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Chapitre 7 – Memory of another time
Printemps 1937 - Kent, Angleterre.
Les fleurs s'épanouissaient de plus en plus, jour après jour. Faisant virevolter dans l'air de doux parfums, aux notes exquises. Les rayons du soleil perçaient les nuages, donnant une douce chaleur à l'atmosphère.
Quelques personnes vêtues pour les grandes occasions attendaient à l'entrée d'une grande chapelle à l'architecture gothique. Ce lieu avait accueilli bien des événements, porteur des toutes les émotions, tristes comme joyeuses.
Aujourd'hui était un jour particulier pour moi. Aujourd'hui était le jour de mon mariage. Aujourd'hui j'allais enfin dire oui à la personne qui avait fait battre mon cœur comme nulle autre. Aucun homme ne m'avait regardée comme cela. Jamais.
Jonathan était pour moi un homme extraordinaire. Attentif, prévenant, aimant, il avait toutes les qualités pour tempérer mon tempérament parfois fougueux. Des cheveux châtains encadraient son doux visage, et ses yeux noisette me regardait avec tendresse.
Avant moi il en avait fait battre des cœurs, et certains s'étaient brisés quand on avait commencé à sortir ensemble. Oui, j'en avais de la chance.
Une fois réunit devant l'autel, nos mains se joignirent pour ne plus se séparer. Nous étions tous les deux confiants. Sans peurs aucune. Sans tracas.
Remontant allée de l'église, nous franchîmes main dans la main une porte de bois arrondie. Nous avions le sourire aux lèvres.
Des pétales de fleurs tombaient au-dessus de notre tête, formant tout autour de nous une nuée rouge et blanche. C'était beau. C'était parfait.
Les gens souriaient. Le bonheur était encore intact, inviolé par une quelconque violence d'aucune sorte.
J'étais au bras de mon amour qui me regardait avec tendresse. Je ne m'étais jamais sentie aussi vivante.
Je t'aime, me souffla Jonathan
-/-
Février 1941 - Londres, Angleterre.
Jonathan est mort.
Mon souffle se coupa et l'air me manqua. Je perdis l'équilibre, mes jambes lâchèrent et je m'effondrais au sol. Je venais de perdre mon amour.
Je reviens ma chérie, m'avait dit Jonathan juste avant de franchir le seuil de notre maison.
Mais il ne reviendrait plus. Jamais.
A genou à même le sol, le souffle court, je restais prostrée de longues minutes. Je ne savais plus quoi faire, ni comment réagir face à la peine qui me submergeais. Je pouvais sentir l'eau monter à l'intérieur de moi-même, me recouvrant presque entièrement, aidé par une force qui voulait m'entrainer vers les abysses.
Cette nouvelle m'avait assommée. Je n'avais pas dormi les deux nuits suivantes, me réfugiant dans notre lit, dans ces draps dans lesquels l'odeur de mon amour était imprégnée. Cette odeur musquée que j'aimais tant.
J'aurais voulu rester là une vie entière. Et ne plus bouger. Jamais.
Emma, dit doucement ma sœur Lucy à mes côtés. Emma ma belle regarde-moi.
Sa voix était douce et apaisante. Je la sentais inquiète. Et sa voix ne me jugeait pas. Elle me caressa les cheveux, comme pour me dire de prendre mon temps, qu'elle serait là quand je me déciderais à parler. Ma jeune sœur était la plus lumineuse et la plus douce des personnes que je connaissais. Notre mère aussi était comme cela.
Je tournais lentement la tête vers elle, les yeux emboués de larmes, et elle me répondit avec un faible sourire.
Ne me cache pas tes larmes, me dit Lucy. Je ne te jugerais pas. Jamais.
Je ne répondis rien, me contentant de laisser couler les larmes qui ne semblait pas vouloir tarir. Je plaçais ma tête contre son épaule et je restais ainsi de longues minutes.
