Thésée ajusta le plaid qu'on avait posé sur ses épaules, souffla sur le thé quasiment bouillant dans sa tasse et adressa à son interlocuteur son meilleur regard noir :
« Oui, je suis certain de ne pas avoir mis le feu moi-même à mon bureau. »
Emilia Sinestra leva les sourcils.
« Un accident est si vite arrivé.
- Désolé de vous décevoir, Emilia, mais je ne joue pas avec les allumettes. »
La directrice de la brigade magique prit bien le soin de noter cette dernière phrase, et de mémoire s'il vous plaît.
Il faudrait qu'ils inventent un système permettant de noter automatiquement ce que disait quelqu'un. Cela irait beaucoup plus vite qu'une retranscription papier. Depuis deux heures qu'ils y étaient, tout ça pour cinq brèves minutes de confrontation.
C'était un sorcier de garde à la brigade magique qui l'avait retrouvé sonné dans le département des Aurors, et avait tout de suite prévenu sa hiérarchie ainsi que les collègues de Thésée. McCool n'avait pas aimé être tiré de son lit à deux heures du matin, mais enfin, circonstances atténuantes. Que le chef des Aurors soit attaqué n'avait rien d'original ; après tout, il restait l'un des sorciers les plus importants d'Angleterre, quoiqu'en disent les journaux. Et les autres du ministère.
Ce qui était plus... extravagant, disons, c'était la manière dont un individu avait réussi à l'attaquer dans son bureau, puis mettre le feu au dit bureau.
Rien n'était sauvable. Tous les documents qu'il avait accumulé, et que ses prédécesseurs avaient accumulé avant lui, étaient réduits à l'état de poussière (de cendre ?). Il faudrait tout refaire, jusqu'au dernier meuble ; et de nouveau remplir les bibliothèques.
Mais enfin. Un autre jour s'était levé, et Emilia était finalement arrivée. Dans un geste sans doute moqueur, elle lui avait donné un plaid brun qui avait indéniablement connu de meilleurs jours, ainsi qu'un thé calmant.
L'attaque avait eu lieu six heures plus tôt, par Merlin. Et on s'étonnait de la lenteur des services administratifs.
« Une idée de qui pourrait vous en vouloir, Scamander ?
- Des tonnes, et pas une seule plus importante qu'un autre. »
Peut-être un. Mais il fallait qu'il en parle à sa coéquipière.
« Où est Caine ?, » demanda-t-il soudainement.
Si Emilia était surprise, elle n'en montra rien.
« Pas là.
- Quand est-ce qu'elle arrive ?
- Aucune idée. »
Devant l'air étonné de Thésée, Emilia soupira.
« Vous ne devriez pas être surpris qu'elle ne m'obéisse pas plus qu'à vous, Scamander. Après tout, ce n'est pas par gaieté de coeur qu'elle a rejoint nos rangs. »
Il l'imaginait peut-être, mais il aurait juré que sa collègue était... frustrée par ce fait, alors qu'il était, d'une certaine manière, parfaitement logique.
Bien sûr, que Caine n'était pas heureuse à la brigade magique. On lui avait tout simplement forcé la main. Même si cela lui avait évité Azkaban, la sorcière n'aimait pas être un sous-fifre que l'on dirigeait comme bon nous semblait.
« Peu importe, souffla Emilia. Pourquoi Caine ? »
Thésée cligna des yeux.
« On travaille ensemble.
- Merlin en est témoin, oui, je jurerai que la moitié du Ministère est au courant. »
Elle lui lança un regard appuyé.
« Et je compte le Magenmagot dans le tas.
- Je ne vois pas— Emeline ne m'a jamais rien dit.
- Oh, parce que ça l'arrange. Et, en soit, vous n'êtes pas totalement dans l'illégalité. Mais faites attention à vous, Scamander. Si on découvre que un de mes employés, pour qui je me suis portée garante, vous aide officieusement sur une enquête où elle n'a pas lieu de traîner... »
Emilia soupira, mais finalement roula le parchemin sur lequel elle n'avait cessé de gratter depuis le début de cet entretien. Thésée était curieux et, en même temps, n'avait pas envie de savoir à qui il était destiné.
La dualité d'un homme.
« Cygnus Black est de votre côté, et Emeline a d'autres chats à fouetter que vous inquiéter pour chaque petite infraction. Nicholas Malfoy ne passe pas assez de temps au Ministère pour remarquer ces petits détails, Aimée Shacklebolt suivra Emeline quoiqu'il en soit. Mais méfiez-vous...
- De Olwenyo Shafiq. Je sais. »
Il n'avait pas besoin de son avertissement pour envisager l'homme sous un jour plus sombre. Il était impossible qu'il ne soit pas mêlé à cette histoire rocambolesque, quelle qu'elle soit. Maintenant, il ne restait plus qu'à savoir jusqu'à quel degré. Et aussi pourquoi.
Et surtout comment.
La surprise du jour fut Newt, qui débarqua littéralement dans le département des Aurors en l'ouvrant d'un coup de pied.
« Sérieusement, Thésée ?! », furent ses mots très exacts, et tous les Aurors présents clignèrent des yeux tandis que le cadet des frères Scamander jetait un journal à travers la pièce, avec une précision impressionnante.
La Gazette du Sorcier d'il y a deux jours, qui contait «l'attaque du bureau du chef des Aurors et sa malheureuse disparition» (toujours des titres aussi racoleurs), était à la fois une très bonne édition que Thésée ne manquerait pas de faire encadrer une fois qu'il aurait de nouveau un espace de travail, et également légèrement alarmiste.
