Ça faisait plusieurs heures que Murtagh était assis, dos contre l'arbre. Il s'était assoupi lorsque la nuit était tombée et le Dragonnier était maintenant dans le monde des rêves.
Murtagh était dans les jardins du château de Morzan. Certains éléments étaient différents ou venaient d'ailleurs, mais le Dragonnier savait qu'il était dans les jardins de son enfance.
Il se promenait tranquillement, touchant les feuillages du bout des doigts quand la porte du château s'ouvrit. Sa mère en sortit, rayonnante.
-Félicitations! C'est une fille!
Murtagh ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait, mais son corps, lui, semblait savoir, car il se mit à courir vers Selena. Non, se corrigea Murtagh, vers la porte derrière elle.
Quand le Dragonnier arriva au niveau de sa mère, celle-ci fit un pas sur le côté pour lui laisser la voie libre.
-Elle t'attend.
Murtagh ralentit et se dirigea vers une porte fermée. Il s'arrêta devant celle-ci et attendit quelques secondes, essayant de comprendre les murmures qui l'élevait derrière. Le tout étant trop cacophonique, le Dragonnier ne put rien saisir du tout et se décida à tourner la poignée et ouvrir la porte.
Au centre de la pièce, petite pour le nombre de personnes à l'intérieur, trônait un grand lit blanc dans lequel se trouvait une femme couchée tenant un bébé. Nasuada.
Lorsque Murtagh entra, tout le monde présent tourna la tête vers lui et se tût. La voix douce de Nasuada cassa le silence.
-Tu viens voir ta petite Selena, Murtagh?
Le Dragonnier, toujours prisonnier de son corps, sentit ses lèvres bouger.
-Selena, hein?
Nasuada lui sourit tendrement.
-Qu'est-ce qu'il y a? Tu n'aimes pas?
-Au contraire, c'est parfait.
Murtagh s'avança lentement et tendit les bras.
-Elle est magnifique.
Nasuada s'apprêtait à lui passer la petite quand il sentit un métal froid sur son cou.
La sensation du métal appuyé sur sa peau réveilla le Dragonnier. Il ouvrit les yeux, reprenant lentement conscience de son environnement.
Il était de retour dans la forêt, il faisait toujours nuit et un couteau était plaqué sur son cou.
Murtagh ne s'affola nullement. Il était parmi les êtres les plus puissants d'Alagaësia et la seule personne qui pourrait être un danger pour lui, son demi-frère, se trouvait à des milles de la Crète.
Furieux de s'être fait tiré de son rêve utopique, le Dragonnier se retourna doucement de manière à établir un contact visuel avec son agresseur. Quelle ne fut pas sa surprise quand il s'aperçut que son assaillant n'était nul autre que… Katrina. Elle fit un pas en arrière, le couteau toujours pointé vers Murtagh.
Elle prit la parole :
-Je savais que tu viendrais.
Idiot. Se dit Murtagh. Tes sorts se sont estompés quand tu es tombé endormi.
Comme il ne disait rien, Katrina continua :
-Je n'ai pas dit à Roran que tu étais là, mais je le ferai si tu ne pars pas.
Qui lui, le dira à Eragon, compléta silencieusement le Dragonnier.
Il y avait un certain malaise, car même si c'était Katrina qui tenait le couteau, tous deux savaient que Murtagh pouvait la tuer sans le moindre effort, si l'envie le prenait.
-Tu dois être assez courageuse pour venir seule ici.
Katrina ne se laissa en rien démonter par ce commentaire. Elle haussa les épaules.
-La foi.
Le Dragonnier fronça légèrement les sourcils. Il ne s'attendait pas à tant de force de caractère de la part de la femme. Il lui répondit donc du tac au tac :
-En qui?
-La vie, j'imagine.
Murtagh lui sourit. Décidément, elle lui plaisait.
-C'est plus que ça, j'en suis sûr.
Pour la première fois, Katrina parut déconcertée. Elle ne répondit rien. Murtagh décida de reprendre le contrôle de la situation.
-Je ne vais rien faire. Ni à elle, ni à toi. J'étais juste… curieux.
-C'est plus que ça, j'en suis sûr.
Le Dragonnier se détendu et changea de position, de manière à perdre le contact visuel avec la femme. Il laissa échapper un petit rire.
-Tu as raison, c'est plus que ça.
Katrina baissa un peu le couteau, gênée par l'ouverture du Dragonnier. Ce dernier continua.
-J'ai besoin de savoir que la vie est plus que ça…
-De l'espoir? Supposa Katrina.
Murtagh leva les yeux et eut un sourire pincé.
-De la foi, peut-être…
Katrina, qui semblait avoir repris confiance en elle, le contredit :
-La foi est de croire, Parjure.
Le Dragonnier se crispa à l'utilisation du surnom. La femme ne se laissa pas arrêter par son inconfort -ou, peut-être ne l'avait-elle pas remarqué?- et continua :
-Toi, tu as besoin de vivre.
Katrina baissa définitivement couteau et termina d'un ton froid :
-Pars, maintenant.
Elle se retourna et rentra dans la maison à grands pas. Murtagh attendit d'entendre la porte se refermer pour enfin se détendre.
C'est en passant une main sur son visage en sueur que le Dragonnier réalisa que, s'il voulait «vivre», il fallait qu'il fasse la paix avec son passé et, pour que cela se produise, il devait avoir une certaine discussion.
