4.2 You're my favorite kind of night

Un souffle nerveux, quoique injustifié, souffle sur les murs de l'Académie. On ne sait pas exactement quoi, mais il y a quelque chose qui se trame. Les professeurs et membres de l'administration sont particulièrement fébriles, ne supportent plus le moindre désordre. On est aux aguets, on essaye de deviner. Les officiers ont été mis en garde : ils regretteront amèrement la plus petite incartade de la part de leurs hommes. Hux n'a pas fait exception à la règle. Ses soldats doivent se montrer irréprochables s'ils veulent " passer le test ". Il n'a pas très bien compris, mais on ne lui en a pas dit plus. Alors il a fait le tour de ses troupes, mis les choses au clair afin que tous comprennent ce qu'il attendait d'eux. Il a essayé d'enquêter un peu, mais même Sloane n'a pas voulu lui transmettre la moindre information.

Il est dans son bureau, plongé dans les innombrables formulaires administratifs que lui incombent son statut d'officier. Il n'a pas fait de pause depuis des lustres, une douleur sourde commence à pointer à l'arrière de son crâne, mais il tient absolument à terminer avant la fin de journée. Prouver qu'il est rapide, capable. Le meilleur d'entre tous. Il n'entend pas, lorsque le soldat frappe une première fois à sa porte. Il reste concentré sur ce fichu rapport dont il ne voit pas le bout. La deuxième fois, il finit par lever la tête, grommelle une vague invitation à entrer. Il faut que ce soit important, pour qu'on ose le déranger. Le soldat n'est pas à l'aise, il a peur de se faire coller au piquet pour s'être risqué à perturber le travail de son supérieur. Il se tient droit mais ses yeux vont et viennent dans la pièce, évitant soigneusement ceux de Hux.

— Le Général Sloane vous demande, mon Sous-Lieutenant, déclare-t-il.

— Qu'est-ce qu'elle veut ? grogne Hux.

— Elle ne l'a pas précisé, mon Sous-Lieutenant. Elle m'a seulement dit que vous deviez la retrouver dans son bureau sous les plus brefs délais... mon Sous-Lieutenant.

— Repos.

Hux soupire. Ce n'est pas le moment. Il doit se démarquer, montrer que sa division est la plus entraînée, la plus précise et la mieux gérée. Il ne peut pas se permettre de perdre du temps, surtout dans le climat actuel. Mais Sloane, bien que l'ayant pratiquement élevé, reste son Général et il ne peut pas lui désobéir. Il pose donc son stylo et se redresse. Le soldat se crispe. Il a peur de se prendre un coup mal placé. Hux n'a jamais été réputé pour sa tolérance et sa douceur. Mais il passe devant lui sans un mot, fait à peine un geste de la main pour lui dire de ficher le camp. Il se dirige vers le bureau de Sloane, au dernier étage de l'Académie. A cette heure-ci de la journée, la plupart des hommes sont à leur entraînement, ou dans les nombreux amphithéâtres, à suivre des cours basiques qui leur permettront d'être de parfaits soldats. Les couloirs sont vides, à l'exception de quelques petits groupes de gardes qui se mettent au garde-à-vous dès qu'Hux passe devant eux.

Il frappe doucement et la voix du Général l'autorise à entrer immédiatement. Lorsqu'il pousse la porte, il manque d'échapper une exclamation de surprise. Il fait cependant de son mieux pour garder un visage impassible. Sloane n'est pas derrière son bureau, comme il s'y serait attendu. Elle se tient droite, debout, les yeux rivés sur lui. A sa place habituelle, il y a un homme que jamais Hux ne se serait attendu à voir en chair et en os. Même assis, il paraît gigantesque. Chauve, la peau de son corps à vif, comme brûlée, il est défiguré par de nombreuses cicatrices qui témoignent de la violence de son passé. Il porte une tunique que même le plus riche des habitants d'Arkanis ne pourraient rêver d'avoir. Snoke est plus une légende qu'un véritable personnage, ici. Quelqu'un dont on parle mais qu'on ne verra jamais. Et pourtant, il est là, imperturbable. Face à Hux.