« Bonjour à toi aussi, Newt, » dit le sorcier l'air de rien, ne prenant pas la peine de lire ce qu'il avait déjà lu avant.
Son frère, sans valise et encore avec de la neige sur les épaules, croisa les bras dans une mimique qu'il avait sans aucun doute hérité de leur mère. Derrière lui, Halber grimaça et sortit en hâte de la pièce, suivi par le reste de leurs collègues.
Thésée crut que Maggie allait rester ; mais la sorcière rassembla ses papiers en un petit tas ordonné, le fit léviter à sa suite d'un coup de baguette et un sortilège murmuré, et lui adressa un signe de la tête.
Tout le monde désertait la place, ce qui ne pouvait pas être bon signe.
« Sérieusement, Thésée ?! », cria son frère encore plus fort à peine la porte refermée. « Je reçois le journal avant ta lettre et j'apprends que tu as été attaqué et que tu es apparemment porté disparu ?
- J'avoue que le titre peut porter à confusion, mais—
- Est-ce que tu m'as au moins envoyé un seul mot ?! »
Thésée se racla la gorge.
« Tu es en Sibérie, Newt.
- Et tu es en Angleterre ! »
Visiblement, il n'y avait que la distance qui dérangeait son frère, et pas la perspective d'une chouette mourant après un vol de plus de mille kilomètres dans les pires conditions climatiques du monde.
« Comment vont Tina et Jacob ?, demanda-t-il dans une tentative de calmer le jeu. Toujours aussi charmants ? »
Newt lui adressa un regard noir. Il ne le gardait en réserve que pour les trafiquants d'animaux fantastiques ou son frère, et à chaque fois, ce n'était pas un bon présage.
« Absolument paniqués à l'idée que leur beau-frère puisse être mort, merci beaucoup d'ailleurs, j'ai dû les retenir de tuer Fawley—
- Pardon, leur beau-frère ?
- — Et Percival également, qui m'a adressé trois hiboux en cinq heures. Tu en dois une belle à Picquery.
- Je ne vois pas bien ce que je peux offrir d'utile à Picquery, » marmonna pathétiquement Thésée.
Dans ces cas-là, mieux valait attendre que la colère passe.
Newt se laissa tomber dans une chaise, les épaules basses.
La colère était passée.
« Merlin, mais j'étais mort d'inquiétude, Thésée. J'ai brisé vingt articles de lois pour pouvoir rallier l'Angleterre sans passer par la douane. »
Pas comme si la loi l'avait arrêtée avant.
Juste une date : 1927.
« Je ferai plus attention la prochaine fois. »
Newt lui envoya un regard noir.
« Tu devrais me dire que tu feras en sorte que ça ne se reproduise pas, pas que tu feras plus attention.
- Excuse-moi d'avoir un travail dangereux, Newt. Certains aiment chasser les créatures dans les marais, d'autres enquêtent sur des cadavres vivants qui ont disparu. Chacun ses occupations. »
Tout compte fait, il ne faisait pas beaucoup de sens, mais son frère était trop occupé à décrypter sa phrase pour continuer à le disputer comme le concierge de Poudlard. Ce qui était définitivement un plus.
Son frère était la face visible de l'iceberg. En vingt-quatre heures, ses parents lui adressèrent une Beuglante, ses Aurors lui suggérèrent gentiment de doubler le nombre de sorciers de garde, Fawley passa dans son département pour l'inciter à prendre des vacances d'un ton quelque peu dédaigneux, et Percival lui cria dessus durant une demie-heure par le réseau de cheminées.
Il n'eut aucune nouvelle de Caine jusqu'au lundi prochain.
« Il faut arrêter Wilson, » déclara-t-elle tout de go en l'agrippant par la manche de son nouveau costume.
Elle venait de bondir dans les ruines de son bureau, réparé seulement en surface, et alors que Thésée contemplait l'idée de faire appel à un décorateur spécialisé pour refaire intégralement l'intérieur, qui avait décidément connu des jours meilleurs et surtout, sans incendie criminel.
Rien de tel qu'un incendie pour un nouveau départ, pas vrai ?
Ce début d'avril ressemblait de plus en plus à une blague. Pour une fois que l'on faisait des farces... Mais il aurait été plus avisé d'attendre un an ou deux avant de se décider à appliquer cette charmante tradition.
« Bonjour à vous aussi, Rekowski. Je ne vous ai pas vu de la semaine. Emilia ne vous a pas vu de la semaine. Je pense qu'elle veut votre peau. »
Ses paroles lui passèrent par-dessus la tête et s'envolèrent par la fenêtre magique. Pendant un instant, il regretta d'avoir gaspillé cinq secondes pour lui parler, alors que cinq secondes pouvaient être cruciales et employées à de bien meilleurs choses : par exemple, parler à quelqu'un d'autre.
« Oui, ce n'est pas nouveau, mais il faut qu'on arrête Wilson pour l'interroger. Dans un cadre très formel. Très professionnel.
- Hum. Pourquoi ? »
Caine lâcha enfin son bras et regarda autour d'elle d'un geste très exagéré.
« Nous n'avons aucune preuve que ce soit Wilson qui ait fait ça.
- Mais vous et moi, nous savons que c'est le département des Mystères. Ça ne peut être que le département des Mystères. Réfléchissez-y. »
Se rendant compte qu'il n'y avait pas de chaise, mais refusant d'abandonner son début de geste dramatique, Caine s'assit à même le sol, tachant du même coup le pantalon beige qu'elle portait aujourd'hui.
