Bonjour/bonsoir tout le monde, j'espère que vous allez bien !

Comme d'habitude, me revoilà tout en ne l'ayant pas du tout prévu... et pourtant j'ai envie d'écrire sur ce moment depuis longtemps, mais ça me faisait assez peur. Et puis je me suis décidé à me lancer en octobre, avançant petit à petit.

Comme d'habitude, je me suis emballée et l'Os s'est pas mal éloigné du projet de départ... et il est de très très loin le plus long du recueil. J'ai d'ailleurs changé le rating du recueil, je me rends compte qu'il était en K+ et que vu les thèmes abordés, T était sûrement plus approprié.

J'ai vraiment peur de vos réactions... cet OS il vient vraiment de mes tripes, il m'a servi de catharsis de pleins de choses et j'espère vraiment ne pas vous décevoir. EMAraude je pense notamment à toi, parce que je sais que tu penses à ce moment souvent.

Bref, encore une fois ma vie importe peu, je vous souhaite surtout une bonne lecture et merci de votre soutien !

/!\ Précision importante : j'évoque un nouveau personnage dans cet Os. Gabrielle, qui dans mon imaginaire était à Gryffondor la même année qu'eux et s'entendait bien avec Lily, elle ne faisait par contre pas partie de l'Ordre et travaille à Ste Mangouste. Je l'avais imaginée depuis longtemps mais n'avait pas encore eu l'occasion de l'introduire.

Disclaimer : Il y a trois citations dans le texte, la première attribuée au bienheureux Charles de Foucault, la deuxième de Mark Twain et la dernière de la Bible mais que normalement vous devriez connaître.

Remerciements à Woodkid, Pomme et surtout Asaf Avidan qui m'ont musicalement accompagné en écriture. Titre de Conspiratory vision of Gomorrah d'Asaf Avidan.


But you're hardly able to stand

.

Voici la douleur dans tes yeux, qui nous pousse aux abîmes

On vivrait bien comme les astres, mais ton poids de malheur nous décimes.

[...]

Ton Loth s'est enfui pour danser,

Et tu rampes... seul à présent

.

.

Une seconde tout va bien mais celle d'après tout a basculé et le monde entier s'est brisé.

Une seule seconde a suffi. Elle est tout de même terriblement longue cette seconde… elle semble s'éterniser et ne jamais vouloir s'arrêter. Peut-être est-elle passée et morte elle aussi, Remus ne sait plus vraiment. Son cœur martèle douloureusement sa poitrine, seul signe que pour lui la vie continue. C'est étrange pourtant, car il ne se sent pas vivant… bien que son corps entier souffre. Vide… il se sent juste vide. Les mots de Dumbledore résonnent sans cesse dans sa tête.

« James et Lily sont morts. Sirius les a trahis. Hagrid emmène Harry chez la sœur de Lily. Peter a disparu. »

Tant de mots, tant de faits impossibles à concilier, à accepter. Il ne veut pas. Remus avait pleuré, hurlé, s'était effondré. Ne souffrait-on vraiment que dans la réalité ? Car il ne se rappelait pas avoir déjà eu aussi mal et pourtant, tout cela ne pouvait être vrai, c'était impossible. Les autres mourraient… Marlène, Edgar, Dorcas, Benjy… tant d'autres… mais pas James et Lily… Pas James et Lily parce que Sirius les protégeait. Sirius avait toujours été si fort, si droit… L'ont-ils brisé lui aussi, ont-ils réussi à éteindre l'étoile ? Il ne pouvait pas les avoir trahis… ils avaient dû le capturer, Voldemort lui-même a dû le torturer s'il a cédé. Sirius ne cédait jamais devant personne pourtant…

Une seconde.

Le soleil se lève timidement sur Godric's Hollow. L'aube est glacée. Remus ne le remarque même pas. Il a peur d'avancer, plus qu'une seule rue et il saura… Que fait-il ici ? Ça ne peut être vrai. Il ne peut pas douter de ses amis ainsi, Dumbledore s'est trompé c'est tout. James et Lily doivent dormir à cette heure-ci. Et puis de toute façon, il n'a pas vu Sirius depuis qu'ils ont lancé le sortilège de Fidelitas… il ne pourra pas voir la maison non ? Pourquoi tremble-t-il autant ? Et pourquoi son cœur bat-il aussi fort, aussi vite ?

Il ne devrait pas être ici. Dumbledore lui a dit de rentrer chez lui. Mais c'est ici son foyer, avec ses amis qu'il est vraiment à la maison.

Il s'est avancé sans vraiment s'en rendre compte, comme un pantin, avant de se figer. Il y a encore une seconde il pouvait croire que Dumbledore l'avait trompé. Une seconde.

La maison est devant lui. Il ne devrait pas la voir. L'aile droite de l'étage est effondrée et fume encore… il sait très bien ce qu'il y avait… la chambre d'Harry… c'est donc là que tout s'est passé ? Remus a l'impression d'étouffer mais il n'est même pas capable de pleurer. Peut-il encore nier la réalité ? James et Lily sont morts. Voldemort est vaincu… mais il a gagné.

Une part de lui espère maintenant que Sirius le soit aussi, il serait tellement plus simple qu'il soit mort après avoir subi d'innommables tortures. Tout serait préférable, plus simple que d'envisager que Sirius ait pu les laisser tomber. C'est triste, il ne pensait pas espérer un jour la mort d'un de ses meilleurs amis…

Peter où es-tu ? Pourquoi n'es-tu pas à mes côtés pour pleurer ? T'es-tu enfui loin de la douleur ? T'ont-ils trouvé toi aussi ?

Le jeune homme a continué à s'avancer sans s'en rendre compte, jusqu'à ce qu'un des Aurors qui fourmillent devant la maison vienne à sa rencontre. Ils se reconnaissent, il était préfet à Poudlard il y a quelques années. Il a suffisamment puni les Maraudeurs pour les reconnaître et savoir le lien qui les unit. Et puis le désespoir sur le visage de Remus est douloureux à regarder.

« Nous avons fini de jeter nos sorts d'enquête, tu peux entrer si tu veux, nous partons bientôt… Nous avons déjà emmené les corps à la morgue de Sainte-Mangouste… désolé de te demander ça, mais est-ce que tu pourrais passer pour reconnaître les corps ? »

Remus acquiesce sans trop savoir à quoi il a dit oui. Reconnaître les corps ? Il ne comprend pas. C'est donc ça que sont ses amis maintenant ? Des corps… Hier encore, ils étaient Lily et James pourtant. A quelle seconde sont-ils devenus des corps ? Et lui, que faisait-il à ce moment ? Osait-il dormir alors que leurs vies se brisaient ? Sirius et Peter sont-ils des corps également ? Pourquoi est-il seul à pousser cette porte ? Les Maraudeurs ne sont pas censés être seuls… Où la vie s'en est-elle allée, le laissant sur le côté ?

Le silence est assourdissant. Insupportable. Cette maison est toujours pleine de bruits, le rire de James résonnant dans la cage d'escaliers, les plaintes de Lily parce que Sirius embête le chat, celles de Peter parce que le chat l'embête, les gazouillis d'Harry… Il frissonne. Il a si froid. D'habitude la chaleur de se savoir à la bonne place vous accueille. Est-ce que cela veut dire qu'il ne connaîtra plus jamais l'étreinte étouffante de James ? Ni celle plus réservée et si douce de Lily ?

Il se sent suffoquer. Il continue d'avancer. La vaisselle n'est pas faite. Un énorme gâteau, non entamé, trône sur le plan de travail, un bol est rempli de bonbons. Bien sûr, on est dimanche aujourd'hui. Le jour où tous ceux qui le peuvent viennent manger chez les Potter. Où va-t-il manger maintenant, pourquoi ne peut-il pas rester avec ses amis… ou qu'ils s'en soient allés ?

Il a peur de s'avancer dans les autres pièces. Il ne sait pas où ils sont morts… morts. Toujours ce mot qu'il ne peut croire. Et puis que trouvera-t-il ? Des questions il en a pleins, les réponses il s'en fiche. Ce sont ses amis qu'il veut. Il ne les trouvera plus ici.

Il entre dans le salon. Les jouets d'Harry sont toujours éparpillés sur le sol, mais à part ça tout est encore si bien rangé. On pourrait presque croire qu'ils sont partis en balade. Presque… Il n'aurait pas aussi mal au cœur sinon. Tout hurle leur absence.

Il attrape le cadre photo posé sur la table basse. Il se perd dans la contemplation de Lily et James, tout juste mariés, qui valsent les yeux dans les yeux. Il ne remarque même pas qu'il commence à pleurer. Ouvrant le cadre, il retire la photo pour observer celle qui est derrière, cachée aux yeux du monde.

Ils l'ont prise à la fin du mariage quand ils n'étaient plus que tous les cinq. Sirius avait récupéré un appareil Moldu et avait passé dix minutes à le placer correctement et à régler le retardateur. Ses trois amis sont sous leur forme d'Animagi. Lily est assise en amazone sur James, ses mains accrochées à ses bois, elle rit aux éclats. Sirius fait le beau, la tête légèrement penchée sur le côté. Remus est accroupi à ses côtés, il a la tête relevée, comme s'il hurlait à la lune. Peter est installé dans ses cheveux, debout sur ses pattes arrière.

James adore… adorait… tellement cette photo. Il riait à en pleurer en l'installant, en cachant ainsi aux yeux de tous la preuve de leur folie d'adolescents.

Remus réalise qu'il ne distingue presque plus rien tant ses yeux sont remplis de larmes. Il a du mal à respirer. Il y a tant de bonheur sur cette photo, ils étaient si heureux. Tout ce bonheur ne peut pas s'enfuir aussi facilement non ?

Il glisse la photo dans sa poche et se décide finalement à ressortir, il ne sait même pas pourquoi il est venu. Il n'y a plus rien pour lui dans cette maison vide. Un pâle rayon de soleil l'accueille dehors. Il n'y a pas un seul nuage dans le ciel, il fera beau aujourd'hui. C'est étrange. Il lui semble que ce n'est pas juste qu'il fasse beau aujourd'hui alors que le monde entier s'effondre.

Le même Auror que plus tôt vient à sa rencontre. Il lui propose de l'accompagner à Sainte-Mangouste, Remus le regarde sans comprendre, bien sûr qu'il est blessé et qu'il souffre, mais personne ne peut le soigner. Et puis soudain, il se souvient. Les corps. James et Lily. Il acquiesce et ils disparaissent tous les deux dans un craquement.

Le hall dans lequel ils arrivent est en pleine effervescence. Les médicomages tentent de garder un air neutre ou compatissant en face de leurs patients, mais au fond on sent bien que tout le monde jubile. Sainte Mangouste est en fête. Remus se rappelle, oui c'est vrai, Voldemort a été vaincu. La constatation est douloureuse. Il ne se sent pas vainqueur. Il pense égoïstement qu'il préférait la guerre avec ses amis plutôt que cette victoire sans eux. Tout plutôt que cet arrachement et cette incompréhension. Il pense aux deux corps qui l'attendent quelque part dans cet hôpital, il se sent nauséeux. Il essaye de ne pas penser à ses deux autres amis. Pour l'instant il ne veut pas savoir comment Sirius a pu trahir James, Lily et Harry et il essaye de ne pas trop trembler pour Peter qui a disparu. Il ne pense pas non plus à Harry, ce petit orphelin, qu'il abandonne avec sa tante… Il n'a même pas protesté quand Dumbledore le lui a annoncé. Pétunia avec tous ses défauts sera toujours mieux que lui. Un loup-garou ne peut pas élever un enfant seul, c'est Sirius qui devait s'en occuper… Sirius encore une fois… Pour l'instant il voudrait juste tout oublier. La vie était plus simple hier.

Il suit mécaniquement l'Auror qui le guide jusqu'au sous-sol de l'hôpital. Remus se sent de plus en plus faible. Son cœur tambourine. Ça ne peut pas être vrai. Ça ne peut pas être vrai. Ça ne peut pas être vrai. En chemin il a croisé Gabrielle. Elle gardait la tête haute mais ses beaux yeux bleus étaient rougis. Elle lui a proposé d'attendre qu'elle finisse son service pour l'accompagner, peut-être qu'à deux ce serait moins dur. Il a refusé. C'est un cauchemar, quelle raison aurait-il de le faire durer ? Il préfèrerait se réveiller vite.

Alors qu'il se tient maintenant devant cette porte, effrayé par ce qui l'attend dans cette pièce, il réalise tout de même que depuis ses onze ans il n'a jamais été seul pour affronter un problème, il a toujours eu trois abrutis idéalistes et complètement fous pour le soutenir. Il a l'impression qu'il lui manque des bouts de son propre corps, son cœur, ses jambes, ses poumons. L'Auror pose une main encourageante sur son bras. Il aurait préféré que ça soit Gabrielle finalement. Ça n'aurait pas été plus facile, il n'aurait pas eu moins mal, mais elle l'aurait un peu compris. Elle aurait pleuré elle aussi.

