Comme la fiction n'intéresse pas grand monde (au moment où je poste ce chapitre), je fais un peu n'importe quoi dans les dates de publications. Désolée, j'ai toujours eu du mal à me tenir aux engagements des dates.
Je vous souhaite tout de même une excellente lecture !
۩๑ ๑۩ 7 ۩๑ ๑۩
Cette nuit-là, tu réfléchis. Tu penses beaucoup, trop pour fermer l'œil. L'ampoule qui grésille au-dessus de ta tête réveille des douleurs enfouies. Tu croyais les avoir muselées et reléguées au grenier de ton cœur, en vain.
Tu es plus faible, plus humain que tu ne le souhaiterais.
Des images se superposent les unes aux autres, des pensées se mélangent dans un imbroglio désagréable. Sur le bout de ta langue, l'amère sensation d'échec te pousse à quitter le lit. Tes yeux avisent les bandages enroulant ton bras.
D'un coup, tu les arraches. Ils se déchirent dans un gémissement aigu. Tu l'ignores pour ne pas regretter ton acte violent.
Il est temps pour toi de partir. Les autres dorment, tu dois profiter de cet instant pour fuir.
Ainsi, tu n'encombreras personne d'au revoir et d'adieu inutiles. Tu préfères quitter le bastion comme un voleur, plutôt qu'en pleurs. La douleur d'abandonner les tiens, tu ne la connais que trop bien.
Alors, tout en discrétion, tu rassembles tes affaires. Tu t'équipes de tes anciens vêtements, raccommodés à la va-vite par les mains soigneuses de Kaya. Un sourire illumine ton visage lorsque tu remarques les imperfections de ses coutures, ses tentatives maladroites t'attendrissent.
Vite, tu enfiles tes bottes et noues tes cheveux pour libérer tes yeux. Tu comptes emporter une lampe à huile, une petite bouteille d'eau mais rien de plus. Les rations de la petite compagnie sont précieuses, et tu ne peux pas te résigner à les piller.
Après tout, peut-être que tu n'en auras pas besoin, peut-être que tu mourras avant d'atteindre ton but. En sachant cela, ta morale exige que tu leur ne dérobes rien d'autre. Une lampe et une bouteille suffiront amplement.
Tu te glisses hors de la chambre sans bruit, tous les couloirs sont vides mais tu dois faire preuve de prudence. Les survivants ne ferment pas leurs portes, ils les laissent grandes ouvertes pour réagir en cas de besoin. Il te faut donc marcher lentement, faire attention au moindre obstacle pour ne pas réveiller tes hôtes.
Tu franchis le premier mètre en retenant ton souffle. Tu inspires, franchis le second.
Trois mètres.
Quatre mètres.
Cinq mètres.
Un cri inhumain paralyse soudain ton corps.
Il est là. Tu le sens. Tu le sais. Le Hurleur qui t'a poursuivi cette fois-là.
Tétanisé, tu écoutes le cri puis la respiration de la créature. Elle est au-dessus de ta tête. Il est là, seul le plafond te sépare de lui. Ses souffles te glacent le sang. Tu imagines son haleine fétide, et devines ses expirations de monstre obèse. Il respire comme un cauchemar devenu réalité.
Tu ne sais pas comment il se déplace, en dehors de ses souffles, rien ne parvient à tes oreilles. Ce Hurleur se meut dans les tunnels tel un spectre, un fantôme sans forme et pourtant, tu es certain qu'un corps le rattache à ce monde. Tu sais que ses crocs acérés sont prêts à se refermer sur ton corps.
Focalisé sur la respiration de la bête, tu n'as pas perçu le mouvement derrière toi. Fusil en main, Paula se glisse à tes côtés. Le canon de son arme est rivé sur le plafond et les conduits d'aérations qui le parsèment.
D'un doigt, elle te somme de garder le silence. Tu obéis sans y penser, la présence de cette chimère t'immobilise.
Petit à petit, la respiration s'éloigne et disparait.
Le Hurleur s'est évaporé, pourtant tu n'oses pas bouger. Tu restes figé un temps, au moins cinq minutes tandis que les grognements du monstre résonnent dans ton esprit.
Au terme d'un long silence, Paula abaisse son arme. Elle s'autorise un soupir, puis se tourne dans ta direction.
— Charlos n'est pas censé être aussi proche de notre position…
Cette simple phrase n'annonce rien de bon. Ton échine frémit tandis que la trentenaire tique.
— Ce n'est pas normal. De tous les Hurleurs du périmètre, il est le moins mobile.
