Chapitre 8

J'ai fait un rêve. De ceux qui vous laissent un drôle de goût sur la langue et qui vous distillent un sentiment d'inachevé sans que vous ne réussissiez réellement à mettre le doigt dessus. Dans ce rêve, il était question de liberté et d'un combat dont j'ai été incapable de saisir les enjeux. Je me souviens que je chevauchais un chien noir gigantesque à travers une lande désolée illuminée par la lune, et que j'étais accompagnée d'un homme. Je n'ai pas vu son visage, il s'est fait ami, amant et confident, puis son ombre s'est allongée pour devenir celle d'un monstre assoiffé d'une violence inégalée.

J'ouvre des yeux flou sur un environnement lumineux qui m'agresse au-delà du supportable. Mes tempes sont instantanément transpercées d'une vive douleur et je gémis d'une voix éraillée. Où est le bas ou est le haut ? Je ne distingue rien dans cette mer mouvante à la luminosité immaculée et mes membres ne répondent à aucune de mes sollicitations.

Je sens qu'on se déplace autour de moi, le claquement des talons sur le carrelage, le froissement du tissu, mais également l'odeur tenace d'une potion aux vapeurs écœurantes. Tout cela me donne le tournis. Je me force à m'ancrer dans le présent pour ne pas replonger dans ce rêve fiévreux et, au bout de ce qui semble être une éternité, j'émerge.

-Calmez-vous, professeur. Cessez de vous agiter.

La voix que j'entends me paraît si lointaine que je doute un instant qu'elle s'adresse à moi. Lorsqu'elle revient à la charge, avec plus d'intensité cette fois, je reconnais le timbre doux mais ferme de Madame Pomfresh. Je m'aperçois alors que mon corps est agité de soubresauts et je tente de les maîtriser avec mal.

-Regardez-moi, oui comme cela.

Mes yeux s'accoutument progressivement et je distingue maintenant la sorcière penchée vers moi. Je suis dans un lit à l'infirmerie et, d'un vague coup d'œil, j'aperçois le ciel clair derrière les hautes vitres de la pièce, ainsi que les pâles rayons hivernaux qui traversent le verre pour se répandre sur les dalles brillantes du sol. Sur une petite tablette face à moi, des kilos de friandises de chez Honeyduck font briller leurs emballages multicolores. À ma droite, une chaise de bois clair supporte une vieille veste marron qui a passé les ans avec difficulté.

-Combien ? dis-je d'une voix gutturale semblant sortir du fond des âges. Combien de temps ?

Madame Pomfresh me regarde avec un semblant de désapprobation et repars chercher quelque chose hors de ma vue. Je l'entends qui fouille dans ses placards et elle revient finalement, chargée d'une grosse bouteille sombre et d'un gobelet écaillé.

-Tenez. Avant tout, buvez cela, me dit-elle en remplissant le verre et en me le mettant sous le nez.

Elle m'aide à me mettre en position assise et j'avale difficilement le breuvage amer.

-Pouvez-vous en boire un deuxième ou bien attendons-nous un peu ?

Je fais claquer ma langue dans ma bouche en grimaçant et acquiesce. Si j'avais été un élève, je me serais roulé sous le lit pour ne pas avaler à nouveau sa mixture dégueu, mais il parait que les professeurs doivent montrer l'exemple. L'infirmière me tend à nouveau le verre rempli et je le vide en sentant mon estomac protester.

-Parfait. C'est un fortifiant qui va aider votre métabolisme à repartir.

Je vais pour lui demander ce qui ne va pas avec mon métabolisme, mais à ce moment-là j'entends la porte de l'infirmerie s'ouvrir et je vois Remus en passer le seuil. Il a son air des mauvais jours et semble avoir perdu du poids, il porte une chemise beige et a relevé ses manches jusqu'au coude et défait sa cravate. Lorsqu'il s'aperçoit que je suis réveillé, il se précipite à mon chevet avec un sourire soulagé.