O

Ils sont couchés tous les deux, l'un à côté de l'autre. C'est bien, il ne faut pas les séparer, ils ne l'auraient pas voulu. Remus pourrait presque avoir l'impression qu'ils dorment, ils paraissent si paisibles. Mais ils sont pâles, si pâles. Et si immobiles. James ne s'arrêtait jamais de bouger, même dans son sommeil. Remus voudrait tellement être en plein cauchemar ou en plein délire, il ne veut pas affronter cette réalité. James et Lily sont morts. Il ne les reverra jamais. Ce mot tourne dans sa tête comme une obsession. Jamais. Jamais. Jamais… Il ne verra plus le grand sourire lumineux de James pas plus qu'il n'entendra résonner le rire cristallin de Lily. Il ne verra plus jamais leurs regards qui s'illuminaient en se posant l'un sur l'autre, n'assistera plus jamais à leurs étreintes. Ils sont morts et lui a mal, comme jamais il ne pensait souffrir. Il ne retient plus ses larmes depuis longtemps et l'Auror l'a laissé seul dans la pièce. Il a besoin de temps pour faire ses adieux. Il doit faire le deuil de tant de choses, de ce futur qu'ils s'étaient imaginés, de tous ces repas, de ces rires, de leurs larmes, de leurs étreintes quand quelque chose n'allait pas, de leur bonheur, de leurs bêtises et de cet optimisme, cette manière de ne jamais croire au pire. Lily et James ont les yeux fermés. Il a l'impression qu'il ne souvient déjà plus de la couleur exacte de leurs yeux, qu'il a oublié jusqu'au timbre de leurs voix. Est-ce qu'un jour il oubliera aussi la forme de leurs visages, la douceur de leurs traits et la chaleur qu'ils apportaient ? Il a si peur, si froid tout seul. Il a envie de hurler. Pour la première fois de son existence, il voudrait devenir le loup, réunir sa meute et hurler à la lune. Il voudrait juste revenir quelques années en arrière, quand ils avaient juste peur de ne pas valider leurs ASPIC. Même hier était suffisant. Hier ils étaient encore vie, hier encore il aurait peut-être pu les sauver.

Est-ce que Sirius sait qu'ils sont morts ? Est-ce qu'il a vu leurs corps lui aussi ? Est-ce qu'il pleure quelque part ? Comment avait-il osé ? Comment avait-il pu les trahir ainsi ?

Une part de lui espérait encore secrètement qu'il se trompait, qu'il y avait une explication, un plan qui avait raté, que James et Lily avaient changé de gardien au dernier moment, que ce n'était pas Sirius. Même Dumbledore lui paraissait préférable. Mais son ami, non c'était impossible, il ne voulait pas l'accepter. Dumbledore y avait cru sans difficultés, il ne lui avait jamais fait complètement confiance, trop arrogant, trop imprévisible, trop dangereux. Trop Black. Quelque part Remus le comprenait, tout ce qu'il disait de Sirius était vrai. Mais il y avait Patmol, il y avait le chien qui l'avait accompagné pendant tant de pleines lunes, qui l'avait protégé, soutenu, défendu… le directeur ne connaissait Patmol. Remus si, et sans la fidélité et la générosité de son ami il se serait effondré depuis longtemps.

Remus s'accroche à chaque seconde qui passe. Pour l'instant, une part de lui peut encore imaginer que Sirius n'est pas un traître et qu'il y a une explication. Pour l'instant… au fond, il sait bien qu'il regrettera bientôt ces précieuses secondes d'ignorance. De déni.

Il ne pouvait pas dire adieu à trois de ses amis en même temps - peut-être même quatre… Peter où es-tu ? s'il te plaît, viens à mes côtés, pitié Peter ne me laisse pas…- il n'était pas assez fort pour ça. Et il ne voulait pas haïr Sirius, il en était incapable, il lui avait apporté trop de choses, ils avaient trop partagé, comment pourrait-il s'en remettre ?

Il serre encore plus fort la main de James, cette main si froide et qui lui paraît si frêle.

Il ne sait pas vraiment depuis combien de temps il est là, peut-être juste une minute, sûrement des heures. Il a terriblement froid et la douleur ne s'apaise pas. Se calmera-t-elle un jour ? Il entend la porte s'ouvrir tout doucement dans son dos mais il ne se tourne pas, il ne les quitte pas des yeux, il ne veut pas les quitter. Il sent une petite main toute douce se poser sur son épaule. Il regarde finalement Gabrielle qui l'a rejoint. Elle pleure tellement, il semble que toute l'eau de son corps s'échappe de ses yeux. Elle semble bouleversée. Le cœur de Remus se serre. Elle est bouleversée mais ce n'est pas James et Lily qu'elle regarde, c'est lui.

Il aurait bien voulu qu'elle laisse un peu plus traîner cette seconde avant de prendre la parole. Cette dernière précieuse seconde d'ignorance.

« Remus, ils ont retrouvé Sirius et Peter. »

Le monde entier aurait pu s'écrouler sur lui, il aurait eu moins mal, la chute aurait été moins douloureuse. Il n'a aucune envie de pleurer, n'est même plus triste. Les yeux plantés dans ceux de son amie, il ne perd rien de son récit, la mâchoire serrée il retient tout, il sait qu'il n'oubliera jamais ce moment. Il a envie de hurler, de courir, de tout détruire, de se transformer, de foncer et de le déchiqueter. Non il n'est plus triste. Il tombe de haut, de si haut. Et il a mal… mal comme jamais il n'aurait imaginé. Il se répète que ce n'est pas vrai, que c'est impossible. Peter ne peut pas être mort de la main de Sirius. Mais au fond, il intègre déjà la douloureuse vérité. Sirius n'est pas un lâche qui a eu peur. Sirius est un traître. Pire que ça, Sirius est un mage noir, un Mangemort, l'un des leurs. Tout ce qu'ils haïssent et contre lequel ils ont juré de lutter. C'est un meurtrier. James et Lily il les a vendus, les a abandonnés, peut-être par confort, par conviction ou par facilité, mais Peter… son pauvre Peter… il l'a tué de sang-froid. Remus a envie de vomir, de mourir. Son petit Peter… Il l'a regardé droit dans les yeux, il a contemplé son visage et l'a pulvérisé, avec des dizaines d'autres innocents. Il ne sait même plus comment décrire sa souffrance. Il a l'impression qu'on vient d'arracher des morceaux de son cœur et qu'on le piétine, qu'on le détruit consciencieusement. Ce sont les dix plus belles années de sa vie qui s'effondrent brusquement, qui n'ont plus aucun sens. Les Maraudeurs n'existent plus et le voilà seul avec sa douleur et son incompréhension. Il ne sent même pas capable de réfléchir, il est comme assommé. Le choc est trop grand, il ne peut accepter cette vérité. Il veut oublier Sirius et Peter. Il resserre brutalement sa prise sur la main de James. Il ne peut pas, c'est au-dessus de ses forces, il ne peut pas traverser cela tout seul. Il a besoin de James, son ami arrive à surmonter toutes les épreuves, toutes les trahisons, avec Lily ils réussissent toujours à faire sortir le meilleur de tout le monde. C'est si dur, pourquoi est-ce que cette main si froide ne répond pas à son étreinte ? Il préfère quand même rester à leurs côtés. Aussi terrible et douloureuse qu'elle soit, et Merlin qu'elle l'était, la nouvelle de leur mort était tellement plus simple à accepter. Gabrielle l'interrompt.

« Remus tu devrais y aller. Georges t'attend dans le couloir. »

Georges, le fameux Auror. Remus panique soudainement. Est-ce qu'on va lui demander maintenant d'aller voir Sirius, de le reconnaître lui aussi… comment pourrait-il alors qu'il ne l'a finalement jamais connu, qu'il a sûrement côtoyé un masque, une horrible façade, un mensonge révoltant ? Et Peter, lui demandera-t-on de voir la seule chose qui reste de son ami ? Il ne veut pas, tout son être refuse ! Voir les corps de James et Lily était difficile, mais il en avait besoin, mais ça non, c'est au-dessus de ses forces. Il ne veut pas voir, il n'aurait même pas voulu savoir.

Il proteste, commence à paniquer. Il voudrait s'enfuir très loin d'ici, se blottir dans un trou et tout oublier.

Gabrielle le rassure. Il doit juste signer quelques papiers pour témoigner qu'il s'agit bien de James et Lily. Ce n'est pas vraiment une bonne nouvelle. Il y a quelques minutes cela lui aurait paru insurmontable. Maintenant il est presque soulagé. James et Lily sont si paisibles, si beaux encore. Ils ne se sont pas entretués, eux. Sa nausée est de plus en plus forte.

Il retourne jusqu'à l'accueil, appose sa signature sans vraiment voir ce qu'il fait quand soudain un titre attire son regard, le piquant en plein cœur une nouvelle fois. « Organisation des funérailles ».

Il n'avait pas pensé à ça.

Ils ne peuvent pas rester ici éternellement, il va falloir les enterrer, leur dire adieu une nouvelle fois, définitivement. Il ne voit pas vraiment qui d'autre que lui pourrait le faire. Leurs parents sont morts. Bien sûr, il y a toujours Pétunia mais elle ne s'intéressait pas à sa sœur de son vivant, il ne voit pas pourquoi cela changerait à sa mort. Il y a tout de même une petite voix au fond de lui qui lui chuchote que Sirius avait regretté de ne pouvoir aller à l'enterrement de Regulus et qu'il aurait dit qu'il fallait inviter Pétunia, qu'elle voudrait peut-être dire adieu à sa sœur. Il refuse complètement d'écouter cette voix. Pour être honnête, il n'a pas du tout envie de penser à ce qu'aurait voulu faire Sirius. Il ne voudrait même pas penser à son ami… ami… Il voudrait oublier que Sirius Black a existé.

En attendant, il est le seul être proche de James et Lily qui leur reste. Le seul à pouvoir leur organiser ce dernier adieu. Est-il le seul à les pleurer ? Il remplit lentement les derniers papiers et s'en va enfin. Il réapparait à nouveau dans Godric's Hollow. Cette fois il ne va pas vers leur maison. Il sait bien qu'il devra y retourner, trier leurs affaires… effacer les signes de leur existence dans le monde. Il ne s'en sent pas encore la force.

Il a transplané dans le cimetière. Le soleil éclaire doucement les pierres et les croix, une brise légère agite doucement les fleurs sur les tombes, quelques oiseaux chantent même au loin. Tout est si calme, si paisible. Il n'y a que le cœur de Remus qui tambourine à toute allure. Il s'avance lentement à travers les allées. Son regard erre, se pose doucement sur les bouquets, sur les tombes, sur les mots gravés dans la pierre. Chaque pas semble lui marteler qu'il lui faudra écrire le nom de ses amis dans la roche, leurs dates de naissance, celle de leur mort. Il lui faudra choisir une épitaphe. Une simple phrase pour résumer vingt ans de bonheur. Il ferme les yeux pour retenir les larmes qui tentent de s'enfuir. C'est si injuste. Vingt ans à peine… et leurs vies s'éteignaient ainsi. Hier, ils étaient les rois du monde il semblait que rien ne les atteindrait jamais et aujourd'hui… Remus frissonne de la tête au pied.

Il n'avait jamais été très à l'aise avec la mort. Il avait eu vraiment eu peur de mourir enfant, la nuit où Greyback l'avait attaqué. De cette expérience, il avait gardé une frayeur terrible de tout ce qui se rapportait à la mort, même si au fond de lui, il avait souvent pensé que finalement mourir aurait sûrement été un sort préférable à sa condition, se demandant parfois s'il ne valait pas mieux abandonner. Il n'avait jamais avoué ses pensées morbides à ses parents pour ne pas les attrister, mais elles étaient là pourtant, le hantant sournoisement, jusqu'à sa rencontre avec les Maraudeurs. Mais même après cela, la mort restait un sujet tabou pour lui… Il avait bien trop conscience de pouvoir la donner à n'importe qui s'il dérapait ou relâchait son attention. Les quatre amis en parlaient peu finalement. Peter et James n'étaient pas très à l'aise non plus. Peter en était terrorisé et le cœur de Remus se serrait atrocement en y repensant. Son pauvre ami avait dû puiser jusqu'à la dernière goutte de son courage et dans toute sa rage pour se lancer à la poursuite de Sirius. Pour James c'était une autre forme de peur. Il avait beau être très insouciant, il n'en était pas inconscient pour autant. C'était pour cela qu'il avait finalement eu des doutes sur le fait de devenir des Animagi, qu'il avait longuement réfléchi avant de rejoindre l'Ordre. Bien sûr, dans le contexte actuel, la mort s'était imposée à eux, en emportant les parents de James d'abord et avec eux une partie de leur enfance. Et puis en fauchant tant d'innocents, certains de leurs proches, collègues ou amis et en planant autour d'eux dangereusement. Même eux, les fameux Maraudeurs, semblant imperturbables et insensibles à tout danger avait appris la prudence et la peur. Enfin pas vraiment tous les Maraudeurs…

Encore une fois le seul parfaitement inconscient avait été Sirius. Il s'était toujours comporté comme s'il se riait de tout danger et encore plus particulièrement de la mort. Il revenait de missions où il l'avait frôlé les yeux brillants, les cheveux à peine décoiffés et un sourire insolent au coin des lèvres. Il se jouait de tout, même de la vie… Même de celle des autres apparemment…

Remus serre douloureusement les poings en même temps qu'il ferme les yeux, espérant faire disparaître le monde, ses larmes et peut-être atténuer sa douleur… Sirius… il en revient toujours à lui… Remus en est absolument sûr, celui qu'il a cru être son ami n'avait pas peur de mourir… il s'était même souvent demandé s'il ne l'espérait pas secrètement. Comment expliquer sa trahison alors ? Peter aurait pu trahir par peur… James si sa trahison était le seul moyen de sauver Lily et Harry de la mort… Quant à lui… il aurait sûrement pu y arriver par désespoir… Mais Sirius… le jeune homme n'était absolument pas de ceux à qui l'ont faisait courber l'échine par peur ou chantage… encore moins de ceux qui ne voyaient plus aucune issue… Non si Sirius avait trahi c'était par conviction… Parce qu'il y croyait, qu'il adhérait à toutes les horreurs de Voldemort, qu'il voulait défendre sa cause. Et cette idée remuait horriblement les entrailles de Remus, le sciait de douleur, lui broyait la poitrine. Sirius était celui qui leur avait ouvert les yeux sur la réalité des Mangemorts, sur les horreurs de la guerre qui se préparait. Sans lui, ils n'auraient sûrement jamais rejoint l'Ordre… Et pourtant aujourd'hui Remus se retrouvait seul dans ce cimetière, les yeux secs d'avoir trop pleuré, le cœur au bord des lèvres et avec une douleur qui lui tordait les entrailles, comme jamais il n'avait eu mal… Tout ça parce que Sirius les avait trompés… sur toute la ligne.

