Chapitre cinq : Un échec cuisant
Anathème se laissa tomber sur la chaise de sa cuisine, au Jasmin cottage, en soupirant avec force, les yeux fermés de fatigue. Malgré l'heure avancer de la nuit, elle entendait autour d'elle son fiancé s'activer, entrechoquant la vaisselle avec moins de discrétion qu'il ne l'aurait certainement voulu, et très vite, une assiette chaude ainsi qu'un thé était posé devant elle.
- - Tu prends de plus en plus de temps là-bas. Finit par dire Newton en s'installant en face d'elle.
La jeune femme rouvrit les yeux et tourna la tête vers l'extension qu'elle avait fait rajouter au cottage pour accueillir leurs amis immortels dont la porte fermée était visible depuis sa place.
- - J'essaye de trouver comment enlever son collier à Aziraphale. Expliqua-t-elle en prenant sa fourchette.
Newton était peut-être maladroit, mais il cuisinait très bien. Ce soir, il avait préparé des lasagnes de légumes et pour les avoir déjà gouté autrefois, Anathème savait qu'elles étaient délicieuses. Pourtant, au lieu de commencer à manger, elle entreprit de les défaire.
- - Je suis complètement inutile. Soupira-t-elle, dépitée.
- - Tu rigole ? Sans toi, on n'aurait jamais rien su de ce qui leur est arrivé !
- - Sans moi, le livre d'Agnes n'aurait pas finit en cendre…
Newton eut un soupir d'exaspération. Ca n'était pas la première fois qu'ils avaient cette conversation, depuis trois ans, elle était même devenue très récurrente, et à chaque fois, le jeune homme essayait de la rassurer avec douceur et compassion. Mais pas ce soir à priori…
- - Tu ne sais pas ce qu'il y avait dans ce livre. Dit-il d'une voix ferme. Peut-être qu'il aurait pu les protéger. Peut-être pas. Tu n'en sais rien.
- - Agnès les a déjà protégés une fois…
- - Et alors ? Tu n'en sais rien. Et te culpabiliser sans fin sur ce qui aurait pu hypothétiquement se passer ne changera rien à l'histoire. Ils ont vécu l'Enfer. Et peut-être qu'ils n'y survivront pas.
Sa dernière phrase fit monter les larmes aux yeux d'Anathème parce qu'elle savait, étant celle qui prenait en charge les soins apportés aux deux créatures immortelles, qu'elle était vrai. Si grâce à son don, elle avait sue ce qui se passait et où aller pour les retrouver, il y avait encore tant d'incertitude sur la suite des évènements.
S'en était effrayant. Elle qui avait brulé le livre pour pouvoir vivre sa vie comme un être humain lambda, qui avait finalement renoncé à ce souhait pour devenir elle-même une voyante, qui savait maintenant des choses sur le future, des choses qui concernerons ses descendants, elle était incapable de savoir ce qui allait advenir d'Aziraphale et de Rampa.
Le savoir était devenu comme une drogue pour elle. Ce n'était plus simplement pour venir en aide aux deux immortels, mais comme un besoin à combler, un vide dans son esprit provoqué par l'ignorance et qui lui brûlait l'âme.
Anathème n'était pas née voyante et ce don de double-vue qui était le sien maintenant tenait plus de la malédiction. Ses angoisses étaient décuplée depuis qu'elle savait, et surtout lorsqu'elle ne savait pas. La peur de l'échec, de mal faire…. Elle qui avait grandit avec les prédictions d'Agnès connaissait l'effet papillon et savait qu'une petite erreur, une infime erreur, pouvait provoquer des évènements cataclysmique.
- - Anathème, ma chérie…
Voyant sa fiancée pleurer, Newton s'était immédiatement calmé. D'un geste rapide –qui faillit renverser la table- il se leva pour contourner cette dernière et venir s'agenouiller devant elle, lui prenant les mains pour la tourner vers lui.
- - Anathème, tu ne savais pas et au final, ce qui compte, c'est que tu as fait ce qu'il fallait et à quel prix ? Je vois bien que tu es mal, dit-il en leva une main pour prendre son visage en coupe. Tu ne dors qu'avec des somnifères, tu te réveilles avec des excitants… Bon sang, tu avale plus de caché que de vrai nourriture. Tu as perdu tellement de poids…
- - Newton…
- - T'en fais pas, je comprends. Enfin, pas tout. Il se passe trop de chose dans cette jolie tête, dit-il pour essayer de la faire sourire malgré les larmes, en écartant ses cheveux de sons visage.
