Note de l'autrice : Merci infiniment pour vos derniers retours, vraiment. Ils m'ont beaucoup touchée. Vous êtes les meilleures !
Bon, accrochez vos ceintures, on retourne dans l'âme torturée de Draco.
Bonne lecture et à samedi pour un vent de fraicheur cormacquien ;)
In Pursuit Of
JUDGEMENT
(Draco)
Plus les mois passaient, plus elle prenait de la place.
La terreur d'échouer.
Draco se réveillait de plus en plus souvent la nuit, frissonnant et tremblotant, suite à un énième cauchemar sur les conséquences désastreuses qu'engendrerait son échec.
La mission qui lui incombait exigeait d'être réussie. Il n'y avait d'autre choix. Il ne s'agissait pas d'un simple exercice de transfiguration, d'un devoir d'histoire de la magie ou d'un tournoi de Quidditch. Non. C'était d'une tout autre magnitude. C'était une question de vie ou de mort. Pire : de mort ou de mort. Quelqu'un dépérirait dans tous les cas ; son rôle consistait à s'assurer que ce soit ni lui ni ses parents.
Draco n'avait donc pas le luxe d'échouer.
Pourtant, après cinq mois de tentatives acharnées, les Armoires à Disparaître ne fonctionnaient toujours pas.
Pourtant, le Collier d'opale avait atterri entre les mauvaises mains et ensorcelé la mauvaise personne.
Pourtant, à chaque échec, il éprouvait ce sentiment confus d'affolement et de soulagement : affolement de n'avoir encore mis sa famille à l'abri ; soulagement de n'avoir encore tué personne.
Fût un temps, le petit Draco proférait des menaces de mort comme si de rien n'était. Lorsque la Chambre des secrets avait été ouverte et que le basilic avait fait ses premières victimes, n'avait-il pas regardé Granger droit dans les yeux en lui souhaitant d'être la prochaine ? Plus tard, n'avait-il pas sous-entendu que des traîtres à leurs sangs comme Potter ou Weasley ne méritaient guère un sort plus enviable ? Qu'avait-il dit au sujet du professeur Dumbledore ? Sûrement autant de balivernes de gamin, répétant les dires de son père qui, lui, avait déjà tué.
Désormais dans la cour des grands, Draco était obligé de l'admettre : du vent, ces menaces d'antan.
Ce n'était pas faute d'avoir essayé de creuser dans sa haine du vieux fou pour motiver ses actions et apaiser sa conscience, mais il y avait une différence entre détester un homme, critiquer sa direction d'une école, s'opposer à sa vision du monde – et le vouloir mort.
Seule la crainte des répercussions l'astreignait à poursuivre sa mission. Seules les images, qui hantaient ses nuits, de son père et de sa mère gisants sur le sol, près du Seigneur des Ténèbres, dont la baguette se tournait alors dans sa direction pour l'abattre à son tour. Seule la perspective de la fin de leur lignée, plus glaçante encore que l'opprobre jeté sur leur nom.
Draco devait réussir. Cela résoudrait tout. Il restaurerait l'honneur de la famille suite à l'échec de son père ; il prouverait à son camp que les Malfoy sont dignes de confiance ; il garantirait la survie des siens durant la guerre.
Il ferait l'impossible pour s'en assurer – même tenter d'assassiner le plus grand sorcier de l'époque.
« Draco... oh-oh Draco, tu m'entends ? », fit une voix lointaine.
Un coup de coude dans les côtes vint le tirer de ses songes pour le ramener dans la Grande Salle, auprès de ses camarades de maison. Draco tourna la tête vers celui qui l'avait bousculé.
« La dame t'appelle », lui signala Blaise en désignant d'un coup de tête Pansy, attablée devant eux.
Lorsque Draco posa les yeux sur elle, il vit l'inquiétude sur son visage s'effacer derrière un grand sourire.
« Je disais donc, recommença Pansy, il y a une retransmission de la dernière course de balai suédoise à la radio ce soir. On comptait écouter ça après les cours, pour fêter la fin de cette semaine chiante à mourir. En plus, j'ai mis la main sur quelques bouteilles de whisky pur feu dont vous me direz des nouvelles...
- Tu penses vraiment que c'est une bonne idée de dévoiler tes plans illégaux au Préfet, lança Blaise sceptique.
- Une excellente idée, même, rétorqua-t-elle. Qui viendra nous déranger si le Préfet boit avec nous ? »
Pansy tira la langue à Blaise, qui noya un sourire dans son verre d'eau, puis elle demanda, avec une nonchalance parvenant à peine à cacher son espérance :
« Donc, ça te dit, Draco ? »
Ça lui aurait dit, autrefois. Plus maintenant.
« J'ai du travail à faire », répondit-il.