Sans s'en rendre compte, Remus s'est arrêté de marcher depuis plusieurs minutes, il est devant la tombe de parfait inconnus. Des noms gravés dans la roche, deux dates reliées par un frêle trait, une phrase insignifiante. C'est tout. Tout ce qu'il reste comme trace de leur passage sur la terre. Etaient-ils généreux, drôles, égoïstes, intelligents ou mesquins ? Personne n'en dit rien. Il n'y a que le silence de la pierre, rien pour répondre. Et juste un stupide trait entre deux dates. Une naissance et une mort…tout le monde vivait la même chose. Remus se fichait bien de ces deux dates. Ce qui lui importait c'était la vie qui se cachait derrière ce trait. Il n'aurait jamais la force de faire ça pour James et Lily, il ne le voulait pas. Il n'avait pas envie qu'on retienne leur mort, que les gens se contentent en passant de calculer leurs âges et de s'attrister qu'ils soient morts si jeunes sans rien connaître d'autre d'eux. Il voulait que tout le monde sache la date de leur rencontre, le jour où James avait attrapé le vif d'or pour la première fois, celui où Lily était devenue leur amie, la date de leurs premières vacances chez les Potter, chacune de leurs pleines lunes ensemble, l'achat de leur maison, le premier repas du dimanche chez eux… Il avait envie de hurler au monde que ses amis étaient les plus belles personnes que la terre ait portées et qu'ils n'auraient jamais dû partir, que c'était injuste. Le silence du cimetière devenait étouffant. Il n'a pas sa place ici, il a du mal à respirer, il ne veut plus voir de tombes. Le loup-garou transplane à nouveau.

O

Remus pousse enfin la porte de son appartement. Il voit qu'Alice et Franck Londubat lui ont envoyé un mot. C'est vrai qu'il a toujours les membres de l'Ordre avec lui. Il se sent tout de même si seul. Il a tellement froid. Il ne veut pas qu'on vienne le soutenir, qu'on compatisse à sa peine. Il veut juste les Maraudeurs. Il n'a besoin que d'eux.

Il voit également qu'il a reçu la Gazette du Sorcier. Il regrette immédiatement de l'avoir regardée. Pendant quelques secondes il ne peut détacher son regard de la couverture, avant de partir vomir dans ses toilettes. Encore lui qui le hante… Cette photo de Sirius en première page… il aurait voulu ne jamais la voir. Ce rire, il veut déjà l'oublier, ce rire horrible, fou, dénaturé… si loin de l'aboiement joyeux de son am… du Sirius qu'il a cru connaître. Et encore s'il n'y avait que le rire… mais il a vu son regard.

Une fois en première année, les Maraudeurs avaient enfermé Sirius dans un placard pour plaisanter. Ils ne savaient pas à l'époque que leur ami était claustrophobe, ils voulaient juste lui faire une blague. Orgueilleux comme il était, Sirius n'avait absolument rien dit, il n'avait pas protesté, il avait juste attendu en silence qu'ils viennent lui ouvrir… c'était d'ailleurs ce qui leur avait fait comprendre que quelque chose n'allait pas, qu'il ne râle même pas. Toujours est-il que quand ils l'avaient libéré Sirius se tenait très droit, le visage fermé ne montrant aucune émotion mais ses beaux yeux gris étaient devenus noirs.

Deux petits orbes sombres et luisants, inquiétants. Remus s'était dit qu'il avait déjà vu ce regard une fois, alors qu'il était petit et qu'il se promenait en forêt avec son père. Ils avaient croisé un renard pris dans un piège. Il avait exactement les mêmes yeux, ceux d'une bête sauvage, blessée, prête à mordre.

C'était ce même regard qu'il voyait sur la photo… mais en mille fois pire. Deux yeux noirs, insoutenables. Une bête, un monstre. Un fou.

C'était vraiment cet homme, ce psychopathe-là, qu'il avait côtoyé pendant dix ans ? Côtoyé, le mot était faible… qui avait grandi, appris à ses côtés ? Les batailles d'oreillers, les rires, les confidences, les larmes, les sourires éclatants, les idées folles… ils ne les avaient tout de même pas rêvées ! Était-ce vraiment la même personne qui les yeux brillants, plantés dans les siens lui avait juré qu'il trouverait un moyen de l'aider à supporter les pleines lunes… avant, quelques années plus tard, de lui aboyer joyeusement « je te l'avais bien dit » et de lui lécher tout le visage ?

Ce Sirius-là l'avait-il complètement imaginé, avait-il menti, triché, pendant tout ce temps ? Ou bien s'était-il lentement laissé noircir, empoisonner par sa famille ?

Était-ce vraiment ainsi que se finissait ces dix années de bonheur et d'insouciance ? Dans la trahison, le meurtre et un rire dément ?

Remus tremble de tout son corps, sa gorge est nouée, il lui semble qu'il manque d'air. Il commence à tourner chez lui comme un animal en cage, il ouvre en grand l'unique fenêtre, ne respire pas mieux, il serre les poings à s'en rentrer les ongles dans la peau. Il espérait que la douleur dans sa main le distrairait de celle de son cœur. En vain. Lorsqu'il sent finalement une goutte de sang commencer à couler il relâche légèrement la tension dans son bras. En attrapant un mouchoir dans sa poche il sent la photo qu'il a prise chez James et Lily ce matin. Il lui semble qu'elle le brûle maintenant. Il la plaque rageusement sur la table. Son regard se pose enfin sur les murs décrépis, sales, remplis par les photos des Maraudeurs. Il se met frénétiquement à toutes les arracher et à les jeter au sol. Il ne se rend pas compte des cris qu'il pousse en le faisant. Ce bonheur lui brûle les yeux, le rend malade. Ce bonheur il a dû l'inventer, il n'aurait pas dû exister. Les Maraudeurs sont un mensonge, une gigantesque farce… juste une illusion. La pire désillusion. Il voudrait déchiqueter chacune des preuves de cette jeunesse insouciante. Il arrive à la dernière photo du mur. Ils l'avaient prise une semaine après leur rentrée de première année. La mère de James voulait savoir à quoi ressemblaient ses camarades de dortoir. Un peu gênés au début, ils s'étaient finalement pris au jeu et avaient pris pleins de photos qu'ils avaient envoyé à leurs parents, même Sirius qui s'était fait un malin plaisir de rajouter des commentaires précisant les origines si « dégradantes » de ses amis. Ils sont si jeunes, un peu maladroits, leurs sourires sont légèrement hésitants et gênés, mais l'étincelle se devine déjà dans leurs yeux complices. Remus serre cette photo. Ses mains tremblent tellement. Il finit par tomber à genoux sur le sol, le corps secoué de sanglots. Il appelle ses amis dans des cris déchirants. Il a déjà tant pleuré aujourd'hui, il ne pensait pas qu'il lui restait la moindre larme. Et pourtant, il reste si longtemps roulé en boule par terre, hurlant sa peine dans des sanglots irrépressibles. Il avait pleuré, pleuré à s'en briser la voix, à en avoir les yeux et le corps entier douloureux. Et toujours un immense trou à la place du cœur. La nuit était tombée et un rayon de lune vint lui chatouiller le visage. Plus tôt dans la journée, il se serait effondré en voyant la lune… sa vieille ennemie qui signifie tant de choses pour lui… maintenant il n'en a même plus la force.

Il voudrait juste tout oublier, s'enfoncer sous terre et disparaître. Ne plus avoir mal… ne plus rien ressentir du tout.

Il pensait que rien ne serait plus difficile et douloureux que la seconde où il a appris la nouvelle. Il commence seulement à comprendre à quel point ce n'était rien. Il comprend tout juste qu'il devra vivre toute sa vie avec ce manque, ce vide dans la poitrine. Est-ce qu'on finit par s'habituer à la souffrance ? A oublier ce qu'était la vie avant ? Est-ce qu'un jour il n'aurait plus aussi mal à chaque respiration, à chaque battement de cœur lui rappelant que ceux de ses amis s'étaient tus ?

Comment était-il censé continuer à vivre ?

Un coup à sa porte le fait sursauter. C'est une de ses voisines. Elle l'a entendu hurler à travers les murs si fins. Elle s'inquiète. C'est étrange. Depuis ce matin, il est si perdu, si seul… il avait oublié que le monde existait encore. La vie et le temps avaient donc continué de s'écouler ailleurs. Est-ce que tout le bonheur qui l'avait quitté avait juste rejoint quelqu'un d'autre ?

Après avoir vaguement rassuré sa voisine, comme il le pouvait, Remus se retourne et constate l'état de son appartement. Les dizaines de photos éparpillées sur le sol, les lambeaux de papier peint qu'il a arraché dans sa rage, la vaisselle qu'il n'avait même pas conscience d'avoir brisée. Il devrait ranger mais il ne s'en sent pas la force… Il se moque complètement du désordre, il ne se sent pas chez lui ici, il a toujours eu l'impression d'être un étranger de passage. Il a passé sa journée à bouger, à fuir la réalité, à chercher sa place. Il se dit que sa vie ressemblera à ça maintenant. Errer sans but, sans joie… A quoi bon maintenant ? Une phrase lui revient tout de même… Organisation des funérailles… Il s'est engagé… Il leur doit bien ça, un dernier adieu avant le trou noir, et avec James et Lily, il devra aussi enterrer symboliquement son pauvre Peter, qui aura même été privé de ça. Il se souvient de la mort d'Euphemia et Fleamont, les Maraudeurs avaient aidé James pour les funérailles… Sirius surtout… encore… Et puis il y avait eu Edgar, Dorcas et tant d'autres… Les morts s'étaient multipliés autour d'eux. Oui, Remus savait parfaitement ce qu'il fallait faire pour un enterrement.

Mais il ignorait comment on pouvait trouver la force de se tenir debout et de dire au revoir à ses meilleurs amis, aux meilleures personnes qu'il ne rencontrerait jamais… à ceux qui lui avait sauvé la vie, qui lui avait appris à sourire, à rire…

Non vraiment il ne savait pas comment il pouvait faire cela tout seul… Mais il le devait. Ils se l'étaient promis. Ils savaient très bien en rejoignant l'Ordre que cela risquait d'arriver, qu'ils pouvaient mourir à n'importe quel moment. Alors ils se l'étaient promis. Quoiqu'il arrive, aussi meurtris qu'ils pouvaient l'être, ceux qui restaient devaient continuer à vivre, coûte que coûte. Il devait vivre et essayer d'être heureux pour que le sacrifice ait un sens, que tout n'est pas été vain. Essaie de vivre… leur vieille devise…

Il était un Gryffondor après tout. Il devait bien avoir quelque part en lui le courage de surmonter n'importe quelle épreuve, ce qui ne lui interdisait pas de pleurer toutes les larmes de son corps en tentant de ramasser les morceaux de son être brisé.

En attendant, il lui fallait accomplir la tâche la plus difficile de son existence. Fermer définitivement le chapitre Maraudeurs.

Cette idée lui donnait la nausée.