Cela fonctionna un peu, et Anathème ne put retenir un petit rire alors qu'elle fermait les yeux pour savourer de sentir sa main dans ses cheveux. Ils avaient couché ensemble la première fois sur une prédiction de son aïeule, mais sa relation avec lui allait bien au-delà de ça : elle avait trouvé un véritable soutient auprès de lui.
- - Tu t'es mise en danger pour corriger ce qui n'était peut-être pas une erreur, reprit-il d'une voix sérieuse. Tu as passé les trois dernières années à valider un diplôme d'infirmière et à faire médecine pour pouvoir les soigner toi-même. Tu as acheté et agrandit ce cottage pour pouvoir les accueillir. Tu as mis ta vie entre parenthèse depuis si longtemps pour eux…
- - Notre mariage… murmura-t-elle en sentant monter une nouvelle émotion.
- - Chute, notre mariage sera célébré par Aziraphale, comme convenu. Il peut attendre. Je peux attendre. Expliqua-t-il en insistant sur le « je ». Tu es une femme merveilleuse, tout ce que tu as sacrifié pour eux… j'aimerai que tu puisses le voir, que tu te vois comme je te vois, pour que tu comprennes toute la futilité de ta culpabilité.
- - Newton…
Même si elle était touchée par sa déclaration, Anathème se sentait dépité. Ils avaient déjà eu cette conversation mais c'était comme parler à un mur. Si son fiancé comprenait un peu sa culpabilité, il n'en mesurait pas la profondeur, ne voyait pas son besoin d'expiation, son vœux pieux pour effacer une erreur monumentale.
Mais ce soir, Anathème se sentait épuisée, elle n'avait pas la force de le reprendre, de tenter encore une fois de lui ouvrir les yeux pour lui montrer à quel point elle n'était pas bonne, horrible même. Monstrueuse.
- - Je t'aime Anathème. Et je vais attendre. Parce que c'est important pour toi. Je vais te soutenir comme je peux. Mais il faut que tu m'aide. Te torturer en sautant les repas ou en relisant encore et encore les mêmes livres de sorcellerie ne va rien changer. Quand ils pourront l'entendre, tu leurs demanderas pardon. Parce que tu en a besoin même si je pense que tu n'es pas coupable. Et maintenant tu vas manger, puis on ira se coucher et je te garderais dans mes bras toute la nuit. Je ne te lâcherai pas, compris ?
- - Newton…
Bouleversée, Anathème se pencha pour enfouir son visage dans le creux de son cou et immédiatement, elle sentit les bras puissants du jeune homme se refermer sur elle, l'enveloppant dans une étreinte réconfortante. Elle n'était pas d'accord avec lui sur certain point, mais peut-être ce soir pouvait-elle faire comme si…
ooOoo
Au matin, Anathème rouvrit difficilement les yeux. La fatigue médicamenteuse lui brouillait l'esprit et son premier geste fut de tendre la main vers sa table de nuit pour se saisir de la boite de cachet qui y trônait. Avec une habilité venue de l'habitude, elle en sortit deux pilules qu'elle avala rapidement.
L'effet serait rapide, elle le savait, mais en attendant, la jeune femme pouvait rester au chaud sous la couette, tout contre Newton. Comme il l'avait promis, il ne l'avait pas lâché de la nuit, et elle sentait peser sur son ventre le poids réconfortant de son bras.
Newton était un gentil garçon, aveuglé par son amour pour elle et même si Anathème voulait qu'il voie ce qu'elle était vraiment, elle était heureuse de ne pas parvenir à lui ouvrir les yeux. Sans son soutien, elle n'aurait sans doute fait que le quart de ce qu'elle avait entreprit pour aider leurs amis immortels.
Petit à petit, sous l'effet du cachet, la fatigue refluait. D'un brouillard épais dans son esprit, elle passa à un simple bourdonnement derrière ses yeux et la jeune femme put se lever, écartant doucement le bras de son fiancé pour ne pas le réveiller.
Après un passage obligé à la salle de bain pour se préparer pour la journée, Anathème descendit au rez-de-chaussée et en bas de l'escalier, hésita sur le chemin à prendre. Comme toujours, Newton avait déjà tout préparé la veille pour lui permettre de prendre un petit déjeuner sain et nourrissant.