-Alya ! s'exclame-t-il en attrapant mon avant-bras et en posant sa main libre sur mon épaule. Comment te sens-tu ? Tu m'as fait une de ces peurs !

-Elle a besoin de repos, entends-je Madame Pomfresh râler à l'attention du professeur de défense.

Mes doigts gourds se referment sur l'avant-bras de Remus et je le vois qui redresse mon oreiller pour me permettre de m'y adosser correctement. Puis, l'infirmière repart à nouveau vers son bureau et mon ami se penche davantage vers moi en serrant mon bras comme si j'allais m'envoler.

-Que s'est-il passé ? je lui demande en luttant contre l'étau qui m'enserre le crâne. Le rituel était fini lorsque j'ai sombré. Ça n'aurait jamais dû arriver.

Remus semble mal à l'aise et cherche une position plus confortable sur le bord du lit.

-Dumbledore est venu à ton chevet dès que nous l'avons mis au courant et…

Je le vois qui hésite et jette un œil alentour avant de revenir à moi.

-Il pense… Et je suis d'accord avec lui… Écoute ce n'est pas une fatalité, il a demandé à Severus de nous aider à résoudre le problème et…

Les tours et détours qu'il prend à cet instant-là me font sortir de mes gonds et me rendent désagréable au possible.

-Bon tu accouche ?! je grogne en plantant mes yeux dans son regard fuyant. Dis-moi ce qui s'est passé !

Il resserre un peu plus sa poigne sur mon bras et accepte de me répondre.

-Nous… Nous pensons que l'utilisation du flux lors du duel de la semaine dernière, combiné au rituel de lundi, a créé des lésions sur ton encéphale droit.

Il balance sa phrase comme si elle était devenue soudainement trop lourde à porter et que s'en débarrasser le plus vite possible était la meilleure solution.

-Des… lésions ?

Je regarde au loin et prononce ce mot comme on profère un juron particulièrement grossier. Je le répète à nouveau et je sens sa sonorité m'agresser les sens. Non, ça ne peut pas être possible, ce type de magie ne peux pas…. Il n'est pas possible qu'elle puisse avoir ce type d'impact.

-Depuis combien de temps suis-je inconsciente ? je demande d'une voix rauque, sans réussir à réellement sortir de ma stupeur.

-Trois jours et demi.

Je me tourne vivement vers Remus sans y croire mais, en croisant son regard, je sais que la sentence est irrévocable. Elle tombe alors sur moi tel le couperet du bourreau et me coupe le souffle.

-Je pense que c'est la raison pour laquelle tu étais si fatiguée durant la semaine. Je ne possède pas tes connaissances dans la maîtrise du flux, mais je pense que tu as surestimé tes capacités en déviant le sort que je t'ai lancé. Dumbledore pense que le rituel est tout à fait inoffensif, mais qu'il a été le drain qui t'a fait lâcher prise avec la réalité.

-Le flux n'est pas… Il ne devrait pas pouvoir créer ce type de…

Je ne finis pas ma phrase. Tout ce que je connais semble s'écrouler tel un château de cartes, me mettant à nu devant mon ignorance. Je me remémore les paroles de mon ami Rabastan, il y a des années de cela, alors que nous tâtonnions ensemble pour découvrir les limites de ces connaissances nouvelles. Il m'avait mis en garde et je ne l'avais écouté qu'à moitié, trop impatiente pour comprendre la portée de cette magie.

-Dumbledore semble dire que seule une utilisation aussi poussée du flux sans préparation peut créer pareils dégâts.

J'acquiesce sans trop écouter la suite et me perds en conjectures un temps, avant d'émerger à nouveau alors que le silence s'étire entre Remus et moi.

-Pardon je… réfléchissais. Tu disais ?

-Severus est actuellement en train de préparer une potion qui devrait soigner les lésions de ton cortex, mais elle prendra quelques semaines. D'ici là, tu dois cesser de manipuler le flux et donner des cours uniquement théoriques à tes élèves. Le Directeur recommande également d'éviter d'utiliser la magie sous toutes ses formes.