Remus transplane à nouveau pour se retrouver à Godric's Hollow, devant la maison de ses amis. Ce n'est pas moins difficile que tout à l'heure, il ne s'habituera sûrement jamais à ce serrement de poitrine, mais au moins cette fois, il sait ce qu'il vient chercher. En évitant soigneusement de laisser son regard dériver sur les murs et les souvenirs qu'ils portent, il monte rapidement jusqu'à la chambre de ses amis. Il pousse doucement, presque timidement la porte. Les amis avaient toujours été extrêmement complices et très fusionnels, cette maison c'étaient la leur, à eux cinq, mais la chambre de James et Lily avait toujours été le sanctuaire un peu sacré, le seul endroit où les trois autres ne mettaient jamais les pieds. Bien sûr, ils avaient essayé au moment du déménagement, ils avaient commencé à tester le lit en sautant dessus, pendant que Sirius commentait les produits de beauté sur la coiffeuse. Lily était arrivée au moment où il critiquait sa crème de jour tandis que Remus faisait remarquer que le lit ne grinçait pas du tout. Elle les avait immédiatement mis dehors avec un coup de pied au derrière pour chacun. Aucun des trois garçons n'avait remis les pieds dans la pièce depuis et Remus n'arrivait pas à étouffer le vague sentiment de culpabilité qui montait en lui en cet instant. Il avait l'impression de violer l'intimité de ses amis. Il a l'impression de sentir leur présence à ses côtés tant cette pièce est imprégnée d'eux. On pourrait encore croire qu'ils vont arriver d'un moment à l'autre. Le parfum de Lily flotte encore dans l'air. Le lit est fait, mais un pull de James a été négligemment jeté dessus, une tâche de purée se voit vers le col. Sûrement un accident lors du repas d'Harry. Les murs sont peu décorés, un tableau, une photo des parents de James, une de la famille de Lily et c'est tout. Sur la table de nuit de Lily se trouve le roman qu'elle lisait, vu le marque page il ne lui restait plus que quelques pages… Et deux photos : Lily et Gabrielle, soulevant fièrement la coupe de Quidditch lors de leur dernière année, quand Lily sortait avec James et Gabrielle avec l'attrapeur. Et puis les quatre garçons le jour où James leur avait présenté Harry. Pauvre petit bout… Remus évite d'y penser, essaye d'étouffer la culpabilité qu'il éprouve. Ils avaient tant de projets, tant de plans pour ce petit, et il l'aime tant… Il voudrait tellement le voir grandir. Il se sent affreux de l'abandonner avec Pétunia… Sa vie est une débâcle, comment pourrait-il s'occuper d'un enfant ? Lui apprendre le bonheur alors que le sien s'est définitivement enfui ? Il a l'horrible sentiment de trahir à son tour James et Lily, leur ultime souhait que leur enfant soit élevé par leurs amis… Il ne peut pas, il est obligé de briser cette promesse… Il fait confiance à Dumbledore… après tout, finalement le directeur avait raison depuis le début… Il doit laisser Harry partir. Ils se retrouveront peut-être un jour.

Il se tourne ensuite vers le côté de son ami. Un livre également, un essai sur l'histoire de la Magie Noire que Peter leur avait conseillé et trois photos. Trois photos immobiles dont il ignorait l'existence. Sirius en short, torse nu, couvert de terre, creusant un immense trou à la pelle dans le jardin des Potter, riant aux éclats. Peter, hilare, sur la pointe des pieds, en haut d'une pile de meuble dans le bureau de Rusard, essayant d'attraper la boîte de feux d'artifice posée en haut de l'armoire. Et lui, Remus, couché dans le parc de Poudlard, les yeux fermés prenant un bain de soleil, un sourire doux et paisible sur les lèvres.

Quelques larmes roulent très lentement sur ses joues. Ce sourire paisible est si douloureux à regarder… cette paix sur son visage… Il voudrait tant la retrouver. Et Peter, cela lui transperce le cœur de le voir rire. Il adore cette photo, elle représente si bien le garçon taquin que seul les Maraudeurs connaissaient. Merlin Peter… ce sourire espiègle lui manque déjà tant… Il inspire longuement, tente d'ignorer l'image de Sirius qu'il voudrait réduire en miettes, il n'est pas là pour ça. Plus tard il faudra faire le tri dans les affaires de ses amis. Pas maintenant. Il avance petit à petit, il ne peut pas tout gérer en même temps. Pour l'instant, il va se contenter de choisir les tenues de funérailles de ses amis. C'est déjà bien plus que ce que son cœur peut endurer.

Sans prendre le temps d'essuyer les larmes qui ont maintenant rejoint la commissure de ses lèvres, il ouvre la penderie d'un geste décidé. Il ne peut pas se défiler. Une bouffée de parfum l'accueille. Merlin, que ça faisait mal. La lessive des Potter a toujours senti si bon. Les étreintes de James au retour des vacances sentaient toujours la douceur et les fleurs des champs. Cette odeur a traversé son adolescence, celle qui flottait pendant tous leurs câlins collectifs. Quand ils avaient parlé pour la première fois de la lycanthropie de Remus, après la première lune où ses amis le savaient, quand ils avaient eu l'idée des Animagi, quand ils avaient réussi, leur dernier jour à Poudlard avant de quitter à tout jamais leur dortoir… quand ils tombaient dans les bras les uns des autres après chaque dispute… Il inspira longuement. Il devait se concentrer. Ne pas regarder tous les vêtements accrochés, sa cravate, son écharpe, son bonnet de Griffondor, sa robe de Quididtch, son pull en laine bordeaux qu'il mettait si souvent. Aller à l'essentiel, ne pas penser aux souvenirs associés à chacun de ces vêtements. Pour James la tâche était facile, il savait exactement quelle tenue il devait prendre.

Le costume de son mariage. Ils étaient allés le choisir tous ensemble, les quatre garçons et Fleamont. Le futur marié avait mis un temps fou à se décider, il voulait que tout soit parfait et avait si peur que Lily soit déçue. Sirius n'avait pas aidé non plus, il avait failli être renvoyé par les couturières tant il les avait énervées scrutant le moindre détail, la qualité du tissu, chaque couture, les emmanchures, le tombé. Fleamont n'avait presque rien dit mais il avait les yeux brillants de larmes de joie, Peter était complètement perdu, changeant d'avis toutes les trente secondes, disant oui à tout même à un costume hideux violet et vert. Quant à lui, Remus, un immense sourire sur le visage, il s'était contenté de profiter du spectacle. Un seul costume avait finalement fait l'unanimité, à raison tant il était parfait, sobre et élégant, soulignant discrètement la silhouette athlétique de Poursuiveur de son ami, il était splendide dedans. James avait toujours été splendide de toute façon… Même la mort n'avait pas réussi à le priver de sa beauté… Injustement fauché dans l'éclat de sa jeunesse… Une nouvelle inspiration et des ongles qui s'enfoncent dans la peu, un peu de sang qui coule sans même s'en rendre compte…

Rester concentré… Il ne pouvait pas se permettre de se laisser aller à nouveau… Il y avait tant à faire encore. Remus ferme les yeux, retenant à grande peine les larmes qui pointent à nouveau, une grande expiration et il se tourne vers le côté de Lily. En tentant d'ignorer la boule dans sa gorge qui grandit et menace de l'étouffer, le jeune homme parcourt les chemisiers, les pulls, les robes, il essaye de ne pas penser à son amie, si jolie, si rayonnante dans chacune de ses tenues. Lily… leur tigresse, si douce et si forte en même temps… Toujours si belle, si charismatique, même quand elle était en pyjama, les cheveux emmêlés, avec des cernes immenses sous les yeux parce qu'Harry avait pleuré toute la nuit… Il continue de fouiller la penderie, sourd au tambourinement de son cœur, jusqu'à cette belle robe droite vert émeraude, la première robe que James lui avait offerte. Il se tourne maintenant vers sa coiffeuse, si bien rangée. Seuls quelques bijoux éparpillés et un pot encore ouvert montrent que son mari l'avait sûrement appelée pour une urgence avec Harry. Il ouvre quelques tiroirs pour trouver ce qu'il cherche, le collier de perles qu'elle portait à son mariage et les boucles d'oreilles assorties.

Le cœur serré il s'autorise enfin à regarder son reflet dans le miroir. Il fait peur. Le visage maigre, le teint encore plus pâle que d'habitude, les traits altérés par la douleur, les yeux rougis et gonflés, les joues creusées par les sillons des larmes. Il se fait peur, mais en même temps il a dû mal à détacher ses yeux. Il ne sait pas ce qu'il cherche dans ce reflet, peut-être la promesse qu'il se relèvera un jour… Son regard est finalement attiré par des post-it que Lily a accroché sur les côtés de son miroir. Trois phrases soigneusement retranscrites de sa belle écriture, qu'il attrape une par une.

« Cherche à transformer la nuit en soufflant sur ces petites braises, capables d'éclairer et de réchauffer notre vallée de larmes. »

Remus laisse échapper un faible rire désabusé qui se finit en sanglot. Cette phrase ressemble tant à Lily, son amie avait certes un caractère très affirmée, mais elle était toujours portée à voir la moindre trace de bonté en quiconque et à tout faire pour le faire fleurir. Après tout, n'avait-elle pas été amie pendant des années avec Rogue ? C'était pour cela qu'elle avait rejoint l'Ordre… pour tenter avec ses petits moyens, à sa petite échelle d'éclairer la nuit… Merlin, qu'il avait besoin de sa lumière !

« Rien ne résiste à l'assaut du rire. »

La citation était suivie d'un petit cœur et d'une petite note : c'est tout toi mon chou. Le cœur de Remus se contracte brusquement en même temps que toutes ses entrailles. Il n'y avait qu'une seule personne que Lily appelait mon chou… et ce n'était pas James. Le cœur au bord des lèvres et le sang cognant à ses tempes il retourne lentement le post-it. Plusieurs phrases sont griffonnées et il reconnaît immédiatement l'écriture élégante de Sirius.

« On se fiche du sang. Tu es de ma famille, bien plus qu'ils ne l'ont jamais été. Nous savons tous les deux ce que nous sommes en train de perdre, de mon côté mon choix est fait depuis longtemps et je les laisse sans un regret. J'y gagne la meilleure sœur et j'espère pouvoir devenir ton grand frère. Je te choisis ma biche, et je ne te laisserais pas tomber. Tu m'avais donné ce mot il y a longtemps, il est temps que je te le rende. Oublie-la Lily ! et fais-nous entendre à nouveau ton précieux rire. Je t'aime mon chou ! »

Remus ne pleure même pas. Son cœur martèle sa poitrine et fait flamber sa haine. Il roule le mot en boule et le jette à l'autre bout de la pièce sans pouvoir retenir un cri. Quand les mensonges avaient-ils commencé ? A quel moment Sirius avait-il continué à leur parler d'amitié, de famille sans en croire un seul mot ? Tout en préparant sa trahison ? Car tout ne pouvait pas être faux non ? Tout cela semblait bien trop sincère, faisait bien trop écho en lui. Mais est-ce qu'une solution était vraiment mieux que l'autre ? Qu'est-ce qui était le pire : qu'il leur ait mentis toute sa vie ou que malgré tout ce qu'ils avaient vécu, malgré leur amitié il puisse les trahir ainsi ? Rien ne pouvait expliquer ses actes. Il voudrait tellement arrêter de se torturer avec cette question. Comment Sirius avait-il pu les trahir ?

Une petite voix qu'il essayait désespérément de faire taire lui chuchotait tout de même que ce n'était pas la première fois que Sirius leur avait déjà prouvé qu'il pouvait être capable du pire… Il y avait bien eu l'histoire du Saule Cogneur et la part sombre de l'adolescent qui leur avait été soudainement projetée en pleine face… Mais ils s'en étaient relevés, ils étaient revenus plus forts… Ils avaient cru que c'était sa famille, sa colère, les provocations qu'il ne supportait plus… que c'était son appel à l'aide… Ils avaient tellement cru que tout c'était arrangé, qu'il allait mieux après sa fugue, depuis qu'il vivait chez la famille Potter… La famille… Peut-être était-ce cela la clé, peut-être que le premier mensonge se cachait là… La famille qu'il laissait de côté… Sans un regret… C'était faux bien sûr… Sirius avait toujours été pleins de regrets concernant sa famille. Il les avait enfouis des années, les laissant exploser à la mort de son frère puis de son père. A la mort de Regulus, seule Lily lui avait parlé et le jeune homme n'avait jamais voulu évoquer le sujet avec les Maraudeurs mais tous avaient remarqué à quel point il s'était renfermé et assombri. Deux mois plus tard environ, ils étaient à ses côtés quand il avait reçu la lettre lui annonçant la mort de son père. Remus s'en souvenait encore si bien. Il avait blanchi instantanément, avait éclaté d'un rire faux, amer avant de jeter rageusement la lettre au feu. Il s'était ensuite tourné vers ses amis, des larmes commençant à rouler sur ses joues.

« Mon père est mort. »

Sa voix était froide mais il ne parvenait pas à en cacher le léger tremblement. James avait bondi de sa chaise, avait fait face au jeune homme en l'attrapant par les épaules et ils s'étaient longtemps fixés, les yeux dans les yeux.

« Doucement mon vieux, calme-toi. Il ne mérite pas tes larmes. Tu ne lui dois rien. Tu n'as aucune raison d'être triste. »

Sirius s'était dégagé rapidement avant d'arpenter rageusement la pièce.

« Tu ne comprends pas, vous ne comprenez pas ! Je ne suis qu'un abruti encore une fois. Sa mort je m'en fiche, les marques de ses phalanges sur ma peau, ses discours absurdes, ses insultes… rien ne me manquera… Mais quand même… c'est mon père… La dernière chose qu'il m'aura dite c'est que je n'aurais jamais dû naître, que j'étais sa plus grande erreur… Je ne devrais pas… mais ça me ronge… presque tous les jours… Bordel, ça tourne en boucle dans ma tête… Je suis quoi moi ? Des regrets, des déceptions ? Mon existence entière est une erreur pour mes propres parents.

- Sirius… ce n'est pas vrai ! On te l'a déjà dit et on te le répètera tous les jours s'il le faut, leur avis d'arriérés on s'en moque, tu es une bonne personne et heureusement que tu es là avec nous ! »

Pour une fois c'était Peter qui avait pris la parole, James étant bien trop bouleversé et Remus complètement désemparé. Sirius l'avait regardé avec reconnaissance mais les larmes coulaient toujours à flots sur ses joues. Il avait fini par quitter la pièce, murmurant juste avant de partir.

