LA NOBLESSE DES SENTIMENTS.

VII. LA LUMIÈRE POUR CHASSER LES TÉNÈBRES.

Levi se sent tomber d'un précipice. Son coeur fait une embardée et il prend une grande inspiration.

Il se rattrape de justesse avant que sa tête lourde ayant glissée de son poing ne frappe violemment l'accoudoir.

Après ce brusque retour à la réalité, les dernières brumes du sommeil sont chassées par un frottement vigoureux du visage à l'aide du plat de ses mains.

Il se rend compte avec exaspération qu'il s'est assoupi dans le bureau d'Erwin et que celui-ci n'a pas osé le réveiller pour le renvoyer aux baraquements.

Levi ne l'aura même pas entendu retirer le livre qui traînait sur ses genoux et le draper d'une couverture avant de se retirer dans ses quartiers, le laissant seul ici. Bon, pas si seul finalement, Erwin se tient juste à côté de lui...

L'ancien voyou des bas-fonds tourne la tête vivement sur le côté, pour vérifier qu'il ne rêve pas.

Non... Non il est bien trop charnel pour n'être qu'une illusion.

Son major dort avachi contre le dossier, la tête penchée sur le côté, les bras croisés sur sa poitrine.

Sérieusement...

Il a préféré dormir à s'en casser le dos sur le canapé à ses côtés plutôt que de rejoindre son lit douillet.

Bon.. Puisqu'ils en sont là...

Levi attrape un pan de la couverture et le tire pour qu'elle le recouvre lui aussi.

Puis il se réinstalle plus confortablement, faisant passer ses jambes au-dessus de l'accoudoir pour s'allonger dans le sens de la longueur du canapé. Il pose ensuite sa tête sur l'épaule du blond, l'utilisant comme oreiller.

Avec un peu de chance, il réussira à se rendormir d'un sommeil sans rêve, pour quelques heures supplémentaires.


La diligence les mènent au district de Stohess, où doit se tenir une réunion officielle.

Mike et Levi font office d'escorte à Erwin. Pas qu'il leur a ordonné de l'accompagner, non, ce sont eux qui se sont portés volontaires. Et ils lui ont d'ailleurs bien fait comprendre que c'était non négociable.

La route est longue depuis Maria.

On ne sait jamais ce qui peut arriver en cours de route.

Si on essaie de te faire la peau, on ne sera pas de trop, Levi et moi.

Tu risques de te faire chier, on va pimenter un peu ta journée, avait rajouté Levi.

Devant le sur-enchérissement d'arguments de ses deux subordonnés, Smith avait capitulé.

Il savait que ça allait être barbant et ennuyeux pour deux hommes d'action comme eux. Mais les voir consacrer autant de leur temps libre dans le seul but de l'accompagner le rendait heureux. Le voyage passera plus vite en agréable compagnie.

Levi n'a encore jamais mis les pieds à Stohess, ce sera l'occasion de lui faire visiter la ville qui l'a vu grandir, en contre-partie.

Le voyage se passe sans heurt. Les trois hommes discutent, Mike et Erwin livrant à un Levi très attentif quelques anecdotes sur leurs jeunes années.

Lors de la traversée des plaines de Rose, Mike en profite pour piquer un somme, Erwin sort un livre et Levi observe distraitement le paysage à travers les carreaux.

La diligence cahote au rythme des mouvements des chevaux et des pierres qui jonchent le chemin de terre. Cela agace passablement le noiraud qui aurait largement préféré être à dos de sa jument, mais il n'a pas eu son mot à dire.

La diligence fait un arrêt dans un petit village agricole pour le déjeuner.

Mike en descend en étirant sa grande carcasse, bien content de se dégourdir les jambes. Erwin sort à son tour pour lui emboîter rapidement le pas et les deux hommes se dirigent vers l'auberge pour s'offrir un bon repas. Levi, toutefois, ne les suit pas.

Après avoir posé pied à terre, son regard est attiré par l'immense champ se trouvant de l'autre côté de la route.

Guidé uniquement par ses envies et sa curiosité, il s'avance vers la plantation, tandis que ses deux camarades s'éloignent sans avoir remarqué son absence.

Il s'arrête au pied de la plante, observant sa longue et solide tige verte, avant d'être obligé de lever la tête pour contempler la fleur à son sommet.

Elle est aussi haute que cette grande perche d'Erwin. Et tout aussi chatoyante d'ailleurs...

Car elle semble regarder le soleil pour s'abreuver de sa lumière. Les rayons de l'étoile brûlante font briller ses nombreuses pétales d'un jaune vif et tonique, qui font presque mal aux yeux de Levi, à force de les fixer.

Ce qu'il a pu lire sur cette espèce est donc vrai.

De manière magique, la fleur du tournesol qui pousse en terre s'oriente vers l'est, vers le soleil levant. Comme pour aller chercher les premières lueurs de leur astre après les ténèbres de la nuit...

Levi...?

L'interpellé se retourne, mains dans les poches. Erwin s'avance vers lui, interrogatif.

Tout va bien ?

Oh, Erwin... J'ai retrouvé tes frangins.

Erwin le regarde avec un air dubitatif.

Mes... frangins...?

Oui, grand dadais. Ces tournesols sont aussi haut perchés que toi !

Ah, ahah, tu as raison !

Son sourire amusé frappe Levi en plein cœur. Ses yeux s'ouvrent en grand pour observer, interdit, le visage de son supérieur se retrouver baigné de lumière.

Le soleil illumine son sourire, le rendant encore plus resplendissant qu'il ne l'est habituellement et donne un éclat si brillant à ses cheveux blond, qu'on dirait un ange...

