Attention : pensées suicidaire

ooOoo

Chapitre six : En attendant la fin

Il y avait quelque chose de confortable dans l'abandon. Comme une couverture chaude un soir d'hiver, cela vous englobait, vous protégeait du reste du monde, des évènements et de leurs conséquences, vous créait une bulle de bienêtre reposante pour le corps comme pour l'âme.

Rampa se complaisait dans l'abandon. Cela lui convenait parfaitement. Il n'avait jamais été un combattant, préférant ruser pour arriver à ses fins ou simplement se détourner quand son but était inatteignable.

Aujourd'hui plus que jamais, l'abandon était pour lui la seule réponse possible.

Ô certes, il éprouvait de la haine, de la rage même, et de la culpabilité mais tout cela, tous ses sentiments si douloureux étaient étouffés par l'Abandon. Il n'y avait plus que cela et en vérité, c'était comme s'il n'y avait plus rien.

Et de toute façon, pourquoi y aurait-il encore quelque chose ? Tout lui avait été pris. Leurs avait été pris. Après tout ce temps en Enfer, toutes ses tortures, physiques, psychique, toutes ses souffrances futiles et destructrices, comment pourrait-il y avoir un après ? Pourquoi ?

Pour lutter encore ? Pour perdre et souffrir encore ? Non, bien sûr que non. L'espoir de voir les choses s'améliorer, cet espoir inutile que portait les humains qui s'agitaient autour d'eux, était vain et s'il en avait la force, ou même la motivation, Rampa les aurait invectivé à abandonner comme lui l'avait fait.

L'abandon était l'unique réponse possible. La seule façon d'attendre le grand final, l'ultime perte à laquelle Rampa n'allait pas survivre, il le savait au plus profond de son être.

Sans le collier, sa force était revenue, il sentait qu'il pouvait se miraculer aussi sain et en bonne santé que avant. Qu'il pouvait fuir à l'autre bout du monde, à l'autre bout de l'univers, sur Alpha du Centaure par exemple. Fuir était dans sa nature après tout.

Mais Rampa ne pouvait pas s'y résigner. Parce qu'il avait abandonné bien entendu. Et paradoxalement parce qu'il ne pouvait pas l'abandonner.

Aziraphale.

Son pauvre Ange qui avait tant souffert. Qui souffrait encore.

Belzébuth avait annoncé sa mort prochaine. Rampa l'avait accepté depuis longtemps, avait même finit par se résigner à prier pour qu'elle arrive plus tôt.

Mais comme toujours, Elle était restée sourde à ses prières.

Avec le temps, avec les tortures, Rampa en était venu à réfléchir, à essayer d'annuler dans son esprit le chemin qui les avait conduit là, se disant qu'il y avait forcément un moment, un instant fatidique ou tout avait basculer.

Peut-être lorsqu'ils avaient décidé d'interférer dans la fin du monde ? Peut-être lorsqu'il avait profané une église pour sauver son Ange et ses livres, peut-être la première fois qu'il avait dit « mon Ange » dans ce café à Paris, devant des crêpes, peut-être…

Peut-être simplement sur ce mur, il y avait si longtemps en arrière, lorsque le miséricordieux Aziraphale l'avait protégé du premier orage du monde ?

Il y avait tellement de possibilité mais une certitude s'était encrée dans son esprit, aussi terrible qu'inutile –parce qu'il pouvait stopper le temps mais pas le remonter- il aurait mieux valu pour tout le monde qu'il ne rencontre jamais Aziraphale.

L'Ange étant l'Ange, doux, charmant, amusant, un poil salaud quand il le fallait, Rampa aurait toujours finit par succomber à la tentation et étant un démon, étant Le Démon de la Tentation même, pourquoi aurait-il seulement essayé de résister à celle-ci ?

Alors il aurait mieux valu qu'ils ne se rencontrent pas, qu'Aziraphale vive sa vie d'Ange, serve le Ciel sans crainte de le décevoir parce qu'il n'aurait pas été là pour le tenter, et alors quand la fin du monde serait venue, en soldat qu'il était, l'Ange se serait battu, le Paradis aurait gagné.

Dans ce fantasme, Rampa se permettait quand même une douceur. Le jour de la bataille aurait été le jour de leur rencontre et le Serpent de la Tentation aurait fini pourfendu par le glaive enflammé du Gardien d'Eden, comme cela aurait dû se faire, six mille ans plus tôt.