« Il a compris que nous avons trouvé une partie de la vérité. Il va avertir ses supérieurs sitôt qu'il part de Poudlard. Et eux attendent quelques jours avant de passer à l'action. Que ce soit pour vous intimider ou vous tuer—
- Il aurait pu me tuer. Il aurait pu me laisser m'étouffer avec la fumée, ou bien brûler en même temps que toutes mes fournitures. Mais il ne l'a pas fait. »
Il aurait été idiot de ne pas penser que c'était le département des Mystères qui avait commandité cette charmante visite nocturne, supplément barbecue. Ils étaient en train de donner des coups de pieds dans une véritable fourmilière. Les ouvrières s'agitaient, paniquées, et réagissaient en conséquence. Après tout, ils avaient placé une taupe parfaite dans leurs rangs. Trop terrifiée pour les contredire, encore plus pour leur désobéir. Si ils ordonnaient à Wilson de sauter du haut d'un gratte-ciel, il leur demanderait quelle hauteur.
Alors pourquoi ? Car il n'y avait aucun doute dans son esprit, quand bien même il manquait des preuves matérielles, que c'était bel et bien Wilson qui l'avait attaqué et mis le feu à son bureau. Pourquoi l'avoir tiré des flammes alors que cela le mettait, lui ainsi que tout son département, en danger ? De l'affection mal placée, ou un soudain dégonflement ?
« Ça ne sert à rien de se demander ça maintenant, » déclara Caine d'un air étrangement solennel, comme si elle avait lu ses pensées. « Maintenant, il faut qu'on le coince.
- Et comment faire ? Personne ne sait où se trouve le département des Mystères. Sauf les chouettes postales. Après ce fiasco, ils ne vont pas le renvoyer travailler avec nous maintenant. Ce serait trop risqué. »
Tandis qu'il parlait, la solution lui apparut. Une totalement légale, qui ne leur prendrait pas énormément de temps.
« On pourrait faire une réclamation au Magenmagot, articula-t-il doucement. Ou au moins à Emeline Abbot. »
Caine cligna à peine des yeux.
« Ça pourrait effectivement marcher, si Olwenyo ne décidait pas tout simplement d'ignorer Abbot.
- Oh, il n'oserait pas. Il est nouveau au Magenmagot, comparé aux autres. Il ne voudrait pas risquer son siège sur le tempérament de Emeline. Si elle lui dit de rappliquer, il le fera sans hésiter. »
Emeline n'était pas femme à ployer aussi facilement. Elle ne se laisserait pas marcher sur les pieds ; et elle serait bien capable d'aller arracher l'emplacement du département des Mystères à Fawley si Shafiq décidait de la snober.
(une petite partie de Thésée espérait que Shafiq serait assez stupide pour rester dans son coin. Si Emeline le tuait, ils feraient bien d'une pierre... plusieurs coups)
« Mais ce serait à vous de le faire, continua Caine.
- Pourq—
Je ne suis pas vraiment censée travailler avec un Auror, le coupa la sorcière d'un ton un peu plat. C'était une des clauses du contrat que Abbot a passé avec Emilia. Si elle sait que je passe mes journées ici, je suis bonne pour Azkaban. »
D'après Emilia, Emeline était déjà au courant. Si elle ne disait rien, c'était très certainement parce qu'elle s'en fichait, et que à part un bureau détruit, leur association n'avait pas causé assez de dégât pour se plaindre de quoique ce soit.
La première règle du Ministère était que quasiment rien ne restait secret. Même si leurs lieux de travail respectifs n'étaient pas situés au même étage, les ragots voyageaient bien assez vite pour compenser ce petit handicap.
« Très bien. Je le ferai, » acquiesça-t-il cependant.
Mieux valait prévenir que guérir. Et puis, ce n'est pas comme si il avait d'autres choses plus pressantes à faire. Mis à part un rapport.
Il y avait toujours des rapports à remplir...
« J'y vais même maintenant, tiens. »
... mais jamais de date limite. Mieux valait en profiter.
« Et moi, qu'est-ce que je fais en attendant ?
- Prétendez travailler à la brigade magique, pour changer un peu ! »
Emeline pouvait se trouver dans son bureau, à l'étage du département des Jeux Magiques, à remplir avec diligence chacune des fonctions qui venaient avec ses deux postes à responsabilité. Lorsqu'elle n'était pas présente, c'était souvent parce qu'elle siégeait au Magenmagot, ou bien qu'elle rendait visite à l'un de ses collègues, Aimée Shacklebolt en tête de file. Tout avait trait au travail. Emeline Abbot ne se reposait qu'une fois chez elle, et donnait son maximum au ministère.
C'était une qualité qu'on pouvait lui reconnaître, mais que Thésée trouvait personnellement terrifiante. Il ne se voyait pas travailler d'arrache-pieds de cette manière, jusqu'à se perdre dans des tonnes et des tonnes de papier. Il était un homme d'action ; et il avait du mal à concevoir un mois sans un ou deux duels, autrement appelés combats de rue, qui venaient avec le métier d'Auror. Pendant les brefs mois où Emeline était passée au département de la Justice Magique, en qualité d'assistante, elle n'avait pas formé un seul lien amical avec une seule personne de leur étage. Tous avaient été d'ordre professionnel.
Thésée n'était pas un exemple en la matière, mais il se considérait tout de même assez sociable pour connaître les Aurors qu'il avait sous son commandement, que ce soit de près ou de loin. Emeline devait avoir un dossier sur chacun de ses collaborateurs, mais rien qui ne soit pas impersonnel. Vide de sentiments, et juste pour le côté pratique.
