Salut à tous, place à la deuxième partie de L'aventure du pied-du-diable qui est aussi sa conclusion !
Bonne lecture !
RAR
Katymyny : Contente que tu aies apprécié mon initiative, c'est vrai que John est trop souvent la victime des quolibets de Sherlock et même si c'est quand même assez drôle, je trouve qu'il devrait avoir plus de mérite, et ce même dans le canon d'ACD. J'ose espérer que ma petite pierre à l'édifice a permis (dans une petite mesure) de remédier à ça ! J'avoue que la coupure est totalement voulue mais j'ai déjà fait pire que ça dans de précédents écrits ;). J'espère que la suite sera à la hauteur de tes attentes.
Je te remercie encore pour cette recommandation, ça a été un vrai plaisir de découvrir le travail de SomeCoolName. C'est une belle contribution que tu fais parce qu'après tout même dans le monde de l'édition, c'est par le bouche-à-oreille que les auteur/trices se font connaître.
Le silence régnait autour de la table, seulement rompu par le son de la cuillère de Sherlock qui remuait sans grand conviction le sucre dans son thé. Un peu plus loin, le bruit des pages d'un journal tournées par quelques clients matinaux complétait le tout. John sirotait sa propre boisson, perdu dans ses pensées. Il n'était pas certain qu'être aussi intrigué par son stagiaire soit sain mais telle était la réalité, il avait envie de comprendre Sherlock Holmes. De le connaître. De savoir comment fonctionnait ses étranges dons de déduction.
Il n'était finalement pas beaucoup plus sain que sa sœur ou ses parents. Harry… Il avait complètement oublié de la rappeler pour lui signifier que sa visite attendrait. John se mordit la lèvre. Elle ne l'aidait pas vraiment… Et il craignait l'état dans lequel il la trouverait s'il l'appelait maintenant…
« Tu n'as qu'à lui envoyer un texto, fit la voix de Sherlock, le tirant de ses pensées dans un sursaut.
– Pardon ? fit John, perdu entre abasourdissement et confusion.
Il avait sans doute mal entendu.
–Ta sœur, précisa simplement le jeune homme avec un mouvement du menton vers le portable de John posé sur la table.
–Tu es une sorte de mutant ou quoi ? Tu lis mes pensées ?
–Tu as un visage très expressif. C'est plutôt facile. Voire ennuyant.
–Je te remercie, déclara John d'un ton cassant en se saisissant de son téléphone.
Il tapa quelques lignes et expédia le SMS avant de se reconcentrer sur Sherlock. Ce dernier l'observait avec un sourire en coin.
–Alors ? Comment tu as fait cette fois ?
–Je sais que tu te poses des questions à mon propos. Tu me jetais des regards à la dérobée, plusieurs fois. Puis tu t'es dit que ton intérêt était probablement malsain, tu as secoué la tête. Ensuite tu t'es crispé. Mauvais souvenir ou mauvaise pensée. J'ai supposé que tu pensais à ta famille puisque c'est apparemment un sujet sensible, tu te comparais probablement à eux, et j'ai su que j'avais vu juste quand je t'ai vu jeter un œil à ton téléphone, comme si tu voulais qu'il disparaisse. Tu pensais à appeler ta sœur pour t'excuser du faux bond d'hier soir. C'est simple, conclut Sherlock en avalant une gorgée de thé.
–Simple, en effet, marmonna John, hésitant entre être soufflé par la démonstration ou juste agacé par la suffisance de son interlocuteur.
–Il suffit de savoir observer, ce que la plupart des gens ne savent pas faire, je te l'accorde.
–Tu m'inclues dans le lot ?
–Je ne sais pas. Pas encore.
John se demandait si cela avait un rapport avec ce qu'il lui avait dit lors de leur rencontre.
–Personne ne s'en rend compte, fit Sherlock au bout d'un moment, sans le regarder. Je suis tranquille, ajouta-t-il.
Il y'avait comme une pointe d'ironie dans sa voix. Le sergent avait donc vu juste. Il s'était ou se droguait encore.
–Morphine ? Cocaïne ? demanda John à voix basse.