C'était un doux rêve qui berçait l'esprit de Rampa depuis si longtemps qu'il se prêtait à croire par moment qu'il était réel, comme s'il pouvait réécrire l'Histoire à sa convenance, ou comme un soupçon de folie qui serait, après tout, bien ordinaire.

Puis son regard flou regagnait en netteté, il revoyait l'Ange, son Ange, agonisant devant lui, et la douleur revenait, un souffle de panique étouffé rapidement par l'abandon que lui offrait la perspective que bientôt, tout serait finit.

Les humains ne comprenaient pas. Leurs esprits étaient trop étriqués pour cela, alors, comment leur en porter rigueur ? Comment pouvaient-ils même appréhender l'idée que deux êtres immortels qui avaient tout sacrifié pour que le monde ne s'éteignent pas dans le feu et le sang, en appelait à la mort de leurs plus forts vœux ?

Là-dessus, Rampa était sûr de pouvoir parler au nom d'Aziraphale. Pour le Serpent, il était évident que l'Ange attendait la fin lui aussi. Sinon, pourquoi ne guérissait-il pas ? N'était-ce pas la marque évidente d'une mort proche, de sa volonté d'en finir enfin ?

Les humains ne comprenait pas, incriminaient le collier de restriction qu'ils n'étaient pas en mesure de retirer, lui avait même demandé, à lui, le Démon, celui par qui tout était arrivé, de les aider, de guérir Aziraphale.

Les idiots.

Il était un Démon, comme tous les autres qui avaient torturés si efficacement l'Ange, il ne pouvait pas le soigner. Comment ses viles mains, ses vils pouvoirs, pouvaient venir en aide à Aziraphale ? Guérir autrui n'avait jamais été dans ses compétences, et surtout pas son Ange, pas maintenant que tout le mal avait été fait.

Mais les humains gardaient espoir quand même. Un espoir inébranlable qui, s'il n'était pas si apathique, aurait énervé Rampa par son inutilité suprême. Pour eux, il devait bouger, ils devaient guérir, ils devaient reprendre les choses comme si de rien était.

Les idiots.

Pour l'obliger à bouger, les humains avait recourt à une torture immonde, douloureuse, mesquine : le couper d'Aziraphale.

Autant Rampa aurait souhaité de tout son cœur ne jamais le rencontrer, maintenant que le mal était fait, il ne pouvait se résigner à l'abandonner, il devait rester près de lui, le regarder jusqu'au bout. N'avait-il pas été condamné à cela de toute façon ?

Alors, quand les humains le mettait dans un fauteuil roulant et le poussait hors de la chambre, il était bien obligé d'en appeler à sa force, qui lui était revenue mais ignorée, pour retourner dans la pièce où l'Ange agonisait.

Une répétition constante, chaque jour, encore et encore, des mêmes actions. Comme si le temps revenait constamment sur ses pas. Rampa s'en agaçait petit à petit. De l'espoir des humains, de l'attente de la mort qui s'éternisait depuis trop longtemps, du silence qui répondait à ses prières inutiles.

Ne pouvaient-ils pas les laisser abandonner une bonne fois pour toute ?

Ce matin-là, alors qu'il retournait dans la chambre, Rampa savait qu'il était temps d'abandonner une bonne fois pour toute alors, doucement, difficilement, il se rapprocha du lit d'Aziraphale, plus qu'il ne se l'était jamais permit.

Rampa devait le voir, mais ne s'autorisait pas à l'approcher, le toucher encore moins, car il n'en était pas digne mais ce matin, il allait devoir infligé un peu de son touché démoniaque à son Ange.

Désolé

Le mot résonnait dans son esprit, puissant et douloureux parce que oui, il était tellement désolé, tellement anéanti par les tortures, par la souffrance, par l'abandon… Les choses ne pouvaient plus durer, le temps ne pouvait pas rester suspendu ainsi éternellement. La fin devait venir.

Alors, avec une lenteur douloureuse, Rampa contourna doucement une première aile, veillant à ne pas la toucher, pour éteindre l'électrocardiogramme. Le silence qui remplaça le bip régulier de la machine était apaisant. Le silence était un accord, une acceptation de ce qui devait arriver.

