Chapitre 6 : Recoller les morceaux.
Yara Greyjoy n'aimait pas du tout la manière dont les choses étaient en train de tourner.
Et par « ne pas aimer », elle voulait surtout dire qu'elle détestait profondément la situation actuelle, qui lui donnait tout bonnement envie de hurler.
Ils allaient perdre.
Ils allaient perdre en croyant gagner, ils allaient tous perdre la mémoire en espérant gagner un futur sûr et sans danger, tout ça parce qu'une poignée de gens était assez égoïste pour vouloir s'approprier le pouvoir dans ce monde qu'aucun d'eux ne connaissait.
La jeune fer-née faillit se mettre à éclater de rire, un rire sombre, douloureux, presque hystérique.
Ils auraient dû passer les jours suivant leur arrivée dans cet autre monde à essayer de le découvrir, y faire leur premiers pas, en apprendre le fonctionnement, s'y acclimater et savourer la fin de leur combat contre les marcheurs blancs.
Pas regretter leurs souvenirs disparus sans même savoir ce qu'ils avaient perdu et oublié !
La seiche serra les poings, tentant de se calmer, bien consciente qu'elle était qu'elle risquait plus de se faire mal qu'autre chose si jamais elle décidait d'exprimer sa colère en flanquant ses poings dans le mur le plus proche.
En clair, c'était tout sauf une bonne idée, et elle le savait bien, sans compter que le soulagement qui allait en résulter ne serait que temporaire et qu'il serait très rapidement remplacé par la douleur.
Et c'était bien ce qu'il lui faisait peur d'ailleurs, le fait que cette fois, elle ne pourrait pas régler les choses à la force de ses poings, de sa hache ou de son épée, parce que la menace était intangible, magique, et que personne ne pouvait l'arrêter.
Elle était tout bonnement impuissante, et ça la rendait malade, folle de rage même.
Puis, quelques secondes plus tard, alors qu'elle était toujours perdue dans ses pensées, elle aperçut finalement une chevelure rousse qu'elle ne connaissait que trop bien, qui appartenait à une louve qu'elle avait appris à connaître durant ces sept dernières années.
Sansa Stark.
La femme qu'elle aimait.
La femme qu'elle allait perdre.
La femme qu'elle allait oublier.
Son cœur se serra dans sa poitrine.
Ce foutu Sort Noir allait lui voler son bonheur, son existence tout entière, et elle ne pouvait absolument rien y faire.
Que le destin était cruel envers elle tout de même.
« Sansa ? Que fais-tu ici, pourquoi n'es-tu pas avec ta famille ?
La louve, malgré la peur pourtant clairement visible sur son visage (et Yara ne pouvait définitivement pas la blâmer pour ça, parce qu'elle aussi, toute guerrière et souveraine qu'elle était, elle était tout bonnement terrifiée), se força à lui sourire et courut vers elle pour aller se réfugier dans ses bras.
La jeune femme la serra contre elle, comprenant parfaitement le sentiment de panique et de désespoir qui animait actuellement sa compagne.
- Je… je suis juste venue te voir pour te dire au revoir, puisque… puisque c'est la dernière fois qu'on se voit.
Yara secoua la tête avec obstination pour montrer son désaccord avant de prendre son visage dans ses mains avec douceur.
- Non… Non mon amour, pas la dernière fois, ce ne sera pas la dernière fois, je te le promets… Nous nous reverrons un jour toutes les deux, quel que soit l'endroit où ce sortilège nous enverra, et alors… Nous nous retrouverons un jour et nous nous reconnaîtrons malgré l'oubli… Un jour nous nous souviendrons de qui nous sommes vraiment. C'est une promesse.
Elle ne savait pas quand, elle ne savait pas comment, elle ne savait pas non plus si ça arriverait jamais, si la malédiction serait un jour bel et bien brisée, si elles pourraient se libérer pour de bon de cet enfer, mais elle se devait de rester forte.
Elle se devait de ne pas flancher, de donner de l'espoir à celle qui semblait ne plus en avoir, elle se devait d'être là et d'espérer pour elles deux, même si elle-même n'avait plus réellement d'espoir quant à leur avenir.
Elle se devait aussi de croire qu'elles, ce qu'elles étaient, ce qu'elles avaient construit au fil des ans, malgré la méfiance des débuts, cela voulait dire quelque chose, cela comptait, c'était important.
(Ça ne serait pas réduit en cendres en même temps que leur liberté.)
- Je te fais confiance, lui fit Sansa en souriant de façon plus sincère cette fois, et Yara dut se contenir de toutes ses forces pour ne pas se mettre à pleurer. »
Alors pour ne pas pleurer et oublier qu'elle allait bientôt la perdre et l'oublier, elle se mit à l'embrasser comme si c'était la dernière fois qu'elle l'embrassait, et comme si son monde était sur le point de s'effondrer pour toujours.
Ce qui, malheureusement, était parfaitement vrai.
Alors elle l'embrassa de toutes ses forces, et maudit la malédiction.
(Elle ne savait pas encore qu'elle allait bientôt elle-même subir en quelque sorte une autre forme de malédiction.)
§§§§
« Lady Greyjoy ? »
Sansa était retournée auprès de sa famille, Theon était également avec les Stark, auprès de Robb surtout (et son cœur à elle aussi saignait, parce que son frère allait lui aussi perdre l'homme qu'il aimait, et ça non plus ce n'était pas juste), et Yara avait décidé d'agir.