Mark entra à son tour en la pièce, et se mettant à genou à hauteur de mon lit, il me prit la main.
Nous sommes là Emma, dit Mark. Et nous ne bougerons pas.
Sans ma sœur et mon frère je ne sais pas ce que je serais devenue. Leur simple présence suffisait à apaiser un peu ma peine. Quelques semaines plus tard j'acquis la certitude qu'avec eux dans ma vie je resterais debout, quoi qu'il puisse se passer dans l'avenir.
Nous étions proche depuis l'enfance. Cette enfance si lointaine et brumeuse. Je m'en souvenais comme si c'était hier.
Regarde Emma, de la neige ! s'exclama Lucy ma jeune sœur
Maman on peux sortir voir la neige ? demanda Mark à notre mère
Nous sortîmes alors dans le petit jardin familial, les flocons tombaient dru et faisait naitre de grand sourire sur nos visages.
Ces années de joies, si précieuses, me paraissaient si floue. Brumeuses et indistinctes. Comme un étrange souvenir qui semble s'évaporer avec le temps.
-/-
Les jours passaient, puis les semaines, et progressivement je me relevais. Péniblement certains jours, mais petit à petit, effort après effort, je sortais la tête de l'eau.
Par une belle journée je venais visiter la tombe de l'être que j'aimais encore. Sa mort avait laissé une cruelle absence dans ma poitrine. Vide et impitoyable absence. Mais mon affection et mon amour étaient eux toujours vivants. Maintenant et à jamais.
Jonathan, murmurais-je. Mon tendre Jonathan. Pourquoi me laisses-tu seule dans ce vaste monde ?
Je n'obtiens aucune réponse. Seule une brise qui vint agiter mes cheveux. Que devais-je faire ? J'étais à l'aube de passer mon examen pour devenir médecin, mais mon chagrin m'avait plongée dans une telle détresse que je n'avais pas ouvert un livre durant le mois écoulé. Ni même regarder mes notes. Je n'en avais pas eu la force. Et si Mark et Lucy n'avait pas été là, je ne sais pas où je serais.
Je relevais la tête vers le ciel bleu au-dessus de moi, qui me narguait presque avec sa beauté, moi qui étais brisée à l'intérieur.
Le lendemain en me réveillant je pris ma décision. Agir. Ne plus subir. Jamais.
Je fis une croix sur mon diplôme. Peut-être à jamais. Ou pas. L'avenir le dira, et lui seul.
Mark s'était engagé dans l'aéroportée, un tout nouveau concept dans notre armée. Sauter en parachute derrière les lignes ennemies. Du jamais vu. Il avait pris ses responsabilités après son service militaire, pendant lequel il avait été nommé lieutenant, puis major quelques mois avant le débarquement en 1944.
Tu sais, il y a une réserve féminine, m'avait dit Mark la veille au soir. Tu pourrais le tenter.
Aujourd'hui j'étais certaine de moi. Dès les premières heures du jour je me préparais à m'engager. Une nouvelle vie allait s'offrir à moi. Ce n'était pas celle que j'avais prévue, mais peu importe.
Je franchis les portes d'un bâtiment de pierre. Le plafond était plutôt haut et de grandes fenêtres laissaient entrer la lumière qui venait de l'extérieur. J'étais presque étonnée par cette lumière.
Je repérais rapidement la file des volontaires et j'attendis mon tour. Je ne fis pas attention aux regards des autres personnes présentes. J'étais libre de mes choix et je n'avais pas à me justifier.
Vous souhaitez vous engager ? me demanda une jeune femme brune derrière une table de bois clair.
Oui, répondis-je.
Comment vous appelez-vous ?
Emma Alice Andrews.
Votre métier ?
Infirmière.
Elle releva la tête vers moi, son étonnement transparaissait dans son regard. Une certaine admiration aussi. Il ne devait pas avoir beaucoup de femme volontaire.
Vous n'en voyez pas beaucoup, n'est-ce pas ?
