Chapitre 6 : Les heures sombres
Hermione regarda le petit vêtement que lui tendait Ginny avec chaleur. Elle le prit dans ses mains et toucha avec délicatesse le tissu soyeux. Elle était toute émue de cette sortie entre filles pour acheter des vêtements à Ethan. Si Molly s'était fait un devoir de tricoter quelques affaires avec un petit « E » de brodé dessus, Hermione se plaisait quand même à vaquer dans les allées des magasins pour enfants. C'était une étape, et elle était heureuse de la vivre.
-C'est parfait.
-Je te l'offre !
Hermione voulut protester mais elle se rappela que, la veille au soir, elle avait demandé à Ginny et Harry d'endosser les rôles de parrain et marraine. Elle connaissait son amie : Ginny serait intransigeante pour payer.
-Merci beaucoup.
Hermione profitait de ces instants de bonheur. Elle savait que, bientôt, les heures sombres pointeraient leur nez.
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Hermione dévora Remus des yeux. Il lui avait dit et répété à quel point il était heureux qu'elle utilise moins la pierre. Les effets se voyaient sur son hygiène de vie et sur son corps. Elle avait bien meilleure mine. Et, lorsqu'elle était avec Remus, il était vraiment là.
Elle ne pouvait se résoudre à ne plus voir son mari alors qu'ils vivaient les derniers instants avant l'accouchement. Quand ils ne refaisaient pas le monde, ils évoquaient leurs souvenirs. Ils avaient vécu tant de choses, avaient été si heureux.
-Nous avons eu une belle vie, dit alors Hermione.
-Je n'aurais jamais pensé pouvoir être aussi heureux. Ni aussi mièvre.
Hermione éclata de rire. Comme souvent, elle avait envie de toucher Remus. Parfois, sa main se tendait d'elle-même. Dans ces moments-là c'était d'autant plus douloureux de rencontrer le vide.
-Ne sois pas triste ma chérie.
-Je ne le suis pas. Rien ne compte plus que notre bébé. Les souffrances de ces dernières années valent la peine. Sans tout ça, Ethan n'aurait jamais vu le jour.
-Oui. Tu dois avoir hâte de le rencontrer.
Hermione resta évasive. Pourrait-elle avoir le temps de prendre Ethan dans ses bras ?
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Harry ne quittait plus Hermione. Il l'avait même forcé à habiter chez lui et Ginny. Ron travaillait beaucoup et ne pouvait pas rester auprès d'Hermione à chaque seconde, contrairement à Ginny qui était en congé maternité. De plus, avec les journalistes qui traînaient, mieux valait rester soudés. Et puis, ils avaient rapidement trouvé un équilibre. Harry n'était pas mécontent d'avoir sa meilleure amie proche de lui. Il avait si peur de la perdre. Il fallait dire que la jeune femme était tout sauf rassurante. Harry lui, voulait y croire. Ils étaient passés par trop d'épreuves pour que ça finisse mal. Et puis vraiment, que deviendrait-il sans Hermione Granger ?
Ron aussi était optimiste, comme toute la famille Weasley. Alors pourquoi Hermione se montrait-elle si pessimiste ? C'était une chose qu'Harry n'arrivait pas à comprendre.
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La maison des Potter était calme. Dans le ciel, la lune presque pleine brillait de mille feux. Ici, tout le monde dormait. À pas de velours, Hermione prit place sur la table de la cuisine et lança un petit sort pour s'éclairer. Les jours passaient et l'accouchement était de plus en plus imminent. Hermione caressa délicatement la séparation entre Ethan et elle. Une peau. Bon, peut être plus que juste « une peau ». Mais il semblait si proche. Et pourtant il était si loin. Pour le moment, il était à l'abri. Mais bientôt, Ethan naîtrait. Et avant ça, Hermione devait mettre ses affaires en ordre.
La sorcière prit une feuille parmi son tas de parchemin et trempa sa plume dans l'encre noire.