C'était ce qui avait fait que personne n'avait reconnu Grindelwald quand Percival avait été enlevé. Percival n'avait jamais réussi à former de liens avec ses collègues ; que ce soit parce qu'il ne sache pas comment ou parce qu'il ne voulait pas prendre cette peine, mais Thésée soupçonnait un mix des deux. La guerre leur avait tous laissée des séquelles ; chez son ami américain, il avait eu le plus grand mal à de nouveau faire confiance aux gens et à les considérer comme autre chose que des personnes pouvant disparaître du jour au lendemain, et dont il ne fallait pas s'attacher. Il avait réussi à s'ouvrir à Newt, tout ne devait pas être totalement perdu... Mais Grindelwald n'avait jamais rien arrangé dans leur vie.
« Monsieur Thésée Scamander en personne, » l'accueillit Emeline sans lever les yeux de son parchemin. « Quelle bonne surprise. Bien que je suppose que vous ne venez pas pour le plaisir de ma compagnie.
- J'ai connu beaucoup de personnes dans ma vie, madame Abbot, et vous êtes loin d'être la pire. »
Emeline s'arrêta d'écrire ; le crissement de la plume sur la feuille s'interrompit brutalement, et ne reprit pas.
« Un jour viendra où vos flatteries ne vous suffiront plus, Thésée. Que puis-je faire pour vous ? »
Il considéra l'idée de s'asseoir, mais décida contre. Après tout, il ne serait pas là bien longtemps.
« Je viens pour faire une réclamation.
- Envers qui ?
- Olwenyo Shafiq. »
Cette fois-ci, la plume fut posé. Il avait au moins une partie de son attention.
« Olwenyo Shafiq, répéta Emeline. L'un des directeurs du département des Mystères. Siégeur permanent au Magenmagot. »
Thésée acquiesça à chaque phrase. Emeline enleva ses lunettes, soupira un long moment, puis les remit.
« Ou plutôt, envers un de ses employés. Un Langue-de-Plomb du nom de Wilson.
- Wilson ? Thésée, je connais le nom de tous les Langues-de-Plomb du département des Mystères. Il n'y en a aucun du nom de Wilson. »
Le cerveau lancé à toute allure, le sorcier demanda :
« Et Misha ?
- Non plus.
- Merlin, » se murmura-t-il à lui-même.
Deux cadavres qui se réveillaient, sans doute une dizaine d'autres en plus, et personne n'était au courant. Pas même la présidente du Magenmagot.
Après une rencontre avec Grindelwald, on apprenait à être paranoïaque. Et toute cette histoire sentait le complot à plein nez.
« Il doit y en avoir des dizaines, de gens comme ça, » continua-t-il, ayant quasiment oublié que la directrice du département des Jeux Magiques était toujours dans la même pièce que lui, aka son bureau.
« Des gens comment, Thésée ?, demanda-t-elle d'une voix qui ne souffrait d'aucune discussion.
- Des gens comme... Comme... », mais il ne pouvait décemment pas prononcé la phrase ''des gens qui ont visiblement été ressuscités et qui n'ont plus aucun souvenir de leur vie d'avant, oh, et un d'entre eux est feu Phineas Black Jr, et apparemment la mort d'Anathema Shafiq est liée à cette affaire'' sans passer pour un fou.
« Des gens comme Wilson, » termina-t-il assez pathétiquement.
Emeline souffla très fort du nez.
« Des gens comme Wilson, » répéta-t-elle.
Sa mère répétait souvent ce qu'il disait quand il avait fait de grosses bêtises et qu'il se cherchait des excuses à toute vitesse. Voilà bien quelque chose où il n'avait jamais évolué : il avait toujours été médiocre menteur. Généralement, Thésée changeait totalement sa version de l'histoire, s'emmêlait les pinceaux et avouait la faute piteusement, sous l'oeil acéré de sa mère.
Emeline répétant quelque chose disait qu'elle savait que vous lui mentiez, et vous le faisait savoir également, vous emplissant d'un sentiment de honte sans égal. Et vous donnait envie de cracher la vérité. Ce qui, dans leur cas, n'était pas la meilleure idée du siècle.
« Une réclamation envers un Langue-de-Plomb inconnu, marmonnait Emeline, rassemblant plusieurs papiers de gestes de baguette saccadés. Une réclamation envers un Langue-de-Plomb inconnu... Je peux faire ça, reconnut-elle, si il existe vraiment, cela va sans dire. »
Elle n'avait pas tant l'air d'en douter qu'elle était énervée de ne pas être au courant de l'existence de deux Langue-de-Plomb nommés Wilson et Misha.
C'était tout comme lui avait dit Percival un jour, réalisa l'Auror. Le département des Mystères était en train de leur faire une prise d'indépendance radicale, ce qui n'était pas bon signe. Tout le monde pouvait voir que ce n'était pas bon signe. Mais tout le monde correspondait à lui et à Caine. Dumbledore, dans un certain sens. Mais Dumbledore restait Dumbledore, soit un sorcier vieillissant qui se lamenterait dans son domaine de Poudlard avec un regard languissant vers la Forêt Interdite, et assez de soupirs pour durer toute une vie, et plus encore.
« Il existe, ne vous en faites pas, » confirma finalement Thésée.
Il n'y avait pas plus réel que Wilson. Aussi folle que son existence puisse paraître.
« Rien d'autre à me dire ? Quelque chose à m'expliquer, peut-être ?
