Voici la suite.

Portez-vous bien, tout le monde!


Chapitre 7. Circonvolutions I

Garverdel rapetissait, inexplicablement.

Le plafond baissait.

La taille des cellules fondait à vue d'œil.

Les longs murs des corridors se rapprochaient les uns des autres.

Hermione se croyait sur le point d'être ensevelie vivante sous le toit de la prison quand elle se réveilla en sursaut, emmêlée dans les draps de son lit, ses boucles plaquées sur sa nuque par la sueur.

Elle mit plusieurs secondes à reprendre ses esprits.

Il faisait sombre, le soleil maussade de novembre était couché depuis longtemps.

Son cœur se serra quand elle réalisa que Severus Rogue était encore dans le laboratoire, là où elle l'avait laissé des heures plus tôt.

Oh, Merlin.

Il fallait qu'elle le ramène à sa cellule au plus vite.

Il n'y avait même pas de chaise dans le laboratoire, Rogue allait vouloir l'étriper. Avec une bourde pareille, elle pouvait dire adieux à leur collaboration toute relative.

Elle se rafraîchit à la hâte, lissant sa tenue et mettant un minimum d'ordre dans ses cheveux, puis s'aventura à pas feutrés dans les corridors déserts.

Garverdel était beaucoup plus grand qu'il n'y paraissait en réalité, avec ses nombreux sous-sols empilés magiquement les uns par-dessus les autres. L'étage des chambres des responsables aux travaux particuliers était situé sur une espèce de mezzanine, sans doute enchantée elle aussi, laquelle donnait l'impression à Hermione d'être la seule geôlière à habiter les lieux.

La veille, elle avait aperçu la silhouette vêtue de noir d'un autre responsable qui montait l'escalier en colimaçon devant elle, mais il avait semblé s'être volatilisé quand Hermione avait gagné la mezzanine à son tour.

Tout semblait planifié pour créer une impression d'isolement. Ou peut-être simplement pour éviter que les geôliers ne complotent ensemble quelque stratégie pour ficher le camp. C'était sans doute ce qu'Hermione aurait voulu faire, si elle avait pu nouer le moindre lien avec les sorciers invisibles qui lui servaient de collègues.

Quel horrible endroit.

Combien y avait-il d'occupants ici? Une vingtaine? Hermione n'avait pas vu âme qui vive, hormis le gardien de Garverdel, la femme en tailleur de soie et cette silhouette fugitive dans l'escalier. Et son prisonnier, bien entendu.

Garverdel était comme une tombe.

Arrivée devant le laboratoire numéro 9, Hermione reprit son souffle et ouvrit, sa baguette prudemment serrée dans sa main droite.

Rogue était là, complètement absorbé dans sa tâche sous le dôme de lumière bleuâtre.

Hermione ouvrit la bouche pour s'excuser, mais finalement se ravisa. Un geôlier devait-il vraiment s'excuser à son prisonnier?

Rogue lui glissa un regard.

- Laissez-moi une minute.

La voix grave flotta dans le silence alors qu'Hermione contemplait le Maître des Potions à l'œuvre. Ses gestes étaient précis, fluides, comme s'il exécutait une chorégraphie mille fois répétée. Elle observa les longs doigts d'albâtre s'activer, manipuler, poser les ustensiles, puis se frotter les uns contre les autres.

- Allons-y.

Elle cilla et reporta son attention sur le visage de marbre qui la contemplait.

Il avait terminé.

Le retour à la cellule fut aussi périlleux, aussi calculé qu'au matin. Il était tard, Hermione aurait dû être soulagée du faible risque de tomber sur un autre spécialiste en déplacement avec son geôlier, ce qui aurait pu la placer dans une position délicate.

Et pourtant.

Pas un son ne filtrait à travers les portes closes et les murs opaques, à tel point qu'elle se sentait seule au monde avec Severus Rogue. Cette idée la fit frissonner.

Plusieurs minutes plus tard, lorsqu'elle parcourait le même corridor en sens inverse, cette fois seule, elle réalisa qu'elle avait oublié de remettre les menottes magiques à son prisonnier.

Elle ralentit le pas et jeta un regard derrière elle, en proie à l'hésitation. Le corridor, faiblement éclairé, semblait s'enfoncer dans la noirceur là où se trouvait la porte de la cellule numéro 3.

Non, il était hors de question qu'elle retourne là-bas. Severus Rogue passerait la nuit libre de ses entraves.

Pour ce que ça changeait… tenta-t-elle de se convaincre.

Elle fit volte-face et grimpa à pas de loups les longs escaliers en colimaçon qui allaient la ramener à la sécurité toute relative de sa chambre.


