Auteur : kitsu34
Origine : Saint Seiya (série d'origine)
Couples : un certain nombre, mais essentiellement ceux des jumeaux : Aiolos x Saga donc et Rhadamanthe x Kanon.
On aura aussi du Milo x Camus, du Shion x Dohko, du Marine x Aiolia, du Shura x Aphrodite et du Deathmask x Mû
Disclaimers : Rien à moi dans l'univers de Saint Seiya, par contre, vu l'inscription du Sanctuaire dans notre monde, des personnages originaux et m'appartenant apparaîtront de ci de là. Le nom des îles du Sanctuaire, Iéranissia, est à moi. Il signifie « les îles sacrées ».
Note : bon, on ne va pas se voiler la face, ce chapitre n'est pas très bon. Mais je ne parviens pas à l'améliorer, il est en plan depuis trop longtemps. Donc tant pis, je le poste quand même sinon on y sera encore dans trois mois...
Merci à tous ceux qui me suivent dans l'univers de Iéranissia ! Bonne lecture à tous !
I Pano Volta / Ascension
Chapitre 6 – Préparatifs
Maja soupira en poussant la porte de son casier de métal. Elle finissait d'endosser son uniforme et allait prendre son service. Travailler de nuit était pénible, mais payait bien et c'était tout ce qui importait. En marchant rapidement dans les couloirs étroits de l'arrière de l'hôtel, elle croisa Beate qui finissait son service et quittait le bar.
« Allez, au boulot !
- Veinarde ! Va dormir !
- Eh, je suis au travail depuis dix heures, moi !
- Des choses ou des mecs intéressants ?
- Ah oui ! Il y en a deux en salle, juste magnifiques !
- Carrément ?
- Ah oui, vraiment. Et tu sais que je suis exigeante, hein. »
Les deux jeunes femmes rirent en même temps et Maja apprécia la réflexion. Son amie sortait avec un modèle masculin, un jeune homme très séduisant. Elle savait donc ce qu'elle disait. La curiosité de la jeune femme s'aiguisa. Les deux mecs devaient vraiment être beaux pour que Beate dise d'eux qu'ils étaient magnifiques. Cela égaierait le service de cette nuit, au moins.
« Et tu verras, il y en a pour tous les goûts.
- Comment cela ?
- Un brun, un blond. Un cheveux court, un cheveux trèèèès longs. Un type méditerranéen, un type nordique. Mais super gaulés, tous les deux, hein !
- Au fond, c'est ça le plus important !
- Ahahah ! A plus ! Tu me raconteras ? »
Sur un salut rapide et un dernier sourire, Beate s'enfonça dans les entrailles de l'hôtel et Maja s'empressa de gagner la surface et de rejoindre la pièce décorée avec soin, à l'ambiance feutrée et aux lumières tamisées. Sa cheffe d'équipe lui adressa un sourire discret et un léger signe de tête et elle prit immédiatement sa tablette, qu'elle glissa dans la poche de son uniforme de travail. Elle jeta un regard autour d'elle et identifia les trouées de lumière discrète qui ponctuaient les tables occupées. Un homme et une femme, trois hommes, un homme seul, deux hommes mais qui ne correspondaient pas à la description louangeuse de Beate.
L'homme en tête à tête avec la femme leva la main et elle cessa son observation pour se diriger vers eux et prendre leur commande. Ce faisant, elle contourna le gigantesque aquarium qui occupait le centre de la pièce et son regard accrocha violemment l'éclat incroyable d'une chevelure d'or, d'une longueur invraisemblable. Une chevelure de conte de fée...
Ils étaient là, dans l'angle. Maja retint sa respiration en croisant un regard de nuit, ourlé de cils noir qui en accentuaient encore l'éclat ténébreux. Le teint mat, le visage aux traits nets et ciselés, aux pommettes accentuées et hautes et au menton parfaitement dessiné la subjuguèrent. Waow… Beate n'avait pas exagéré. Si le blond était aussi canon que le brun sublime qu'elle avait sous les yeux, ça promettait… Elle qui avait toujours aimé les blonds…
« Mademoiselle, s'il vous plaît ! »
Maja avala nerveusement sa salive avant de se reprendre, de sortir de sa fascination déplacée et de rejoindre le couple qui l'attendait. Il n'était pas bien vu par la cheffe d'obliger les clients à appeler. Normalement dans un hôtel de ce standing, les serveurs devaient anticiper les desiderata et les devancer avant même qu'ils ne soient exprimés par autre chose qu'un regard ou un léger geste de la main. Nul doute qu'elle aurait droit à une remontrance…
Munie de la demande du client – un Cosmopolitan et un whisky – elle bifurqua vers les deux hommes, apparemment plongés dans une discussion importante, autant pour s'assurer qu'ils avaient tout ce qu'il leur fallait que pour pouvoir les voir convenablement. En passant à proximité, elle saisit quelques mots, qu'elle ne comprit pas, mais qui la firent frissonner. La voix qui parlait était grave et chaude, appuyée d'une autorité naturelle impressionnante. Une voix affolante…
«… arrête de t'en vouloir, Shura. Tu n'as commis aucune faute, cette nuit-là, au contraire.
- Qu'en sais-tu puisque ce n'était pas toi aux commandes. »
Le beau brun s'appelait donc Shura. Et sa voix, à la tonalité plus rauque, était moins grave que celle de son blond compagnon, et plus soyeuse. Passant sans s'arrêter devant eux, Maja ne put en entendre davantage et dut s'éloigner. Elle fit semblant de rajuster sa chemise alourdie par la tablette et jeta un coup d'œil derrière elle dans l'espoir d'apercevoir le blond, mais il était en partie dissimulé par le dos de son vis-à-vis. Dépitée, la jeune femme dut reprendre sa marche et répondre au signe de main de l'un des trois hommes attablés ensemble.