Toujours avec prudence, le Démon fit demi-tour, contourna le lit et l'autre aile pour se rapprocher de la tête de l'Ange, et du respirateur qui le maintenait en vie. Parce que pour lui, ce n'était pas la faute du collier mais bien celle des humains si le temps était bloqué. La machine, comme un pied de nez à la mort, repoussait l'inévitable.

Mais plus maintenant, songea-t-il en l'éteignant. Pardon, je dois te toucher…

Ses mains tremblaient, sa vue était trouble. Rampa pleurait, comme la créature pathétique qu'il était. Pourtant, il trouva la force de défaire le lien qui maintenait le tube du respirateur dans la gorge d'Aziraphale, et de tirer sur ce dernier pour l'en sortir.

Entre les bandages, quelques boucles blanches étaient visibles. Un reste de chevelure qui avait été miraculeusement été épargné par les tortures. Rampa aurait voulu pouvoir les caresser. Il avait toujours voulu les caresser, les imaginant aussi douces qu'une brise d'été, mais il se retint.

Une fois encore, il n'en était pas digne.

Il ne méritait que de regarder. Regarder ses boucles inaccessibles, regarder ses paupières à jamais closent, regarder cette poitrine descendre pour ne jamais se relever…

Il l'avait tellement attendu, tellement espérer et pourtant, maintenant qu'ils étaient à la porte de la délivrance, une émotion vive et nouvelle le secoua, forçant ses larmes à devenir des sanglots déchirants et pitoyables.

Il avait tellement de regret, tellement de chose, de choix, qu'il aurait voulu faire autrement. Tellement de possibilité qui allait s'éteindre avec l'Ange. Cette fin, cet oubli éternel qu'il attendait depuis si longtemps, était une fatalité à laquelle il espérait soudainement pouvoir échapper.

C'était tellement injuste !

Peut-être que lui, en Démon, en Déchu, il le méritait. N'avait-il survécut à la Fosse que pour souffrir cela ? Mais l'Ange, son Ange était innocent.

Rampa savait, malgré tout, qu'ils avaient fait le bon choix en arrêtant l'Apocalypse. Qu'Aziraphale avait fait le bien en tenant tête au Ciel et à Satan lui-même. Il n'avait toujours que fait le bien, certainement pas comme on l'attendait de lui, pas avec sa librairie, les pâtisseries et le reste, mais il n'y avait jamais rien eu de mal chez lui.

Il ne méritait pas de mourir maintenant, comme ça. Il ne méritait pas de souffrir l'Enfer. Il ne méritait pas…

Mais une fois encore, Elle ne disait rien, n'intervenait pas pour son enfant. Son enfant qui avait toujours crue en Elle, qui gardait la foi malgré toutes les épreuves, tous les supplices. Cette Grâce si résistante, qui ne s'échappait pas, qui ne s'éteignait pas, était le braséro de cette foi inébranlable.

L'injustice était un poison violent, une amertume sur la langue qui donnerait à Rampa l'envie de vomir s'il n'était pas déjà étouffé par ses propres sanglots inutiles.

Les choses n'auraient pas dû se passer ainsi…

Enfin, les sanglots se calmèrent, la peur et la colère refluèrent, parce que de toute façon, Rampa avait abandonné, et le Démon s'apaisa. Les choses n'auraient pas dû se passer ainsi mais c'était ainsi qu'elles étaient et le Serpent l'avait accepté.

Abattu, il s'autorisa à s'appuyer sur le lit, les mains si proches d'Aziraphale qu'il sentait la douce chaleur divine qui irradiait de lui, une aura qui aurait dû le dégouter, le gêner voir le blesser, mais qui le réconfortait à l'aube du grand voyage.

La poitrine d'Aziraphale s'abaissa en une longue expiration. Un silence glacial pesait dans la chambre maintenant que toute les machines étaient éteintes. Rampa ne respirait plus non plus, mais il n'en avait pas besoin. Combien de temps allait-il encore falloir à la Grâce de l'Ange pour s'éteindre pour de bon ?

Mais, contre toute attente, après une longue minute d'immobilité totale, Aziraphale inspira aussi profondément qu'il avait expiré. Le regard de Rampa capta un geste tout près de lui, et l'espoir qui lui brûla soudainement la poitrine était presque trop douloureux pour le Démon.

Et si futile ! Il avait abandonné, avait-il oublié ? Pourtant, lentement, presque avec crainte, il tourna la tête et ses yeux jaunes rencontrèrent le regard clair, d'un bleu étincelant, de son Ange.

A suivre...