Je suis atterrée et je vois dans les yeux de Remus qu'il me comprend. Demander à un sorcier de se passer de magie c'est comme demander à hippogriffe de ne plus voler, ou à un Troll de ne plus… je ne sais pas, moi, faire des trucs de Trolls. Genre taper.

-Mais, le rituel ? je demande d'une petite voix. Mes recherches, comment…

-Je suis désolé Alya, elles vont prendre du retard, mais une fois que tu auras été remise sur pied, tu pourras les reprendre sans problème.

Remus est un ami, je sais qu'il dit ça pour me remonter le moral, mais je vois sur son visage qu'il ne le pense qu'à moitié. Le pire est que je ne peux pas lui en vouloir de prononcer ces paroles rassurantes sans aucun fondement médical, il le fait pour moi.

En reportant mon attention sur lui, je le vois qui scrute la grande horloge indiquant midi quarante-cinq. Il fronce les sourcils et jette un œil aux monceaux de sucreries disposés au bout de mon lit.

-Si tu dois y aller, je ne te retiens pas, Remus, lui dis-je d'une voix égale qui cache bien mon regret de le voir partir.

Il tourne vivement la tête vers moi et rit doucement.

-Non, ne t'inquiète pas. J'ai encore une heure devant moi avant le prochain cours.

Il scrute à nouveau l'horloge et continue d'une voix un peu plus enjouée.

-Je me prépare juste à la tornade qui ne devrait pas tarder à arriver d'ici… moins d'une minute je pense.

Je fronce les sourcils et vais pour lui demander de s'expliquer, lorsque la porte de l'infirmerie s'ouvre à nouveau pour laisser passer deux grands rouquins réjouis. En me voyant réveillée, les frères Weasley se précipitent à mon chevet comme l'a fait Remus un peu plus tôt, et Fred s'assoit d'autorité à ma gauche.

-Bonjour professeur ! Comment allez-vous ? Avec Georges on est ravi de vous voir enfin réveillée !

Georges se penche vers moi et renchérit.

-Faut pas nous faire des peurs pareilles, professeur, s'exclame-t-il avec un sourire malicieux. On a bien cru que vous ne vous réveillerez jamais !

Malgré l'accablement qui pèse sur ma poitrine et le mal de crâne qui me martèle la caboche, je ne peux empêcher un sourire d'étirer mes lèvres sèches.

-On aurait été bien embêté d'avoir dévalisé Honeyduck pour que vous n'y touchiez même pas, continue Fred en pointant du doigt la petite montagne de confiseries.

-Alors maintenant on va enfin pouvoir savoir ce qui vous est arrivé ? Le vieux Dumbledore est une vraie tombe.

Je regarde tour à tour les jumeaux et Remus sans savoir ce que j'ai droit de leur répondre. Leur professeur de Défense vient à ma rescousse et leur demande de ne pas me fatiguer avec trop de questions.

-C'est le professeur Rogue qui vous a remplacé à l'entraînement d'hier, me dit Fred en s'étirant pour attraper un paquet de caramels en bout de lit. Si la moitié des Gryffondor avaient pu disparaître pour éviter de se retrouver dans la même pièce que lui, je pense qu'ils l'auraient fait.

Il ouvre le sachet doré et en avale un avant de me présenter son contenu. Je sens mon estomac grogner lorsque je prends conscience que je crève de faim et j'en pioche une poignée avec reconnaissance.

-En plus, vous avez loupé le match de Serdaigle contre Serpentard, m'informe Georges en me tendant des dragées surprises et un épais chamallow qui refuse de se laisser mâcher en couinant de protestation.

Remus refuse poliment toutes les sucreries qu'on lui propose et laisse les jumeaux me faire la conversation jusqu'à la sonnerie. Ils s'enquièrent bien évidemment de mon état et je reste assez évasive jusqu'à leur départ.