Levi est soudain ébloui.

Et il se rappelle de cette nuit où tout n'était que ténèbres et néant... Jusqu'à ce qu'il arrive.


Ses proches se font aspirer par des ténèbres grouillantes. Lui-même est en train de se faire engloutir...

Il se réveille d'un bond, la bouche ouverte, sans parvenir à respirer.

Une petite flamme vacillante flotte rapidement dans sa direction. Il la fixe jusqu'à ce qu'elle soit imprimée sur sa rétine, incapable de bouger.

Levi...

Levi !!

Il sent deux grandes mains se refermer sur ses épaules et le secouer doucement mais fermement. Le noiraud se concentre sur ce contact, tout en suffoquant. Sa poitrine est douloureuse, comme si un titan la lui écrasait.

Respire Levi.

Levi, regarde-moi !

Il fait l'effort de remonter les bras qui le soutiennent jusqu'à trouver un visage et des yeux bleu ciel capablent de transpercer son âme. Erwin. Il s'est précipité à son chevet et se tient maintenant agenouillé sur le lit, face à lui.

Respire.

Voilà... Calmement.

Il essaie d'imiter Erwin qui prend de longues et lentes inspirations et expirations régulières.

La crise d'angoisse faiblit et il parvient enfin à faire circuler correctement l'air dans ses poumons.

Son cœur cogne contre sa cage thoracique si fort qu'il est sûr que même son compagnon d'arme peut l'entendre.

Comment a-t-il su qu'il n'allait pas bien d'ailleurs ? Il ne s'est pas entendu crier. Ou peut-être que si... ?

Les questions s'estompent et ses yeux se ferment quand ses mains, fraîches par rapport à son visage brûlant, viennent entourer son visage. Ça fait du bien...

Erwin peut sentir son corps nerveux encore tremblant. Il incline légèrement la tête de son caporal en arrière et rapproche son visage du sien, cherchant à capter son regard.

Levi... Parle moi... pleure, hurle, ou bien frappe-moi si tu préfères, mais ne te retiens surtout pas...

Il faut que tu libères toutes ces émotions que tu as enfouis profondément en toi sinon elles risquent de remonter à la surface pour t'étouffer et t'attirer vers le fond...

Levi baisse la tête. Il a les dents serrées et ses muscles sont tendus à l'extrême.

Ses poings s'abattent violemment sur le torse du blond.

Toute cette rage, sa colère, son désespoir, ses peurs... se déversent dans cet unique coup.

Erwin bouge à peine, absorbant le choc sans montrer le moindre signe de souffrance. Son visage préoccupé est entièrement focalisé sur les moindres réactions du plus petit.

Levi souffle en tremblant et ses doigts se replient sur la chemise d'Erwin, s'accrochant à lui comme à une bouée de sauvetage.

Il serre le tissu fin à s'en faire mal, afin de s'ancrer à la réalité et repousser ses démons intérieurs.

Erwin attend patiemment que Levi relâche la pression qu'il exerce sur son haut. Lorsqu'un soupir s'échappe des lèvres du noiraud, il laisse ses bras quitter ses joues pour retomber le long des épaules du combattant. Lui-même laisse son corps se détendre, soulagé que la crise soit passée.

Levi fait glisser ses doigts le long de des bras d'Erwin, jusqu'au creux de ses mains. Il frôle sa peau, caressant du bout des doigts la cicatrice qu'il lui a faite à l'époque où il s'était juré de le tuer.

Les mains du plus grand se referment sur les siennes, pour les presser doucement, lui offrant protection, soutien et chaleur.

Si tu veux en parler...

Levi secoue vivement la tête une fois pour lui répondre que non

Il ne veut plus y penser. Pas maintenant. Pas quand, enfin, il a retrouvé un semblant de calme, au moins pour cette nuit.

Tout ce qu'il désire actuellement c'est pouvoir rester aussi longtemps que possible dans cette plaisante sérénité et sécurité dans laquelle il est plongé, sans se soucier du passé ou du lendemain.

Là, dans l'obscurité de la chambre, il se redresse sur ses genoux pour entourer de ses bras le cou d'Erwin.

Le temps semble se suspendre.

Levi enfouit son visage dans son cou tandis que les mains du blond caressent doucement son dos, le rassérènant.

Un seul mot est murmuré à son oreille, tandis que Levi l'étreint tout contre son cœur.

Reste.

Juste encore un peu...

Pour prolonger cet instant, et ce sentiment de paix intérieure que sa présence lui apporte...


Le chef des explorateurs tend son bras vers le tournesol, le tournant délicatement vers lui pour l'examiner.

Les grains ne sont pas encore arrivés à maturité. Il faudra attendre fin septembre avant de pouvoir les récolter.

Il lui explique cela sans se départir de son sourire. Ce n'est que lorsqu'il croise le gris acier des iris de Levi fixés sur lui qu'il s'étiole légèrement et Erwin se tait.

Les deux hommes se fixent un moment sans rien dire, avant que le blond ne finisse par reprendre la parole.

Tu... Tu veux en cueillir un ?

La réponse tarde, mais finit par venir, murmurée par le plus petit.

Non.

Pas besoin.

Il en a déjà un...

Il baisse la tête et se détourne du major pour rejoindre l'auberge où Zacharias doit les attendre.

Le blond le rattrape en quelques grandes foulées et se positionne à ses côtés, une main par-dessus son épaule.

Oui, Erwin apporte -il est- la lumière à ses ténèbres.


~*o*Tournesol*o*~

''Tu es mon soleil''

Admiration sans réserve, bienvaillance, réconfort, soutien, joie, bonheur.