Pourtant, après un regard à l'horloge pour se conforté dans l'idée qu'elle n'avait pas le temps, la jeune femme ignora la cuisine pour se rendre dans l'extension du cottage qu'elle avait fait construire pour Aziraphale et Rampa.
Devant la porte, elle inspira profondément pour se donner la force d'agir. Les deux immortels étaient déjà au plus bas, elle ne pouvait pas craquer devant eux.
Une fois calme, elle toqua puis entra sans attendre de réponse. Ce n'était pas comme s'ils étaient en mesure de pouvoir lui en donner…
La chambre qu'elle avait fait aménager était spacieuse, assez pour accueillir deux lits médicalisé et l'ensemble des machines de soutien à la vie qui était nécessaire, et éclairé par une immense bais vitrée. Comme tous les jours, le bip régulier de l'électrocardiogramme d'Aziraphale l'accueilli.
Anathème eut un petit soupir, rassurée de voir qu'aujourd'hui encore, l'Ange allait vivre. Mais avant de se lancer dans le long protocole de soin de ce dernier, ayant de multiple pansements et bandages à changer, de plaies à contrôler, elle se tourna vers Rampa.
Le Démon n'était attaché à aucune machine. Son lit faisait face à l'Ange et avec la tête relevé comme s'était actuellement le cas, il pouvait le surveiller, ne clignant jamais des yeux, plus immobile qu'une statue de pierre.
- - Bonjour Rampa, fit la jeune femme en s'approchant du lit.
Comme elle s'y attendait, le Démon ne réagit pas. Depuis presque trois semaines qu'ils étaient de retour parmi eux, ses seules réactions avaient été pour garder Aziraphale à porter de regard. Le reste du monde lui était complètement indifférent.
Anathème se détourna pour aller se laver les mains et se préparer aux soins à exécuter, entre frustration de n'avoir aucune réponse et colère devant l'échec de ses actions. Dans la salle de bain attenante, elle prit le temps de respirer profondément pour rester calme.
Elle ne devait pas craquer devant eux.
Pourtant, lorsqu'elle revint au Démon, elle ne lui adressa pas la parole et entreprit de changer le bandage qu'il avait autour du cou en silence.
Au début, elle parlait, expliquant ce qu'elle faisait, comment elle avait réussi à enlever le collier de restriction de Rampa parce que les restrictions d'être démoniaque étaient très bien renseigné dans les livres, comment ce même collier avait gravement endommagé sa gorge, comment l'objet et sans doute aussi les cris –elle avait été assez timide sur cette hypothèse et aucune réaction de Rampa n'avait permis de l'infirmer ou non-, avaient endommagé ses cordes vocales.
Au début, elle avait été optimiste, affirmant comment il allait guérir vite maintenant qu'il n'avait plus de restriction, comment sa force allait revenir et comment il allait pouvoir à nouveau se mouvoir après tout ce temps passé immobile, enchainé en Enfer.
Au début, elle avait été naïve…
Rampa guérissait. La chaire de son cou s'était reconstituée. Une blessure qui chez un homme ordinaire aurait pu être létale, prendre des mois et des mois à se refermer, laisser d'atroces cicatrices, s'effaçait lentement mais surement sur le Démon. La peau était encore tendre, absente par endroit, mais en changeant les bandages, Anathème savait que dans quelques jours, il serait guérit.
- - Je suis sure que tes cordes vocales sont réparer elles aussi. Je voudrais que tu essayes de parler.
Comme elle s'y attendait, Rampa ne réagit pas et la jeune femme soupira, dépité.
- - Essaye au moins de bouger ! tenta-t-elle encore, sans doute plus agressive qu'elle ne l'aurait voulu.
Mais une fois encore, ce fut un échec cuisant. Un échec de trop pour la jeune femme qui, malgré toutes ses préparations, malgré tout son travail sur elle-même pour rester calme, vit rouge.
- - Tu sais quoi, j'en ai rien à faire. S'exclama-t-elle en prenant la télécommande du lit. Tu veux voir Aziraphale ? Tu devras bouger pour ça.