« Mon très cher Harry,... »
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Ce jour-là en rentrant, et comme souvent, Harry surprit Hermione qui regardait James et le petit Albus avec un regard brillant. Ginny était dans la cuisine et semblait cuisiner en chantonnant. Le Survivant eut une seconde d'hésitation puis décida de rester auprès de sa meilleure amie.
-Ils sont beaux, confia Hermione.
-Ils ressemblent à leur mère.
Hermione eut un sourire tendre pour son meilleur ami.
-Pas que. Ginny n'a jamais eu cette masse touffue.
-Tu peux parler !, taquina Harry.
Les deux amis échangèrent un regard complice avant de reporter leur attention sur les deux petits garçons.
-Tu dois avoir hâte de voir Ethan.
-Quand je regarde James et Albus, j'imagine Ethan avec eux. Je sais qu'ils seront amis, dit Hermione avec émotions.
Le coeur d'Harry se gonfla d'amour. Il avait toujours espéré avoir des enfants. Et dans son rêve ultime, ses enfants étaient amis avec ceux de Ron et ceux d'Hermione. Il avait l'envie secrète qu'un nouveau trio se forme et prenne la relève de leurs parents. Malheureusement, la vie sentimentale de Ron ne suivait pas cette voie.
-Ils seront plus que ça. Nous sommes comme un frère et une sœur. Alors ils seront cousins !
-Mais pas comme toi et Dudley !, taquina Hermione en caressant son ventre rond.
Harry s'approcha d'Hermione et la prit contre lui. Elle était chaude, elle allait bien. Alors il n'avait aucune raison de s'inquiéter.
-Harry.
Le ton d'Hermione était trop sérieux, comme souvent ces derniers temps.
-Je veux que tu me promettes que si tu as un choix à faire, tu choisiras Ethan et me laisseras mourir.
La gorge d'Harry se serra. Les mots qu'il venait d'entendre étaient durs. Il ne pouvait pas l'envisager, pas lui faire cette horrible promesse. Il n'accepterait pas de la perdre. Pas Hermione.
Il se tut trop longtemps. Hermione s'écarta et affronta son regard, suppliante.
-S'il te plaît Harry… Je ne supporterai pas de perdre mon fils.
La gorge du Survivant se serra. Le père en lui pouvait comprendre. Lui aussi aurait facilement pu donner sa vie pour un de ses fils. C'était une chose qu'il fallait vivre pour comprendre. Et puis, ce n'était pas parce qu'il faisait une promesse que le pire allait arriver.
-Je respecterai ton choix. Et je te promets d'être là jusqu'au bout.
La main d'Hermione entoura celle d'Harry. Les yeux brillants et le sourire heureux, la future maman remercia son meilleur ami. L'émotion était forte. Un « j'ai peur » faillit franchir les lèvres de la sorcière mais elle se retient de justesse. Ce n'était pas la peine d'inquiéter Harry plus que nécessaire.
-Tu sais, à bien y réfléchir, ils ne seront pas seulement cousins. Eux aussi, ils seront comme des frères.
Harry allait répondre mais Hermione lui lança un regard paniqué. Elle venait de perdre les eaux.
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Hermione s'accrocha aux draps. La lune pleine et ronde illuminait le ciel. Dans son ventre, son bébé réclamait sa liberté. Hermione hurla sous l'effet de la douleur. Autour d'elle, les médicomages s'activaient. Elle sentait la main d'Harry qui lui implorait de rester avec lui, de ne pas l'abandonner. Elle aurait tant aimé que Remus soit là. Une seconde, elle avait imaginé apporter la pierre de résurrection avec elle. Mais c'était une chose dont elle n'avait pas le droit.
-Courage, souffla Harry dépassé. Tu vas y arriver. Bientôt, tout ça sera derrière toi.
Hermione plaqua sa deuxième main au-dessus de celle d'Harry, s'y accrochant avec force. Le Survivant fit une légère grimace mais ne dit rien à Hermione. Le plus dur arrivait, le moment qu'il avait tant redouté. Il n'était pas sûr d'être prêt. Il priait Merlin pour que tout aille bien.