Mais après avoir renouvelé les commandes du trio, Maja remarqua que le calme de la nuit bien avancée s'épaississait sur la salle obscure. Le silence et la solitude de l'ombre gagnaient même les îlots de lumière et les paroles se faisaient rares, plus assourdies encore. La jeune femme commença alors la mise en place du service du matin, ce qui lui donna un excellent prétexte pour rester à proximité des deux hommes troublants et pour suivre leur conversation. Et avec un peu de chance, elle pourrait enfin apercevoir convenablement le visage celui dont les cheveux d'or pâle touchaient presque le sol.
« Quoi ? Tu quoi ?
- Baisse la voix. Inutile de se faire remarquer.
- Mais… Je ne comprends pas. Shion a bien parlé de possession lors de la cérémonie.
- Et c'est exact. Mais j'étais là aussi. Emmuré dans mon propre corps. Je n'ai rien pu faire, cette fois-là. Bien souvent, je ne pouvais pas agir… Mais je voyais… J'entendais… J'assistais, impuissant, aux crimes de ce monstre…
- Mon Dieu... »
Maja marqua un temps d'arrêt et suspendit ses gestes. La conversation des deux hommes était très étrange, presque effrayante. La serveuse était profondément mal à l'aise sans pouvoir s'expliquer pourquoi au juste. Lors de son service, elle voyait et entendait souvent des choses qui sortaient de l'ordinaire et qu'elle ne prenait pas au sérieux. La nuit, les êtres sont différents et les règles du jour se distendent. Mais là… Une possession ? Emmuré dans son corps ? Et le blond disait ça sans sourciller, d'un ton factuel. En fait, c'était ça, le plus effrayant : comme si ce surnaturel était la norme pour eux deux. Elle frissonna et sans pouvoir le rattraper à temps, fit tomber un couvert qui sembla résonner fortement dans le silence ouaté de la nuit.
L'homme qui lui tournait le dos, à la très longue chevelure d'or pâle, se retourna soudain, d'un mouvement incomplet, comme trop rapide, et Maja reçut de plein fouet un regard bleu profond impérieux, comme la couleur d'un océan terrible, parcouru de courants violents et de vagues terrifiantes. Soudain une émotion étrange et indéfinissable s'empara d'elle, la pénétrant jusqu'au plus profond d'elle-même, comme si l'esprit de quelqu'un d'autre s'insinuait dans son être pour en prendre sournoisement le contrôle, en même temps qu'une charge écrasante semblait s'abattre sur elle. Le souffle lui manqua et elle se sentit glacée par la terreur, jusqu'aux tréfonds d'elle même. Elle étouffa un léger cri et recula de plusieurs pas, laissant tomber les autres couverts qu'elle tenait en main. Le jeune homme brun posa très rapidement, là aussi d'un geste auquel il semblait manquer une étape, la main sur le bras du blond. Celui-ci se retourna tout aussi rapidement et Maja, tremblante et éperdue, fut délivrée de cette pesanteur incompréhensible qui l'avait écrasée quand l'homme à la longue chevelure pâle s'était retourné. Le jeune homme était pourtant d'une beauté parfaite et d'un charme pénétrant… Alors pourquoi avait-elle été saisie d'effroi en le contemplant ?
Elle s'empressa de regagner le bar et de se soustraire à la fascination malsaine et anormale que venait de susciter ce regard d'océan démonté. Un regard habité d'une terrible puissance et d'une tout aussi terrible souffrance. Un regard profond et douloureux qui semblait connaître la vérité, avoir contemplé l'envers du décor, avoir accès à une autre réalité à propos de toute chose, y compris et surtout à propos d'elle-même. En frissonnant longuement, Maja s'approcha de sa cheffe et demanda à finir le service au bar et non plus en salle…
Saga jeta un coup d'œil à la serveuse frémissante et hagarde qui quittait précipitamment la salle et fronça les sourcils, mécontent. Il venait de commettre une lourde faute, indigne d'un chevalier d'Or et encore plus d'un Grand Pope. Lancer son cosmos ainsi, sans protection, contre une simple humaine… Encore heureux que Shura ait réagi vite.
Avec un geste d'humeur, il saisit sa tasse de café, froid à présent, et se heurta au regard sombre et heurté du chevalier du Capricorne. Son humeur sombra encore un peu plus en saisissant la compassion et la miséricorde dans les yeux de son compagnon, choqué par ses révélations. Formidable… Les négociations difficiles n'avaient pas encore commencé, qu'il faisait déjà des erreurs… Pourquoi Shion et Athéna l'avaient-ils choisi pour ce poste, vraiment… Il en était indigne. Et incapable, visiblement…
Un soupir lui échappa et, sans s'en rendre compte, il courba la tête et ses larges épaules se voûtèrent avec lassitude. Pourquoi les avait-il laissé faire, d'ailleurs ? Il aurait dû avoir la force de refuser, comme il se l'était promis. Il aurait dû lutter, mettre en avant ses failles, ses erreurs et ses crimes… Mais voilà, il s'était laissé convaincre. Il avait été faible, encore... Et il le regrettait amèrement, à présent qu'il occupait cette charge écrasante et solennelle dont il se sentait si profondément indigne...