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Une fois de nouveau seule avec Remus, je sens mon moral dégringoler de nouveau jusqu'au trente-sixième sous-sol.

-Je vais prévenir Dumbledore de ton réveil, me dit-il en attrapant de nouveau ma main et en la serrant affectueusement. Je pense qu'il voudra discuter avec toi de… De tout ça.

Il paraît mal à l'aise un instant puis se penche vers moi et me prend dans ses bras en me tapotant dans le dos. Je reste interdite pendant une petite seconde, et lui rends finalement son étreinte.

-Tu m'as fait vraiment peur, Alya, ne me refais plus jamais ça, d'accord ?

-Ou...oui.

Je suis à la fois étonnée par sa marque d'affection, mais j'ai également la gorge serrée à l'idée que je suis bien incapable de savoir si je vais pouvoir tenir ma promesse. Il me relâche finalement et se relève pour enfiler sa veste élimée. D'un geste nonchalant, il attrape une chocogrenouille qui traîne en évidence et me fait un signe de la main.

-Je reviendrai avant le repas du soir, me dit-il avec un petit sourire. Tâche de ne pas te faire une indigestion avec tout ça.

Puis, il disparaît en refermant la porte de l'infirmerie derrière lui.

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Dumbledore est venu vers le milieu de l'après-midi. Il a confirmé ce dont Remus m'avait parlé et m'a dit faire son possible pour trouver le meilleur remède. Il m'a également affirmé avoir une totale confiance en les capacités du professeur Rogue pour me préparer une potion efficace.

Nous avons parlé pendant longtemps et sommes arrivés à la conclusion, comme Remus me l'a affirmé, que seule une utilisation intensive du flux était responsable de mon état.

Du coup, si j'ai bien compris, il ne me reste plus qu'à m'entraîner encore plus consciencieusement si je veux pouvoir augmenter mon potentiel sans danger. Joie.

Enfin, il achève mon moral, déjà pas plus haut que les élastiques de mes chaussettes, en me demandant de rester alitée pour le reste de la semaine et de ne pas me surmener inutilement. Il me précise également que je ne devrais en aucun cas reprendre les cours de Duel pour ne pas risquer qu'un tel incident se reproduise. Je lui explique que je pourrais laisser Remus faire les démonstrations, mais il est catégorique. Et la confiance dans tout ça ?

Une fois parti, je m'adosse à mes coussins avec un long - mais alors très long - soupir de lassitude. Je crois que je préfèrerais de loin passer toute une semaine à supporter les quolibets des frères Weasley plutôt que de rester enfermée ici. Je m'ennuie déjà !

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Cette fameuse semaine est la plus abominablement chiante que j'ai pu passer de ma vie, et de loin. Les visites étant restreintes et la conversation avec d'éventuels voisins difficilement envisageable, si on excepte un fantôme de temps à autre ; je me rabats sur les nombreux ouvrages que Remus me dépose chaque jour. Certains sont des plus intéressants, tandis que d'autres… Et bien pour les autres je pense lui en toucher deux mots quand je sors. En vrai, qu'est-ce que je peux bien avoir à faire de la vie des Gobelins au XVème siècle, je vous le demande ?

Un redoux inattendu arrive le jour de ma sortie et je quitte ma prison - pardon, mon lit - avec le secret espoir d'aller mettre le nez dehors pour m'empêcher de mordre. Je ne suis pas une femme d'intérieur, je dois l'avouer. Si, comme moi, vous aviez crapahuté à travers les pays Slaves, uniquement armés de votre baguette et d'une volonté de fer pour découvrir les secrets inavouables de magies oubliées, vous aussi vous vous sentiriez à l'étroit entre ces hauts murs poussiéreux.

En posant le pied sur le seuil de l'infirmerie, je prends directement la direction du cloître intérieur et m'assois sur un banc en faisant fi du froid encore prégnant. Je vois les arbres crouler sous leurs manteaux neigeux encore quelque peu fournis et j'apprécie la brise fraîche qui colore mes joues.