Pas beaucoup en effet, avoua la jeune femme. Et encore moins qui sont infirmière.
-/-
Printemps 1942 - Londres, Angleterre.
Durant l'entrainement j'enfermais mes émotions dans un coffre que je reléguais dans les tréfonds de mon esprit. Je devenais une guerrière. J'apprenais à douter des coups, mais aussi à en prendre. Mais pour le second point j'étais déjà rodée. Y répondre par contre c'était nouveau. Et c'était particulièrement satisfaisant.
Quelques mois après le début de mon engagement, je fus convoquée dans le bureau du colonel du Régiment, le colonel Jones. J'étais un peu surprise, et en même temps j'étais intriguée par ce qu'il allait me dire.
Lieutenant Andrews, asseyez-vous, me dit le colonel Jones en désignant une chaise face à son bureau de bois massif. Vous avez montré des capacités étonnantes. Le général a décidé de monter une équipe de soldats pour une mission particulière. Et je pense que vous pourrez y avoir votre place.
En quoi consiste cette mission, monsieur ? demandais-je intriguée.
C'est une mission d'espionnage chez l'ennemi, répondit le colonel. Vous serez en binôme avec un autre agent. Et vous devez me rendre des comptes. Ainsi qu'au général. C'est compris ?
Parfaitement monsieur.
Bien. Je vais laisser votre partenaire vous transmettre les détails.
Je sortis du bureau, et je découvrais à quelques centaines de mètres un homme en uniforme, plutôt grand, élancé aux cheveux châtain foncé.
Alors que je m'approchais de lui il se tourna vers moi.
Lieutenant Emma Andrews ?
C'est exact.
Je suis le lieutenant David Jones, se présenta l'homme devant moi.
Jones ?
Oui je suis le fils du colonel, déclara David. Et croyez-moi, ce n'est pas un cadeau. Surtout dans l'armée.
David avait le même regard que son paternel, même si ses prunelles étaient moins froides que celui-ci.
J'imagine que je dois vous donnez des détails pour la mission, continua David.
Je hochais positivement la tête.
Très bien. Allons marcher.
Je le suivis alors vers les jardins. En cette heure matinale il n'y avait pas beaucoup de passage dans les couloirs, et les rayons d'or du soleil levant faisaient leurs chemins entre les nuages. Je gardais le silence, en attendant que David reprenne la parole.
Nous allons être envoyés dans le nord de la France, commença-t-il. Nous serons sans doute amenés à bouger au cours des mois à venir, mais on ne le saura que sur place. Notre mission est de prendre le plus de renseignements possibles sans éveiller les soupçons. Place des troupes ennemies, artillerie, plan de bataille… Et surtout, le code pour décrypter Enigma. Les messages codés des nazis nous laissent du fils à retordre. Des équipes d'ingénieurs y travail, mais la guerre pourrait finir bien plus tôt si nous arrivons à avoir ces informations. Pour l'instant les américains ne sont pas prêts à faire la guerre en Europe, la guerre face au Japon bat sont plein dans le Pacifique, et il est possible que nous ne puissions pas compter sur notre allié avant de nombreux mois.
C'est une sacrée responsabilité, fis-je.
Cela te fait peur ? demanda David en se tournant vers moi.
Je n'ai pas peur de grand-chose, répliquais-je en vrillant mes prunelles dans les siennes.
C'est ce que je voulais entendre, dit David avec un sourire.
La préparation de la mission dura trois mois. Trois mois intensifs, d'entrainements, d'apprentissage de l'allemand et de rudiments de français. Pour le français j'avais une longueur d'avance sur David, puisque je l'avais appris à l'école.
Notre binôme fonctionnait parfaitement bien. Et David était devenu un ami.