Au soupir de Saga, Shura détourna la tête, peiné pour l'homme face à lui. Il ne savait pas. Il n'avait jamais envisagé que Saga ait pu vivre un tel calvaire, qu'il ait dû cohabiter en conscience avec cette entité malfaisante, dans le même corps. Comme tous ses homologues et les chevaliers et gardes qui avaient assisté à la cérémonie de passation du pouvoir, il avait entendu les explications de Shion sur la possession dont avait été victime Saga, mais il avait pensé commodément que lorsque l'Autre était aux commandes, Saga disparaissait et sombrait dans l'oubli ou l'inconscience. Qu'il n'était plus là pour voir la dévastation causée. C'était déjà suffisamment affreux de se rendre compte que leur pair avait résisté et émergé par instants pour mesurer douloureusement l'étendue de crimes dont il était innocent. Alors comprendre qu'en fait il coexistait sans pouvoir intervenir… C'était insoutenable…
« Quand… tu dis que tu as assisté à ce qui… s'est passé cette nuit-là, que cela signifie-t-il au juste ?
- Que j'ai entendu l'ordre qu'il t'a donné. Celui de jeter le… cadavre d'Aiolos dans le défilé phlégréen. »
Shura se sentit pâlir invinciblement en même temps qu'un étau implacable lui broyait la poitrine, hachant sa respiration. Il plongea à nouveau dans son lac de sang bouillant personnel, source de ses souffrances permanentes depuis cette nuit-là. Depuis bientôt dix-huit ans, il ne connaissait plus le repos sacré de la nuit. Les cauchemars et les remords le hantaient et le tourmentaient sans relâche. Et plus impitoyable encore que toutes ses érinyes, une terrible question qu'il savait sans réponse le poursuivait sans trêve : qu'aurait-il dû faire ? C'était le plus insupportable pour lui, être de lois et de règles, habitué à l'ordre. L'hésitation. L'incertitude. Et les regrets dévastateurs de ce qui n'a pas été ou aurait pu être… Il ne le supportait plus et sa raison s'abîmait chaque jour un peu plus, le coupant de ses semblables. Respiration sifflante entre ses mâchoires trop contractées, il baissa la tête sur ses poings serrés, aux jointures blanches, posés sur la table devant lui. La voix popale s'éleva, assourdie mais d'une douceur inusitée.
« Et j'ai vu un chevalier d'Or, droit et soucieux du bien, s'interposer entre le monstre qui habitait mon corps et les gardes que sa colère menaçait et recevoir les coups mortels à leur place. Et à cet instant, du fond de ma détresse, j'ai été fier de ce si jeune chevalier, de cet enfant revêtu d'or qui s'oubliait pour protéger les plus faibles. »
Un long et puissant frisson parcourut Shura et il releva la tête stupéfait jusqu'à croiser le regard d'océan de Saga. Il n'y lut aucune moquerie, mais une profonde vérité, nue et invincible, qui fit monter en lui une chaleur réconfortante et des larmes de gratitude.
« A cet instant aussi, j'ai su que nous pouvions résister. Que je n'étais pas seul face à l'adversité et que le combat n'était pas perdu. Oui, vraiment, j'ai été fier de toi.
- … Merci, Saga. Si tu savais ce que cela signifie pour moi. Savoir que tu as su, que tu as vu... Et tes mots… Ils me font un bien terrible et j'en suis d'ailleurs profondément désolé.
- Pourquoi ?
- Parce que je suis heureux que tu aies été là et que pourtant cela a dû être insupportable pour toi, je m'en rends compte. Je ne crois pas que les gens aient compris ce que cela voulait dire, cette possession, quand Shion en a parlé.
- Et c'est très bien ainsi. Je ne veux pas qu'il en soit autrement.
- Mais…
- Pas de « mais », Shura. C'est ma volonté : je te demande de la respecter et de garder le secret sur ce que tu viens d'apprendre.
- Comme tu voudras. Mais je pense que tu fais une erreur. Je crois que les gens sont prêts à comprendre et à pardonner…
- Mais moi, je ne le suis pas encore. »
La voix de Saga n'était pas agressive mais elle était inébranlable. Il ne pouvait y avoir de discussion sur le sujet quand le Grand Pope montrait une telle assurance, incontestable. Shura secoua légèrement la tête et but une gorgée de gin pour se donner une contenance. Il s'agita nerveusement sur sa chaise en faisant tourner son verre, les yeux perdus dans le vague de la contemplation de la salle. La question lui brûlait les lèvres. Elle le taraudait sans cesse depuis la résurrection, mais depuis le retour d'Aiolos au Sanctuaire, elle était presque devenue une présence tangible en lui. Il brûlait de la poser. C'était le moment parfait et il n'était pas sûr qu'il retrouve rapidement ou facilement de telles conditions réunies.
Mais lorsqu'il prit la parole, sa propre voix lui parut étrangère, étonnamment déformée et plus aiguë, traversée d'impatience et de peur.
« Il pourra me pardonner un jour, tu crois ?
- Qui ?
- Tu le sais. Aiolos.
- Il l'a déjà fait, sois-en sûr. Et d'ailleurs, je pense sincèrement qu'il ne t'en a jamais voulu.
- J'aimerais te croire…
- Tu peux. Il nous a tous pardonné et nous en a donné une preuve éclatante.
- Vraiment ?
- Oui. Il est revenu. Et il a accepté de régner avec moi, qui ai ordonné son meurtre, et de reprendre sa place auprès de toi, qui l'a exécuté, et des autres, qui ont laissé faire.
-… C'est vrai... »
La voix de Shura était plus ferme et comme légèrement étonnée de ne pas avoir compris quelque chose de si clair et de si simple. Le jeune homme s'était enfermé dans sa culpabilité comme dans une cellule, s'était incessamment flagellé, se reprochant amèrement ce crime que l'Autre lui avait imposé. Et tout à coup, grâce à des mots si simples et pourtant si libérateurs, il s'éveillait brusquement. Il lança un regard reconnaissant et plus léger à son compagnon et embrassa la salle du regard comme un homme qui reprend pied dans la réalité après un mauvais rêve.