« Merci, mais je crois que vous ne pouvez pas comprendre… J'espérais juste qu'un jour mon père réaliserait son erreur, qu'il se rendrait compte qu'on peut m'aimer. »

Remus n'avait jamais oublié cette conversation, notamment parce que c'était la seule et unique fois où Sirius avait avoué devant Peter et lui les violences dont il avait été victime. Il n'avait pas oublié mais ils n'en avaient jamais reparlé non plus. Remus s'était dit qu'il suffisait d'être là pour son ami, de lui montrer qu'eux l'aimait pour ce qu'il était… Visiblement ça n'avait pas été suffisant… Parce qu'apparemment cette idée avait grandi, l'avait rongé de plus en plus, jusqu'à le dévorer. Avait-il fini par penser que l'amour de sa mère était plus important que tout… Et tout piétiner était-ce le seul moyen qu'il avait trouvé pour le gagner ? Remus pousse un nouveau cri de rage. Il ne veut pas penser à ça maintenant. Pourquoi est-ce que tout le ramène tout le temps à Sirius ?! Il veut l'oublier, l'effacer, le rayer de son existence… Peut-être aurait-il dû le faire il y a quatre, après cette horrible blague… Il n'aurait jamais dû lui pardonner… Quelques nouvelles larmes rageuses s'échappent… Il ne veut pas comprendre, ni le haïr… Il veut juste oublier… arrêter d'y penser sans cesse… et supprimer tous ces regrets qui l'étouffent et pèsent sur sa poitrine. Il attrape le dernier post-it.

« Le dernier ennemi qui sera détruit, c'est la mort. »

Les jambes tremblantes et le souffle coupé, il s'assoit et la tête entre ses mains il ne retient plus ses sanglots. Cette phrase… il pense savoir où Lily l'a lue… elle lui rappelle douloureusement une conversation qu'ils avaient eu il y a quelques mois. C'était juste après l'enterrement de Dorcas. Tout le monde dans l'Ordre en avait été très choqué, tué par la main même de Voldemort… ils en étaient tous ébranlés. Lily avait beaucoup pleuré, serrée aux côtés de James. Sirius n'avait pas dit un mot, il était resté très droit toute la cérémonie, le visage sombre et indéchiffrable. Peter n'était pas là, il était en mission, il n'avait appris la nouvelle qu'à son retour. Il en avait été bouleversé, comme tout le monde. Juste après la mise en terre, ils étaient rentrés à Godric's Hollow. Ils avaient mangé un maigre repas, du bout des lèvres. Sirius et James avaient ensuite filé coucher Harry, ils se voyaient peu ces derniers temps, alors ils profitaient de chaque occasion pour se retrouver et se lancer dans leurs discussions incompréhensibles dont ils avaient le secret. Remus et Lily s'étaient retrouvés seuls dans le salon, profitant du silence du soir. La jeune mère s'était pelotonnée sur le divan, enveloppée dans un plaid. C'était elle qui avait pris la parole en premier.

« Ça me fait peur tu sais Remus… De mourir… »

Le jeune homme s'était levé et était venu s'asseoir à côté d'elle, avant de la prendre dans ses bras.

« Moi aussi… ça me terrifie… C'est normal je crois… Tu sais avec… mon petit problème de fourrure, je me suis souvent battu avec la vie, je lui en ai voulue souvent… mais je n'ai jamais vraiment cessé de vouloir vivre. Surtout depuis ma rencontre avec les Maraudeurs, avec toi. J'ai goûté au bonheur… je n'ai pas vraiment envie que ça s'arrête.

– Moi non plus, Harry, James… on a tant de choses à vivre… Et puis, j'ai pleins de choses que je voudrais faire, apprendre à tricoter, visiter la France, me réconcilier avec Pétunia, avoir un chien (autre que Sirius), passer des vacances à l'océan… Si je dois mourir bientôt, j'enrage de rester coincée ici, même si j'essaye de prendre les choses avec philosophie parce que James est déjà bien assez énervé pour nous deux… Mais il y a bien plus que ça… Remus, j'ai vraiment peur. J'ai peur… d'après… »

Un silence suivit, Remus la serrait toujours contre lui, lui caressant doucement le bras pour l'encourager à continuer.

« On ne parle jamais de l'après chez les sorciers… c'est curieux pourtant, on côtoie tout le temps l'extraordinaire, on a même des fantômes… ça doit bien être la preuve qu'il y a quelque chose, non ?

– Je ne sais pas Lily… j'évite d'y réfléchir, ça m'angoisse trop… Ma mère est croyante pourtant, je la vois souvent prier, lire des textes… On n'en a presque jamais parlé pourtant… Je sais que la découverte de la sorcellerie et ma lycanthropie l'ont énormément perturbée, mais que pourtant elle n'a jamais cessé de croire. Moi vraiment, je ne sais pas…

- Moi non plus… Je me pose beaucoup de questions quand même… Mes parents, ils ne croyaient pas vraiment, enfin seulement quand ça les arrangeait. Avec Pétunia ils nous en ont très peu parlé. Moi, ça me fait peur… J'aimerais que ça ne soit pas la fin, j'aimerais une autre vie, un autre monde où nous serions en paix, où je pourrais juste être aux côtés de James et regarder Harry grandir.

- Egoïstement, moi je voudrais juste que ça ne s'arrête jamais, que l'on continue à avancer ensemble, jusqu'à ce qu'on se retrouve tous, dans la section sénile de l'hôpital Sainte Mangouste à regarder James et Sirius faire des courses de fauteuils roulants. »

Lily eut un petit rire, et ils restèrent juste l'un à côté de l'autre en silence un long moment, jusqu'à ce que la jeune femme reprenne la parole.

« C'est ça qui est bête Remus.

– Quoi ?

– Cette peur… La vie est bien, c'est sûr et ce serait dur que tout s'arrête aussi vite… Mais en même temps, je suis heureuse… et si ça devait s'arrêter demain, au moins j'aurais eu cette chance… D'avoir connu le bonheur. »

Encore une fois, le loup-garou n'avait rien dit, il était trop ému et trop absorbé par le cheminement de pensée qui naissait chez son amie.

« Peut-être que c'est ça le vrai objectif Remus, vivre de sorte à ne plus avoir peur de mourir, parce qu'on a vécu. »

Remus avait déposé un baiser sur le haut de son crâne et ils étaient restés paisiblement enveloppés sous la couverture jusqu'à ce que leurs amis les rejoignent. Impossible de savoir ce qu'ils s'étaient raconté, Sirius avait un léger sourire indéchiffrable sur le visage et les yeux de James étaient légèrement rougis. Pour une fois c'est Remus qui brisa le silence.

« Sirius, Lily m'a avouée qu'elle veut te remplacer par un chihuahua comme chien de garde de cette maison ! »

Le jeune homme s'offusqua bruyamment tandis que la rousse éclatait de rire et la soirée se finit joyeusement.

Lily et lui n'avaient plus jamais reparlé de cette discussion, pas vraiment d'occasion avec l'enchaînement des missions, pas vraiment l'envie, leurs retrouvailles se faisaient de plus en rares et ils évitaient les sujets tristes… Et un peu de lâcheté de la part de Remus… Il évitait de parler de la mort avec ses amis… Il avait peur à l'époque qu'à force d'en parler, elle finisse par leur tomber dessus comme s'ils l'avaient invoquée.

S'il avait su…

Aujourd'hui Remus regrettait d'être resté aussi silencieux face à Lily, il aurait dû lui dire à quel point il admirait son courage. S'arrêtant de sangloter, Remus regarde le post it qu'il a posé en face de lui sur la coiffeuse. Cette phrase, il sait qu'elle vient de la Bible, il a suffisamment entendu sa mère la citer pour en reconnaître le style. Il ignore complètement ce qu'elle signifie pour un croyant. Mais ici, au milieu des affaires de son amie, il sait exactement ce qu'elle veut dire. Elle prouve tout le courage dont les Potter ont toujours fait preuve et leur acharnement à toujours tirer le meilleur de la vie pour pouvoir partir sans un regret.

Il se relève et passe une main dans ses cheveux. Il se sent épuisé, vidé de ses forces. L'étape suivante est de passer aux services funéraire de Sainte-Mangouste, mais il fait encore nuit, tout doit être fermé. Il a soudainement envie de dormir, de peut-être trouver l'oubli pour une paire d'heure dans le sommeil. Honnêtement, après une telle journée il n'a plus la force de lutter. Il se lève difficilement, attrape le pull de James qui traîne et s'effondre sur le lit. Il ne veut pas aller dans la chambre d'amis… trop de souvenirs avec Sirius et Peter là-bas… Il n'a même plus la force de pleurer, serrant simplement le pull, enveloppé de l'odeur de ses amis qui flotte encore dans l'air. Il s'endort sans s'en rendre compte.

Il se réveille en sursaut.

Il ne sait pas où il est… il a peur, il est en sueur. Il a mal au cœur sans savoir pourquoi. Il vient de rêver qu'il se faisait dévorer vivant par Sirius, ça n'a pas de sens… Sirius ne ferait jamais ça…

Et puis en une seconde, il se souvient. Et tout revient d'un coup, la douleur, l'incompréhension, la panique, l'horreur. Encore une fois sa respiration se fait plus saccadée, il se sent étouffer. Il va à la salle de bain se passer de l'eau sur le visage, maigre tentative de retrouver ses esprits. L'eau froide lui fait tout de même du bien. Il se fixe une nouvelle fois dans le miroir. Il se rappelle sa promesse de la veille, être fort pour eux. Pour Lily, pour James et pour Peter.

Sa gorge asséchée et sa tête lourde lui rappelle toutes les larmes versées la veille et les cris qu'il a poussés. Il descend dans la cuisine et boit difficilement un verre d'eau, son ventre et sa gorge noués n'acceptent rien de plus pour l'instant. Avec un soupir las, il repose le verre, il sait l'étape d'après, Sainte-Mangouste. Il récupère les affaires et part une nouvelle fois de la maison. Ça lui fait mal de partir encore une fois, il sent bien qu'il n'aura plus jamais d'endroit où il se sentira bien, qu'il ne voudra plus quitter, qu'il aura hâte de retrouver le soir venu.

o

En arrivant dans le hall, une voix familière l'interpelle. Il se retourne pour être enlacé par une petite silhouette blonde. Gabrielle l'enserre fort, mais son étreinte est si douce et si chaleureuse, il en frissonne. Depuis hier, il est si seul, il a si froid, il réalise avec difficulté qu'il n'est pas le seul à souffrir… Et que le monde ne s'est pas vidé de toute chaleur… Les deux amis se séparent et se font face. Elle est pâle, cernée, les yeux rouges et gonflés, il devine même quelques larmes qu'elle retient. Elle a un petit sourire.

« Merlin Remus, tu as une mine encore plus affreuse que moi… Mon service ne commence que dans une heure, je peux rester un peu avec toi… je peux t'aider ?

– Je…. Sûrement… je viens pour préparer l'enterrement.

- Oh… ils ne sont pas ouverts encore, viens suis moi, on va aller dans la cafétéria… »

En voyant le regard de Remus elle rajoute immédiatement.

« Ecoute, je me doute que tu n'as pas faim… Mais si je ne me trompe pas, tu n'as rien mangé hier, tu ne vas pas tenir longtemps. On doit avancer petit à petit. »

Remus acquiesce lentement et suit son amie. C'était étrange de pouvoir encore penser à ce mot au sujet de quelqu'un qui bougeait face à lui. Il avait toujours été moins proche de Gabrielle qu'il ne l'avait été de Lily, mais ils avaient vécu des bons moments ensemble et même s'ils s'étaient peu vus à la sortie de Poudlard, elle avait souvent aidé l'Ordre avec ses talents en médicomagie. Et puis, il l'appréciait tout simplement et l'avoir à ses côtés en ce moment, ça lui réchauffait le cœur bien plus qu'il ne pensait.

Ils s'attablèrent devant une tasse de café et de chocolat chaud pour Remus et Gabrielle le força à prendre un cookie également, promettant qu'elle le partagerait avec lui. Elle frissonna longuement, serra ses mains autour de sa tasse, laissa une larme s'échapper de ses yeux humides et prit doucement la parole.

« Je ne les ai pas vu depuis le début du mois de juillet… je n'ai même pas fêté l'anniversaire d'Harry. Chaque semaine je me disais qu'il fallait que je trouve un moment pour passer. On s'écrivait avec Lily, on se manquait mais j'ai laissé le temps filer. Les soirs je rentrais de Sainte-Mangouste, je m'effondrais sur mon lit et je me disais que j'étais trop fatiguée, qu'il suffisait d'attendre que ça se calme un peu… qu'on finirait bien par trouver un moment… Elle me manque tellement Remus… Ils me manquent… Je m'en veux tant, je n'aurais pas dû me chercher des excuses, ils auraient dû passer avant tout. Avant ma fatigue, mes courses, mon ménage, mes heures supplémentaires parce qu'on était débordé… Ils étaient bien plus importants que toutes ces futilités… Ça me fait si mal de me dire que je ne les reverrais jamais. Avant quand ils me manquaient, je me disais ce n'est pas grave, on va essayer de trouver un moment pour se voir. Maintenant j'ai juste le cœur qui se serre atrocement… Depuis hier je pense à tous les moments que j'aurais voulu vivre avec eux, tous les projets qu'on avaient… Et puis j'ai peur aussi… j'ai peur de finir par les oublier, d'oublier à quel point notre amitié était précieuse et combien je les aimais… »

Des grosses larmes coulent sur les joues de la jeune femme. Remus ne dit rien, ses yeux restent secs, ils n'ont plus la force de pleurer. Il ne remarque même plus son cœur serré, il se sent si vide. Il attrape la main de Gabrielle et commence à la serrer dans la sienne. Il n'a aucun mot pour la consoler, il peut juste lui offrir sa présence et sa douleur. Elle se laisse faire avant de frémir soudain et de lui ouvrir la main. Les marques d'ongles dans sa chair se voient nettement ainsi que les traces de sang séché. Elle lève les yeux vers lui sans rien dire mais les questions se lisent dans son regard. Remus regarde quelques secondes ses mains avant de se tourner à nouveau vers son amie, il a un très léger haussement d'épaules.