–Cocaïne. J'ai commencé au lycée. Je m'ennuyais. Je pensais trop, trop souvent, tout le temps. C'est la seule chose qui me permettait de stopper le moteur emballé qu'est mon cerveau pendant quelques temps. Et je passais le temps. Un jour, j'ai fait une overdose et puis… et puis j'ai passé des mois en désintoxication parce que mon frère a pensé que c'était bon pour moi. Il l'a caché à mes parents et depuis, j'habite chez lui, officiellement parce que son appart' est plus proche de l'université, officieusement pour qu'il puisse me surveiller. Mais rien n'a vraiment changé.
John amorça un mouvement vers lui mais se retint au dernier moment. Il n'était pas certain de la pertinence de la chose. Sherlock leva les yeux. Il parut incroyablement jeune au sergent, un enfant un peu perdu au milieu d'un monde qui ne lui correspondait pas. Quelque part, il comprenait pourquoi Sherlock avait fait ce qu'il avait fait. Même s'il n'aurait pas dû.
–Résoudre des crimes… C'est peut-être la seule chose qui a de l'importance. Qui m'empêche de sombrer.
Au moins ce mystérieux frère, qui soi-disant passant surveillait son cadet d'une manière plus que douteuse, avait compris cela. Ou du moins, son insistance pour obtenir un stage à Sherlock le laissait sous-entendre.
–Je ne sais même pas pourquoi je te dis ça, murmura le jeune homme en secouant la tête.
–Peut-être parce que je t'ai posé la question, dit John avec un sourire.
Il s'assombrit cependant bien vite.
–Tu sais, je te comprends. On a tous des démons à repousser, même s'ils font partie de nous. Mes parents avaient les leur et il les ont tués. Ma sœur est en train de prendre le même chemin et je suis incapable de l'en détourner.
–Ce n'est pas de ta faute.
Cette phrase sonnait étrange sur les lèvres de Sherlock. John doutait qu'il ait déjà dit ce genre de futilités avant.
–Peut-être, mais je devrais pouvoir l'en tirer.
Il y'eut un instant de silence.
–Tu crois que c'est ce que mon frère pense qu'il doit faire ? Me libérer de mes démons ?
John haussa un sourcil, surpris par la question.
–Il veut sans doute te protéger. Il s'y prend mal, peut-être, mais il essaye.
–Toi aussi.
Les deux hommes échangèrent un long regard. John adressa un remerciement muet à Sherlock qui sembla le comprendre. Pendant un moment, ils ne dirent rien.
–Si tu résous l'enquête, je pourrais peut-être essayer de te permettre d'accéder à d'autres dossiers.
–Vraiment ? demanda Sherlock, les yeux brillants d'espoir.
A nouveau, l'enfant un peu perdu qui n'attendait que d'être aidé apparut sous les yeux de John. Le sergent se convainquit qu'il ferait tout son possible pour aider le jeune homme. S'il ne pouvait pas sauver sa sœur, il ferait en sorte d'aider Sherlock. Et peut-être qu'il saurait comment s'y prendre avec Harry.
–Il ne me coûte rien d'essayer. »
Et ces quelques mots sonnaient comme une promesse.
A 9h00 pétantes, John et Sherlock toquaient à la porte de Leon Sterndale. Il fallut à peine une minute pour que le médecin n'ouvre la porte. C'était un homme de grande taille, large d'épaules, aux traits taillés à la serpe et au nez de faucon. Ses cheveux blonds commençaient à grisonner bien que sa barbe restât blonde. Il adressa aux deux visiteurs un haussement de sourcils surpris et avant qu'il n'ait pu poser une seule question, John brandissait son insigne de police.
Sterndale s'écarta sans un mot et les laissa entrer avant de les guider jusqu'à son salon. Il les invita à s'asseoir, leur proposa du thé qu'ils refusèrent avant de leur demander pourquoi ils étaient là.
« Hier soir… Votre fiancée, Brenda Tregennis a été assassinée. Owen et George sont devenus fous à lier.
Une ombre passa sur le visage de Sterndale. Le médecin semblait savoir se maîtriser. Si la nouvelle l'accablait, il ne voulait sans doute pas le montrer.
–Je vous présente toutes mes condoléances, Monsieur.
L'intéressé acquiesça. John lui laissa le temps d'accuser le coup. De son côté, Sherlock faisait faire à son regard le tour du propriétaire.
–Et Mortimer ? demanda finalement le médecin.
–Il a quitté le domicile familial avant que le drame ait lieu. A première vue, l'arme du crime est la même que celle des meurtres qui sévissent ailleurs dans Londres depuis quelques semaines. L'autopsie devrait nous le confirmer. Je sais que le moment est mal choisi mais nous aurions quelques questions à vous poser. Pour les besoins de l'enquête.