-C'est donc là que tu te caches.

Je me retourne et vois Remus traverser la pelouse dans ma direction. Il a enfoncé ses mains dans ses poches et remonté le col de sa veste bien haut.

-Hier, je t'ai dit que je te retrouverai devant l'infirmerie à ta sortie. Tu ne m'as pas écouté ?

Il me fait son fameux regard réprobateur mais-pas-trop et vient poser ses fesses à côté de moi en jetant des regards alentour.

-Désolé, je ne devais pas écouter.

-Pour changer.

Je ne réponds rien et je laisse le silence s'étirer entre nous. Au bout d'un long moment, la cloche de midi retentit et Remus se lève en tendant sa main vers moi.

-Ça va, je ne suis pas une mémé, je m'exclame d'une voix faussement indignée. Je peux me relever toute seule !

Il lève les mains devant lui en signe d'apaisement et me laisse le rejoindre en arborant un sourire énigmatique. Nous longeons les couloirs bientôt envahis d'élèves affamés et plusieurs me saluent d'un "Hey, comment va ?" des plus joviales. Ils ont tous décidé que j'étais leur pote ma parole ? Un peu de respect, les mioches !

Oui, comme je l'ai précisé, je déteste rester enfermée et cette semaine m'a donné envie de mordre. Il faut bien que je me défoule du coup ! Lorsque nous arrivons à la table des professeurs, je me jette sur mon repas et prends à peine le temps de répondre au professeur Chourave qui s'enquiert de mon état. Je hoche la tête ou grogne mon assentiment lorsqu'elle me pose des questions sur ma santé, mais j'ai rarement la bouche trop peu pleine pour lui répondre des phrases dites "articulées".

-Ça ne va pas disparaître tout de suite, me souffle Remus en me voyant me resservir de la quiche au saumon. Et tu auras de la place pour un verre de vin ou bien je te fais monter la bouteille dans ta chambre, comme la dernière fois ?

Je prends deux secondes pour le foudroyer du regard et avale tout rond ma bouchée.

-Tu te crois drôle ? Tu sais ce qu'ils servent à manger aux patients ici ? J'ai l'impression que dans tous les hôpitaux du monde on s'est donné le mot pour servir la pire bouffe qui existe.

-Alors tu te rattrapes ?

-Exact, d'ailleurs tu as fini avec le pot de sauce ? Oui ? Merveilleux.

Je me jette sur la petite saucière de porcelaine et en verse sur mes paupiettes de veau.

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-Tu reprends demain ? me demande Remus vers la fin du repas, alors que je me coupe une grosse part de cheesecake.

-Oui, je ne vais pas laisser mes élèves en plan comme ça. En plus j'en ai une qui m'a l'air extrêmement prometteuse.

J'enfourne une grosse cuillère de dessert dans ma bouche et remarque son air mi-inquiet mi-sévère. Je lève les yeux au ciel et répond à son sermon silencieux sans avoir fini ma bouchée.

-Oui, oui pas de machie, que de la théorie chuchqu'à ce que ch'ai bu la pochion de Cheverus, promis !

-Et pas de rituel tant que Dumbledore ne s'est pas assuré que tu es en pleine possession de tes capacités.

-Ch'est bon Remus, che chais que, de nous deux, ch'est toi le vieux, mais pas la peine de remplacher mon père, il ch'en chort déjà très bien comme cha !

Avec stupéfaction, je le vois qui ouvre de grands yeux et se détourne de moi pour plonger dans un silence buté. Je ne savais pas qu'il était si susceptible à propos de son âge dit-donc. Va falloir que je surveille mes propos, ou bien que je lui offre un joli badge pour son anniversaire, avec marqué "non tu n'es pas vieux" dessus.