- Faites-moi confiance, madame Abbot. Au moins sur ce cas-là. »
En terme de soupirs, Emeline n'avait rien à envier à Dumbledore.
« Je n'ai pas fait confiance à quelqu'un depuis Emilia, » mais elle prit tout de même une nouvelle plume, la trempa dans l'encre, et se mit à écrire.
« En terme de plan, nous n'avons pas de plan.
- J'ai cru comprendre que vous aviez une ébauche.
- Oui, mais ce n'est pas vraiment un plan. »
Percival n'avait peut-être pas pardonné sa presque mort par asphyxie dans son bureau à deux heures du matin. Mais il était toujours là pour écouter leurs plans foireux et diriger sur eux un regard désapprobateur.
Oh, ce n'est pas comme si il pouvait les stopper. Un océan les séparait. Cela avait frustré Thésée lorsque Percival s'était présenté chez lui avec des paroles dignes d'un suicidaire, et sans nul doute que cela frustrait Percival tandis que ce dernier l'observait faire exploser sa carrière en plein vol.
Quelque part, entre le début de ce dossier et aujourd'hui, Thésée était devenu obsédé. Pas au point de Caine, qui, foutue pour foutue, semblait vouloir léguer au Ministère le plus grand bordel administratif possible. Mais assez pour qu'il soit prêt à marcher avec elle.
« Et donc vous allez... Quoi, attirer ce Wilson dans un piège ? Avec son chef ?
- Je laisse Olwenyo Shafiq à Caine. Merlin sait qu'ils ont des comptes à régler. »
Lorsque Thésée parlait de bordel administratif, il pensait réellement bordel administratif.
En 1899, avant que Shafiq ne prenne la tête du département des Mystères, une Langue-de-Plomb s'était retrouvée impliquée dans un accident peu habituel ; ayant été envoyée en 1402, elle y était restée bloquée cinq jours, durant lesquels elle avait causé assez de dommages pour effacer de la surface de la Terre vingt-cinq personnes, fait durer le mardi de la même semaine où elle avait disparu cinquante-deux heures, tandis que le jeudi suivant sa mort n'en dura que quatre. Eloise Mintumble était décédée à Saint-Mangouste des suites de ce voyage, qui avait fait peser sur son corps quasiment cinq siècles, et ce fut la dernière expérience ayant un lien avec le cours du temps que le département des Mystères fut autorisé à exercer ; dans un rare accès de bon sens, le ministre de l'époque, Faris Spavin, avait décidé de prendre les choses en main, et de mettre le holà sur tout ce qui pouvait altérer définitivement leur monde, qu'il soit sorcier ou moldu. De ce qu'en avaient dit les journaux, les employés du Ministère de la magie, toutes branches confondues, avaient été retenus au travail cinq jours durant, et personne n'avait été laissé de côté. Eloise Mintumble était rentrée dans l'Histoire comme étant la sorcière ayant fait couler le plus d'encre, en plus d'avoir réussi l'exploit d'avoir épuisé la réserve de parchemins du Ministère.
Caine Rekowsky était visiblement déterminée à faire pire encore.
« Une fois Olwenyo neutralisé, il suffira d'emmener Wilson dans une pièce, et voilà.
- ''Et voilà'' ?, » répéta l'américain avec une voix étranglée, que Thésée mit sur le compte du craquement du feu de cheminée. « Et qu'est-ce qui suit, une petite conversation d'homme à homme ?
- Très bonne idée, Percival. Je la partagerai à ma collaboratrice. »
La logique échappait Thésée comme un savon mouillé vous glissait des mains. La priorité n'était plus d'être prudent. C'était d'obtenir des résultats. Si le département des Mystères était prêt à employer autant d'extrémités envers lui, cela ne pouvait signifier que deux choses : soit Caine et lui étaient près du but, soit ils les gênaient, soit les Langues-de-Plombs ne voulaient plus s'embarrasser d'un Auror qui était incessamment sur leurs traces.
Trois choses, finalement.
Et pourquoi pas toutes ensembles, même.
« Avec un peu de chance, vous comprendrez pourquoi faire des réformes est important, soupira Percival.
- Avec un peu de chance. Si on s'en sort vivants, ou libres. »
Son ami le foudroya du regard.
« J'essayais d'être optimiste, Thésée.
- Ça doit bien être une de tes meilleures blagues. »
L'américain ne se détendit pas ; pire, il semblait maintenant qu'il était en rogne.
« Excuse-moi, gronda-t-il, de m'inquiéter pour toi. Visiblement, Newt avait raison. Tu es obsédé par cette affaire, au point de ne pas voir la myriade de choses qui pourraient te précipiter vers ta mort. Je ne sais pas si je devrais être flatté ou inquiet que la première chose pour laquelle tu te passionnes depuis la mort de Leta est une foutue conspiration au sein même du Ministère de la Magie. »
Avec du recul, Thésée aurait pu décrypter ces paroles pleine de colère pour de l'inquiétude, et ne pas s'en encombrer outre mesure.
Sans recul, Thésée sentit la moutarde lui monter au nez.
« Si tu penses que je veux me suicider, ou quelque chose du genre, dis-le tout de suite. Je suis celui qui gère le mieux sa situation personnelle entre toi et moi, Percy. Je suis celui qui va voir une psychomage tous les mois pour lui parler de mes problèmes. Pendant que tu es celui qui débarque dans mon salon pour me balancer au visage que peut-être que Grindelwald n'est pas aussi mauvais que ce qu'il en paraît, et que peut-être qu'il a raison, au final, et que ce ne serait pas un si mauvais plan de le rejoindre, hein ? Le tueur de ma fiancée, Percy !