–Bien sûr. Je vous écoute.
John sortit son calepin pour noter les réponses du médecin. Il réitéra à propos des ennemis potentiels de la famille et récolta une nouvelle réponse négative. Il l'interrogea ensuite sur sa relation avec la famille, avec Brenda, qu'il semblait réellement apprécier, puis sur Mortimer.
–Je vous remercie, Mr Sterndale. Nous vous tiendrons au courant.
–Je peux vous poser une question ?
–Je vous en prie.
–Etes-vous proche de démasquer le coupable ? Je veux dire… C'est que j'aimerai que ce fou furieux soit bientôt sous les barreaux.
–Nous poursuivons quelques pistes. Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus. Nous allons y aller.
–Quelle est cette plante, là-bas, sur le buffet ? fit soudain Sherlock.
John fronça les sourcils, surpris. Il était resté muet tout l'interrogatoire, se contentant d'observer leur interlocuteur. Pourquoi une telle question ? Pourtant, le sergent laissa le jeune homme faire. Sterndale se retourna et son visage se détendit aussitôt. Ses yeux brillaient de passion.
–Une plante que j'ai ramenée d'Afrique pour l'étudier. Mortimer vous a certainement dit que j'étais un peu botaniste. Radix pedis diaboli, déclara le médecin. C'est à cause de la forme de sa racine, on dirait un pied mi-humain, mi-bouc.
Sterndale n'eut pas le temps de continuer l'exposé dans lequel il s'était lancé. Le portable de John émit une alerte.
Rapport d'autopsie dispo. RDV à la morgue dans un quart d'heure ? Greg
–Vous nous excuserez, Mr Sterndale, le devoir nous appelle. Nous reviendrons à vous très bientôt. Sherlock. »
Ils le saluèrent avant de sortir et de s'engouffrer dans un taxi.
Sherlock consulta son téléphone tout le trajet. John le laissa à ses occupations, ruminant sur le peu d'informations que Leon Sterndale leur avait apporté. Comme ils s'y attendaient, le rapport d'autopsie ne fit que confirmer ce dont ils étaient déjà certains. Empoisonnement, à nouveau. Sherlock semblait plutôt satisfait, ce que John n'entendait pas vraiment. Ils n'avaient pas plus avancé aujourd'hui que la veille, l'enquête piétinait.
« Nous sommes proches, John. Ils nous manquent encore des éléments, mais nous sommes proches.
–Je n'en ai pas vraiment l'impression.
–Tout va bientôt s'éclairer. Il manque simplement une preuve…
–Eh bien dépêche-toi de la trouver dans ce cas, fit John, morose. Moi, je sèche.
A cet instant, un homme, portant un parapluie malgré le beau temps, s'avançait vers eux. La bonne humeur de Sherlock disparut presque aussitôt.
–Oh non… siffla-t-il entre ses dents tandis que l'inconnu les rejoignait. Vite, John, fais demi-tour.
L'intéressé lui lança un regard incrédule, à moitié amusé par cette réaction, à moitié méfiant. L'homme, que son stagiaire connaissait manifestement, était intimidant, même de loin. Il se souvint d'une chose que lui avait dite Lestrade la veille.
–Ton frère, je présume ?
Sherlock acquiesça. L'autre les avait finalement rattrapés.
–Heureux de voir que tu es vivant, lâcha-t-il simplement à l'intention de Sherlock qui levait déjà les yeux au ciel.
–Tu ne pouvais pas me laisser quelques jours de paix ?
Le ton était froid, peut-être même glacial.
–Je le ferai si tu te comportais en adulte de temps en temps. Veuillez m'excuser pour ce petit esclandre. Mycroft Holmes.
Il tendit la main à John qui la saisit non s'en s'attirer un regard meurtrier de la part de son stagiaire.
–John Watson, se présenta John en se demandant bien comment l'homme les avait retrouvés. Peut-être ses techniques de surveillance étaient-elles plus poussées qu'il ne l'avait pensé.
–Bien, maintenant que tu as eu ta dose quotidienne de ton loisir préféré, pourrais-tu disparaître ?
Les deux frères s'engagèrent dans une longue bataille de regards. John y mit fin au bout de deux longues minutes en se raclant la gorge.