On s'entrainait dur chaque jour, et nous avions très peu de permissions à l'extérieur. Et en plus des cours de langues et de communication, j'avais décidé de mettre à jour mes connaissances médicales. Être une infirmière en plus d'être une espionne et de savoir me battre, était un vrai plus qui ne pouvait que nous servir, pour avoir la confiance de notre unité future notamment. Et après plusieurs semaines David m'avait avoué que cela le rassurait lui-même.
A la fin des trois mois nous étions prêts à tout.
Nous fumes alors convoqué dans le bureau de notre général. Le général Browning était un homme aux cheveux noir, issu d'une famille aisée de Kensington, il avait déjà combattu lors de la première guerre mondiale. A 46 ans il avait une brillante carrière militaire, et il était un officier respecté dont la réputation n'était plus à faire.
Lieutenant Andrews, lieutenant Jones, prenez place, dit-il. Lieutenant Andrews, vous êtes de la même famille que le lieutenant Mark Andrews ?
C'est exact, monsieur, répondis-je.
Vos parents doivent être fiers d'avoir eu deux enfants tel que vous. Et vous m'avez l'air d'avoir le même âge je me trompe ?
Effectivement, nous sommes jumeaux.
Je constate que vos deux familles apportent beaucoup à ce pays. Mais trêve de bavardage. Etes-vous prêts ?
Plus que prêts monsieur, répondit David à ma gauche.
Idem pour moi, fis-je
Je suis content de vous l'entendre dire, déclara le général. J'ai tenu à vous voir personnellement car je tenais à vous transmettre moi-même des ordres pour votre mission. Sachez que je lirais également personnellement vos rapports. Et je tiens à en recevoir deux. Bien que vous soyez un binôme, vous pourrez être amené à récupérer des renseignements différents, ou à être affecté à des missions différentes quand vous serez chez l'ennemi. Est-ce clair ?
Parfaitement, monsieur, déclarais-je de concert avec David.
Bien. Autre chose et non des moindres. Et si vous ne devez retenir qu'un ordre ce serait celui-là : rien ne doit se mettre en travers de votre chemin. Rien ne doit mettre à mal la mission. Si vous êtes pris, vous devez tenir votre langue et vous sacrifier. Et surtout, si l'un d'entre vous décide de trahir sa patrie, l'autre devra mettre un terme à ses agissements. Par tous les moyens. Même s'il vous faut vous servir de votre arme contre l'autre. C'est clair lieutenant Andrews ?
Oui, monsieur.
Lieutenant Jones ?
Oui, monsieur. Parfaitement.
Bien, fit le général en se levant. Votre nation compte sur vous. Ne nous décevez pas.
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Je regardais Lucy et Mark devant moi. Mon jumeau portait son bel uniforme des Red Devils. Le lieutenant Mark Andrews imposait le respect.
Je ne sais pas quand on se reverra, commençais-je. Mais je penserais à vous. Chaque jour.
Tu vas assurer, affirma Mark.
Et on pensera à toi aussi, dit Lucy. Nous sommes une famille.
Je pris ma sœur dans mes bras, puis mon frère.
En m'éloignant d'eux je vis un peu plus loin celui qui allait être mon partenaire durant toute la mission : David. Son père, notre supérieur hiérarchique, était venu en personne, et semblait lui donner des consignes de dernière minute. Contrairement à mes relations avec les membres de ma famille, qui avaient toujours été aimantes et chaleureuses, la relation qui unissait le père et le fils semblait distantes, sans aucune effusion.
A cet instant précis je ne le savais pas encore, mais cette mission allait durer deux ans et m'emmener jusqu'en juin 1944. Deux ans sans voir ma famille. Deux ans qui vous marquent au fer rouge.
Je sais après le dernier chapitre il s'est écoulé presque un mois. Je ne pensais mettre autant de temps à écrire la suite, et en particulier ce chapitre de flash-back. J'avais vraiment envie d'explorer un peu de passé d'Emma, et aussi vous montrer ce qu'elle a pu traverser. Je dois dire que j'aime de plus en plus ce personnage.
J'espère que le chapitre vous a plu as always.
A très vite !