Ce dernier se met immédiatement au garde-à-vous. Il attend. Ce n'est pas à lui de prendre la parole en premier. Il n'est qu'un petit officier face à la plus grande figure de l'ancien Empire encore en vie. Il n'a pas la moindre idée de ce qu'il peut lui vouloir. Veut-il le renvoyer ? Il a pourtant toujours fait de son mieux, et plus encore. D'après certains de ses professeurs, jamais un soldat n'était parvenu à grimper aussi rapidement la hiérarchie. À son âge, c'était un exploit. Il quitterait l'Académie plus gradé que la plupart des hommes lorsqu'ils mettaient fin à leur carrière. Son cœur frappe violemment contre ses côtes, si fort qu'il a l'impression que Sloane pourrait l'entendre si elle tendait l'oreille.

— C'est lui, Monsieur, déclare la Général.

Snoke hoche doucement la tête. Il scrute Hux, semble lire jusqu'au plus profond de lui. Le jeune homme se sent rougir. Comme si l'homme devant lui pouvait décortiquer la plus noire de ses pensées, le plus sombre de ses secrets. Il le sent s'insinuer en lui, fouiller, briser les murs qu'il a bâtit autour de son esprit. Des souvenirs glaçants remontent à la surface alors que le Leader Suprême les dissèque. La canne de son père s'abattant férocement sur son dos de petit garçon. Son premier combat à mort, alors qu'il n'était âgé que de huit ans, contre l'un des enfants soldats de Brendol Hux. La sensation à la fois grisante et écœurante qu'il avait ressenti lorsque qu'il avait pressé la gorge de l'adolescent jusqu'à ce qu'il s'arrête de respirer. Son premier coup de blaster, tiré dans le dos d'un enfant qui tentait de s'enfuir. Les cauchemars et les larmes secrètes que cela avait déclenché. Raene Inkari. Sa douceur. Son sourire. L'odeur de ses cheveux lorsqu'il y enfoui son visage. Le grain de sa peau. Ses yeux. Ses yeux... Hux vacille un peu, ne peut s'empêcher de fermer les paupières. Il a légèrement du mal à respirer. Petit à petit, Snoke se retire, relâche son emprise, relève la pression.

— Qu'en pensez-vous, Lieutenant ? demande-t-il de sa voix éraillée. Voulez-vous participer à la grandeur du Premier Ordre ?

— Sous-lieutenant, Leader Suprême, corrige Hux dans un souffle.

— Plus maintenant.

Il n'en croit pas ses oreilles. Il regarde furtivement Sloane, les yeux pleins d'espoirs et d'interrogations. Elle se contente de sourire très légèrement, du coin des lèvres. Elle est fière de lui, il peut le voir sur son visage. C'est une énorme récompense. Snoke s'avance un peu sur sa chaise. Hux lui offre de nouveau toute son attention.

— J'ai entendu parler de vous et votre armée, Lieutenant Hux. Vos Stormtroopers. C'est un excellent travail, vraiment. J'ai besoin d'hommes comme vous dans mon armée personnelle. Des hommes soigneux et débrouillards. Des hommes ambitieux. Êtes-vous prêt à tout pour conquérir la galaxie ?

— Oui, Leader Suprême.

Il a attendu ça toute sa vie. Il a envie d'exploser.

— Très bien, approuve Snoke. Vous serez sous les ordres directs du Général Hux, votre père. Vous resterez pour l'instant à Arkanis pour parfaire l'entraînement de vos hommes et prendre vos dispositions futures. Nous vous ferons appeler lorsque le Premier Ordre aura besoin de vous pour partir en guerre.

— Oui, Leader Suprême.