Le sourire de Pansy s'affaissa. Draco se sentit obligé de se justifier.
« Je suis en retard dans mes devoirs à cause des retenues. »
Avec un air renfrogné, la jeune fille estima qu'il n'était « peut-être pas trop tard, finalement, pour aller achever ce crétin de McLaggen », puis elle se mit à critiquer le professeur Rogue, qui « aurait tout de même pu épargner Draco dans cette affaire » et qui « faisait habituellement preuve de plus de clémence envers les Serpentards ».
Derrière ces reproches, Pansy dissimulait sa déception.
Draco suspectait qu'elle avait planifié cette petite soirée spécifiquement pour lui changer les idées - sans qu'elle n'ait véritablement notion de ce qui occupait son esprit. Aucun de ses camarades de maison n'avait connaissance de sa mission. Pas même Crabbe et Goyle, qu'il sollicitait pourtant pour garder l'entrée de la Salle sur Demande. Pas même Blaise, qui semblait pourtant éprouver le besoin, en fréquentant le professeur Slughorn, de trouver une place dans la société loin des Mangemorts. Aucun d'eux ne savait, mais tous sentaient. Que des bouleversements majeurs s'ébauchaient dans l'ombre de leur ami. Pansy essayait donc de l'apaiser, de le détendre, de le divertir; de lui concocter des échappatoires, de démêler l'écheveau de ses pensées en caressant ses cheveux ; de lui apporter douceur et légèreté.
Mais il n'en voulait pas.
Il ne voulait pas travestir sa terreur dans des habits de soie.
Il ne voulait pas oublier qu'il complotait pour assassiner un homme.
Il ne voulait pas qu'on allège artificiellement le poids sur ses épaules.
Non. Draco voulait tout le contraire.
Embourbé dans ses secrets, occupé à prétendre et se taire, tout ce dont il avait besoin, c'était de hurler, de cracher sa frustration, de déchaîner sa rage.
Il voulait que ça tempête, que ça tonnerre, que ça explose.
Et Hermione putain de Granger, elle avait un don pour provoquer ça en lui.
Sans cette fichue retenue, il n'aurait sans doute même pas remarqué que ça, ça, parmi tout ce qui différait depuis la rentrée scolaire, ça, ça n'avait pas changé, pas d'un iota : la facilité avec laquelle cette fille parvenait à l'irriter.
Il y avait quelque chose dans sa façon de prétendre qu'elle savait tout sur tout, quelque chose dans son besoin de le prouver à tout le monde pour compenser son sentiment d'infériorité si évident, pire, quelque chose dans l'impression convaincante qu'elle donnait de bel et bien tout savoir.
Il y avait quelque chose dans le frisottis de ses cheveux, rebelles et farouches, jamais tenus en laisse, toujours lâchés dans la nature, impossibles à ignorer, quoi qu'on fasse, attirant l'attention, s'imposant dans le champ de vision, obstruant la vue du tableau de classe, au point de donner envie de tendre la main pour les dégager ou les dompter ou les tirer.
Il y avait quelque chose de viscéral et de physique dans cette irritation. Comme une désagréable démangeaison qui ne partait pas avant qu'on la gratte furieusement, jusqu'à ce que ça fasse un bien fou. Se disputer avec Hermione Granger ressemblait à ça. C'est pourquoi il avait passé les trois dernières heures de retenue en sa compagnie à gratter jusqu'au sang.
Mais il y avait plus que ça.
Granger, avec son égo fragile et ses putain de cheveux, elle n'essayait pas d'être tendre avec lui. Elle n'hésitait pas à mordre. Elle répondait à toutes ses piques du tac au tac. Elle le regardait avec haine, suspicion et colère, jamais avec pitié. Elle le regardait comme si le terme Sang-de-Bourbe pourrait s'échapper de sa bouche à tout instant. Elle le regardait comme s'il était par nature coupable d'un péché immonde.
Et c'était ça, c'était bien ça.
Draco percevait dans ses yeux le spectre de sa culpabilité prochaine. Toute ignorante qu'elle était, elle lui reflétait sa propre vision de lui-même. Cela lui donnait l'impression d'être vu. Cela lui donnait l'impression qu'on prenait les choses aussi sérieusement qu'elles devaient l'être, sans prétendre pouvoir s'en divertir, sans prétendre pouvoir détourner le regard. La fin de la mascarade. Un jugement sans révélation du crime. Un éclair de vérité au-dessus d'un océan de mensonges.
Voilà ce dont il avait besoin.
Voilà ce qui le poussait désormais à provoquer frontalement Granger dès qu'il le pouvait.
Draco supposait qu'il s'agissait, au fond, d'un acte de détestation de soi. Mais peu importait. Il dormait mieux après avoir déversé sa fureur sur elle.