Avec plus de force que nécessaire, elle appuya sur le bouton pour faire descendre le dossier, forçant le démon à se rallonger. Ainsi, il ne pouvait plus voir l'Ange devant lui. Anathème se sentit désolée pour lui lorsque les premiers gémissements pitoyables se firent entendre, et dans les yeux jaunes exorbités, la panique était clairement visible, mais sa colère était trop grande.
Elle était infirmière de formation maintenant, ce qu'elle faisait pouvait s'apparenter à de la maltraitance, et les deux immortels n'avaient pas besoin d'être torturer d'avantage, pourtant, elle ne céda pas, et une fois le lit à plat, elle posa la télécommande sur le ventre du Démon.
- - Redresse-toi si tu veux le voir.
Puis elle s'en détourna pour aller s'occuper de son second patient. Un détour par la salle de bain pour se désinfecter à nouveau les mains lui permis de calmer un peu ses nerfs, et lorsqu'elle retourna dans la chambre, elle ne jeta pas un regard au Démon, n'écoutant pas ses pleurs pathétiques, se concentrant uniquement sur l'Ange.
Aziraphale prenait plus de place dans la chambre. Déjà parce que ses ailes étaient visibles, étendues sur deux tables de part et d'autre du lit, deux amas de chaires brûlées, déchirées, détruites, laissant par endroit voir l'os et dépourvues de plumes, mais aussi parce qu'il y avait plusieurs machine de soutien à la vie autour de lui.
Un humain serait mort tellement de fois mais Aziraphale n'était pas humain et c'était à cause de cela que son cœur continuait de battre, avec une régularité rassurante. Il arrivait souvent, au cours des soins, que cette régularité s'envole au profit d'une tachycardie qui traduisait la panique de l'Ange. Il n'aimait pas qu'on le touche.
Alors Anathème parlait. Expliquait ce qu'elle faisait, ce qu'elle allait faire, espérant que dans son inconscience, qu'il n'avait pas encore quitté depuis qu'ils avaient été retrouvé, il l'entende et que cela le rassure.
Malgré tout le mal qu'elle pensait d'elle-même, Anathème n'était pas un démon, elle n'allait pas torturer d'avantage la pauvre créature vulnérable devant elle et la jeune femme espérait qu'Aziraphale le sache, le comprenne.
Les soins étaient longs, absorbant. En retirant les bandages pour les changer, Anathème ne fut qu'à moitié surprit de voir les plaies inchangées. Pas de guérison. Pas d'infection non plus. Le temps pour l'Ange était comme suspendue. Il n'y avait aucune évolution visible.
La jeune femme théorisait que cela devait être la faute du collier. Si elle avait pu sans problème ouvrir celui de Rampa, il n'y avait aucune texte, aucune liturgie concernant les créatures divines et leurs restrictions. La sorcière ne savait pas comment l'enlever.
Et elle avait peur d'essayer, d'aggraver les choses pour l'Ange. Il était stable, si ce n'était quelques pics de panique qui étaient certes impressionnant mais non létal, alors elle ne voulait pas se précipiter, et usait de tout son temps libre pour chercher, encore et encore, une solution à ce problème.
- - J'aimerai que tu sois réveillé, Aziraphale. Tu saurais certainement ce qu'il faut faire pour enlever ce collier. Soupira-t-elle en changeant le dernier pansement.
Bien entendu, l'Ange ne lui répondit pas et l'infirmière soupira, entre tristesse et dépit. Maintenant qu'elle avait finis les soins, elle entendait à nouveau le Démon et ses pleurs. Un instant, elle se demanda si elle ne devait pas aller le redresser elle-même.
Peut-être qu'elle lui en demandait trop. Cela ne faisait que trois semaines, ce n'était rien, surtout à l'échelle d'une vie d'immortel. Peut-être que Rampa était plus blessé qu'elle ne le pensait, peut-être qu'elle le torturait vraiment en lui imposant cette épreuve.
Peut-être était-elle encore plus mauvaise qu'elle ne le pensait…
Anathème sentit les larmes lui monter aux yeux et une seconde, elle songea vraiment à aller s'excuser auprès de Rampa et à le redresser pour qu'il puisse à nouveau voir Aziraphale. Elle aurait voulu avoir une vision, savoir ce qu'il en était réellement dans le future mais son don resta effroyablement silencieux.
Elle ne savait pas si elle faisait bien. Elle ne saurait pas.
Alors dépité, au bord des larmes, elle quitta rapidement la chambre, sans un regard pour Rampa.
A suivre...