–Je ne veux pas vous interrompre, mais j'ai encore du travail.
Il y'eut un moment de flottement durant lequel Mycroft jaugea John. Ce dernier se laissa dévisager, soutenant le regard de glace du frère aîné. Puis finalement, ce dernier acquiesça et se détourna sans un mot. Alors que John et Sherlock s'apprêtaient à entrer dans un taxi, une voix les interpella :
–Sherlock ?
L'intéressé se retourna en roulant des yeux.
–Sois prudent, » recommanda finalement Mycroft.
John ne pensait pas que les prédictions de Sherlock se réaliseraient aussi vite. Mais lorsqu'il vit débouler le lendemain un petit homme, à peine peigné, la cravate de travers et l'air scandalisé, il sut instinctivement qu'il y'avait du nouveau. Sherlock et lui échangèrent un regard avant d'aller à sa rencontre. Une des collègues de John voulut prendre la déposition du petit homme mais John lui signifia qu'il s'en chargeait.
« Votre nom ?
–Roundhay. Robert Roundhay.
Il triturait sa chemise en fixant ses pieds.
–Quelle est la raison de votre venue ? demanda John.
–Je suis le locataire de Mr Mortimer Tregennis. Je sais que Scotland Yard est en charge de l'enquête concernant le drame dont a été victime sa famille. Il… Il est mort. Je l'ai retrouvé dans son salon, étendu sur le tapis ce matin. Et je mettrais ma main à couper que la cause est identique à celle de la mort de sa sœur.
John posa quelques questions d'usage, quand avait-il vu Tregennis pour la dernière fois, s'il était mort dans la nuit ou au petit matin, s'il avait reçu quelqu'un, avant d'envoyer Sherlock chercher Lestrade. Ils iraient directement sur la scène de crime. Cette fois, ils pouvaient définitivement écarter la piste du serial killer. La famille Tregennis était bel et bien visée. Les autres meurtres n'étaient là que pour brouiller les pistes.
–Vous allez nous conduire au domicile de Mr Tregennis, Mr Roundhay.
Le petit homme acquiesça vigoureusement. Sherlock revenait avec Lestrade.
–Bien. Nous y allons. »
Contrairement à la première fois, ils ne mirent que très peu de temps à atteindre la scène de crime. Lestrade ordonna aussitôt à leurs collègues de la banaliser tandis que John suivait Roundhay à l'intérieur, Sherlock sur les talons. Sur le tapis d'un rouge sombre, gisait le corps de Mortimer Tregennis, face contre terre, le visage tordu dans la même expression de terreur que ses frères et sœur. Son corps prenait un angle peu naturel et ses doigts semblaient crispés, comme s'il avait tenté de se défendre contre un ennemi inconnu. John s'agenouilla près de la victime et inspecta brièvement le corps tandis que Sherlock faisait à nouveau le tour de la pièce. Le sergent songea que son stagiaire ne devait pas avoir l'air d'en être un aux yeux de leurs clients. Quand John se releva, Sherlock faisait de même près de la cheminée, dont l'âtre était éteint, les cendres refroidissant en son sein. Il avait récupéré un peu de celles-ci et les avait enfermées dans un sachet servant à recueillir les preuves. Quand avait-il eu le temps d'en subtiliser au commissariat ?
« Qu'est-ce que tu fais ? préféra demander le sergent.
Sherlock le rejoignit en deux enjambées et désigna la pochette transparente. John remarqua alors que ce n'était pas des cendres qu'il avait prélevées mais une poudre brunâtre. Un éclair de lucidité traversa l'esprit du sergent.
–L'arme du crime ?
–Seule une expérience pourrait le prouver. Ou bien… Mr Roundhay ! s'exclama le jeune homme en voyant pénétrer le propriétaire de l'appartement.
Ce dernier sursauta en s'entendant interpellé.
–Un feu a-t-il été allumé dans la cheminée hier soir ?
Le petit homme réfléchit un instant avec d'acquiescer.
–Maintenant que vous le dites… en effet, Mr Tregennis avait allumé un feu. Il avait une odeur particulièrement nauséabonde, je me demande bien quel bois il a utilisé… Je me suis évanoui en découvrant son corps… je ne sais pas si c'est le choc ou cette odeur… C'est pour ça que j'ai ouvert la fenêtre…
Il désigna la dite-fenêtre d'un mouvement du menton. John acquiesça. Son esprit tournait à plein régime. Il jeta un œil à son compagnon qui semblait lui aussi en train de relier tous les éléments.