« Merci pour cette conversation, Saga. Je suis très heureux d'avoir pu te parler à cœur ouvert, j'en avais désespérément besoin. Mais tu as vu l'heure ? C'est presque le matin. Il vaudrait mieux nous préparer pour la réunion à venir.
- Tu as raison. Je vais aller prendre une bonne douche et relire les dossiers à l'ordre du jour.
- Tu descendras pour le petit déjeuner ?
- Non. Je le prendrai dans ma chambre.
- Très bien, je passe te prendre vers sept heures trente alors ?
- C'est parfait. A tout à l'heure. J'ai aussi beaucoup apprécié de parler avec toi, Shura.
- Merci…. Saga ?
- Oui ?
- Je… Je ne l'ai pas fait.
- Quoi ?
- Jeter le corps d'Aiolos dans le défilé phlégréen. J'ai dis que je l'avais fait, mais en vérité, je l'ai enterré.
- Oh.
- Oui. Au nord de l'île. Au cap Sounion de triste mémoire, où personne ne va. Près des décombres du temple. Et j'ai prié pour lui.
- Je vois. Tu devrais le lui dire.
- Peut-être un jour le ferai-je, en effet. »
Et sur un dernier geste de la main, Shura disparut dans le hall de l'hôtel en direction des étages.
oOoOo
Le liftier de l'hôtel Claridge's était à son poste depuis quatre heures quand l'ascenseur s'ouvrit silencieusement sur un client étonnant. Non que l'homme qui sortit était étrange ou dénotait par sa tenue. Non. Il avait juste l'air hors du temps, comme échappé d'une autre époque. Et cette impression ne venait pas tant de sa tenue – redingote noire sur un pantalon bleu cintré, bottes lustrées, chemise ancienne et gilet de soie brodé d'or et de bleu – que de son air aristocratique absolu. Ce genre d'air que l'on voit dans les gravures et photographies anciennes ou qu'on imagine à la cour de la reine d'Angleterre quand il existait encore ces fameux bals de présentation des débutantes. Il avait une attitude et un maintien, un je-ne-sais-quoi, qui n'aurait pas été déplacé aux bals d'antan, peuplés d'hommes en culottes de soie et de femmes en robes extravagantes à crinoline.
Le jeune homme secoua la tête et avala précipitamment sa salive sous le regard d'or implacable du fameux client, planté de toute sa taille devant lui, rajustant ses boutons de manchettes. Le visage, beau mais sévère, était presque dur tant ses traits étaient fermes et marqués, quasiment militaires, impression encore renforcé par une coupe courte de cheveux blonds et ce regard autoritaire qui plongeait sur lui.
« Où se trouve le bar de l'hôtel ? »
Profondément troublé et mal à l'aise, le liftier indiqua rapidement, d'un geste de bras nerveux l'entrée de la pièce demandée. Le ton était sec et clair. Visiblement l'homme était habitué à être obéi au doigt et à l'œil et n'admettait pas autre chose. Hésitant, l'employé esquissa le geste de conduire son client malgré sa déroute, mais il n'en eut pas le temps.
« Cela ira comme cela. »
Et l'homme passa devant le liftier sans qu'aucune émotion ne se reflète sur le visage grave et martial. Le jeune homme soupira et entreprit de recomposer son maintien quand un mouvement de volte-face le prévint de se remettre de ses émotions plus vite que prévu. Il se retourna prestement vers l'homme qui venait de sortir de l'ascenseur et croisa à nouveau le regard d'or sévère et impérieux. Le même frisson étrange le saisit, ce frisson d'étonnement apeuré et incrédule face à quelque chose qui dépasse la compréhension humaine.
« Merci. »
Stupéfait, le jeune homme reprit péniblement sa respiration en contemplant le billet de cinq livres dans sa main. Il releva la tête pour remercier son client, mais celui-ci, à grandes enjambées vigoureuses, disparaissait en direction du bar de l'hôtel. Encore troublé et mal à l'aise, les pensées encombrées de choses invraisemblables, le liftier reprit son poste. Que venait-il de se passer ?
Rhadamanthe s'arrêta sur le seuil de la large entrée du bar du Claridge's et en apprécia la décoration sombre et sobre, dans les teintes marron glacé et les éclats chromés. Il aimait cet hôtel et avait apprécié que le Sanctuaire lui accorde le lieu de l'entrevue. Son regard d'or circula dans la pièce, accrochant les quelques personnes présentes devant un verre. Soudain un éclat lumineux arrêta son œil acéré. Une opulente chevelure d'or, nouée en catogan, d'une longueur incroyable.
Le corps puissant, d'une haute taille, se tendit légèrement et Rhadamanthe retint brièvement sa respiration avant de se détendre et de reprendre son maintien implacable et assuré. Kanon des Gémeaux était là, devant lui, au bar. Seul.
Le juge sonda les alentours et ne perçut aucune présence connue. Il lui avait pourtant semblé que les deux Ors étaient descendus de leur chambre ensemble. Où donc était passé le Bélier ? Pas que cela le passionnait, mais il préférait les avoir à l'œil tous les deux. Enfin, des deux, le chevalier qui se trouvait devant lui était celui à surveiller le plus.
Rhadamanthe ébaucha un pas pour rejoindre l'ambassadeur officiel du Sanctuaire au bar quand il suspendit son geste et fronça le sourcil. Il concentra toute son attention sur le jeune homme assis sur l'un des tabourets de cuir, les yeux perdus sur un verre d'alcool ambré qu'il faisait tournoyer pensivement.