Les risques étaient tellement grands. Comment ferait-il si Hermione perdait l'enfant ? Ou si lui perdait Hermione ? Et si aucun des deux n'y survivait ? Une seule issue sur quatre était acceptable mais il voulait y croire. Harry s'accrocha à cet espoir. Une vie sans Hermione était définitivement impossible.
Durant les heures qui suivirent, Harry mit toute son énergie à soutenir sa meilleure amie et lui insuffler un maximum de force.
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C'était trop dur. Son corps lâchait, ne supportait plus. Ses yeux se firent vitreux. Sa bouche s'ouvrit dans une plainte. Tout semblait tanguer autour d'elle. Elle avait tellement mal…
-Hermione !, supplia Harry. Hermione tu dois rester avec moi d'accord ?
Le monde tournait autour de la jeune femme. Les lumières dansaient devant ses yeux, les sons se mélangeaient. Elle croisa les yeux verts d'Harry, qui brillaient parmi les ténèbres.
-Mon bébé Harry… Sauvez mon bébé, murmura-t-elle d'une voix rauque et douloureuse.
Tout était flou. Sa tête tournait et tournait encore. Il n'y avait que les pupilles vertes. Hermione essaya d'ouvrir la bouche, d'aspirer de l'air en grande quantité. Mais elle hurla face à la douleur. Il lui semblait qu'on lui arrachait le ventre. Tout son corps brûlait. Autour d'elle, les silhouettes s'agitaient toujours plus, parlaient forts, criaient même lui semblait-il. Hermione se forçait à respirer de petites quantités d'air malgré ses poumons douloureux. Elle devait sauver son fils, quoi qu'il lui en coûte. Elle s'accrocha à cette certitude. À l'image qu'elle avait de lui. Ethan. Son fils. Leur fils.
Elle mit dans l'accouchement la moindre onde de force qu'il lui restait. Un instant, elle perdit la lumière émeraude.
Et soudain, parmi la cacophonie, un son se dégagea des autres. Un pleur. Impétueux, magnifique.
L'esprit embrumé, Hermione regarda l'étrange forme floue que l'on approchait d'elle. L'ombre confuse bougeait. Il fallut quelques secondes de concentration pour qu'Hermione puisse voir avec une netteté sommaire son enfant. Il était couvert de sang et la regardait calmement. Ses yeux curieux étaient encore bleus et son léger duvet de cheveux était trop fins pour qu'elle puisse deviner la couleur définitive. Hermione tendit sa main qui tremblait fortement et réussit à caresser la petite joue ronde et douce. De fines larmes coulèrent de ses yeux marrons. Son bébé était né, elle avait réussi, elle l'avait sauvé. Elle était mère. L'enfant de l'amour, de son amour avec Remus, était vivant.
Elle ouvrit la bouche pour parler mais fut incapable de sortir le moindre son. La douleur s'était tue, avait disparut. Hermione avait froid.
La petite forme se rapprocha d'elle et Hermione put embrasser la joue poisseuse de sang, de son sang. La bouche en forme de coeur fit bruit de suçon adorable. Hermione ne distinguait plus que cette forme. Que son enfant, qui tendait désespérément ses petites mains vers elle. Il la réclamait. Hermione aurait voulu le prendre et le serrer contre elle, voulu lui dire à quel point il était exceptionnel et qu'elle était si fière. Elle aurait voulu le rassurer mais la seule chose qu'elle put faire fut un murmure étouffé mais plein de tendresse :
-Je t'aime, Ethan.
Hermione aurait voulu lutter. Elle aurait voulu se battre pour l'onde de vie qui se trouvait dans son corps. Mais déjà les battements de son coeur ralentissaient. Hermione ne pouvait pas gagner, pas cette fois. Elle regarda le petit être qu'elle aurait voulu, au-delà de tout, tenir dans ses bras. Peu à peu, les traits d'Ethan s'effacèrent. Puis, Hermione laissa l'obscurité et le froid l'engloutir.