–Nous avons vu tout ce que nous voulions. Greg, tu pourras dire au légiste qu'il peut emporter le corps ?
Et sans plus de cérémonie, John dépassa son collègue et Roundhay, aussitôt suivi de Sherlock.
–Il faut que je rentre à Baker Street, j'ai laissé un document là-bas et j'en ai besoin. Tu viens ?
Sherlock acquiesça et ils s'engouffrèrent dans la voiture de police qu'ils avaient prise pour venir. Alors que le véhicule roulait, John lança :
–Récapitulons. Notre tueur en veut à la famille Tregennis et pourquoi est ce qu'il nous reste à découvrir. Pour accomplir son méfait, il s'en est pris à des personnes random, brouillant les pistes et faisant penser à un tueur en série. Manque de bol, il n'a pas réussi à nous duper. Après cela, il décide de mettre son plan à exécution. Il a dû étudier les allers et venues de Mortimer Tregennis au domicile familial pour être certain de pouvoir tuer la famille au complet. Malheureusement, Mortimer est parti avant qu'il n'ait pu accomplir son méfait et cette fois, l'expérience n'a pas totalement fonctionné, seule Brenda est morte. Ses deux frères sont cependant écartés – mais de quoi ? – devenus fous à lier. Ne reste plus que Mortimer qu'il se charge d'éliminer deux jours plus tard. Ou bien Mortimer est coupable et pris de remords, il s'est suicidé ensuite. Mais j'en doute.
–La manière de procéder est la même à chaque fois, compléta aussitôt Sherlock. On peut, à partir des éléments que l'on a réunis reconstituer comment il s'y prend. Je suis certain que l'on peut même récolter de nouveaux indices sur notre mystérieux tueur. Le poison était la cause de la mort comme le prouve les autopsies, maintenant comment entre-t-il dans le système des victimes ? Par l'air, très simplement et par combustion. Sur chacune des scènes de crime, un feu était allumé et je suis persuadé que l'on pourrait retrouver cette poudre sur chacune d'entre elles. Respirer l'atmosphère empoisonnée entraîne la folie ou la mort, selon la taille de la pièce, la résistance des victimes et le temps d'exposition, ainsi que des malaises, Roundhay et la domestique des Tregennis nous le prouvent. Si cette poudre se révèle bien être l'arme du crime alors il faut nécessairement que notre tueur connaisse assez les victimes pour entrer chez elles et la déposer dans la cheminée et qu'il sache à quel moment la famille se réunit.
–Je demanderai l'analyse de la poudre dès notre retour au commissariat. Cela devrait définitivement nous persuader que c'est ça qui a tué les sept victimes. Reste à savoir d'où elle provient, qui a fait ça et pourquoi.
–J'ai ma petite idée là-dessus.
–Vraiment ?
John venait de se garer devant la porte du 221B.
–Il me manque un élément pour en être certain.
–Et je suppose que tu ne veux rien m'en dire ?
Sherlock esquissa un sourire. Ils sortirent de la voiture et s'engouffrèrent dans le hall de l'immeuble avant de monter les marches quatre à quatre.
–Attends-moi là, je vais chercher mon document. J'en ai pas pour longtemps.
Sherlock acquiesça et John entra dans sa chambre. Il se dirigea aussitôt vers le tiroir où il se souvenait avoir rangé quelques documents liés à l'affaire. Il voulait vérifier l'hypothèse de la cheminée. Il fouilla un moment parmi les papiers et autres livres que contenaient le tiroir – il devrait songer à ordonner ses affaires un jour ou l'autre – et se saisit finalement du document recherché. Il ressortit en trombe de la chambre et dès qu'il pénétra le salon, une odeur horrible le prit à la gorge. Aussitôt, un voile noir obscurcit sa vision et il tomba à genoux, suffocant tandis que parmi le nuage noir qui se déployait sous ses yeux, des formes indistincts se mouvaient. John sentit son rythme cardiaque s'accélérer, son esprit encore rationnel abandonner la partie tandis qu'une peur sourde l'envahissait. Il avait l'impression que dans cette atmosphère sombre se tapissaient toutes les créatures et les monstres les plus horribles que le monde eût connus et qu'ils s'apprêtaient à lui bondir dessus. Une brusque quinte de toux le prit tandis que la tête lui tournait et dans un brusque effort de volonté dont il ignorait la source, il réussit à s'extirper du voile noir. Sa vision, floue, parvint néanmoins à le laisser entrevoir le corps immobile, tordu étrangement de Sherlock. Un cri se bloqua dans la gorge de John qui rampa jusqu'à son stagiaire en toussant. Il aperçut du coin de l'œil que quelque chose brûlait dans une petite coupelle. Il ne s'y attarda pas, tandis que le voile noir revenait à la charge et qu'il sentait la peur enserrer de nouveau son cœur, saisit Sherlock sous les bras et entreprit de le tirer à l'extérieur. John luttait contre l'atmosphère, se tirant et tirant son stagiaire vers la porte. Quand il l'atteignit finalement, il donna un grand coup de pied pour la refermer et s'effondra, Sherlock tout contre lui dans les escaliers en toussant, hoquetant, le cœur battant à tout rompre. Il sentait à peine les marches qui lui sciaient le dos et le poids de son compagnon sur lui.
