Ses paupières frémissent, alors qu'il se réveille dans un lit qui n'est pas le sien. Ses sourcils se froncent, la lumière du matin éclaire la pièce et les draps fleuris. Luka s'habitue à la lumière du jour en se redressant, tournant la tête vers le corps étendu près du sien. Alix dort toujours, profondément. Il peut observer la courbe de son nez et ses mèches roses sur l'oreiller. Ses lèvres entrouvertes et le son de sa respiration, ses épaules nues et la couverture cachant sa poitrine. Ses yeux glissent sur les murs de la chambre, qu'il n'a pu véritablement observé la veille. Au-dessus du lit, sur le mur en pente se trouve des dizaines et des dizaines de photos. En position assise, face au mur, il contemple les souvenirs d'Alix et se sent comme un étranger, dans cette chambre qui a vu grandir la jeune femme.
Il y a des photos de familles, celles où Alix est haute comme trois pommes, où une femme aux yeux bleus pétillant passe une main réconfortante dans les cheveux bruns de l'enfant. Luka est surpris, il n'a jamais vu Alix autrement qu'avec les cheveux roses et si ces derniers lui vont très bien, il ne peut s'empêcher de l'imaginer au naturel. Elle serait belle. Il y a d'autres portraits de famille. La femme a disparu et le sourire des trois autres est un peu moins éclatant. Luka se demande si les photos datent de peu après l'accident. Il y a surtout beaucoup de photo de leurs amis, de l'époque du collège et même d'autres plus récentes. Tous le groupe, à l'anniversaire de Marinette, il y a deux ans. Une photo de classe prise dans le parc, sur un banc. Des clichés d'Alix et Kim, entrain de faire des grimaces, entrain de rire, entrain de poser comme deux enfants. Et plus ils observent les photos, plus cela le frappe. Kim est partout, sur ce mur, sur quasiment toutes les photos, le jeune franco-vietnamien se tient fièrement près de sa frêle amie.
Luka découvre le reste de la chambre, les murs, autrefois blancs mais aujourd'hui recouvert de peintures. Le père d'Alix lui a donné carte blanche pour la décoration et celle-ci ne s'est pas gênée, s'essayant au graff sur ses propres murs, testant et retestant, modifiant au fil des ans. Face au lit se trouve un rideau, fixé au plafond et délimitant la pièce. Il se demande ce qui se cache, de l'autre côté. Un bureau, peut-être ?
Luka finit par se rallonger dans le lit, près du corps chaud de la jeune endormie. Passant une main sur son front, il soupire, repensant à la nuit précédente. Dans les bras d'Alix, pour la première fois depuis de nombreux mois, Luka s'est senti revivre. Avide de sa chaleur, de son étreinte et de ses râles de plaisir, il s'est laissé allé à la luxure sans penser aux conséquences. Il avait envie d'elle, de son corps, de ses lèvres. Et lorsque sa voix s'est liée à la sienne, lorsqu'ils ont été, ensemble, emporté par le plaisir, il ne pouvait que penser à Marinette. Marinette qui ne quitte jamais vraiment ses pensées, malgré le temps écoulé. Elle est heureuse, avec Adrien, et ça devrait lui suffire, non ? De la savoir épanouie. Mais il est égoïste, Luka, il le sait. Et il voudrait la garder rien que pour lui, la voler à Adrien, la serrer dans ses bras et l'embrasser. Lui faire regretter leur séparation, lui rappeler l'odeur de sa peau et la chaleur de leurs étreintes passionnées.
Il est pitoyable, à penser à son ex, une de ses meilleures amies alors qu'une fille sublime dort à ses côtés. Il pense à Marinette alors qu'il y a quelques heures encore, Alix gémissait son nom en marquant son cou. L'idée de partir lui traverse l'idée. Partir sans rien dire et oublier cette nuit, cette semaine étrange où il n'a pas pensé à Marinette mais à Alix. Laisser espérer la jeune fille serait égoïste. Il n'est pas près à s'engager dans une nouvelle relation. Il a aimé la découvrir, il a aimé cette délicieuse tension qui s'est instauré, tout au long de la semaine, entre eux. Mais ça s'arrête là. Il ne peut rien y avoir de plus. Pas tant qu'il ne sera pas passé à autre chose. Luka se redresse pour chercher ses vêtements et alors qu'il enfile son tee-shirt, une voix endormie retenti dans son dos. Il se fige, honteux.
« Alors comme ça, tu es dû genre à partir au petit matin sans rien dire ? Et bah c'est du joli.. » dit Alix, un sourire dans la voix. Elle se redresse, s'assoit et entreprend de s'étirer comme un chat en baillant aux corneilles. Luka tourne la tête, pour l'observer mais est soudain gêné par la nudité de la jeune femme. Et c'est comme si elle lisait subitement dans ses pensées puisque ses joues rosissent et ses bras viennent attraper les couvertures pour cacher sa poitrine nue.