- Je n'ai jamais dit que je pensais à rejoindre Grindelwald—
- Oh vraiment, parce que je me souviens d'une autre conversation—
- Je ne vais pas me mettre à tuer des Non-Majs, et à pousser des adolescents au meurtre, Thésée ! Je ne suis pas comme ça. »
Du corps de Percival, Thésée n'en voyait que la tête, et les yeux baissés de l'américain tandis qu'il répétait à voix basse, mais tout de même audible :
« Je ne suis pas comme ça. »
Et peut-être qu'ils auraient dû en rester là. Ils ne s'étaient pas battus depuis les tranchées, lorsque Thésée avait mené un assaut particulièrement dangereux, mais qui leur avait fait gagné dix ridicules mètres sur les lignes ennemies.
Peut-être que si Thésée n'était pas aussi stupide, et à cran ; et si il n'avait pas autant envie d'en finir avec cette foutue affaire de cadavres vivants, et de Wilson qui avait torturé une civile pour rien, mais qui avait aussi peur de Shafiq que l'agneau craignait le loup ; et si il n'avait pas les yeux jugeurs d'Emilia sur le dos, la désapprobation instantanée de Emeline Abbot, et Caine Rekowski qui ne s'arrêterait jamais avant d'obtenir le cadavre de sa meilleure amie et justice ; si il n'avait pas tout ça, peut-être que ces autres mots n'auraient pas franchi ses lèvres :
« Ce n'est pas ce que tes Aurors pensaient, quand Grindelwald a pris ta place. »
Le feu déformait l'image en une caricature grotesque d'une expression humaine. Mais quand Percival leva des yeux blessés, ronds, qui lui donnaient vingt ans de moins si on pouvait ignorer les cheveux poivres et sels et les cernes et rides ; eh bien, quand Percival leva les yeux, il dut voir tout ce qu'il y avait à voir.
Il se retira sans un mot. Thésée était trop énervé pour se sentir désolé. Et il ne chercha pas à le recontacter, ni maintenant, ni dix minutes plus tard, lorsqu'il se fit une tasse de thé avant d'aller se coucher.
« Toujours pour ? », lui demanda Caine le jour précédant la visite de Wilson au ministère.
Comme si elle s'attendait à ce qu'il se dégonfle au dernier moment.
« On ne peut plus reculer, » répliqua-t-il sèchement.
Il s'était déjà brouillé avec Percival. Son frère ne lui avait pas envoyé de Beuglante ; c'était donc que l'américain ne lui avait pas fait part de leur récente dispute.
Thésée était encore partagé entre la frustration liée aux remarques de Percival, et la culpabilité qui montait peu à peu en lui.
Il n'avait pas le temps pour ça. Si tout se passait bien, tout serait bientôt fini, et il pourrait s'excuser en bonne et due forme, et toute cette histoire serait derrière eux.
(Thésée craignait qu'il ait enfermé son ami pour de bon. Que l'américain était retourné dans sa coquille, et qu'il ne la quitterait plus jamais en sa présence.
Mais les regrets survenaient toujours quand il était trop tard, jamais quand il était temps ; alors s'apitoyer maintenant sur son sort ne servirait à rien, si ce n'est à l'encombrer encore plus.)
« Et virez-moi ce sourire goguenard de votre visage, Rekowski. L'heure n'est pas à la rigolade. »
Caine s'arrêta de sourire.
Elle claqua aussi la porte en partant, comme c'était typique chez elle.
Les secondes auraient tiqué, si seulement il avait accroché une horloge au mur de son bureau.
À la place, Thésée comptait les secondes en tapotant son nouveau bureau. Un doigt à la fois, méthodique, son visage un masque neutre. Sa tête était vide de toute pensée. Plus rien n'importait, si ce n'est ce qui allait suivre.
Il ne pouvait pas se permettre de penser à autre chose.
« Le directeur du département des Mystères est arrivé, directeur Scamander, » annonça Maggie.
Elle était aussi solennelle que lui. Tout le bureau, en le voyant arriver, avait compris que quelque chose changerait avant la fin de cette journée.
« À cet étage ?
- Dans les ascenseurs. »
Il se leva.
« Merci, Maggie. »
La secrétaire s'effaça pour le laisser passer. Thésée serra sa baguette dans sa main, le tout caché dans sa poche.
Caine hocha la tête lorsqu'il sortit du bureau des Aurors. Elle était appuyée contre le mur, et tout chez elle annonçait la relaxation, si seulement on ne faisait pas attention à celle toute particulière qu'elle portait aux ascenseurs.
Les portes de l'ascenseur commencèrent à s'ouvrir après le petit tintement caractéristique. Ils se concertèrent du regard, avant que Caine ne se détache du mur, et Thésée lui emboîta le pas.
Olwenyo Shafiq ne perdit pas de temps à le remarquer ; mais sa haine pour la sorcière était plus forte, puisqu'il réserva pour elle son regard noir. Derrière son patron, Wilson brisa son masque impassible, une seconde où il comprit que eux les accueillant au devant du bureau des Aurors n'était pas normal.
« Rekowski, commença le directeur des Mystères avec venin.
- Shafiq, » répliqua Caine, et, levant sa baguette, elle pointa le sol juste à ses pieds.
Il explosa, un sortilège informulé semblable à celui utilisé sur feu l'ancien bureau de Thésée ; Shafiq, pris de court, s'en alla voler à travers le couloir circulaire ; le mur arrêta sa course et lorsqu'il tomba au sol, il ne se releva pas immédiatement.
