CH 8 In extrémis

Si le paradis ressemblait à ça, Geoffrey avait deux mon à dire à Saint Pierre, le ciel immense était obstrué par les lattes d'un plafond certes propres et de belle facture, mais un peu trop morne au gout de l'irlandais. Son regard glissa sur le lambris des murs, puis sur les meubles luxueux, pour finir sur les tapis persans et le parquet lustré. Sa main droite palpa son flanc couvert d'un bandage épais, le même traitement avait été appliqué à son épaule. Prenant un peu d'élan, le Garde se redressa et s'extirpa des draps propres et cotonneux, il n'avait que son pantalon, le restes de ses affaires n'étaient plus là. Grondant sa malchance, il se dirigea vers la porte pour tomber dans un couloir avec deux portes supplémentaires. Marchant prudemment, il s'avança vers le bout pour tomber sur un couloir à sa gauche et un escalier à sa droite, du bruit résonna en dessous. Curieux, Geoffrey s'aventura dans les escaliers, tombant dans un énième couloir. Tout dans cette demeure puait le luxe et le raffinement, pas vraiment l'idée que se faisait le chasseur de l'éternité. Une ouverture se dessina dans le couloir et un petit homme aux cheveux gris posé sur son crane légèrement dégarni s'extirpa de la pièce, son regard, d'abord surpris, se posa sur l'arrivant mais reprit un air serviable et consciencieux. Le valet épousseta son habit et salua son hôte.

"-Bien le bonjour Monsieur, commença le majordome. Je constate que vous vous portez mieux.

-Où suis-je ? Questionna le chasseur d'une voix éraillée.

-Vous êtes au Manoir Reid, expliqua posément le serviteur. Monsieur Jonathan et vous êtes arrivé cette nuit, il a fait tout ce qu'il a pu pour vous sauver. Je lui ai prêté une modeste assistance et m'a demandé de répondre à tous vos souhaits.

Le ventre de Geoffrey gronda en réponse, le vieux serviteur inclina la tête, compréhensif.

-Installez-vous dans le salon, encouragea l'homme. Je vous apporte de quoi vous sustenter.

Le serviteur ouvrit une porte et l'invita à avancer, Geoffrey obtempéra. Le domestique lui désigna la table et quitta la pièce. Le regard de McCullum étudia les meubles, la décoration riche et légèrement pompeuse avant de s'accrocher sur un portrait de famille. Sa main avide attrapa la photo et le chasseur l'étudia. Une vieille femme ridée mais digne s'enfonçait dans un fauteuil au centre de l'image, une jeune femme derrière elle semblait être son ombre dans une lointaine jeunesse, et à droite de cette jeune femme, le sérieux Jonathan Reid posant une main sur le dossier du siège.

-Ce portrait a été fait peu de temps avant le départ de Monsieur Jonathan au Front, déclara le vieux portant un plateau rempli.

Respectueux, Geoffrey le replaça sur le meuble.

-Oui, c'était une autre époque, accorda le valet en posant son fardeau. Madame Mary était encore parmi nous, Monsieur Jonathan était plus disponible pour les siens, et Madame avait toute sa présence d'esprit.

-Je suis désolé, lâcha machinalement Geoffrey.

-Vous n'avez rien à voir avec les malheurs de cette maison, réconforta le valet. Se sont tous ces...évènements.

Le ventre du chasseur gronda à nouveau et le serviteur fit un petit signe de tête pour l'inviter à s'assoir. L'homme s'installa observant les œufs brouillés et le bacon frit, les tartines toastées et le thé fumant, le vieillard versa un peu de lait dans le liquide brun et le déposa près de Geoffrey.

-Merci, euh...

-Avery, Monsieur, compléta l'homme.

L'irlandais piqua vivement sa fourchette dans les œufs avant d'en apprécier la légèreté, le lard était parfaitement frit et croquait en bouche, le thé était des plus exquis. Il n'y avait pas grande différence avec les déjeunés qu'il prenait au premier restaurant du coin, mais le simple fait que ce bonhomme ait cuisiné aussi minutieusement ce repas pour lui et que pour lui, était agréable. Après avoir dévoré son repas, il remercia à nouveau le domestique.

-Où sont mes vêtements ?

-Je les ai lavés et rapiécés, expliqua l'homme. Ils sèchent en ce moments même, je vous les apporterais le moment venu.

Un signe de tête le dédommagea de ses bons soins.

-Où est Johnny ?

-Monsieur s'est enfermé dans le bureau de son père et m'a fait promettre de ne le déranger sous aucun prétexte.

-Je vois, soupira le chasseur. Je retourne me reposer un peu."