« Tu veux me prendre un tee-shirt dans l'armoire ? » demande-t-elle et Luka s'exécute, ouvrant la porte de cette dernière et cherchant des yeux un tee-shirt. Il en attrape un au hasard et le lui lance en regardant le tapis blanc qui est, soudainement, très intéressant.
Alix, quant à elle, enfile le tee-shirt et cherche sa culotte pour l'enfiler, avant de sortir du lit. Sans même le savoir, Luka vient de lui filer un tee-shirt que Kim a oublié chez elle et son cœur se sert. Que doit-elle dire à Luka ? Que peut-on dire à un garçon avec qui l'ont vient de coucher pour un pari ? à un garçon qui n'occupait absolument pas ses pensées alors qu'il était en lui ? Ce défi lui semblait d'abord être une bonne idée, mais à présent, elle se sent horrible et sale. Après avoir attaché ses cheveux dans un silence lourd, elle finit par lui proposer :
« Un café ? Ou un thé ? J'ai peut-être du jus d'orange et il doit rester de la brioche, que tu ne partes pas le ventre vide… » et pour la première fois depuis son réveil, Alix entend enfin le son de sa voix.
« Un café c'est bien. » il lui sourit, mais c'est étrange.
En silence, ils se dirigent vers la cuisine. Les yeux de Luka glisse dans le dos de la jeune femme, devant lui. Et s'il essayait ? S'il leur donnait une chance de vraiment se découvrir ? Alix semble être faite pour lui. elle est drôle et sans prise de tête. Elle aime l'art et le rock. Comme lui, elle est prévoyante et a toujours été une bonne amie pour sa sœur. D'un point de vue purement charnelle, ils se complètent. Il a prit du plaisir dans ses bras. Elle sait ce qu'elle fait quand ses lèvres prennent d'assaut les siennes, lorsque ses doigts glissent le long de ses hanches.
Mais ce n'est pas Marinette. Et elle ne le sera jamais…il soupire en s'asseyant à la petite table de la cuisine, baignée de sommeil.
« Je me demandais » commence Alix en préparant le café. « Tu as fait quoi de ta guitare ? Je t'ai un peu kidnappé hier… » avoue-t-elle en riant.
« Juleka a dû la récupérer, ne t'inquiète pas… » et, prenant son courage à deux mains, il reprend alors qu'elle pose une tasse devant lui. « à propos d'hier, je… »
« Je sais. » le coupe-t-elle en s'asseyant face à lui, sa tasse entre les mains. Son pied droit prend appuie sur la chaise et elle vient poser son menton sur son genou en observant Luka, avant de regarder par la fenêtre. Un soupire s'échappe de ses lèvres et Luka sent son estomac se serrer.
« C'était bien. Genre vraiment bien. Je n'avais pas pris mon pied comme ça depuis longtemps mais… » elle cherche ses mots. Ce n'est pas tant le pari, c'est juste eux. Elle et lui. Ça ne marchera pas. Elle le sait, et il le sait.
« Mais je ne suis pas Marinette…Et essayer de la remplacer comme ça, ça ne marchera pas. » finit-elle par dire, prenant Luka de court. Comment a-t-elle pu le cerner à ce point, en si peu de temps. Et en même temps, Luka n'est pas dupe, il sait que les pensées de la jeune femme volaient vers un nigaud d'un mètre quatre-vingt-quinze.
« Et je ne suis pas Kim. » finit-il par lui répondre. Les joues d'Alix se colorent instantanément et elle porte sa tasse à ses lèvres pour cacher son visage.
« Je ne vois pas de quoi tu veux parler. » répond-elle simplement avant de soupirer. Elle reprend finalement :
« Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi aveugle que lui, alors bon, j'ai arrêté d'espérer, depuis le temps… » avoue-t-elle. Parler du garçon qu'elle aime avec celui qui vient de passer la nuit avec elle est bizarre, c'est clair.
« Je me disais la même chose pour Mari, au début… » répond Luka sur le même ton et, simultanément, ils se mettent à soupirer, ce qui les fait rire. Leurs regards se croisent et Luka demande.
« On peut rester amis ? »
« Et partenaire de danse ? » répond simplement Alix et ils n'ont pas besoin d'en dire plus. Ils se sont compris. Tout est plus simple avec Luka, elle n'a pas véritablement besoin de parler. Mais toute relation n'est pas vouée à être amoureuse, et elle sent qu'elle pourra trouver en Luka un ami fidèle. Cette constatation la soulage.