« Le passage, » siffla Caine.
L'Auror se figura qu'il aurait le temps d'être agacé par cet ordre plus tard ; pour le moment, il tapota sa baguette sur une brique légèrement plus claire que les autres, et entonna :
« Dissendium. »
Une à une, les briques s'écartèrent, jusqu'à laisser apparaître un passage sombre de la taille d'un homme. Au bout, on pouvait apercevoir une salle semblant éclairée par une lumière bleutée et éclatante, le type à s'imprimer sur votre rétine.
Thésée se retourna pour faire signe à sa complice de le suivre. Caine avait empoigné Wilson, qui d'une manière ou d'une autre était parvenu à résister au souffle de l'explosion, et le tenait par le col dans une poigne de fer. Elle ignorait son air outragé avec superbe ; ou plutôt, elle ne l'apercevait pas, car toute son attention était focalisée sur Shafiq père, qui ne s'était toujours pas relevé.
Il aurait été d'accord pour la laisser régler ses comptes avec le directeur du département des Mystères en toute autre circonstances ; malheureusement, tout le temps passé ici était de précieuses secondes de gâchées. Et ils n'en avaient déjà pas énormément. Si personne ne les avaient aperçus, on les avait néanmoins entendus. Dès lors que Shafiq serait réveillé, ils ne pourraient plus se permettre de rester dans les parages, à moins qu'ils ne persuadent Wilson.
« Caine, appela-t-il donc. Il faut y aller. »
La sorcière se détourna finalement de celui qui devait être son pire ennemi et, mi-traînant Wilson, s'engagea dans le passage avec le Langue-de-Plomb. Thésée la suivit, prenant soin de refermer le mur derrière lui.
À chaque pas qu'ils firent, c'était d'autres briques encore qui se refermaient derrière eux, jusqu'à ce qu'ils parviennent dans la petite salle circulaire. Elle n'était pas seulement trop éclairée ; elle était également humide et poussiéreuse, et ils dérangèrent plus d'une araignée en y pénétrant. Encore plus lorsque Caine poussa Wilson au sol sans ménagement, sa baguette toujours dans l'autre main.
Le Langue-de-Plomb les foudroyait du regard mais, les mains liées derrière son dos par un sortilège, et apparemment incapable de former un mot, il ne put faire autre chose que se mettre péniblement à genoux. Pour son crédit, il n'eut aucun mouvement de recul lorsque la sorcière lui fourra sa baguette juste sous son nez.
« Tu devrais pouvoir parler, normalement, dit-elle brusquement au bout de quelques secondes. Alors je te conseillerais de le faire, et vite.
- Qu'est-ce que c'est que cette mascarade ?, cracha immédiatement Wilson. Qu'est-ce que vous faites ? »
Caine se releva, époussetant de la poussière de son chemisier avec des petits mouvements secs.
« Peut-être que je devrais être plus claire : nous posons les questions, et tu as intérêt à nous répondre. »
Ce n'était pas la menace sous-entendue qui cloua le bec du Langue-de-Plomb ; mais plutôt Caine qui, vindicative au possible, avait épuisé la dernière once de patience qu'elle avait jamais possédé, et lui avait mis sa baguette sous le nez.
Mais si il s'était tu, ce n'était pas pour autant qu'il avait l'air impressionné.
« Très bien, » finit-il par répondre avec autant de venin que le taïpan du désert. « Faites de votre mieux, j'imagine.
- Anathema Shafiq. Où est-elle ? »
Wilson cligna des yeux.
« ... Qui ?
- Anathema ! Shafiq ! La fille de ton patron, ma petite-amie morte, on enquête sur la disparition de son cadavre depuis quatre mois ! »
Le Langue-de-Plomb effaça avec peine le début de panique qu'il avait commencé à montrer. Quelqu'un de normal ne l'aurait pas remarqué ; or, Thésée était un Auror expérimenté, et Caine aussi, malgré sa présente affectation à la brigade magique. Ça, et avec la lumière qui inondait tous les recoins de la pièce jusqu'à vous en péter la rétine, tout le monde avec des yeux pouvait voir que Wilson avait perdu assez de couleur pour être confondu avec Nick-Quasi-Sans-Tête si ce dernier venait à passer dans le coin à ce moment-là.
« Où. Est. Elle, gronda Caine en secouant à chaque mot sa baguette sous le nez de Wilson.
- Il... n'y a personne du nom d'Anathema Shafiq dans notre service. »
Bien sûr, vu que leurs identités changeaient du jour au lendemain sans qu'eux-mêmes ne s'en rendent compte.
« Essayons autre chose, alors, » intervint-il avant que Caine ne puisse continuer à agiter sa baguette et risquer de l'enfoncer dans une des narines de leur cher Langue-de-Plomb. « Une femme de ma taille environ, cheveux noirs longs, peau basanée ? »
Le silence s'étira, et avec lui les lèvres de l'agent spécial, jusqu'à ce qu'elles ne soient qu'une ligne blanche tranchant avec l'immense cicatrice qui lui recouvrait une partie du visage.
Cette pause parlait d'elle-même ; et Caine paraissait maintenant au bord de l'aneuvrisme.
« Combien êtes-vous, à être revenus au Département des Mystères ?, demanda-t-il de sa meilleure voix apaisante. Douze ? Treize ?