Avery inclina la tête, récupéra son plateau et quitta le salon. Geoffrey l'imita et remonta à l'étage. Balayant son regard dans la maison vide, il pouvait entendre la voix étouffée de la vieille femme dans sa chambre. Succombant à ses pulsions, McCullum s'avança vers la porte lointaine et constata qu'elle était fermée. L'irlandais pesta et étudia son environnement, sans trouver quoi que ce soit d'utile. Enfoncer la porte ne serait pas le bienvenu après tant de soin apporté à ses blessures et à l'hospitalité du valet et de Jonathan. Déçu, son regard piqua au sol quand un objet brillant attira son regard, grinçant de douleur, il ramassa l'épingle à chignon en soupirant. Finalement se petit bout de fer lui serait utile, revenant à la porte, il introduisit l'épingle et joua avec la serrure. Ses douleurs se réveillèrent et la pince cassa, soupirant, le chasseur essaya d'ouvrir l'obstinée qui lui barrait la route, dans un clic enchanteur, le boit glissa pour l'introduire dans l'office. La lumière du couloir éclairait les meubles, une forme entassée sur un divan se détachait du luxe de la pièce.

Un soupir conquit lui colora le visage et l'irlandais s'approcha lentement du vampire, allongé sur le flan, dos à la porte, Jonathan dormait à poings fermés. La nuit avait dû être longue et difficile pour lui, Geoffrey notait que certaines de ses blessures n'étaient que partiellement fermées. L'homme s'installa doucement près de ses jambes, posant sa main sur l'épaule en le secouant prudemment. Un grondement s'échappa des lèvres du vampire, ses yeux bleus délavé s'ouvrirent et dardèrent vers l'intru, avant de s'adoucir.

"-Geoffrey, murmura le médecin. Comment vas-tu ?

-Mieux que toi Johnny, joua McCullum.

Un rire étouffé secoua le médecin, il ne s'était pas senti aussi mal depuis son combat contre lui au Pembroke, ce n'était donc pas très compliqué d'être en meilleure forme que lui. Il se tourna vers son ami et bascula ses jambes pour laisser la place à son amant de s'installer. Geoffrey s'enfonça dans le divan avec un soupir las.

-Je suis content que tu t'en sois sorti, confessa le docteur. J'ai cru devenir fou en te voyant au sol, si j'avais eu plus de sang, je lui aurais fait goûter ma fureur !

-Mais au lieu de ça, ricana l'homme. Tu l'y as mis du plomb dans la tête.

Jonathan pouffa emporté par l'humour et la joie de son hôte. Le corps du garde se calla contre celui du praticien, et sa main droite attrapa la gauche de son amant avant de poser sa tête sur l'épaule du vaillant héros. De longues secondes glissèrent dans la pièce, emporté par le souffle de leurs respirations. La main du guerrier se sépara de sa sœur et se présenta devant la bouche du vampire.

-Merci de m'avoir secouru hier, marmonna le garde. J'ai vu tes blessures et j'ai deviné que tu n'as rien mangé."

La tête de Jonathan se décolla de celle de son amoureux, la sollicitude fissurait son visage, mais ses yeux azurs étaient volontaire, presque autoritaire. Ried était trop épuisé et en manque pour refuser son offre, ses crocs apparurent avant de s'enfoncer dans le poignet de son amant. Surpris par la vivacité de la morsure, Geoffrey haleta, cette fois, le vampire ne se retenait pas autant que la dernière fois, les dernières plaies restantes disparurent en un instant, et sa peau rosie à nouveau. S'arrachant de son étreinte, la tête de l'ekon bascula, sa langue léchant ses babines dégoulinantes de sang. Ce simple geste enflamma McCullum, sa bouche se plaqua vivement contre les lèvres rouges de son amant, goûtant son propre sang dans celle de Reid, leurs langues se rencontrèrent, dansèrent ensemble, mélangeant salive et sang dans un étau dévorant. Le corps brûlant de l'humain se plaqua contre celui glacé du vampire, ses bras l'enveloppant de son amour, les bouches se séparèrent un instant pour respirer, mieux apprécier la beauté de celui qui faisait face. Ce fut Reid qui brisa ce moment alléchant, une question idiote lui brûlait les lèvres sanglantes.

"-Comment es-tu rentré ? Interrogea le noble.

-Secret professionnel, sangsue ! Répliqua gentiment le garde.

Envouté et intrigué, le docteur n'insista pas.

-Je vois, soupira le vampire.

Geoffrey s'étendit dans le dos de Jonathan, s'allongeant sur le divan.

-Tu comptes rester avec moi ici ?

-Ça te gène Johnny ?

-Non, s'amusa le noble en se levant.

Il ferma la porte, plongeant de nouveau la pièce dans le noir, aussi silencieux qu'une ombre, Jonathan s'installa à nouveau contre le garde, le dos calé contre sa poitrine.

-Disons plutôt que je suis surpris de te savoir aussi avenant, confessa le médecin amusé de voir Geoffrey dévoiler cette partie tendre de lui-même.

-Seulement en privé, gronda l'homme en glissant son bras autour du torse de celui qu'il aimait."

Une chose étrange le frappa alors, Jonathan n'avait plus sa chemise ni sa veste de costume. À quel moment il avait trouvé le moyen de le retirer, il ne s'était pas écoulé plus de quelques secondes entre le moment où il avait fermé l'ouverture et celui où il l'avait rejoint.