« Et si on se retrouve seul, aigri et malheureux, mon lit te sera ouvert. » dit-elle sur le ton de la plaisanterie et Luka rit, vraiment, soulagé lui aussi. Peut-être que sa relation avec Alix évoluera, un jour, mais pour le moment, ça lui plaît de la découvrir amicalement parlant.
Finissant leurs cafés, Luka décide qu'il est temps pour lui de partir et il se lève de sa chaise. Alix se souvint soudainement d'une chose et se précipite dans sa chambre en lui criant de ne pas bouger. Il obtempère et la voit revenir avec une feuille de papier déchirée et gondolée. Lorsqu'elle l'a lui tend, il aperçois un portrait de lui, en aquarelle et tout en nuances de bleus. Il s'est toujours demandé d'où venait le joli portrait de Juleka accroché au-dessus du lit de sa jumelle et il en a aujourd'hui la réponse. Un doux sourire étire ses lèvres.
« Je peux le garder ? J'adore… »
« Oui, tu veux. Je l'ai fait entre deux clients, hier à la boulangerie. » avoue-t-elle, heureuse qu'il ne trouve pas cela bizarre.
« Tu sais vraiment tout faire, hein ? » dit-il et Alix lui offre un demi-sourire. Elle se bat contre elle-même depuis si longtemps pour être parfaite qu'elle en est aujourd'hui fatiguée. Raccompagnant le jeune homme jusqu'à la porte, elle le salut et referme à clés derrière lui. Si elle avait su que ça se finirait comme ça…
Alix traîne des pieds en retournant dans sa chambre et s'empresse d'ouvrir la fenêtre pour aérer la pièce. Elle va ensuite tirer la couette hors des draps pour les mettre ensuite dans le panier de linges sales. Cela fait, elle laisse la couverture et le matelas s'aérer et se décide à prendre une douce.
Ce n'est qu'une fois sous l'eau chaude qu'elle repense aux derniers évènements. A cette soirée passée en compagnie de Luka et à tous les moments qu'ils ont partagé, en seulement une semaine. Si elle lui a parlé, au début, ce n'était qu'à cause du défi lancé par Kim et sa propre fierté. Mais Alix est forcée de contester qu'elle a eu un coup de foudre pour lui. Pas de ce qu'on voit dans les films et les livres à l'eau de rose non. Elle s'est attachée très vite à lui et sait pourtant que jamais elle ne pourrait tomber amoureuse de lui. Son esprit est embrumé et elle redresse la tête pour laisser l'eau chaude couler sur son visage. Elle sait que Luka restera un ami proche. Il ne peut en être autrement et elle est heureuse qu'il ressente la même chose qu'elle. Elle ne se serait pas pardonnée de le blesser ou simplement de le jeter après avoir couché avec lui. Elle n'est pas comme ça, Alix, elle ne l'a jamais été.
Ses doigts glissent le long de sa peau et elle repense au contact de celle de Luka. Cela fait longtemps qu'elle n'avait pas eu de rapport intime avec quelqu'un. Son ex n'était pas prête à franchir le pas et en y repensant, c'est vrai que ça lui avait manqué, de ne faire qu'un avec quelqu'un. Dans les bras de Luka, Alix s'est sentie vivante, de nouveau, pour la première fois depuis longtemps. Sa voix, son souffle et son corps brûlant contre elle l'ont laissé pantelante et elle s'est endormie immédiatement, épuisée par sa journée et par leurs ébats. Une part d'elle aurait voulu recommencer, lorsqu'elle s'est réveillée. Mais ça n'aurait pas été bien, parce que même si elle s'était sentie incroyablement bien, la veille, ce n'était pas contre Luka, qu'elle voulait jouir. Ce n'est pas son visage qu'elle voyait, ce n'était pas son nom qu'elle voulait gémir. Lui mentir, et plus encore se mentir à elle-même, ce n'était pas bien.
Après s'être lavée les cheveux, Alix sort de la douche et s'enroule dans une serviette. De nouveau dans sa chambre, elle sort de l'armoire une nouvelle paire de draps propre et refait son lit tapant les oreillers pour les rendre moelleux. Ce n'est qu'après qu'elle s'habille, enfilant un legging noir, une brassière de sport et un débardeur. Elle a besoin de sortir courir et de se dépenser.
Avant de faire son tour habituel, Alix choisit de faire un crochet par chez Kim, pour lui parler de sa victoire et lui proposer de venir courir avec elle. Elle a hésité à lui en parler. Pour Luka, pour elle, et pour lui aussi. Elle n'est pas sûre que cela apporte quoi que ce soit à leur relation. Mais elle est fière, Alix, et elle veut lui prouver qu'elle a non seulement réalisé son défi, mais en seulement une semaine. Alors la voilà qui sonne à la porte de la maison des Le Chien. C'est Kim qui vient lui ouvrir. A cette heure, un dimanche, ses parents doivent probablement se trouver au marché. Cela a toujours impressionné Alix, de les voir revenir du marché avec des fruits et légumes pour dix.