C'était étrange… Kanon semblait ailleurs et apparemment n'avait pas perçu sa présence, ce qui pour un chevalier d'Or déjà, mais particulièrement pour un homme de sa force, était vraiment surprenant. Le juge étrécit les yeux et affina sa perception, embrassant l'élégante silhouette vêtue de bleu sombre du regard.
Le visage incliné vers le verre, la tête dans la main, l'autre qui faisait tourner lentement le liquide sur lequel s'attachaient des yeux d'océan troublés et perdus dans le vague… Les épaules bien dessinées légèrement voûtées, les jambes abandonnées nonchalamment sur les barreaux du tabourets… Kanon était visiblement abîmé dans une rêverie profonde et mélancolique, qui donnait à son beau visage une impression fuyante et mouvante, indéfinissable. Lui habituellement plein de défi et de morgue semblait presque hésitant et fragile ce soir, comme s'il s'autorisait exceptionnellement à baisser sa garde.
Ennuyé et troublé lui-même, Rhadamanthe se passa la main dans les cheveux d'un geste sec. Que faire ? Avait-il le droit de surprendre Kanon dans un moment d'abandon ? Etait-ce d'ailleurs opportun ? Il connaissait la fierté de l'homme et il doutait que se faire surprendre ainsi soit de son goût. Ce ne serait pas du tout du sien, en tout cas… Mais d'un autre côté, il était curieux de savoir ce qui pouvait bien être cause de ce soupçon de fragilité, il devait bien le reconnaître.
Rhadamanthe était homme de résolution et n'hésitait jamais longtemps à prendre une décision, particulièrement face au danger. Il rejoignit donc rapidement le bar et s'assit sur un simple bonsoir, prononcé d'une voix grave et ferme.
Kanon eut un tressaillement et sembla émerger de ses pensées avec une surprise vite balayée par une conscience immédiate de l'homme à ses côtés. Tout de suite, le cosmos d'or rayonnant se dressa en barrière, chargé d'hostilité et de défi. Rhadamanthe sourit intérieurement avec satisfaction. Bien. Il était là, ce guerrier incroyable qui l'avait entraîné dans la mort avec lui. Une émotion puissante s'empara de lui, la même émotion prégnante que la présence de cet homme lui procurait toujours, sans qu'il ne parvienne à clairement la définir.
Le chevalier d'Or des Gémeaux se tourna entièrement vers lui, maintien se voulant assuré et visage résolu. Rhadamanthe se trouva alors face à lui, à un mètre de distance à peine. Sa respiration s'accéléra brusquement et une chaleur dont il ne voulait pas connaître la nature et la provenance régna en lui.
C'était la première fois qu'ils se trouvaient si proches dans un contexte autre qu'un corps à corps violent et implacable. C'était la première fois qu'il pouvait le voir absolument, en détail, sans surveiller ou guetter le prochain coup.
Les coups profonds dans sa poitrine et l'étrange chaleur s'intensifièrent à mesure qu'il découvrait et mesurait, presque émerveillé, cette beauté qu'il n'avait fait qu'apercevoir au cours du combat jusque là. Le juge apprécia pleinement la vue, cette fois.
Kanon des Gémeaux était beau. Vraiment beau. De cette fragile beauté humaine, dont la brièveté accentue encore la grâce et l'intensité face à l'immuabilité de la beauté divine. Il possédait cette perfection des traits, cette harmonie des proportions et des couleurs que les sculpteurs de l'époque de sa première vie pouvaient parfois toucher du doigt dans leur plus belles œuvres. Il avait le charme envoûtant et puissant de la beauté naturelle qui étreint la gorge quand on la croise au détour d'un paysage incroyable, d'un lever de soleil flamboyant ou d'une fleur délicate qui s'ouvre. Et ce soir le bleu troublant et agité de son regard d'océan vacillait au gré d'émotions ou de souvenirs qui le rendaient accessible.
Inhabituellement ému lui-même, le coeur plus rapide qu'à l'accoutumé et la respiration légèrement incohérente, Rhadamanthe fit signe au serveur et commanda un whisky. Kanon se détourna et recommença à faire tourner son verre sans un mot, jetant de brefs coups d'oeil sur lui par instant. Puis le juge revint à sa contemplation. Après tout, pourquoi se priver de ce plaisir ? Le regard d'or glissa sur les épaules bien dessinées, la taille ajustée et les hanches étroites, les longues jambes qu'un pantalon parfaitement coupé mettait indéniablement en valeur. Oui, il appréciait pleinement la vue…
Kanon lança un coup d'oeil nerveux sur le côté. Il ne s'était pas attendu à être tiré ainsi de ses pensées par Rhadamanthe en personne. Il rageait sec d'ailleurs. Il venait de faire une faute stupide en se laissant surprendre en position désavantageuse. Et puis, perdu dans ses souvenirs amers, il n'était pas prêt à la confrontation. Le fantôme de Milo, le bonheur qui avait été le leur et la souffrance qui ne le quittait plus depuis qu'il l'avait perdu, créaient un terrain dangereux, ce soir.
Alors quand il s'était tourné vers le juge et qu'il avait reçu de plein fouet, sans avoir pu s'y préparer, ce regard d'or intense, comme un jet de plomb fondu, il avait perdu pied. Son maintien d'ambassadeur du Sanctuaire et de chevalier d'or fraîchement nommé avait volé en éclats sous les yeux à l'expression indéfinissable qui le parcouraient.
Il sentait depuis le poids de ces yeux sur lui. Rhadamanthe ne dissimulait même pas son regard, ancré sur lui. Exclusivement sur lui. Kanon saisit son verre et avala rapidement une gorgée de cognac. Puis il lança un regard à la dérobée sur son voisin. Il vit immédiatement le regard d'or en fusion sur son corps, ce regard exigeant dont il n'était pas sûr de bien comprendre le message.