« J'ai si mal depuis hier… Je ne sais même plus, je pense qu'à un moment j'ai essayé de ressentir autre chose, de souffrir pour une autre raison… Tu sais, personne n'a jamais rien compris à notre amitié. Pas même toi, pas même Lily qui commençait à peine à en mesurer l'envergure. Quand nous avons été répartis tous les quatre à Griffondor, personne n'aurait parié sur ce groupe, nous étions si différents : l'enfant unique riche pourri gâté, le Sang-Pur hautain en pleine rébellion contre le monde entier, le petit timide et maladroit et le pauvre miteux n'ayant jamais rencontré d'enfants de son âge… Et pourtant, ça a tout de suite marché, dès le banquet je me suis senti à ma place à côté d'eux… je n'avais jamais ressenti ça nulle part. De l'extérieur, je sais que personne ne comprenait, c'est sûr qu'on formait un groupe bizarre et dérangeant. Personne ne comprenait pourquoi on faisait toutes ces blagues, toutes nos bêtises, nos retenues, les spectacles même, les fois où on s'affichait les uns les autres devant l'école. On savait très bien ce qu'on pensait de nous, des frimeurs, des éléments perturbateurs, les murmures et les critiques on les connaissait. Une amitié pareille faite de rires, de jeux, d'aventures et de bêtises c'est sûr qu'on s'en souvient, qu'on la regrette… Qu'on se dit qu'on aura du mal à retrouver des amis pareils… ça aurait été dur, mais une amitié pareille j'aurais pu m'en relever… Mais tu vois Gabrielle, les Maraudeurs c'était tellement plus que ça… Ce que Poudlard voyait n'était qu'une infime partie de notre amitié… C'est pour ça qu'on se fichait bien de ce que le monde entier pouvait penser, on la connaissait nous la réalité. Parce que les Maraudeurs c'était avant tout les heures de confidences les soirs dans notre dortoir, les doutes, les joies et les peines qu'on partageait, c'était le soutien inconditionnel qu'on s'offrait que ce soit quand James se trouvait trop coiffé ou quand je ne pensais plus avoir la force de me relever. C'étaient tous nos problèmes auxquels on finissait toujours par trouver une solution, quitte à se mettre en danger. C'étaient les disputes terribles où on refusait d'aller se coucher avant d'avoir tout mis à plat et où on finissait par faire une nuit blanche et à inventer des jeux aux règles plus farfelues les unes que les autres. C'étaient des regards complices, des petites attentions que personne ne remarquait, nos manières de toujours veiller les uns sur les autres, de refuser que quiconque puisse nous blesser… Ils m'ont sauvé Gabrielle, ils m'ont sauvé de mes démons, de mes peurs, de ma haine de moi-même. Ils sont venus me chercher au fond du trou et ils se sont battus de toutes leurs forces pour que je retrouve la surface. Je… Ce qu'ils ont fait pour moi… je ne peux même pas te le dire… personne d'autres ne l'aurait fait. Ils se sont mis en danger, ils ont repoussé tant de limites… J'ai toujours pensé que le mot ami n'était pas suffisant pour exprimer ce que nous ressentions les uns pour les autres… Nous étions une famille, un clan… Ils m'ont tellement offert, appris, tant apporté… Tu vois aujourd'hui je ne sais pas comment je peux continuer sans eux. Je ne veux pas abandonner la vie, je n'en ai pas le droit, on s'est promis de toujours continuer… Mais je ne sais pas, je ne sais pas comment je suis censé faire. Sans eux à mes côtés ça me paraît impossible, je n'ai pas de but, pas de lumière. Avec eux à mes côtés, je pouvais tout encaisser, à quatre on était capable de se relever de tout, on en a traversé des épreuves… Mais seul… on ne l'avait jamais envisagé… Et puis s'il n'y avait que ça, s'il n'y avait que des morts, des sacrifices pour la victoire de l'Ordre… J'aurais pu l'accepter, j'aurais pleuré bien sûr, mais j'aurais été si fiers d'eux, j'aurais hurlé leur histoire et leur courage sur les toits. Mais la trahison, les meurtres… J'ai si mal… Je suis perdu, je ne comprends plus rien, et j'ai tant de haine en moi… J'ai si peur de ce que je ferais si Sirius était en face de moi maintenant… On a traversé des moments durs, on savait bien sûr qu'il y avait de la noirceur en lui, qu'il pouvait être dangereux… Et je lui ai déjà tant pardonné, on a rencontré tant d'occasions où j'aurais pu choisir de le bannir de mon existence… On s'est accroché, j'y croyais, j'y croyais tant, de toutes mes forces… J'étais persuadé qu'il était plus fort que ça, plus fort que ses gênes, que ses colères, que ses démons… Aujourd'hui encore, après tant de preuves de ses crimes… Aujourd'hui encore je ne peux pas y croire… Je veux juste le retrouver, me jeter dans ses bras et qu'il me rassure, qu'il me dise que tout cela est faux, que tout le monde s'est trompé, que j'ai eu raison de croire en lui… Et pourtant je le hais Gabrielle, je le hais tellement… J'ai déjà été blessé dans la vie, dès petit même… Mais je n'ai jamais autant détesté quelqu'un et ça me scie de douleur d'éprouver cela pour quelqu'un dont j'ai été si proche avant… Maintenant je voudrais juste qu'il ne soit jamais entré dans ma vie. »

Remus avait commencé par parler doucement et d'une voix douce, il ne retient maintenant plus les larmes qui coulent à flot sur ses joues, à aucun moment il n'a lâché la main de Gabrielle qu'il serre fort. Il a également les yeux fixés sur la jeune femme, sans réellement la voir, son regard est ailleurs, du côté de ses regrets. Elle pleure également sans parler. Elle ne sait pas quoi dire… parce qu'il a raison. Ils ont beau avoir été sept ans dans la même classe, avoir passé des heures ensemble à rire, réviser, s'amuser, ils avaient beau se voir régulièrement, manger ensemble, parler politique… Elle ne savait rien des Maraudeurs, n'avait jamais mesuré l'ampleur du lien qui les liait. Elle a peur devant l'ampleur de sa souffrance mais pour l'instant tout ce qu'elle peut faire, c'est être là. Après une grande inspiration pour se donner du courage, elle reprend à son tour la parole.

« Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Depuis hier, en plus de ma peine, je lutte contre la culpabilité que je n'arrive pas à étouffer. Je ne le lui ai jamais dit mais comme à peu près toutes les filles de l'école, j'ai été terriblement attirée par Sirius pendant une période. Même quand on s'est rapprochés et que l'on est vraiment devenu amis, je me suis toujours sentie plus proche de lui que de vous, j'adorais me chamailler avec lui. On a beaucoup discuté tous les deux, il m'a même embarqué quelques fois dans des tournées improvisées des bars Moldus de Londres. Je n'étais plus amoureuse de lui, mais je l'appréciais énormément. Je me revois à Poudlard, j'étais la première à critiquer les filles qui sortaient avec Rosier ou Avery. J'étais odieuse avec elles. Je ne comprenais pas comment on pouvait prétendre aimer quelqu'un de mauvais comme eux. Et aujourd'hui je me dégoûte, je me dis que je n'ai aucun droit à juger quiconque… J'ai été ami avec un Mangemort… et je n'ai rien vu, rien deviné… Et puis il y a Peter… il a toujours été plus discret que vous tous, il a mis des mois à m'adresser la parole. Pourtant je sais que c'était une belle personne, fidèle, drôle, généreux… Il ne participait pas beaucoup aux conversations de groupe mais certains de ses commentaires sarcastiques m'avaient fait hurler de rire tout comme certaines de ses remarques pleines de bon sens m'ont sidérée. Je m'en veux parce que tout ça je ne le lui ai jamais dit. Je ne lui jamais fait savoir à quel point je le trouvais tout aussi exceptionnel que vous tous. Et puis cette guerre le minait, ces derniers mois je le trouvais vraiment fatigué, déprimé, on l'était tous bien sûr… mais je regrette tellement de ne pas avoir pris plus de temps pour aider mes amis. Ça sert à quoi de sauver des vies ici si je ne suis même pas capable de prendre soin de ceux qui me sont proches ? »

Elle marque une pause avant de reprendre doucement et très hésitante.

« Mon cousin travaille avec Barty Croupton… il est venu me voir hier, il savait que je les connaissais. Ils… Sirius… ils l'ont déjà emmené à Azkaban. Croupton l'a condamné à vie… il n'y aura pas de procès. »

Remus blêmit instantanément. Sirius déjà enfermé à Azkaban. Il a l'impression qu'une tempête a éclaté dans son crâne tant ses sentiments sont mêlés. Colère, pitié, haine, peur. Azkaban, les Détraqueurs, la nuit, le désespoir, l'enfermement. Tout ce que Sirius avait semblé fuir toute sa vie. Il est au milieu des siens maintenant… Azkaban… il se souvient de la fêlure dans les yeux d'Hagrid. Sirius supportait déjà à grand peine une journée de cours à l'intérieur du château. Dans une semaine il sera déjà complètement fou… Remus ne sait pas pourquoi mais cette pensée lui fait atrocement mal. Il devrait s'en réjouir, détester le jeune homme… Pourquoi éprouve-t-il de la pitié ? Après tout ce n'est que justice pour Peter. Il soupire et répond enfin à Gabrielle.

« Croupton a raison. Il ne mérite pas de procès. Je lui suis reconnaissant de nous épargner ça.

- Je… j'aurais cru au contraire que tu aurais souhaité un procès… ne serait-ce que pour comprendre.

- Il n'y a rien à comprendre Gabrielle… Rien ne pourra jamais expliquer ce qu'il a fait. Je préfère encore ne plus jamais l'entendre et l'effacer de mon existence. »

Il a essayé de ne pas prendre un ton trop dur. Il ne veut pas s'énerver contre elle. Il espère aussi qu'elle ne va pas insister pour poursuivre, ses émotions sont bien trop mêlées, bien trop compliquées, il n'a pas envie de les démêler pour l'instant. Ça pique trop. Heureusement elle n'insiste pas. Elle doit aller travailler de toute façon. A nouveau seul, il finit à grand peine sa tasse et mange du bout des lèvres le gâteau. Il souffre à chaque déglutition. Avec lassitude il se remet en route jusqu'au service funéraire. Il se présente, sort les papiers qu'il a signé hier expliquant qu'il vient pour les funérailles de Lily et James Potter. Il espère que le personnel ne lui posera aucune question sur ses amis, il ne veut pas parler avec ces étrangers. Une première personne prend les vêtements qu'il a apporté et s'en va pour préparer les corps. Sa nausée revient. L'employé qui reste lui demande quand est prévu l'enterrement. Remus n'y a pas encore réfléchi… Il n'a aucune raison de faire traîner… De toute façon peu de monde viendra.

« Demain si c'est possible, s'entend-il répondre.

- Demain, mardi 3 novembre, oui c'est réalisable pour nous. »

Les jambes de Remus ne sont pas loin de se dérober sous lui. Il n'avait pas fait attention. Bien sûr, demain est le 3 novembre… Les 23 ans de Sirius… Il lui semble qu'une boucle macabre se ferme. Evidemment tout le ramène encore à son ancien ami. Est-ce qu'il peut vraiment enterrer James et Lily le jour de l'anniversaire de celui qui les a trahis, qui les a tués aussi sûrement que s'il avait jeté le sort ? Il effleure un instant l'idée de décaler et la repousse fermement… Sirius n'est plus rien pour lui, il ne doit pas prendre une seule décision en fonction de lui. Ce sera demain après-midi, c'est tout. Il dresse la liste des personnes à contacter, ils sont peu, presque uniquement des membres de l'Ordre. Ces dernières années ont fait le tri dans leurs connaissances. Le service de l'hôpital s'occupe d'envoyer les hiboux et le voilà seul. Il ne se sent pas à sa place, il voudrait tellement s'enfuir loin d'ici. Il lui semble que c'était hier qu'ils préparaient le mariage… comment peut-il se retrouver maintenant à devoir choisir le bois de leurs cercueils… Est-ce que ça a la moindre importance ? Il se sent étranger à son corps, il feuillette les brochures qu'on lui a donné, complètement absent. Il pensait que tous ces choix à poser le ferait atrocement souffrir mais c'est faux. Il ne ressent rien, il est juste vide. Il choisit machinalement le bois, la pierre tombale, les fleurs – pas de lys, n'importe quoi mais pas de lys, les lys font bien trop mal… Son cœur se remet à battre à toute allure. Il est arrivé à la section des épitaphes. Il se revoit la veille au cimetière. Il a toujours autant de peine à résumer l'existence de ses amis par deux dates et un petit trait pour les unir. La vie est toujours aussi injuste mais il n'y a pas grand-chose qu'il puisse faire. Sans avoir besoin de réfléchir, il inscrit les dates. Veut-il rajouter une phrase ? Il n'y a rien qui pourra venir résumer l'existence de ses amis et l'affection qu'il avait pour eux, alors à quoi bon ? Il repense à cette phrase qu'il a vue chez eux. Le dernier ennemi qui sera vaincu c'est la mort. Il se dit que cette phrase était suffisamment importante pour Lily pour qu'elle choisisse de la lire tous les jours en se préparant. Il sait aussi que beaucoup de gens ne comprendront pas sa signification… mais en même temps il s'en fiche. Cette phrase elle sonne juste, elle leur ressemble. Alors il s'en fiche encore plus de ce que les gens pourront penser. Après tout, comme il disait, les Maraudeurs n'ont jamais été compris et ne se sont jamais soucié de ce que les autres pensaient. Pas de raison que ça change après leur mort. En essayant de maîtriser le tremblement de sa main, il écrit la phrase. Ce n'était pas si difficile finalement… demain sera bien plus dur. Demain vraiment il leur dira adieu.