« Oh, salut minimouse, qu'est-ce que tu fais là ? » demande-t-il en se frottant les yeux. Alix se demande si elle vient de le réveiller. Il semble avoir enfiler un tee-shirt à la va vite et ce dernier est à l'envers. La jeune femme ne peut s'empêcher de rire en s'invitant dans la demeure de son meilleur ami, le dépassant pour rejoindre sa chambre qu'elle connaît très bien maintenant.
« Je voulais aller courir, ça te tente ? » demande-t-elle en s'asseyant sur son lit défait. Ses yeux scannent la pièce et elle ne peut retenir un rictus en voyant le bordel présent dans la pièce. La chambre du garçon doit être deux fois plus grande que la sienne mais elle est dans un état tel qu'elle semble minuscule. Kim est un accumulateur compulsif. Il est incapable de jeter. Alors tout s'entasse, dans sa chambre. Si on ajoute à cela le fait qu'il ne sait pas ranger, on se retrouve dans un véritable capharnaüm. Malgré tout, Alix se sent bien dans cette chambre. Cela sent toujours l'encens ou le déodorant et les murs sont décorés de choses qu'ils aiment tout les deux. Sur le mur face au lit se trouve une peinture qu'elle a réalisé à sa demande.
« Je suis toujours partant pour courir, tu sais bien ! » répond-il avec entrain en retirant son tee-shirt pour chercher dans les tiroirs de son armoire un tee-shirt propre et un jogging. Alix devrait baisser les yeux mais ne peut s'empêcher de regarder le dos musclé du garçon. Ses joues rougissent. Luka est plutôt bel homme, mais elle ne peut s'empêcher de vouloir se trouver dans les bras de Kim.
« Oh fait… » dit-elle alors qu'il enfile son nouveau haut.
« Hm ? » répond-il simplement et Alix se mord la joue.
« Tu es à mon service, pendant deux mois ! »
« Quoi ? » lâche-t-il brusquement et elle continue.
« J'ai gagné mon pari ! » un rictus victorieux se dessine sur son visage alors qu'elle cherche à capter son regard. Mais il fuit le sien et son visage se ferme, alors que ses poings se serrent.
« T'as couché avec le plumeau ? »
« Le plumeau ? » répète-t-elle en riant, mais il n'a pas envie de rire.
« J'y crois pas. Tu l'as vraiment fait ? »
« Je te rappelle que c'était ton idée, alors arrête de faire le surpris, là, c'est saoulant putain Kim ! »
Ce dernier grince des dents.
« Ouais, parce que je pensais pas que tu seras assez conne pour le faire ! » réplique-t-il et les yeux d'Alix lance des éclairs.
« Je te demande pardon ? Mais va te faire foutre Kim, j'ai droit de me faire qui je veux. T'es ni mon mec ni mon père à ce que je sache. »
« Ouais, bah encore heureux. Et fait pas la maligne. Tu crois que c'est une fierté de coucher avec un mec que tu connais pas comme ça ? Tu sais comment on appelle les filles comme toi, hein ? »
Il s'approche d'un pas d'elle, les oreilles rouges de colère, et elle fait de même, se tordant la nuque pour le regarder. Il semble si grand, et elle si petite.
« Comment ? Vas-y, dit le si tu l'oses. »
Et elle ne veut pas, elle ne veut pas qu'il le dise, qu'il mette un mot sur ce qu'elle est, sur ce qu'elle sait qu'elle est. Parce qu'elle s'en veut suffisamment comme ça.
« T'es une salope Alix. » et les mots tombent et vibrent dans la pièce, laissant un vide immense entre eux. Il l'a dit, il l'a fait, et le cœur d'Alix pleure et hurle.
« Et toi t'es un putain de connard misogyne, Kim. Tu sais ce que ça veut dire ? Tu veux que je cherche dans le dictionnaire pour toi ? Oh mais, tu sais ce que c'est un dictionnaire ? » elle est méchante. Elle veut le blesser comme il l'a blessée. Elle veut le détruire.
Et le garçon lève le poing puis se recule subitement, comme s'il venait de prendre conscience de ce qu'il avait fait. Il regarde la jeune femme et elle est incapable de deviner ce qu'il pense. Et elle déteste ça. Alors elle aussi, elle finit par lever son poing, bien plus frêle que celui du garçon, mais n'hésite pas et l'abat contre l'estomac de Kim.
« Tch. » il inspire, grimace sous la douleur de l'impact.
« Je te déteste Kim. » finit-elle par hurler avant de sortir en trombe de la chambre de celui qu'elle considérait comme son meilleur ami.
Elle quitte sa chambre, sa maison et sa vie.