Puisque Mélisandre ne pouvait absolument rien faire pour les sauver, alors elle était allée voir l'autre personne susceptible de faire quelque chose, même si ce quelque chose n'était rien comparé à la malédiction elle-même.
Elle devait faire quelque chose pour croire pendant encore quelques minutes, même si c'était parfaitement illusoire, qu'elle était encore capable de faire quelque chose pour protéger sa famille et les gens auxquels elle tenait.
Celui qui venait de s'adresser à elle était Thoros de Myr, un autre prêtre rouge au service du maître de la Lumière, comme l'était Mélisandre, mais il était apparemment moins puissant qu'elle, c'était pour ça qu'il n'avait pas participé au rituel de sacrifice qui allait lancer le sortilège sur les Sept Couronnes et sur Essos.
Et c'était peut-être cela qui pourrait les aider à limiter au moins un peu les dégâts.
Peut-être.
Elle avait envie d'y croire dans le fond, même si elle ne croyait absolument plus en rien du tout là tout de suite.
Elle avait envie de croire qu'il y avait une autre alternative à l'hiver éternel que l'oubli complet de tout ce qu'ils avaient jamais pu être et connaître dans cette vie, elle refusait de penser une seule seconde que tout ce qu'elle pourrait essayer de faire serait au final complètement vain.
Elle le salua.
« Que faites-vous ici ? Lui demanda-t-il alors.
- Les rumeurs sont-elles vraies ? L'interrogea-t-elle à la place. Ce que j'ai entendu, au sujet de la malédiction, est-ce que… est-ce que nous allons vraiment perdre la mémoire ?
Le prêtre hocha la tête, et elle fit tout ce qu'elle put pour ne pas s'effondrer.
- Je suis désolé, sincèrement, mais… Il n'y a rien que je puisse faire.
- Rien ? Absolument rien, rien du tout ? Êtes-vous sûr et certain d'avoir tout essayé ?
Il se figea pendant quelques secondes, semblant presque hésitant, avant de soupirer.
- Il y a… Il y a peut-être un moyen, admit-il finalement, seulement… La personne qui serait prête à s'y risquer devrait être sacrément courageuse… ou complètement suicidaire.
- Je peux être cette personne ! Affirma-t-elle avec aplomb. De toute façon, nous n'avons, vous et moi, plus grand-chose à perdre, vous ne trouvez pas ? Et nous n'avons guère d'options de disponibles.
Il acquiesça.
- De quoi s'agit-il alors ?
- Je n'ai pas le même degré de puissance que la prêtresse Mélisandre, mais j'en aurais peut-être assez pour envoyer une personne dans cet autre monde… Sans avoir à passer par la malédiction.
Les yeux de la fer-née se mirent à briller, emplis d'espoir.
- Attendez… Vous voulez dire qu'il est possible d'ouvrir un passage ? Moi par exemple, je pourrais… y aller ? Seule ? Sans perdre mes souvenirs ?
- Oh, croyez-moi Yara, ce n'est pas ce que vous voulez… Fit Thoros avec une mine sombre.
- Pourquoi cela ? Qu'est-ce que vous en savez ? S'il y a une chance, ne serait-ce qu'une petite chance, que je puisse réussir à aider en passant par ce passage, alors je me dois de la saisir !
- C'est justement là tout le problème ! Écoutez, on ne sait absolument rien de ce monde, et si le sort ne marchait pas ? Et si il y avait un dysfonctionnement, ou un problème, et que vous mouriez en chemin ?
- Les marcheurs blancs nous menacent encore, notre seule option est la fuite, et toute façon, rien ne nous dit que la malédiction elle-même va marcher de toute façon ! Je suis prête à courir le risque… Alors ?
- Ce n'est pas ça l'unique problème ma dame… Il y a aussi le fait que vous atterririez seule dans un monde dont nous ne savons absolument rien, que vous serez seule, sans la moindre ressource, et la magie est capricieuse. Vous pourriez tout aussi bien atterrir à quelques pas de l'endroit où nous serons envoyés qu'à l'autre bout du monde ! Et dans ce cas-là, comment nous retrouverez-vous ? En admettant que nous-mêmes nous soyons tous envoyés au même endroit.
- Je ne sais pas… Lui rétorqua-t-elle. Mais une chose est sure, je n'abandonnerai pas. Je vous retrouverai tous un jour, ça me prendra le temps qu'il faudra, mais j'y arriverai.
- Très bien, répondit-il finalement après quelques secondes de réflexion. Mais vous ne pourrez pas dire que je ne vous aurais pas prévenue… »
§§§§
En un sens, Thoros de Myr n'avait en fin de compte pas eu si tort que ça.
Yara se sentait effectivement complètement perdue en ouvrant les yeux et en découvrant ce tout nouveau monde auquel elle ne connaissait absolument rien du tout, seule, sans rien ni personne pour la guider, et sans la moindre idée d'où exactement elle devait aller.
La seule chose dont elle était sure, c'est qu'elle devait changer de nom.
Yara Greyjoy devait disparaître, remplacée par Esgred Miller, elle ne savait jamais, ce monde était certes peut-être vaste, mais elle pouvait parfaitement tomber sur un espion à la solde de Cersei Lannister, tout ce qu'elle avait à espérer c'était que, si cela arrivait, la personne en question ne soit pas capable de la reconnaître.
En marchant quelques pas, elle tomba sur un panneau sur lequel elle put lire un nom étrange et inconnu.
C'était quoi ça Dunkerque ?
A suivre…