A quoi jouait Rhadamanthe ? Il ne l'avait jamais regardé ainsi avant. D'ailleurs, à la réflexion, personne ne l'avait jamais regardé ainsi. Le chevalier des Gémeaux jeta un nouveau regard oblique et un long frisson le parcourut en croisant les yeux du juge qui s'attachèrent aux siens. Fasciné, Kanon plongea dans l'or liquide du regard implacable, découvrant avec étonnement à quel point les yeux de Rhadamanthe étaient pailletés de mille nuances. Le juge ne détourna pas le regard, ne prononça pas un mot. Il se pencha juste légèrement en avant et l'expression de ses yeux changea, devint incertaine.
Le coeur du chevalier des Gémeaux décida de s'emballer pour la circonstance et Kanon, tentant tant bien que mal de reprendre la main sur les réactions de son corps comme sur celles de son esprit, réalisa que l'incertitude de Rhadamanthe reflétait exactement les mêmes efforts que les siens. L'idée s'imposa à lui comme une évidence, avec la violence d'un coup, avec la fulgurance d'un grondement de tonnerre.
Le souffle soudain coupé, la gorge sèche et la poitrine secouée de profonds coups incontrôlables, Kanon tenta de prononcer un mot. Rhadamanthe se pencha encore un peu plus en avant, comme avide de l'entendre parler.
« Oh vous êtes là tous les deux ? Parfait, prendre un verre en charmante compagnie est toujours si agréable. Bien entendu, je ne dis pas cela pour toi, mon cher frère, tu t'en doutes. »
Kanon tressaillit, soudain sur ses gardes, et Rhadamanthe se redressa brusquement et son maintien se rigidifia dans la seconde. Il se tourna vers Eaque, qui se tenait debout, mains sur les hanches et dont le regard amusé circulait rapidement de l'un à l'autre.
« Eaque.
- Rhadamanthe. Kanon. Bonsoir.
- Bonsoir, juge Eaque.
- Eaque, je vous en prie, Kanon. Pas de titre entre nous, voyons. Nous sommes entre gens de bonne compagnie. Un verre de cognac, je vous prie. Alors ? De quoi discutiez-vous ?
- De rien.
- Toujours aussi prolixe, mon cher Rhadamanthe. Avez-vous déjà dîné, Kanon ?
- Non, pas encore.
- Leur table est très réputée, mais c'est encore Rhadamanthe qui vous en parlera le mieux. Il connaît bien cet hôtel pour y descendre régulièrement quand il est de passage à Londres. N'est-ce pas ? Mmmh ?
- Demande la carte.
- Quel ours ! Enfin, vous savez comment il est. Avez-vous bien voyagé ? Personnellement, je trouve le train très inconfortable et terriblement lent. Et je n'avais pas bien saisi qu'il fallait composter les billets. Enfin, je m'en moque surtout. Alors je vous laisse imaginer la scène quand il a fallu discuter avec un contrôleur d'un zèle tout à fait inconvenant.
- Ah ah, oui, j'imagine tout à fait. »
Kanon respirait à nouveau normalement et reprenait doucement sa contenance depuis l'arrivée du troisième juge. La conversation, plaisante, légère et acidulée, était très agréable. Eaque se révélait un convive charmant et drôle. Rhadamanthe, quant à lui, ne prononçait plus un mot et semblait contrarié. Plusieurs fois, au détour d'une boutade ou d'un échange de piques avec le troisième juge, le chevalier des Gémeaux sentit le regard d'or critique, presque réprobateur, sur lui. Décidément, ce soir, il ne comprenait pas le comportement de Rhadamanthe.
Il en était là de ses réflexions quand le second juge se leva d'un mouvement sec et s'éloigna sur un bonsoir froid. Ebahi, Kanon regarda la haute silhouette partir en direction de la réception de l'hôtel, sans un regard vers lui. Comme s'il n'existait plus. Eaque poussa un soupir faussement tragique et réellement amusé, s'excusa et courut derrière son frère qu'il rattrapa sur le seuil du bar.
« Je peux savoir ce qu'il te prend, là ?
- Visiblement vous n'avez pas besoin de moi. C'est comme si je n'étais pas là.
- Vu que tu ne desserres pas les dents, c'est presque ça, en effet. Mais c'est de ta faute.
- J'ai bien compris ton petit manège !
- Je ne te prends pas en traître, je t'ai prévenu. Et il ne tient qu'à toi de rivaliser avec moi. Kanon m'avait l'air assez troublé de ta présence quand je suis arrivé. Tu m'as surpris sur ce coup.
- Rivaliser avec toi ? En discussion mondaine ? C'est tout à fait mon genre. Et d'ailleurs Kanon ne m'intéresse pas.
- Mais cela saute aux yeux, en effet.
- Eaque, arrête tes insinuations. Il ne m'intéresse pas, je te dis.
- Alors, tout va pour le mieux ?
- Oui.
- Tu n'es pas fâché ? Tu ne nous quittes pas pour cette raison ?
- Absolument pas. Je suis fatigué. Je vais dormir.
- Parfait, dans ce cas. Bonne nuit. Je t'excuserai auprès de Kanon. Je lui dirai que tu as la migraine.
- Eaque ! »
Le grondement de Rhadamanthe se perdit dans l'éclat de rire taquin de son frère qui rejoignit Kanon et se pencha vers lui pour lui murmurer à l'oreille quelques mots, d'excuses sans doute. En voyant le visage de son frère s'approcher dangereusement de celui du jeune homme, en remarquant l'éclat adouci des yeux de glace et le sourire séducteur des lèvres harmonieuses, Rhadamanthe serra les poings avec rage. Il hésita à faire demi-tour et à regagner la place qu'il venait de quitter, malgré son inconfort et son déplaisir d'assister à cette parade amoureuse déplacée. Mais la voix claire d'Eaque le cloua sur place avant qu'il ait pu faire un geste.