Il semblait l'attendre le lendemain matin, debout au fond de sa cellule, dans une posture figée qui rappelait une statue de cire.

Hermione se demanda à quoi un intellectuel comme lui pouvait bien occuper son esprit pour tuer tout ce temps libre, sans personne à qui parler, sans livre à lire, sans rien de concret pour se changer les idées.

Et pourtant, il semblait terriblement… normal. Comme si le fait d'être privé de sa liberté et forcé à accomplir des travaux invraisemblables ne suffisait pas à faire perdre la tête à Severus Rogue, ou à tout le moins à le plonger dans une aigreur sans fond.

Il ne lui avait pratiquement pas lancé de méchancetés depuis qu'elle travaillait ici, mais c'était sans doute pour mieux endormir sa méfiance et frapper fort au moment où elle ne s'y attendrait plus.

Elle devait se tenir sur ses gardes.

Hermione posa les yeux sur les bras croisés de son spécialiste. Sous son t-shirt rouge de prisonnier, des manches longues blanches couvraient ses avant-bras. Elle supposa qu'il avait profité de sa liberté de mouvement pour enfiler ce vêtement, et peut-être même pour effectuer quelques répétitions supplémentaires dans son entraînement matinal. Pendant une seconde, l'image du long corps vigoureux se hissant dans les airs flotta dans l'esprit d'Hermione, mais elle la chassa bien vite. Ces exercices n'étaient destinés qu'à l'intimider.

- Je dois vous remettre les menottes, annonça-t-elle.

Il dénoua les bras, mais son visage resta de marbre, comme si rien ne pouvait l'atteindre.

- Je n'attends que ça.

Ignorant le sarcasme, elle remua sa baguette, et les entraves de métal vinrent encercler les poignets de Rogue.

Elle se dirigea ensuite vers la porte, à reculons, et allait poser sa paume sur le bois décrépit quand l'incident se produisit, pour la première fois et certainement pas la dernière.

Un hurlement, horrible.

Quelqu'un hurlait, quelque part dans les sous-sols.

Hermione écarquilla les yeux.

Elle comprit qu'il s'agissait sans doute d'un prisonnier torturé par son geôlier, et ce constat ne fit que précipiter la course folle de son cœur.

Comme la plupart des personnes qui avaient connu la guerre, Hermione était restée profondément traumatisée, et ce simple cri raviva un flot d'images qu'elle s'efforçait de garder enfouies bien loin sous les sédiments de sa mémoire.

Elle tenta de garder son sang-froid, sous les yeux perçants de Severus Rogue, mais son souffle s'affolait. Elle voulait juste que le cri cesse, immédiatement.

Il cessa.

Elle mit plusieurs secondes à se rappeler ce qu'elle s'apprêtait à faire.

Pendant ce temps, Severus Rogue la contemplait, immobile, le visage impénétrable.

- Allons-s-s-y.


La journée au laboratoire fut longue comme une nuit d'insomnie. Il n'y avait pas de chaise dans la pièce, de telle sorte qu'Hermione dut passer de longues heures debout, immobile. Elle suivait des yeux les moindres mouvements de Rogue, prête à dégainer sa baguette et à bondir au moindre mouvement louche, avec encore dans les oreilles l'écho du cri qui lui avait transpercé les tympans.

Tous ses membres protestaient douloureusement contre cette posture figée et prolongée. Elle essaya de piétiner un peu pour activer la circulation dans ses jambes, mais ses orteils finirent invariablement par s'ankyloser. Mêmes ses épaules brûlaient tellement elles étaient tendues.

Le retour à la cellule de Rogue fut un soulagement.

Elle n'avait plus qu'une envie en tête : se planquer dans sa propre chambre – cellule – et se rouler en boule sur son lit pour soulager le bas de son dos qui criait grâce.

Elle allait sortir, lorsque la voix grave de Rogue l'arrêta.

- Stop.

Elle serra machinalement les doigts autour de sa baguette.

Leurs regards se soudèrent.

- Quelqu'un passe.

- Pardon?

- Dans le corridor. Il y a quelqu'un.

Elle comprit en tendant l'oreille qu'il disait vrai.

Des voix, feutrées.

Ils restèrent plantés l'un en face de l'autre, à bonne distance, le temps que les bruits s'éloignent, que le claquement d'une porte retentisse au loin.

Hermione savait qu'il était dangereux pour elle de circuler dans les corridors quand d'autres prisonniers s'y trouvaient, mais elle ne comprenait pas pourquoi Severus Rogue l'avait mise en garde.

Elle ressentit à nouveau le besoin urgent de mettre de la distance entre eux.

Elle réalisa de retour à sa chambre, l'estomac noué, qu'elle avait une autre fois oublié de lui remettre ses menottes.