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Je reprends, comme convenu, mes cours le lendemain et prends bien soin de ne pas toucher à ma baguette. C'est plus compliqué qu'il n'y paraît car nos gestes quotidiens, à nous les sorciers, sont toujours saupoudrés d'un soupçon de magie. Je le cache à Remus, mais je me fatigue très vite. Je perds mes mots pendant mes cours et parfois j'oublie carrément ce que j'étais en train de faire. Madame Pomfresh m'avait prévenu de ces inconvénients éventuels, mais je les affronte avec plus de difficultés que je n'aurais cru possible.

À mes élèves, j'explique m'être surmené ces derniers mois et avoir besoin de calme pour me remettre de mes émotions. Bien évidemment, les frères Weasley ne sont pas dupes et me lancent des regards alertes à chaque fois que je les croise. J'ignore si Dumbledore leur a demandé de se taire, mais rien ne fuite en ce qui concerne mon utilisation massive de flux, ainsi que le rituel effectué en début de mois.

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Deux semaines passent ainsi, entre mes cours axés sur le modelage du flux, et les longues promenades de santés que j'effectue autour du lac ou vers Pré-au-Lard. Je recroise deux-trois fois le chien de Hagrid et celui-ci me gratifie chaque fois d'un jappement amical dès qu'il sent de la nourriture dans mes poches. En ce qui concerne les duels, je laisse ma place au professeur Rogue ou Flitwick qui se relaient désormais pour assister Lupin. Ce dernier leur apprend des sortilèges simples et les entraîne à la riposte, comme nous l'avions prévu.

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Vers début février, le professeur Rogue vient me voir avec, coincé sous le bras une bouteille poisseuse étiquetée à la main.

-Un verre tous les matins pendant cinq jours, me dit-il en me croisant dans les couloirs et en me la fourrant entre les mains. Puis, vous irez voir le Directeur qui estimera votre état, des questions ?

-Heu… Merci Severus, je réponds d'une petite voix. Et ça a quel goût ? Juste pour savoir.

Il me regarde comme si je venais de dégobiller sur ses chaussures et esquisse ce que je pourrais éventuellement, et avec beaucoup d'extrapolations plus ou moins fallacieuses, prendre pour un sourire.

-Infâme.

-Ah.

-Bonne journée professeur.

Il tourne ensuite les talons et je le vois s'engouffrer dans l'escalier pour descendre aux cachots.

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Severus ne m'a pas menti. Le goût de son truc est à vomir et je redoute chaque matin d'avoir à y tremper les lèvres. En plus, ça a une couleur qui ne doit certainement pas posséder de nom en soi et des trucs louches flottent çà et là. Pourtant, je sens un peu de changement au bout du quatrième jour et je m'en ouvre à Dumbledore lorsqu'il me fait monter dans son bureau.

Après plusieurs longues minutes pendant lesquelles je le laisse m'ausculter magiquement, il acquiesce et me demande de poursuivre le traitement encore cinq jours supplémentaires.

Quoi, cinq jours ? Il veut me tuer ou bien ? À tous les coups, c'est une conspiration entre lui et le professeur de potion pour me faire dégager de leur établissement. Je vous jure que je ne leur ai rien fait à vos précieux élèves !

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Mars arrive et, avec lui, le match de Quidditch de Gryffondor contre Serdaigle. Entre-temps, j'ai obtenu l'autorisation de Dumbledore de réaliser à nouveau de la magie et de reprendre mes recherches dès la semaine suivante. Le matin même du match, Remus et moi prenons notre petit déjeuner en discutant des performances des joueurs des différentes équipes qui vont s'affronter. Enfin, c'est lui qui parle tandis que moi j'écoute parce que je n'y connais rien et, de toute manière, je suis pour Serdaigle tandis que lui est pour Gryffondor. J'ai longuement hésité à parier sur le résultat de la rencontre, mais je me suis ravisé au dernier moment. L'instinct.

Un mouvement de foule attire soudainement notre attention et nous voyons un joueur de Gryffondor entrer dans la salle, balai à la main, et escorté de tout un tas d'élèves de sa maison.