— Qu'est-ce que… ça signifie ?
Paula t'accorde un regard, puis affiche un sourire nerveux.
— Que tu coures à une mort certaine si tu sors maintenant.
Tes poings se serrent brusquement.
Elle a raison.
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— Charlos est toujours resté dans la mine, il n'a jamais franchi la rivière.
De loin, tu observes Kaku et Paula. Tous deux sont penchés sur une carte au papier jauni.
— Tu penses qu'il poursuit une proie ?
La femme réfléchit un temps, puis hausse les épaules.
— C'est une possibilité que nous ne pouvons pas exclure. Même si l'on peut imaginer que la faim le pousse à changer d'endroit.
— Nous n'avons plus qu'à espérer…
— Qu'il passe son chemin très rapidement, en effet.
— Avec un peu de chance, il abandonnera la mine pour de bon et nous pourrons y mener des raids afin de chercher des vivres.
Elle acquiesce d'un hochement de tête, puis te désigne d'un geste du doigt.
— Viens.
Intrigué par son intérêt inattendu, tu les rejoins autour de la table et examine l'immense carte des souterrains. La complexité du réseau te frappe, tu aperçois des centaines de galeries, des trentaines de cul de sac et peu d'échappatoires en cas de poursuite.
Paula devine tes pensées, car elle précède tes interrogations silencieuses.
— Vu sous cet angle, tu comprends sans doute pourquoi je te disais que tu as peu de chances de t'en tirer.
— C'est…
— Complexe ? Évidemment, à quoi est-ce que t'attendais ? Une seule route et des panneaux qui t'indiquent la sortie ?
Kaku sourit sous sa casquette, et tu ne peux retenir un rictus amer.
— J'aurais préféré.
— Comme nous tous, mon mignon. Bref, si tu souhaites atteindre l'hôpital, le chemin le plus court risque de te mener droit à Charlos… Et si par tous les hasards, tu venais à t'en tirer, Sharlia t'attendras là-bas.
— Mais si Charlos quitte la mine pour de bon, ajoute Kaku en pointant un réseau de tunnel étroit, tu pourrais peut-être contourner une partie de l'hôpital et échapper aux deux Hurleurs.
Tu pressens d'ores et déjà la mauvaise nouvelle qui ruinera tes maigres espoirs.
— Cependant, reprend Paula en croisant les bras sous sa poitrine, tu vas perdre des heures et peut-être même des jours en empruntant un tel chemin. Par ailleurs, certaines cavités sont trop petites pour les humains. Tu as donc plus de chances de mourir de faim et de soif, ou de finir piégé dans une cavité qui ne débouche sur rien.
La chute est dure à encaisser. Par mégarde, un grognement exaspéré t'échappe. Les deux autres ne réagissent pas, font mine de ne rien remarquer. Ils étudient leur carte, tandis que tu désespères d'atteindre un jour la surface.
L'atmosphère se charge à nouveau de tension. Tes sourcils se froncent, et une désagréable sensation remonte le long de ton échine. Un malaise étrange s'empare de toi. Quelque chose d'horrible se prépare, tu en es certain. Tout autour de toi, le bastion se met à trembler.
— Je me sens…
D'un coup, le métal grince, gémit puis se tord brusquement. Une partie du plafond se fissure, un cri inhumain résonne dans tout le bastion. À peine redresses-tu la tête que de gigantesques mains apparaissent. Elles frappent les murs, défoncent le toit sans pitié. Les canalisations explosent, un violent jet d'eau projette Paula à l'autre bout de la pièce. Des blocs de pierres s'effondrent.
Le plafond écrase la table, puis les bancs dans un grincement sinistre. Les ampoules éclatent une à une. Au loin, tu entends les cris d'Usopp et de Kaya. Tu perds l'équilibre, et tombe tête la première dans le lac qui se forme dans le bastion.
À tes côtés, tu entends la voix de Kaku. Une nouvelle lampe éclate, tu aperçois une giboulée de cailloux et de tuyaux l'écraser.
— Kaku !
Paula tente de se redresser pour lui venir en aide, lorsqu'un cri inhumain la foudroie sur place.
Ton corps réagit aussitôt. Malgré l'eau qui monte et la chute de pierres, tu te jettes sur le jeune homme afin de le libérer.
Deux ampoules explosent. Une main difforme et décharnée émerge du trou. Un troisième cri résonne, manque de t'assommer. La main se referme sur les débris, Kaku et toi.
Les ténèbres engloutissent la pièce.
Charlos est là.
À suivre…