Quand il eut finalement repris ses esprits, il dégagea doucement le corps de Sherlock pour pouvoir l'observer. Il était toujours aussi immobile, ses traits déformés par la même expression d'horreur que celle qui avait ornée les visages des cadavres. John sentit son cœur s'emballer une nouvelle fois et secoua vigoureusement l'épaule du jeune homme qui resta inanimé.
–Bon sang Sherlock… allez, réveille-toi !
John lui saisit le poignet, essayant de percevoir son pouls sous la peau. Il passa un doigt sous son nez, essayant de capter un souffle d'air. A cet instant, Sherlock ouvrit les yeux en toussant à son tour. John lâcha son poignet et attendit qu'il s'arrête et se redresse. Le jeune homme essuya un filet de bave de ses lèvres et se tourna vers John.
–Merci...Tu…
–Tu es complètement inconscient, Sherlock ! Mais qu'est-ce qu'il t'a pris de tester la poudre ? Tu savais que c'était un poison, tu es suicidaire ou quoi ? Tu aurais pu nous tuer tous les deux ! Un peu plus et tu y passais !
–Ne t'inquiète pas, mon frère ne t'en aurait probablement pas tenu pour responsable.
–Ton frère… Attends quoi ?!
Qu'est-ce que Mycroft Holmes venait faire dans cette conversation ?
–Tu n'aurais pas été viré. Tu n'aurais pas été considéré comme responsable de ma mort.
John resta abasourdi un instant, bouche-bée, dans une très belle imitation du poisson hors de l'eau. Mais qu'est-ce qu'il lui chantait ?
–Oh.
La réalisation le frappa de plein fouet.
–Ce n'est pas pour mon poste ou pour ce qu'en penserait ton frère que je m'inquiète mais pour toi, espèce d'idiot !
Sherlock le contempla avec des yeux ronds qui lui donnaient des allures de chouette en plein jour. Ce fut ce moment que choisit Mrs Hudson pour sortir de son appartement. Elle leur lança un regard intrigué en les voyant tous les deux assis dans les escaliers en train de se fixer.
–J'ai entendu des éclats de voix, se justifia la logeuse quand ils finirent par la remarquer.
–Désolé. Si je pouvais avoir cette conversation à l'intérieur, je le ferais. Ne vous occupez pas de nous. Et ne montez pas à l'étage pour l'instant. Ne faites monter personne.
Sherlock ne l'avait pas lâché du regard.
–C'est flippant quand tu fais ça, tu sais.
Il ne comprenait définitivement pas les sentiments et les émotions humaines.
–Tu t'inquiétais pour moi ? répéta finalement le jeune homme.
–Ça peut te paraître étrange, mais même si tu es un insupportable arrogant suicidaire et insolent, j'ai commencé à t'apprécier.
A nouveau, Sherlock lui lança un regard surpris et finit par lui sourire. C'était sans doute la manière la plus explicite qu'il possédait pour lui dire qu'il ressentait la même chose. John s'en contenterait. Sherlock poussa soudain une exclamation.
–John ! Sterndale ! Il va vouloir s'enfuir, il faut le rattraper !
Il se relevait déjà.
–Sherlock, attends ! Sterndale ?