-C'est pas ton protégé ? Je demande à Remus en me penchant vers lui pour couvrir le brouhaha enjoué qui envahit la grande salle.

-Si, il a un nouveau balai à ce que j'ai compris, un Éclair de feu.

Je hoche la tête en faisant semblant de savoir de quoi il parle et mes yeux glissent naturellement vers les frères Weasley. Ils sont également vêtus de leurs tenues rouges et jaune, à laquelle ils ont adjoint d'épaisses protections de cuir pour les bras et les tibias. Harnaché comme ça et armés de leurs battes respectives, on dirait vraiment qu'ils vont à la guerre.

Le regard de Fred croise le mien et je le vois sourire à mon attention, avant de former sur ses lèvres les mots silencieux "On va gagner".

Tss, présomptueux, va !

Il me montre du doigt le balai que Potter a posé sur leur table, mais de toute manière je ne peux pas l'apercevoir à cause des nombreux élèves qui vont et viennent avec fébrilité. Je le vois dire "Serdaigle est mort" et attendre ma réaction.

Amusée, je décide de me lever et de rejoindre la table des Gryffondor en ignorant superbement le regard inquisiteur du professeur Mc Gonagall.

-Vous étiez de Serdaigle, n'est-ce pas professeur ? me demande Fred une fois arrivée à sa hauteur. Vous seriez prête à envisager un petit pari ? Dix gallions !

Je hoche la tête de dénégation et pousse un Gryffondor pour m'asseoir à côté du jeune homme. J'attrape un morceau de brioche aux raisins que nous n'avons pas à notre table et rit de son air faussement outré par mon refus.

-Je suis un professeur, Monsieur Weasley, vous avez tendance à l'oublier. Et un professeur ne pari pas avec ses élèves, mineurs de surcroît.

Mes derniers mots ont l'air de le faire tiquer et je le vois qui réfléchit à son prochain argument. Décidément, c'est quoi ces gens qui ont des problèmes avec leurs âges ?

Au même instant, Georges revient poser ses fesses sur le banc en face de nous.

-On va les atomiser ! s'exclame-t-il en se faisant une tartine et en mordant joyeusement dedans. Tiens, bonjour professeur, vous avez changé de camp ?

-Notre cher professeur ici présent refuse de parier sur le match, l'informe Fred. À croire qu'elle a peur de perdre !

-Et elle aurait raison, avec Harry Potter et son Éclair de Feu, on est passé à 85% de chances de gagner !

Je finis ma tranche et me sers un verre de jus de citrouille dans le gobelet du gamin que j'ai viré.

-Pariez donc avec les autres, leur dis-je, avant d'avaler mon jus d'une traite. Je risquerais d'avoir des problèmes si j'acceptais, déjà que votre chère professeur de Métamorphose ne me quitte pas des yeux depuis que je suis ici.

De concert, Nous nous tournons tous les trois vers Mc Gonagall et celle-ci fronce alors si fort des sourcils qu'ils semblent ne former plus qu'un. Je me tourne à nouveau vers eux et baisse un peu la voix.

-Mais je suis également venu vous informer que les cours de soutien vont reprendre.

Officiellement, je leur dispense des cours supplémentaires dans ma matière, car le reste des élèves n'a pas besoin savoir sur quoi nous travaillons en réalité. Pour leur part, un petit mensonge de plus ou de moins ne les dérange pas le moins du monde et je les vois acquiescer silencieusement.

-Même jour, même heure. Evitez de vous faire coller.

Fred me fait une grimace faussement contrite et je me lève pour prendre congé. Avant de m'éloigner, Fred se lève à son tour et va pour m'attraper le poignet, mais il se ravise à temps. Je suis ton professeur, bordel, pas ta sœur !

-Vous nous encouragerez tout de même ? me demande-t-il avec un grand sourire. Après tout, nous sommes vos élèves préférés, non ?

Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire.

-Même pas en rêve !

Sur ces mots, je retourne à ma place et informe Remus que j'accepte de parier sur le match.