Il rend tous les papiers à l'employé, règle les derniers détails et retourne dans le hall. Il faudrait maintenant qu'il retourne chez lui. Il a un mot à écrire pour la cérémonie. Un ultime mot d'adieu. L'idée de résumer tout ce qu'ils lui ont apporté en quelques mots le révulse déjà…. Bien sûr personne ne le force mais il sait qu'il leur doit bien ça. Et puis, il lui semble qu'il en a besoin aussi.

Il ne veut pas vraiment rentrer maintenant. Il ne sait ce qui a changé aujourd'hui mais il y a un lieu qu'il a soudainement besoin de visiter. Hier cette idée le révulsait mais maintenant elle est presque devenue un besoin vital. Il y a une porte qu'il doit fermer, mais pour cela il doit affronter la réalité de ses propres yeux. Il sort et marche ainsi presque une heure dans les rues, marcher et l'air frais lui font du bien. Pourtant son cœur bat à toute allure et ses jambes semblent prêtes à s'effondrer.

Il atteint enfin la rue que toutes les fibres de son corps voudraient fuir. Le lieu de l'affrontement de Sirius et Peter.

La chaussée est complètement détruite, comme si le sol n'était plus qu'une immense plaie béante. Une bouche d'égout a dû être touchée car une immense flaque recouvre une partie de la rue et une odeur nauséabonde flotte dans l'air. Des immeubles sont noircis de fumée. Peut-être est-ce parce qu'il connait l'histoire mais Remus a l'impression de sentir la magie noire qui se dégage des lieux, qui semble collée à chaque pierre de la rue. De nombreux ouvriers s'affairent déjà pour réparer les nombreux dégâts.

L'explosion a dû être monumentale.

Ça ne l'étonne pas vraiment, Sirius a toujours été ainsi. De la puissance à l'état brut. Peter n'avait eu aucune chance.

Quelle folie... Il devait le savoir pourtant. Peter n'était pas mauvais, après tout il avait réussi à devenir un Animagus lui aussi ce qui le plaçait parmi les meilleurs sorciers de son temps… mais tout de même, mis à part James, personne de leur année n'avait jamais été de taille à affronter Sirius.

Cela prouvait bien toute la tristesse et le désespoir dans lesquels s'étaient trouvé Peter pour se lancer ainsi à la poursuite du traître. Peter s'était fané ces derniers mois, usé par cette guerre. Remus s'en voulait tellement, il ne peut pas s'empêcher de penser que s'il n'avait pas aussi souvent été en mission ces derniers mois, s'il avait été présent aux côtés de ses amis, peut-être que les choses auraient été différentes… Il aurait dû être à leurs côtés, chassant la tristesse de Peter, devinant la noirceur de Sirius, défendant James et Lily… Bien sûr qu'il n'aurait sûrement rien vu… comme il n'avait rien deviné pendant dix ans… mais au moins il aurait été là… Il n'aurait pas tout découvert d'un coup… Il ne serait pas rentré épuisé chez lui pour découvrir quelques heures plus tard que son monde s'effondrait… Il se serait sûrement fait berner lui aussi, comme eux tous… Mais qu'est-ce qu'il regrettait de ne pas avoir été là… Peut-être au moins, que s'il avait su que son ami était présent, Peter n'aurait pas été désespéré au point de tenter de venger James et Lily tout seul… Peut-être qu'il serait venu toquer chez Remus et qu'ils auraient pleurés tous les deux… ou bien peut-être qu'ils seraient partis ensemble dans les rues de Londres et que Remus aurait affronté Sirius à ses côtés… Peut-être qu'il serait mort lui aussi… Mais si seulement il avait été présent…

Les gens qui passent à ses côtés baissent tous les yeux, comme s'ils savaient ce qui c'était passé et ne voulait pas affronter la réalité. Remus pense avec tristesse à tous les Moldus qui sont morts dans cet affrontement qui ne les concernait pas. Un sentiment de culpabilité contre lequel il n'arrive pas à lutter monte en lui. Il lui semble que tous savent qu'il était ami avec le monstre qui a fait ça. Il voudrait partir, se dérober à ces regards qui le brûlent.

Il se force à rester. Il a assez fui pour l'instant, il est temps d'affronter la réalité. C'est pour cela qu'il est venu ici, pour arrêter de croire qu'il est en plein cauchemar mais qu'il finira par se réveiller. Peter est mort.

Il n'arrive pas à croire qu'il ne le reverra jamais. Il ne verra plus sa petite tête ronde illuminée par un sourire malicieux, ne fera plus rosir ses joues par un compliment mérité, n'entendra plus ses paroles réconfortantes dont il avait le secret, ne le verrait plus manger une carotte en lisant un livre. Le plus petit, mais le plus rusé, des Maraudeurs… C'était Peter qui avait voulu qu'ils se trouvent un nom de groupe, affirmant que maintenant qu'ils partageaient un secret aussi lourd que sa lycanthropie il fallait marquer le coup. C'était aussi celui qui avait traité Remus le plus normalement après avoir découvert son secret. Sirius et James étaient sans cesse en train de le protéger, lui demandant sans cesse comment il se sentait, tentant de lui éviter toute fatigue autour des pleines lunes, excusant la moindre de ses sautes d'humeur… Remus leur en avait été reconnaissant bien sûr, mais parfois il avait juste besoin qu'on le traite comme les autres, comme si le loup n'existait pas, ne faisait pas partie de lui. Seul Peter l'avait compris.

C'était avec lui également qu'il avait partagé ses doutes, ses complexes, parce que certains jours il n'était pas facile d'être les meilleurs amis de James et Sirius. Parce que quelques fois ils se sentaient trop petits, insignifiants, trop normaux et ils enviaient le charme, la lumière qu'irradiaient leurs deux amis. Avec lui il avait appris à accepter sa banalité, à ne pas se vexer de ne pas attirer l'attention, à apprécier le temps qu'il fallait pour le connaître. Ils s'étaient poussés mutuellement dans leurs études, s'encourageant à donner le meilleur, sans se formaliser des deux autres qui brillaient sans efforts. Remus avait aidé Peter à croire en lui, l'incitant à rêver, à faire pleins de projets même s'ils paraissaient irréalisables… La vie avait encore tant à apporter à Peter, il avait encore tant de choses à vivre, à découvrir…

Bon sang qu'il lui manquait, à lui en crever le cœur.

Il sacrifierait tout pour le revoir.

Il avait envie de se rouler en boule et de se mettre à pleurer ici même. De se fondre avec le goudron et d'être englouti. De disparaître… Enfin… De ne plus rien ressentir… De les rejoindre ou de les oublier, mais pitié ne pouvait-il pas arrêter de souffrir ?

Il n'était pas du tout convaincu tout à l'heure quand il avait affirmé être heureux que Sirius n'ait pas de procès mais à présent qu'il contemplait les traces de l'explosion, il n'avait plus aucun doutes. Rien ne pourrait jamais justifier l'horreur de ce qu'il avait accompli. Il ne méritait même pas de tenter d'expliquer les vies fauchées et piétinées…

Aucun doute n'était possible sur sa culpabilité et aucune circonstance atténuante ne pourrait être trouvée… Emprisonné à vie sans procès… Ce n'était que justice.

Il ne lui restait plus qu'à s'en convaincre.

A arrêter de vouloir le voir une dernière fois. Croiser son regard juste une seconde pour savoir, pour comprendre.

Il fallait juste qu'il arrête de le regretter de toutes les fibres de son corps.

Ce n'est pas comme faire son deuil de James, Lily et Peter. Ce n'est pas une page de son existence qu'il doit tourner. Il veut l'arracher.

Il sait que ce n'est pas vraiment possible, Sirius Black a été une part importante de sa vie, il est impossible de le nier.

La vie serait tellement plus simple si on pouvait effacer ce qui nous a tant déçu, ce qui nous blesse tellement.

Si seulement on pouvait supprimer les souvenirs tellement heureux qu'ils pourraient nous faire mourir de douleur maintenant qu'on les contemple de nuit.

Est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu qu'il reste enfermé chez ses parents, ignorant de la vie, de l'amitié, du bonheur ?

Est-ce qu'il n'était pas le pire des égoïstes et des monstres de penser ça ?

Est-ce qu'il regrettait vraiment d'avoir connu James, Lily et Peter ? Non bien sûr… mais qu'il était dur d'envisager la vie sans eux.

Et il était si injuste que lui soit encore debout, puisse avancer… et qu'eux soient morts. Eux qui avaient une famille, des projets, un avenir. De la force, du courage, de la tendresse. Un sourire si doux, des yeux pétillants, un rire contagieux, une oreille attentive. Un présence si chaleureuse.

Est-ce que le monde avait seulement conscience de la valeur immense de ce qu'il a perdu ?

Une dame non loin de là s'est arrêté et le fixe, semblant hésiter à l'aborder. Il réalise qu'il n'a plus bougé depuis un moment et qu'il ressemble bien plus à un mourant qu'à un jeune homme de 22 ans.

Il soupire et fait demi-tour, plus rien ne l'attend ici. Avant de tourner dans la prochaine rue il se retourne pour jeter un dernier regard à la rue détruite.

« Adieu Peter, repose en paix »

O

Le soleil n'a pas daigné se montrer aujourd'hui, un léger brouillard recouvre Godric Hollow's. Remus en est presque satisfait. Il est tellement plus simple d'être malheureux quand le soleil ne vient pas vous réchauffer le visage. Il ne sait pas comment il tient debout. Il n'a à nouveau presque pas dormi cette nuit, il a à peine manger.

Il doit tenir, c'est tout.

Son visage est encore plus blafard et cerné que la veille. Sa robe est impeccable. C'était sa tenue pour l'enterrement de Fleamont et Euphemia… il l'a beaucoup trop utilisée ces derniers temps. Il n'a jamais aimé la mettre, mais aujourd'hui plus que toutes les autres fois il a l'impression que le tissu lui brûle la peau.

Il doit tenir… encore un peu.

Il est sorti de la chapelle un instant, il étouffait. Les cercueils sont à l'intérieur, les sorts pour éloigner les Moldus ont été lancés, juste le temps qu'ils fassent leurs adieux.

Remus pensait qu'il ne pourrait pas souffrir plus, mais les voir ainsi, immobiles, si pâles, si faux dans leur cercueil a brisé une nouvelle partie de son âme.

Dumbledore et McGonagall sont arrivés en premier. Le directeur avait un air parfaitement indéchiffrable, seuls ses yeux brillaient plus que d'habitude. Minerva avait les yeux visiblement rougis, des larmes aux coins des yeux et les traits tirés. Elle avait brièvement serré Remus dans ses bras, mais avec tant de forces. Ils avaient parlé d'Harry… un peu… ils avaient voulu le rassurer sûrement, lui enlever un peu de sa culpabilité d'avoir abandonné le petit et puis Remus les avait laissé se recueillir. Les arrivées s'étaient succédé. Tous étaient en larmes, lui serrait la main ou l'épaule avec un air navré et compatissant.

Il se sentait absent.

Il devrait leur être reconnaissant d'être venu, se réjouir qu'ils veuillent dire adieu à James e Lily eux aussi, se sentir réconfortés de ne pas être le seul à porter le deuil.

Il ne s'était jamais senti aussi seul.

Il ne se sent pas vraiment à sa place dans cet enterrement. Il leur a fait ses adieux, dans l'intimité de son cœur, seul face à eux. Ces adieux publics, il ne sait pas vraiment ce qu'il y fait… comme d'habitude la réalité des Maraudeurs s'est déjà déroulée dans le secret, ce qu'il offre au monde n'est qu'un spectacle. Le spectacle sans eux a seulement perdu tout sens.