–Oui, c'est lui le coupable et je pense que je sais pourquoi il a fait ce qu'il a fait ! Tu te souviens de la plante qu'il avait dans son salon ? Radix pedis diaboli ? Autrement dit, racine de pied-du-diable. C'est de là que provient cette poudre. C'est un poison utilisé en Afrique pour exécuter les femmes considérées comme des sorcières. Tout est sur Internet. Les effets sont les mêmes que ceux que cette poudre provoque. Et Sterndale est en train de nous filer sous le nez, il prend l'avion qui décolle dans moins d'une demi-heure. Il faut le rattraper !
John ne demanda pas comment il savait tout ça. Il aurait tout le temps de s'expliquer plus tard et ils se jetèrent au-dehors, bousculèrent quelqu'un qui voulait monter dans un taxi en hurlant qu'ils étaient de la police et demandèrent au chauffeur de les mener à l'aéroport le plus vite possible.
–Tu m'expliques ? demanda John alors que la voiture déboulait à toute vitesse dans les rues de Londres. Comment est-ce que tu sais qu'il est à l'aéroport ?
–Il y'avait un billet d'avion posé sur le buffet dans son salon. Il partait pour Nairobi, le lendemain à 8h30. Sauf que Sterndale ne l'a pas pris. Il voulait s'assurer que Tregennis soit mort avant de filer pour le Kenya. Je n'ai eu qu'à chercher quand partait le prochain avion.
–Tu te doutais que c'était lui depuis un moment, pas vrai ?
–Je n'avais aucune preuve. Mais oui.
John faillit lui faire remarquer qu'une mort aurait pu être évitée. Il y renonça. A quoi bon à présent ? Sans preuves, comment auraient-ils pu arrêter Sterndale et rien ne disait qu'il n'aurait pas déjà posé le poison dans la cheminée de sa victime.
–Pourquoi a-t-il fait ça ?
–Tu as remarqué comme certains de ses traits étaient similaires à l'un des frères ? Owen, je crois. Je suis certain qu'il fait plus ou moins partie de la famille, peut-être un cousin inconnu ou bien un frère caché. Il cherchait sans doute à récupérer l'héritage des Tregennis. Viens John !
Le taxi venait de s'arrêter. John lui balança quelques billets et lui intima d'attendre ici. Puis ils s'engouffrèrent dans l'aéroport, jouant des coudes et de la grandeur de Sherlock. John brandissait son insigne de police qui leur ouvrait un passage dans la foule et suivait Sherlock devant lui qui semblait déjà savoir où aller. Il décida de lui faire confiance. Ils coururent jusqu'à la porte 5 et dépassèrent les douanes sans ralentir. On les rappela mais ils n'en firent pas cas, courant jusqu'à la zone d'embarquement. L'avion ouvrait ses portes dans à peine cinq minutes, avait eu le temps de constater John. Ils devaient faire vite.
Ils s'arrêtèrent finalement, hors d'haleine et Sherlock désigna Sterndale dans la foule à John. Il était en train de faire valider son billet. La main sur son revolver de service, l'autre cherchant ses menottes, le sergent s'élança vers le coupable et hurla, attirant l'attention sur eux :
–POLICE ! Vous êtes en état d'arrestation pour meurtres et tentative de meurtre ! Personne ne bouge.
Sterndale s'était tourné vers eux, coincé. John ne lui laissa pas le temps de seulement envisager la possibilité de fuir. Il brandit son revolver sur lui. Il leva les mains en l'air. Les autres passagers s'étaient reculés. Le sergent s'approcha de lui et pris d'une soudaine impulsion, tendit les menottes à Sherlock.
–Tu as résolu l'enquête. A toi l'honneur.
Le jeune homme lui adressa un grand sourire et passa les menottes à Leon Sterndale. Puis il le força à avancer jusqu'à John.
–A partir de maintenant, tout ce que vous pourrez dire ou faire se retournera contre vous. Veuillez nous suivre.
Le médecin fut étonnement docile et se laissa entraîner sans faire d'histoire. Ils rejoignirent le taxi qui les déposa au commissariat. Personne ne pipa mot durant tout le trajet. John fit entrer le coupable dans Scotland Yard et l'entraîna jusqu'aux salles d'interrogatoire.
–Va me chercher Gregory, ordonna-t-il à Sherlock tandis qu'il s'installait face à Sterndale.
Le jeune homme revint rapidement avec le DI.
–Bien joué, John.
–Ce n'est pas moi. C'est Sherlock.