« Kanon, accepteriez-vous de dîner avec moi ce soir ?
- Mais avec plaisir, Eaque.»
Rhadamanthe surprit le coup d'oeil goguenard et triomphant de son frère, lancé sournoisement en biais à son adresse et il tourna les talons, frustré et furieux contre lui-même.
oOoOo
Milo poussa un profond soupir de bien-être et ouvrit les yeux sur le plafond de bois sombre sculpté de la chambre. Il s'étira paresseusement et s'enfouit avec délectation dans les fourrures et les draps brodés. Il resta un instant immobile, les yeux clos, à savourer la quiétude de la chambre douillette, puis son bras frôla la peau fraîche et douce d'un corps nu à ses côtés. Un gémissement de déplaisir le fit rire silencieusement et il se redressa sur le coude, tourné vers la source du grognement de désapprobation qui venait de saluer sa caresse de réveil.
Allongé sur le ventre, le nez dans l'oreiller de plume, Camus dormait profondément. Milo s'absorba religieusement dans la contemplation du visage aimé, aux traits apaisés, aux longs cils noirs qui tranchaient sur la soie blanche de la peau. Il adorait regarder Camus dormir après l'amour. Le chevalier du Verseau, abandonné au sommeil, quittait un bref instant sa froideur et l'impassibilité qu'il affichait lorsqu'il était éveillé. Dans le sommeil, Camus n'était plus qu'un jeune homme de vingt-cinq ans, à la beauté troublante, paré de la grâce innocente que lui conférait le repos.
Le chevalier du Scorpion sourit malicieusement tandis que sa main tirait nonchalamment sur les draps. Et regarder dormir Camus dans cet affolant abandon lui donnait toujours des envies taquines… Notamment, comme de le dénuder complètement, certain que le froid causé par l'absence de draps ne le réveillerait pas… En fait, c'était pratique d'avoir un amant insensible au froid. On pouvait le manger des yeux en toute impunité, il ne risquait pas de se réveiller pour vous empêcher de mater… Voire de le manger tout cru, et pas que des yeux ! Mais là, il se réveillerait, quand même… Mais trop tard, peut-être ?
« Milo, je suis réveillé, tu sais.
- Ah.
- Et je sais à quoi tu penses.
- Merde.
- Pas nécessairement. Mais il faut se dépêcher. Dans une heure on doit être en bas pour la réception.
- Une heure ? C'est large !
- En bas, habillés et prêts.
- Ah.
- Laisse-moi faire.
- Quoi ? Que ? Camus ! »
Le rire clair lui chavira le coeur et Milo vit, stupéfait, Camus disparaître sous les draps en lui jetant un regard écarlate explicite et luisant d'excitation et d'amusement joints. Se rejetant en arrière sur l'oreiller, fermant ses yeux de mer d'été, le chevalier du Scorpion se crispa délicieusement sur l'incroyable caresse.
« Camuuuuus... »
oOoOo
« Bienvenue à vous, chevaliers du Taureau et de la Vierge. Le Sanctuaire sous-marin est honoré de votre présence. Je vous accueille au nom de mon maître, le Seigneur Poséidon. Je me nomme Isaak du Kraken.
- Merci à vous Marinas et à toi Isaak. Au nom du Sanctuaire, de la déesse Athéna et de nous-mêmes, Shaka et moi, nous saluons l'ensemble du peuple du Sanctuaire sous-marin et sommes honorés de notre présence parmi vous. Cette rencontre, nous l'espérons, est l'aube d'un rapprochement et d'une coopération nouvelle entre nos deux domaines sacrés.
- Merci pour tes bonnes paroles, chevalier du Taureau.
- Aldébaran. Je crois savoir que tu es l'ancien disciple de Camus du Verseau ?
- Oui. »
Le ton était sec, sans être hostile, et n'invitait pas à poursuivre la conversation. Aldébaran se le tint pour dit et n'insista pas. Il se tourna vers Shaka et leva un sourcil devant l'air perplexe, pour une fois, de l'homme le plus proche de dieu. Le chevalier de la Vierge semblait parfaitement étranger aux marinas qui les entouraient, imperméable à leur présence malgré leur nombre. Mais il se demandait visiblement ce qu'il faisait là, avec lui, parmi ce sanctuaire autrefois ennemi. Et Aldébaran se le demandait également. Il n'était pas très confiant sur cette mission diplomatique en tandem avec Shaka.
Il connaissait peu le chevalier de la Vierge, au demeurant, et ne savait pas bien à quoi s'en tenir sur ses capacités politiques. En revanche, il était conscient de son manque de pratique personnel sur ce plan. Les négociations qu'ils allaient avoir à traiter avec le camp de Poséidon étaient pourtant épineuses et importantes, Saga avait été clair sur ce point. Ils devaient obtenir gain de cause et sans causer, si possible, d'affrontement ou de lever de bouclier. Et en abaissant le regard vers la masse compacte d'armures d'écailles qui les environnaient, Aldébaran réalisa que ce serait plus facile à dire qu'à faire.
Les généraux avaient frappé un grand coup pour leur accueil. Ils avaient déployé toutes leurs forces restantes, histoire d'impressionner les émissaires d'Athéna. Mais ils n'avaient pas prévu sa taille imposante, rendue encore plus écrasante par sa colossale armure d'or rutilante. Pas plus, à la réflexion, qu'ils n'étaient prêt à l'ascendant que Shaka venait naturellement de prendre sur eux, comme sur tous ceux qu'il croisait, ou presque – Phénix étant l'exception qui confirmait la règle universelle. Plus détendu à cette pensée que Saga, lui, avait certainement pensé à tout cela, Aldébaran émit un léger rire, qui crispa immédiatement tous les soldats présents, sur le qui-vive.