Alastor Maugrey apparaît au coin de la rue et le rejoint. Le vieil Auror n'a pas l'air d'avoir pleuré, il a exactement le même air que d'habitude, il ne dit rien à Remus, ne lui serre pas la main en lui présentant ses plus sincères condoléances. On presque croire qu'il ne sait pas ce qui s'est passé ou qu'il s'en fiche. Les regards des deux hommes se croisent. Alastor est un soldat. Il est familier de la douleur, la souffrance de Remus il l'a connue trop souvent. Ils se comprennent. Ils n'ont rien besoin de se dire mais le jeune homme a déjà un peu plus chaud à l'immense trou qui a remplacé son cœur.

Il inspire profondément, il est temps d'y retourner… Il ne sert à rien d'étirer le temps. Ils sont morts de toute façon, inutile de retarder cet adieu symbolique. La vie sans eux sera bien assez longue. Ils entrent ensemble dans la chapelle. Le silence est pesant, seulement coupé par les sanglots d'Hagrid. C'est loin d'être la première fois qu'ils enterrent quelqu'un de l'Ordre, un de leurs amis. Mais cette fois l'atmosphère est différente, peut-être parce qu'ils étaient si jeunes, parce qu'ils étaient censés être protégés… Peut-être juste parce qu'ils ont gagné la guerre avec un tel goût amer dans la bouche. Peut-être parce qu'ils pensent tous à Peter et Sirius.

Dumbledore se lève en premier et les remercie tous d'être venus puis se tourne vers Remus. La gorge nouée il s'avance jusqu'au pupitre. Il essaye de ne pas regarder les deux cercueils qu'il domine… C'est trop dur de les voir… Il ne veut pas craquer, il veut être capable de lire ses mots jusqu'au bout sans pleurer, en restant debout. Il s'est déjà bien trop effondré en les écrivant.

« Lily voulait apprendre de nouveaux sorts pour faire rire Harry et James s'était décidé à commencer un potager. C'étaient leurs projets pour cette semaine. Il fallait d'ailleurs bien s'appeler James Potter pour se mettre au jardinage au début du mois de novembre. Il était toujours plein de surprises et d'idées farfelues. Ils avaient 22 ans, l'âge où l'on pense que le meilleur est devant nous, que tout est possible et qu'on se relèvera de n'importe quelle blessure. Ils avaient peur de mourir. Des projets ils en avaient pleins, pour la journée, le mois, les années à venir… Il y avait tant de choses qu'ils voulaient encore vivre. Et pourtant, pas un seul instant ils n'ont pensé arrêter leur engagement dans l'Ordre, pas même après la naissance d'Harry. Si vous êtes ici aujourd'hui c'est que vous les connaissiez aussi, qu'ils vous manquent déjà et que comme moi vous êtes convaincus qu'ils étaient des êtres exceptionnels. Après les évènements des derniers jours je me suis longtemps demandé ce qui faisait d'eux de si beaux humains. Ils étaient loin d'être parfaits. Après tout James était un enfant gâté, naïf par moment et bien trop souvent prétentieux. Lily avait un caractère épouvantable, extrêmement susceptible, et souvent trop intransigeante. Ils formaient un couple explosif, tantôt très insouciants, toujours extrêmement accueillants, serviables mais n'hésitant pas à se moquer de tout le monde… Ils ont été sans aucun doute possible la plus belle rencontre de ma vie. Il m'est impossible d'expliquer en seulement quelques mots tout ce qu'ils nous ont apporté. James c'était un regard franc et sans jugement, un rire éclatant et simple, une énergie débordante, des questions saugrenues à une heure du matin, des aventures au pied levé, une droiture… Les années avaient fait de lui un ami extrêmement loyal, assoiffé de justice et sous ses airs immatures il était en fait depuis longtemps prêt à être père. Il était incroyable avec Harry, plein de douceurs, de rires, ne le quittant presque jamais des yeux. Il avait hâte de le voir grandir et était prêt à lui transmettre ses valeurs. Quand j'ai rencontré James il avait onze ans. C'est l'âge où les enfants peuvent être durs les uns avec les autres et ont du mal à accepter ce qu'ils ne connaissent pas. James ne s'est jamais soucié de nos différences. Il ne laissait jamais personne former un jugement à sa place, les préjugés il les ignorait et seule sa propre opinion comptait. Lily était plus difficile à approcher, de nature plus introvertie, il fallait du temps pour apprendre à la connaître et découvrir toutes ses richesses. Elle était d'une intelligence incroyable, pleine d'ingéniosité, une fougue inégalable, elle savait déployer des trésors d'énergie pour défendre les causes auxquelles elle tenait. Lily était pleine de grâce, de charme, le monde paraissait toujours être un endroit meilleur quand ses yeux pétillants se posaient sur vous, son sourire avait le don de vous faire sentir chez vous... La vie l'avait un peu écorchée. Vous ne le saviez peut-être pas mais elle était pleine de doute sur sa maternité. Elle qui a parfaitement trouvé sa place dans le monde sorcier, elle avait perdu la sienne dans sa famille d'origine. La famille était un sujet compliqué pour elle. Il lui a fallu beaucoup de courage pour mettre Harry au monde. Et quelle mère exceptionnelle elle était ! Elle l'a prouvé au monde entier en se sacrifiant pour son fils.

Peut-être que tout ce que je viens d'énoncer faisait de James et Lily des belles personnes. L'amitié, la justice, le dévouement, la lutte pour un monde meilleur… c'étaient de belles valeurs à transmettre. Et pourtant, j'ai rencontré d'autres personnes dont les actes reflétaient les mêmes idées. Le bonheur, les discussions pour refaire le monde et les idéaux, je ne les ai pas connus qu'avec eux… Alors qu'est-ce qui fait que James et Lily étaient différents ? Qu'est-ce qui fait que l'histoire les retiendra ? Je ne pourrais jamais vous faire comprendre à quel point je me suis torturé avec cette question. Et pourtant la réponse me parait d'une extraordinaire simplicité. Tout simplement parce que James et Lily sont allés jusqu'au bout de leurs idéaux. Parce que comme je le disais ils ont toujours su que leur engagement pouvait causer leur mort mais qu'ils n'ont jamais renoncé, ne se sont jamais parjurés, qu'ils n'ont jamais voulu faire demi-tour parce qu'ils ont toujours cru que la cause que nous défendons était plus importante que leur propre vie.

Avant ce 31 octobre je pensais que perdre James et Lily seraient la pire chose qui puisse arriver. Et Merlin que c'est dur, ça scie les entrailles, et que ça fait mal de se tenir devant vous, devant eux et de vous dire ses mots. Pourtant, je sais maintenant qu'il aurait été encore plus dur de les savoir en vie si pour cela ils avaient dû piétiner tout ce qu'ils avaient défendu plus tôt. Parce que la trahison est bien pire que la mort.

Lily… James… Vous le saviez, je vous l'avais dit souvent, je vous le redis encore : je vous aime, plus que je n'aurais cru pouvoir aimer un jour. Vous me manquez atrocement mais reposez en paix, votre travail ici est fini. Vous avez fait de ce monde un endroit meilleur. Alors Lily, James, merci pour tout. »

Il lui semblait que son cœur avait été englouti à nouveau en prononçant ces derniers mots. Il n'aurait jamais cru posséder la force suffisante pour tenir. C'était peut-être ça ses deux moteurs. La volonté et la reconnaissance. Il devait aller jusqu'au bout pour eux, parce que c'était son ultime occasion de les remercier pour tout ce qu'ils avaient fait pour lui. Il n'a quand même pas pu retenir le léger tremblement de sa voix sur les dernières phrases. Qu'importe, il a dit tout ce qu'il voulait, c'est le plus important.

Sans vraiment regarder l'assemblée qui lui fait face, il descend les quelques marches et se replace devant les cercueils. En empêchant comme il peut sa main de trembler, il sort sa baguette et bénit les cercueils de quelques étincelles, avant de retourner à sa place pour laisser les autres faire de même.

Il ne pleure pas. Son cœur saigne.

Les employés de Sainte-Mangouste s'avancent maintenant à leur tour pour prendre les cercueils et ils pénètrent finalement dans le cimetière. Cortège funèbre dans la brume. Chaque pas est une déchirure, un nouvel abandon. Les coffres de bois sont enfoncés dans le sol. Il se sent si vide. Il a du mal à croire que ce sont ses amis qui sont là… et pourtant la pierre tombale le prouve déjà. Vingt-deux ans et leur chemin s'arrête déjà dans cette allée de cimetière. Il a maintenant presque hâte que ce soit fini et qu'il puisse partir, il frissonne ici, il veut oublier, il ne veut pas de ces souvenirs, il ne veut pas se les représenter comme un cercueil sous une pierre froide.

Alice dépose les bouquets de fleurs. Elle pleure silencieusement. Remus a à peine parlé avec les Londubat mais il sait que c'est dur pour eux. Ils se disent que ça aurait pu être eux, qu'eux aussi auraient pu ne pas voir Neville grandir. Ils sont d'autant plus reconnaissants que cette guerre se finisse. Lui leur en veut un peu d'avoir survécu. Il s'en sent coupable, ce n'est pas leur faute bien sûr et ils auraient agis comme James et Lily. Il n'empêche les voir côte à côte, se tenir la main, échanger des gestes d'affection lui fait pour l'instant bien trop mal, lui rappelle beaucoup trop ses amis. Il lui faut juste un peu de temps pour accepter.

Petit à petit tout le monde s'en va. Alastor, Emeline, Hagrid, Alice et Franck, Flitwick, Gabrielle… tous s'évaporent. Même Dumbledore les quitte dans un murmure, une autre tombe à visiter l'attend. Remus se retrouve devant la tombe, seule Minerva toujours à ses côtés. Son ancienne directrice s'essuie les yeux des larmes qu'elle n'a pu retenir. Elle finit par prendre la parole d'une voix hésitante.

« Merci pour votre mot… Je n'ose même pas imaginer à quel point c'était difficile pour vous. »

Remus hoche à peine la tête, on pourrait presque croire qu'il n'a pas entendu. Ses yeux sont fixés sur la tombe, une part de lui ne veut pas la quitter du regard. Déjà qu'il ne verra plus jamais ses amis, qu'il a déjà l'impression que leurs traits s'effacent un peu dans sa mémoire, il s'en veut de les abandonner ici. Ils sont ensemble, c'est déjà ça.

« Vous pensiez à Sirius ? »

Remus en avait presque oublié la directrice à ses côtés. Il retient à grand peine un soupir, personne n'avait encore osé lui parler de son am… de Sirius. Ça aurait été trop beau que ça dure toute la journée. Il hausse légèrement les épaules.

« C'est ce que j'avais besoin de dire. Ces mots ils venaient de mes tripes, ils étaient sur mon cœur... Je sais que vous n'avez jamais compris comment on avait pu lui pardonner, que vous n'auriez jamais cru que les Maraudeurs se relèverait après ce qu'il avait failli faire. Ça avait été extrêmement difficile, il nous avait blessé… mais en même temps c'était une évidence, on ne pouvait pas le laisser. On y a cru, on le croyait tellement… que c'était du passé, qu'il avait fait une énorme erreur mais qu'il était bien plus que ça. Je voulais tellement vous prouvez que vous aviez eu tort, que vous auriez dû lui faire confiance. Qu'il avait parfois besoin d'aide mais qu'il méritait qu'on lui pardonne, qu'on lui laisse une chance. Je voulais tellement vous faire voir le Sirius que je connaissais... Je le croyais tant, qu'il était bon, qu'il était fort, qu'il était juste… Je voulais tellement que vous vous trompiez… parce que moi je croyais plus que tout en lui… »

Cette fois Remus n'a pas retenu ses larmes, elles ne sont pas très nombreuses, il a bien trop pleuré ses derniers jours, mais impossible de les retenir plus longtemps… Il a bien trop mal. Et puis il s'est toujours senti en confiance auprès de son professeur de métamorphose, elle a toujours été une oreille attentive. Elle pose furtivement une main sur son épaule.

« Ce n'est pas que nous ne comprenions pas, c'est juste que j'en aurais été incapable, de lui pardonner à votre place. A l'époque j'étais quand même heureuse que vous ayez réussi à surmonter cette épreuve, vous en aviez besoin et il aurait été détruit sans vous pour l'accepter. Vous savez, même si je n'ai jamais réussi à le cerner, je l'appréciais et je croyais moi aussi qu'il avait changé. Vous n'avez pas à vous en vouloir Remus, vous avez toujours fait ce qui était juste. »

Le jeune homme ne répond pas cette fois et rien ne montre qu'il ait entendu. Encore une fois son regard est fixé sur la tombe comme s'il en espérait des réponses. Dans son crâne c'est encore la tempête. Il se souvient que la peine de James à la mort de ses parents s'était apaisée après l'enterrement, une fois ses adieux faits. Ce n'est absolument pas son cas. Il ne sera probablement pas apaisé avant très longtemps, peut-être jamais. Pas sûr qu'il soit capable de guérir. Pour l'instant en tout cas il lutte encore contre l'envie de disparaître et de ne plus souffrir, plus jamais.

Il se penche pour embrasser la pierre.

« Je vous aime fort. »

Nouveau serrement de cœur. Être fort. Avancer. Il fait un léger signe de tête à son ancien professeur et commence à s'éloigner. Elle l'interpelle une nouvelle fois.

« Remus, qu'allez-vous faire maintenant ? »

Il se retourne pour lui offrir un sourire triste. Pas d'hésitation, il n'a qu'une seule réponse à offrir. Une seule évidence.

« Vivre je suppose. »