Lestrade jeta un œil surpris au stagiaire. Avant de se retourner vers Sterndale.
–Inutile de me menacer, déclara celui-ci. Je ne mentirai pas. Je vais tout vous raconter.
Il s'avéra que Sherlock avait vu juste, sur toute la ligne. Leon Sterndale, ou plutôt Leon Tregennis était le fils illégitime de James Tregennis, le père de la famille et d'une femme rencontrée dans le Sussex, Miranda Sterndale. Il avait appris la fortune de son père et la mort soudaine de celui-ci. Etant un Tregennis, il estimait avoir droit à sa part dans l'héritage mais son père ne l'avait malheureusement pas reconnu. Il avait alors établi une stratégie pour éliminer les ayant-droits légaux : se rapprocher de Brenda, sa demi-sœur et de son frère Mortimer, également médecin. Cela avait réussi au-delà de ses espérances puisqu'il avait réussi à se fiancer à elle. Il avait ensuite utilisé une poudre de racine de pied-du-diable pour tuer sa famille, plante qu'il avait découverte en Afrique durant ses missions humanitaires et avait éliminé quelques personnes au hasard pour brouiller les pistes. Il ne semblait nullement regretter son acte. Il fut aussitôt enfermé après son témoignage.
Alors que Sherlock et John se dirigeaient vers la sortie, ils eurent le déplaisir d'apercevoir Mycroft Holmes à l'entrée de Scotland Yard.
–C'est une affaire de résolue, mon cher frère, dit-il.
–Comment est-ce que vous pouvez être au courant ? s'étouffa John.
–Mycroft est quasiment le gouvernement britannique, John. Ce n'est pas difficile pour lui de le savoir.
–Je n'occupe qu'un poste mineur.
Sherlock lui lança un regard on ne peut plus incrédule.
–L'aide de Sherlock nous a été providentielle, Monsieur Holmes, intervint finalement John. Je suis certain que mon supérieur pourrait y voir un avantage si je lui en parlais. Votre frère pourrait devenir consultant pour le Yard et je sais que c'est important pour lui et sans doute pour vous.
Une étrange lueur s'alluma dans le regard de Mycroft. John ne sut pas vraiment comment l'interpréter. Mais il était certain qu'il avait compris le message.
–J'en serais enchanté, dit-il finalement.
Cette fois, ce fut Sherlock qui lança un regard complétement hébété à son aîné.
–Tu me laisserais faire ?
–Pourquoi crois-tu sans cesse que je suis ton ennemi, Sherlock ?
Il y'eut un moment de flottement. Et finalement, l'aîné des Holmes reprit :
–Je pourrais même te laisser partir de chez moi. Je suis certain que Mr Watson serait ravi de t'accueillir chez lui, d'autant plus qu'il semble chercher un colocataire. Je vous laisse en discuter.
Mycroft se retourna, ne laissant pas le loisir à un John abasourdi de répondre. Sherlock l'observa un quart de seconde avant d'éclater de rire. Et très vite, John le rejoignit.
Ils ne virent pas que Mycroft s'était arrêté juste devant la porte de Scotland Yard. Ils ne virent pas le sourire qu'il esquissa. Parce que ce soir, Mycroft ne s'inquiéterait pas pour son petit frère. Ce soir, il serait serein parce qu'il le savait en sécurité.
Et si Mycroft était certain d'une chose, ce soir-là, c'était que si ça avait dû jamais commencer à un endroit précis, ça avait commencé ici – les deux meilleurs amis qui soient. [1]
[1] Dans le script de A study in pink (SE1EP1), juste après que John ait traité Sherlock d'idiot pour avoir mis sa vie en danger en voulant prouver son intelligence, il est écrit cette phrase : "And if it begins anywhere, it begins here – the two best friends ever." J'avais envie de terminer cet OS sur cette phrase-là.
Eh bien voilà, c'est fini pour cette petite nouvelle qui, j'espère, vous aura plu ! Aviez-vous réussi à démasquer le coupable, comme Sherlock ? Bref, n'hésitez pas à me donner votre avis et je remercie d'ailleurs chaleureusement Katymyny et Mundanchee et Mudomo pour leurs reviews.La semaine prochaine, on se retrouve avec un Victorian Johnlock basé sur l'une de mes nouvelles préférées, pas tant à cause l'enquête en elle-même mais plutôt par rapport au développement de la relation Holmes-Watson : Les trois Garrideb.