« Oh, pardon. Je ne réalise pas la portée de ma voix, parfois. »
Et devant le tassement stupéfait et légèrement craintif d'une partie de la troupe sous-marine, le chevalier du Taureau hocha la tête avec ironie. Isaak fronça légèrement le sourcil et un autre général, sur sa droite, se mordit la lèvre.
« Nous vous avons préparé une réception au temple de Poséidon.
- C'est un grand honneur et soyez remercié pour cette louable pensée. Néanmoins, pour ma part, je suis assez détaché des honneurs de ce monde et mène une vie simple et frugale, centrée sur l'essentiel. Si vous me le permettez, général du Kraken, je souhaiterais me retirer.
- Euh… Mais… Naturellement... Je vais vous faire conduire à vos appartements. Et vous chevalier du Taureau ?
- Je vous remercie, général. Je ne doute pas que mon collègue fera honneur à vos préparatifs.
- Avec plaisir. Bonne soirée, Shaka.
- Merci mon ami. Bon divertissement. »
Et sur ces mots, prononcé de sa voix douce et calme, mais inébranlable, Shaka emboîta le pas au Marina désigné par Isaak pour le conduire jusque dans les appartements qui lui étaient réservés. Il passa, sans ouvrir les yeux, d'un pas léger, devant tous les généraux et les marinas, qui le regardèrent partir décontenancés.
De plus en plus amusé, Aldébaran salua silencieusement l'esprit politique de leur nouveau Grand Pope. Apparemment, le Sanctuaire venait de déjouer les plans du camp adverse, de créer l'effet de surprise et de placer sa main haute dans les futures négociations.
« Je serai ravi, en effet, de partager avec vous, Généraux, Marinas, cette belle soirée. »
Et devant l'air déconfit et perdu de la majorité des forces de Poséidon en présence, Aldébaran faillit éclater d'un rire tonitruant. Allons, finalement, il n'était pas si déplacé que cela au Sanctuaire sous-marin, et le duo improbable qu'il formait avec Shaka serait peut-être étonnamment efficace...
oOoOo
« Arrête de sourire.
- Oui, mon amour.
- Tu recommences.
- Désolé, mon cœur.
- Arrête ça.
- Quoi ?
- Milo ! Arrête de sourire ! Et arrête les surnoms mièvres aussi.
- Mais c'est de ta faute. Comment veux-tu que je reste stoïque avec ce que tu viens de faire ?
- Milo ! »
Masquant son sourire en faisant mine de s'absorber dans le drapé du chiton qu'il était en train d'attacher sur l'épaule de Milo, Camus asséna une tape sèche sur la fesse gauche du chevalier du Scorpion.
« Hé ! C'est pas un peu fini ces privautés ?
- Tiens, tu ne te plaignais pas de « privautés » tout à l'heure.
- Mais je ne vois pas de quoi tu parles.
- Ah non ? De ça. »
Et saisissant la masse de boucles solaires attachées sur la nuque avec un lien de cuir, Camus embrassa langoureusement Milo, qui se laissa faire avec un ronronnement de satisfaction.
« Décidément, quelle audace ce soir… Que fais-tu ? Reviens près de moi !
- Gamin ! Je vérifie ta tenue, ne bouge pas. C'est parfait... »
Oui, c'était le mot. Milo était éblouissant, ainsi vêtu de l'habit traditionnel de cérémonie des chevaliers d'Or. Il s'agissait d'une tenue ancienne, dont la création remontait aux temps antiques de la naissance du Sanctuaire. L'utilisation de cet uniforme solennel avait été perdue depuis longtemps dans les faits mais dans ses recherches sur le statut du Seigneur d'Or, Dohko en avait retrouvé des témoignages qu'il avait transmis à Shion. Celui-ci avait émis l'idée de réemployer cet habit d'apparat, qui permettait aux chevaliers d'Or d'être immédiatement identifiables en tant que tels, sans toutefois être obligés de porter une armure d'or. Lors de réceptions diplomatiques notamment, il pouvait être malvenu de porter une armure, signe qui pouvait être jugé assez agressif.
Camus recula de quelques pas et inclina la tête sur le côté, perdu dans sa contemplation. Amusé, Milo tourna lentement sur lui-même bras tendus à l'horizontal, comme un mannequin.
« Nouvelle collection printemps-été.
- Idiot, va. »
Milo avait fière allure dans son chiton blanc, à l'épaisse bande bleu profond, et dans son pantalon bleu qui s'arrêtait en dessous du genou. A l'emplacement du coeur, brodé d'or et de bleu, s'épanouissait la marque du Sanctuaire, un rameau d'olivier croisé avec une lance, surmonté d'une chouette. Sur l'épaule gauche, brodé du métal de l'armure du chevalier, se trouvait son signe : le Scorpion d'or. La tenue se complétait par une ceinture de cuir brodée d'or et de bleu et par des chaussures de cuir souples et légères, lacées par un fin lien de cuir, comme on en trouvait dans l'antiquité. Avec ses cheveux noué et le bandeau bleu qui ceignait son front, Milo semblait sorti tout droit de la Grèce antique.
« Oui, tu es parfait, vraiment. L'effet est très réussi.
- Ouais, et je vais me geler les fesses, je le sens.
- Que veux-tu, c'est de ta faute.
- De ma faute ?
- Eh oui, il faut souffrir quand on est beau, que veux-tu. »
L'éclat de rire qui lui répondit valait tout l'or du monde et Camus ne l'aurait échangé pour rien sur cette terre.
oOoOo
