent, mais la seconde suivante, son visage prend une teinte cramoisi en se rendant compte du double sens que ça insinue. Eric le remarque aussi, esquissant un sourire indescriptible. Il se rapproche, et le visage à quelques centimètres de celui de Sherlock, il chuchote, le ton bas :
- Qu'est-ce que tu as prévu de ton côté ?
•
Sherlock est reconnaissant envers Angelo de se comporter sobrement lorsqu'il arrive à son restaurant. Le patron insiste cependant pour que les repas des deux hommes soient gratuits, et Sherlock explique à la volée le pourquoi du comment. Eric pouffe quant à cette histoire de dette, imaginant bien le restaurateur balbutier toutes sortes de remerciements au détective au moment où il est innocenté. Le repas qu'ils partagent est délicieux, étant installés à la table juste à côté de la fenêtre donnant sur la rue. Les sourires fusent, et le silence n'est pas envahissant, bien au contraire. Eric y met tout de même fin à un moment, exposant son idée de sortie à Sherlock.
- Après le dîner, est-ce que tu pourras m'emmener sur des lieux en lien avec tes enquêtes ?
- Comment ça ? demande Sherlock, assez confus et surpris.
- Je lisai le blog du docteur Watson, et il décrivait pleins de choses. Mais j'aimerai apprendre moi aussi des choses de ta part, comme par exemple, tes enquêtes préférées, qu'est-ce que tu en dis ?
Sherlock sourit à son tour. Bien que clairement plus expérimenté, Eric semble tout de même assez timide dans ses paroles. Il faut dire que faire un petit tour de certaines anciennes scènes de crimes n'est pas vraiment habituel à tout rencard. Sherlock va pour demander pourquoi cela, mais il comprend très vite. Eric veut continuer à faire plus ample connaissance. Le détective est toujours perturbé dès que quelqu'un s'intéresse à son art. Le violon, c'est logique, les expériences, déjà un peu plus atypique, mais la criminologie, c'est tout à fait hors de propos quant à une sortie de ce genre. Et pourtant, en voyant la mine passionnée et impatiente de Eric, les doutes de Sherlock s'effondrent. Tout est possible. Et il compte bien faire briller ces magnifiques yeux bleus toute la soirée.
- Je préfère prévenir, il y a certains endroits pas très charmants.
- Ne t'inquiète pas, j'en ai vu de toutes les couleurs.
- Vraiment ? Comment ça ?
- Je t'en parlerai un jour.
Eric sourit, et termine son repas. Sherlock l'imite, maintenant nourri d'une profonde curiosité. Le dîner se termine sans un mot, mais régulièrement ponctué par leurs pieds s'effleurant et quelques regards complices.
La soirée continue alors pendant une heure et demie, les deux hommes bras dessus bras dessous, échangeant rires sur rires, quand parfois ils ne s'esclaffent pas. Sherlock ne se lasse pas de toutes les questions improbables que posent Eric. Et par improbables, il veut dire qu'on ne pose pas habituellement. Et ça, les habitudes, il aime les modeler à sa manière. Le détective est ainsi gonflé de fierté quand Eric lui dit Je n'en reviens pas que tu ais arrêté tout un groupe de trafiquants grâce à une simple paire de trombones, ou Tu as retrouvé la trace d'un voleur recherché par plusieurs pays en une demie heure ? Cela dit, son compagnon demeure lucide, et sait tout de suite quand Sherlock invente quelque chose de trop saugrenu. Le détective est content quand Eric ne croit pas un instant à une histoire de trafics d'organes de chinchillas, ni à celle d'une petite fille psychopathe qui cherche à tuer sa famille en brûlant une maison. Même pour le détective, c'est trop sordide et improbable.
Mais Sherlock s'avère être toujours autant surpris et moins sûr de lui à chaque compliment que Eric lui fait. Le détective se dit qu'il devrait là aussi apprendre. Apprendre à assimiler les compliments et les accepter entièrement.
