Être sur un nuage d'épine. Voilà la sensation qui parcourait son corps quand il plongeait dans cet état semi-conscient alors que la lumière extérieure agressait ses paupières. Certaines fois aussi il se réveillait la nuit, ignorant où il se trouvait mais sentant sa main prise dans une paume plus grande et chaleureuse. Sa tête glissait faiblement sur le côté, tentant de voir qui se tenait dans la pénombre en vain ; il n'y percevait qu'une masse sombre et avachie sur la bordure du lit.
Alors il refermait de nouveau les yeux, nauséeux. D'autres fois encore c'était en plein jour. Un flou de rouge, parfois de brun, titillait sa vision brumeuse puis des voix où le bruit des touches sur un clavier.
Et c'est ce qui le maintint éveillé ce jour-ci. Gakushū montrait depuis un certain temps des signes d'éveil, le retirant peu à peu du coma. Ses pupilles améthystes accueillaient lors péniblement la vue, son corps engourdi alors que sa tête pulsait comme si un marteau-piqueur s'était logé dans sa boîte crânienne. Il ne sentait plus correctement son corps, n'arrivant plus à réagir à tous les signaux envoyés par son cerveau. Il était paumé, ne savait où il se trouvait ni ce qui se passait pour le coup ?
Une pause dans l'air alors que son père le voyait gigoter. Assis sur une chaise et son ordinateur posé devant lui, il abandonna bien vite son travail, son cœur ratant un battement alors qu'il s'approchait rapidement de lui.
- Gakushū.
La première fois depuis combien d'années qu'il l'appelait comme ça ?
Malheureusement, cela passa au-dessus de l'interpellé, bien occupé à retrouver ses sens. Il sentit une personne lui retirer son masque respiratoire, d'où dégageait une odeur désagréable, avant que sa tête ne soit relevée et qu'un objet lisse et froid lui soit porté sur les lèvres. Il tenta de se débattre cependant une voix familière le calma, l'intimant de prendre une gorgée d'eau.
Sa bouche pâteuse frétillait presque de bonheur en sentant le liquide s'inviter et cela dura quelques minutes, ses yeux cherchant qui se trouvait devant lui.
A sa plus grande surprise c'était son père qui le tenait comme ça. La dernière fois qu'il avait autant prit soin de son fils était quand ce dernier portait ses quatre ans et était atteint de fièvre. Obligé de rester dans son lit, son paternel l'avait gavé de soupe chaude et lui tenait compagnie quand il sombrait dans les bras de Morphée. La belle époque.
En le voyant comme ça, à ses côtés et arborant cette expression préoccupée, Gakushū fut ramené au passé mais se figea bien vite, maintenant étranger avec cette facette là de son père. Il était échevelé, sa coiffure plus aussi soigneuse qu'avant. La chemise qu'il portait à peine repassée et sa cravate pendant lâchement sur son cou. Et le plus préoccupant dans tout ça ? Ce soulagement qui peignait ses traits décomposés. Il n'avait jamais montré autant de signes de fatigue.
N'ayant le temps de penser à plus, le roux s'est senti tiré vers l'avant, de suite enveloppé dans une étreinte maladroite. Les bras de son père s'enroulèrent autour de lui et il se tendit, hésitant, son front frôlait son épaule et son odorat titilla ce parfum qu'il sentait de loin, de jamais aussi proche. Ses yeux affaissés s'écarquillèrent légèrement alors qu'il se tenait aussi inerte qu'une statue, respirant fébrilement.
L'impression d'être dans un univers alternatif l'inonda. . .voilà ce qui arrivait quand on effleurait la mort ?
- Pourquoi ?
La voix de son père gronda derrière lui, ni trop faible ni trop élevée et emprunte d'un désespoir voilé. Le plus jeune se rappela vaguement de la nuit, des lumières et du pont mais surtout, d' Ikeda.
Beaucoup de choses lui échappaient et il ne s'en rappelait que vaguement, ses sens brouillés alors que l'adolescent essayait de recoller les morceaux éparses de sa mémoire. Les médicaments qu'on lui avait refilé durant son séjour travaillaient toujours dans son organisme.
- Ce n'est pas ce que tu crois. . .
Sa voix sortait chevrotante, abîmée par sa gorge sèche et ses cordes vocales depuis longtemps délaissées. Il n'avait pas eu d'autres réponses immédiates et au vue des évènements, la situation dans laquelle il s'était empêtrée ressemblait plus à une tentative de suicide qu'autre chose et il mettrait sa main à couper que c'est ce qu'en pensait son père.
Le suicide, une corde sensible pour le quadragénaire. C'est ce mot là qui l'a changé après tout, chose qui a emportée l'un de ses élèves, qui lui a fait retravaillé sa pédagogie de A à Z.
Sa vision de la vie en fut ébranlée alors, est-ce que savoir que son fils avait faillit y passer allait de même le rechanger ?