- Enrico n'est jamais rentré d'Allemagne, murmura Wilson du bout des lèvres, et Philomène— Philomène... »
Ses yeux se perdirent un bref instant dans le vague, avant qu'il ne les cligne, et qu'ils papillonnent de l'un à l'autre de ses captifs, de nouveau alerte.
« Ce qui se passe au Département des Mystères ne vous concerne pas, reprit-il avec une verve renouvelée dans la voix. Rien que pour ce kidnapping, vous êtes certains de finir à Azkaban, peu importe la réputation qui vous précède. »
Il semblait presque fier. Mais Caine renifla, brisant instantanément cette façade de suffisance qu'il avait affiché.
« S'il te plaît, Phineas. Tout le monde dans ce foutu Département n'en a rien à cirer de ce qui t'arrive, ou de ce qui pourrait t'arriver. Si je vais à Azkaban, c'est parce que je viens de briser le contrat d'Emilia. Et potentiellement tué ton patron. Ce qui est une excellente manière pour moi de finir ma carrière. »
Au moins, la baguette ne gesticulait plus comme un drapeau flottant au vent ; mais l'ancienne Auror n'en était pas moins décidée à lui enfoncer ce qu'elle pensait dans son petit crâne épais.
« Je vais te dire pourquoi tes collègues vont venir de ce trou à rat ; parce que, même si tu ne nous dis rien, il y a toujours un risque. Alors nous allons être arrêtés et jetés en prison, et tu vas être enfermé dans une pièce similaire dans les locaux de ton cher Département des Mystères, et crois-moi que ton interrogatoire sera beaucoup moins sympathique que celui auquel nous t'exposons actuellement. »
Wilson ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois, dans une imitation du poisson hors de l'eau quasiment parfaite.
« Ils savent où va ma loyauté—
- Ils s'en foutent ! », beugla Caine en se relevant de la position accroupie qu'elle avait prise. « Ils n'en ont rien à foutre, et tu auras tôt fait de finir dans un terrain vague si tu les laisses nous attraper, Wilson !
- Ce que Caine veut dire, coupa Thésée, c'est que nous pouvons aider, et tu peux nous aider aussi. »
L'Auror crut entendre, à sa gauche, le bruit d'une pierre qu'on tapait et faisait céder. Puis toute son attention fut accaparée par le Langue-de-Plomb, qui émit un bruit qu'il mit quelques secondes à identifier comme un rire.
Il n'y avait aucune joie ; et même si il affichait un sourire, c'était le genre qui vous faisait froid dans le dos, pas qui vous mettait à l'aise.
« M'aider ?, renifla-t-il avec mépris. Vous ? M'aider ? Alors que vous êtes au pied du mur ? Vous pensez que je serai assez bête pour me joindre à vous ?
- Je ne sais pas, Wilson, répondit-il doucement. Je pensais qu'un ami accepterait de me prêter main forte.
- Ah ! »
Avec des gestes saccadés, l'agent spécial tentait d'ouvrir la manchette de sa chemise, tandis ce que ses yeux, maniaques, parcouraient toute la pièce sans jamais s'arrêter. Il semblait pris dans une fièvre soudaine qui guidait ses gestes sans jamais lui permettre d'achever quoique ce soit.
« Un ami, répétait-il, un ami, alors que depuis le début vous me traînez comme un boulet au pied du forçat, et j'étais parfaitement heureux à l'idée de ne rien savoir de lui, de Phineas, et maintenant que j'y suis allé, Albus, et, et, et, Poudlard— Et cette foutue manche ! », explosa-t-il quand ses doigts échouèrent, une fois de plus, à défaire un des boutons de manchette.
« Vous n'êtes pas un ami, cracha Wilson, je n'ai pas d'amis, je n'ai pas besoin d'amis, j'ai juste besoin du Département— J'ai appris, de la dernière fois, j'ai appris— »
La manche fut enfin libérée, les boutons pendant dans le vide, et le bras qui fut dévoilé était couturé de marques. Des traces de brûlures, des coupures ; chacun avec des stades plus ou moins avancés de cicatrisation. Le plus inquiétant, le plus impressionnant, restait cependant l'immense trace rosée qui lui mangeait la moitié de son avant-bras.
Une marque similaire sur bien des aspects à celle qui lui défigurait le visage.
« J'ai appris de votre amitié, Thésée Scamander, » finit-il, et, comme réglés sur du papier à musique, survinrent encore les bruits de l'autre côté du mur. On venait à leur rencontre, et Wilson reboutonnait sa manche avec une main gauche tremblante, le regard désormais fuyant.
« Merde, » souffla Caine à côté de lui, et il était tenté d'agréer.
En fait, il aurait agréé, si seulement les prochains mots qui sortaient de la bouche de la sorcière n'étaient pas « Stupéfix ! », et qu'il ne sentait pas ses muscles se raidirent sous l'effet du sortilège.
Sans pouvoir ralentir sa chute, il tomba dos contre sol. Malgré son champ de vision limité, il pouvait tout de même l'entendre faire de même avec Wilson, puis sortir d'une des poches de son pantalon ce qui semblait être une bague, mais qu'il ne pouvait apercevoir clairement dans la lumière aveuglante de la salle d'interrogation.
« Désolée, directeur, mais je ne compte pas me faire attraper si facilement. »
La dernière chose qu'il vit fut l'air vaguement contrit qu'elle lui lança, tandis qu'elle s'agenouillait de façon à se mettre à sa hauteur. D'une main la bague ; de l'autre, la baguette, qu'elle posa sur sa tempe. La pression ne s'enregistrait même pas ; sa touche était aussi légère qu'une plume.
« Oubliettes. »