Finalement, leurs jambes les mènent de nouveau aux quais de la Tamise, ayant déjà foulé le sol à deux reprises entre deux anciennes scènes de crime. Avec un discret soupir de soulagement commun, Sherlock et Eric se posent sur un banc, prenant le temps d'observer le ciel étoilé, bien que peu discernable avec la pollution et les lumières de la ville. Un petit nuage de vapeur s'échappe des lèvres de Eric, ce dernier expirant plus fort. Le son galvanise les oreilles du détective.
Il regarde son amant, et ses yeux se perdent pour la quatrième fois dans la soirée sur le col de chemise entrouvert de l'homme. Le vêtement bleu laisse une fois de plus apercevoir quelques détails de son tatouage qu'il sait magnifique. Eric porte bien sa veste en cuir, ainsi que son jean noir très près de sa peau. Une paire de bottines marron clair parfaire sa tenue. Eric est un homme qui prend soin de lui. Sherlock l'a comprit dès le début. Il aimerait être comme lui. Et il aimerait aussi prendre soin de lui. Sherlock déglutit, une intense chaleur parcourant tout son corps. Lui et Eric sont restés très chastes durant toute la soirée, se contentant de quelques effleurements de pieds au restaurant, et d'une longue promenade (très atypique) serrés l'un contre l'autre, mais rien d'autre. Le banc où ils sont assis est à l'abri des regards de passants trop curieux ou trop facilement offensés. Sherlock observe bien la respiration plus rapide de Eric, et ses yeux qui se tournent délicatement vers lui, comme pour ne pas brusquer ce qui bouillonnent en eux.
Finalement, ils ne peuvent plus se contenir, et s'embrassent. À en perdre le souffle, la raison et toute notion de pensée évaporées. Alors que sa langue cherche timidement sa consœur, Sherlock sent la main de Eric ancrée dans ses boucles, serrant sans tirer sa chevelure. Le détective n'est pas en reste, ses poings agrippant le col de la veste de son amant. Sherlock frémit en sentant quelques coups de langue furtifs sur sa lèvre inférieure, puis la supérieure, sans jamais rentrer. Eric joue avec ses nerfs, et Sherlock aime ça. Ils se séparent lentement, reprenant leurs souffles. Le lampadaire a côté du banc à une faible lumière, n'éclairant que sobrement le couple. Mais Sherlock est certain d'une chose, les yeux de Eric ne sont plus aussi bleus qu'il y a quelques instants.
- Sherlock ?
La voix de son amant est désormais rauque, murmurant son prénom à quelques centimètres de son oreille. Sherlock cligne des yeux, faisant comprendre qu'il écoute. Il doit faire preuve de grande concentration, et ne pas se laisser déstabiliser par les mains chaudes entourant sa nuque, ni par la pomme d'Adam se mouvant dans cette gorge découverte.
- Sherlock, est-ce que tu veux apprendre d'autres choses ?
Le détective inspire et expire, son souffle percutant le cou de Eric. Bon Dieu qu'il le veut. Mais ses cordes vocales parviennent à faire sortir que quelques mots.
- Chez moi, à Baker Street.
Le trajet en taxi, bien que court, paraît interminable pour les deux compères, leurs mains entremêlées. Une fois arrivé, Sherlock comprend que madame Hudson est absente, ayant fermé la porte principale. Le détective la déverrouille, contenant les tremblements de sa main. Eric le suit ensuite dans le hall, les marches grinçant par moment. Arrivés à l'étage, Sherlock et Eric se regardent une nouvelle fois. Là encore, Sherlock ouvre la porte de son appartement, et laisse entrer son amant. Ce dernier ne prête aucune attention à ce qui l'entoure, son esprit concentré sur une seule chose. C'est aussi le cas de Sherlock. Le cœur battant, il ferme sans un bruit la porte.
o
À suivre...