Gakushū se le demandait bien.
Quand sa réponse eut quittée ses lèvres gercées, il sentit son père le resserrer encore plus mais aucunement d'une manière agressive. Cela donnait l'image qu'il voulait le rapprocher de lui aussi fermement qu'il le pouvait, le garder du monde car ce qu'ignorait le roux était que, Asano Gakuhō avait eu vent de la vidéo filmée à son insu.
Son fils, son enfant qui chancelait dangereusement sur un bout de métal, prêt à sombrer dans l'eau froide si ce n'est le coureur qui passait juste à côté, par chance.
S'il n'y avait eu cette personne, le corps de son fils lui aurait été offert dans un linceul.
- Les cachets à moitié vide que j'ai retrouvé dans ta chambre disent le contraire.
- Je peux tout expliquer.
L'ancien proviseur brisa leur étreinte et Asano put le voir de plus près, bien clairement.
La bordure de ses yeux rougis, des cernes creusées et l'air d'avoir pris dix années dans la foulée.
Son père soupira, les épaules affaissées et croyant que leur discussion allait continuer, ce fut tout autre quand il se releva sous le regard somnolant de Gakushū.
- Reportant ça à une autre fois, tu as besoin de repos fils.
Et juste avec ces mots il sortit de la chambre, le laissant seul avec une lourdeur dans la poitrine.
Sa tête rejoignit l'oreiller, ses orbes améthystes parcourant le plafond et décidant que finalement, c'était bien ainsi car lui non plus n'était pas en joie d'engager cette telle conversation de sitôt.
Avec cette pensée sa conscience abdiqua, le renvoyant sommeiller d'un trop plein de fatigue.
OoO
Le prochain réveil le ramena à plus tard quand le soleil entreprenait sa descente et que les écoles annonçaient leur fermeture pour la journée.
Avec cet inchangeable mal de tête, ses iris rencontrèrent ce même plafond nacré jusqu'à ce que soudainement, ce tableau vierge soit envahie par une tête d'où trônait une masse de cheveux bruns.
- Asano !
- Ren ?
Comme si tout le monde s'était passé le mot, son ami qui se tenait là, au-dessus de lui et les yeux humides se pencha vers sa personne afin de le prendre dans ses bras. Il essaya de réprimer ses sanglots, avec beaucoup de peine, et Gakushū roula des yeux face à une telle exposition alors qu'il sentait ses larmes sillonner son cou.
Il ne le savait pas aussi sensible.
Finalement, et sachant qu'il n'était pas friand de telles promiscuités, Ren le relâcha non sans commencer à déblatérer, la culpabilité noyant son ton.
- T'aurais du m'en parler ! Quelque soit le problème que t'avais, le mal que tu ressentais t'aurais du me le dire !
- Arrête avec ça, c'était un simple accident je n'ai pas voulu. . .mettre fin à mes jours.
Asano grimaça sur ses dernières syllabes et à l'expression que lui renvoya le brun, il sut d'ors et déjà qu'il n'en était pas totalement conquis. Ren s'éloigna un peu plus, l'expression blessée en voyant son ami ériger, encore et encore plus haut, ce mur entre eux. Il le vit se renfermer sur lui, montrant clairement qu'il ne voulait pas en parler, qu'il allait se terrer dans ce silence qu'il avait délibérément choisi.
- Pourquoi t'es toujours comme ça ?
- Comment ça ? continua Asano, suspicieusement.
- Laisse tomber, je suis juste heureux que tu sois en vie.
Ne rajoutant rien à ses paroles, le roux fit glisser son regard à travers la pièce, percevant les cartes et bouquets de fleurs qui envahissaient la table du coin.
- Où est mon père ?
- Il a prétexté sortir. Seo était aussi ici mais a du partir, sa mère l'a appelé.
D'un commun accord, le groupe des quatre autre virtuoses s'étaient promis de ne piper mot sur la vidéo. Au moins pour l'instant alors qu' Asano se trouvait toujours à l'hôpital cependant, furieux de cette personne qui avait préférée filmer au lieu d'aller lui porter secours, le quatuor comptait bien trouver son identité.
- Comment vont les affaires du conseil étudiant ?
- Bien.
Ne pouvait-il juste se préoccuper de sa personne ? Ren l'observa, soucieux, alors que sa paire d'améthyste se posa sur lui.
Bourreau du travail un jour, bourreau du travail toujours. Souffla t-il amèrement.
- Dis Asano ? - il obtint un sourcil relevé de sa part - J'aimerai juste que tu saches, continua Ren la gorge serrée, que je serai une oreille attentive qu'importe les circonstances. S'il te plaît, n'oublie pas que je suis ton ami, toujours là pour t'épauler quand t'en as besoin. Arrête d'être aussi têtu et renfermé.