Il y a un temps d'arrêt. Hux ne sait pas trop quoi dire. Il jette un nouveau coup d'œil à Sloane. Elle est toujours immobile, cette lueur fière dans le regard, mais il y a autre chose. De l'inquiétude. Elle s'inquiète pour Hux, pour sa vie.

— Vous pouvez disposer, Lieutenant, annonce-t-elle finalement.

Il leur adresse un petit hochement de tête. Un salut militaire. Dispose en silence. Alors qu'il retourne dans son bureau, son esprit bouillonne de mille idées, mille pensées contradictoires qui se bousculent les unes les autres, toutes confuses. Il ne sait pas quoi penser, pas quoi faire. Il est heureux. Il a peur. Il est soulagé. Une boule d'angoisse lui serre le ventre. Ses mains tremblent. Il craint de ne pas être à la hauteur. La gorge sèche, il passe en trombe devant la porte de son bureau, continue sans un regard en arrière. Lorsqu'il sort à l'air libre, il a envie de hurler.

La musique est forte, trop forte. Les basses lui vrillent les tympans, prennent tellement de place qu'elles écrasent les pensées parasites qui volent dans sa tête. Les gens dansent, se poussent, se pressent. Il s'est installé dans un coin, à l'écart de toute cette agitation, et son uniforme incite le serveur à veiller à ce que son verre soit toujours plein. Il fixe devant lui sans réellement voir. Sursaute lorsqu'une main se pose sur son épaule. La silhouette encapuchonnée qui l'a rejoint le contemple un instant, avant de s'asseoir face à lui. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle vienne si rapidement – ou du tout, d'ailleurs. La capuche tombe. Raene est nue de tout apparat, à l'exception d'un trait de khôl sous les yeux. Elle se fond dans la masse. Elle a probablement emprunté des vêtements à Eika car la tunique et le pantalon qu'elle porte sont beaucoup moins habillés et plus pratiques qu'à l'ordinaire. Dès qu'il voit que l'officier a un invité, le serveur fond sur eux, tout sourire, pour prendre leur commande. Hux lui fait signe d'apporter une bouteille.

— Alors ? demande froidement Raene une fois le gérant partit. Qu'est-ce qu'il y a de si urgent ?

— J'ai été promu, répond Hux d'une voix grave. Lieutenant.

— Ça fait partit de ta routine, maintenant. Mais félicitation, tu peux commencer à être fier.

Au regard plein de désespoir que lui lance Hux, elle comprend que ce n'est pas le moment de plaisanter. Ou d'enfoncer le clou. Cette annonce n'est qu'un moyen maladroit d'aborder la question qui le tracasse réellement. Alors elle se tait. Attend. Elle a beau encore lui ne vouloir pour la dernière fois, elle ne bouge pas. Le jeune homme ouvre la bouche, renonce. Le serveur revient avec la bouteille et un verre pour la demoiselle. Clin d'œil. Hux se resserre généreusement, boit le tout d'une traite. Son esprit est déjà largement embué par l'alcool, mais il en a besoin. Boire pour se donner du courage. Boire pour oublier.

— Aujourd'hui, commence-t-il lentement, le Leader Suprême Snoke était à Arkanis. Je pense qu'il s'apprête à réellement agir pour éradiquer la Nouvelle République. Il monte officiellement une armée personnelle.

— Et toi...? l'encourage Raene.

— Moi, je serais son premier Lieutenant. À la tête de tout un bataillon.

Il pâlit à cette idée, sa main tremble encore un peu. Il boit son verre d'un coup. Le rempli de nouveau. Il va pour le porter à ses lèvres lorsque la main de Raene se pose dessus. Il la regarde, droit dans les yeux. Ses yeux opales, qu'il a vu si clairement lorsque Snoke fouillait dans son esprit. Parce qu'ils y sont constamment. A chaque seconde.

— Je pense que tu as eu ta dose d'alcool pour la soirée, dit gentiment Raene.

— Je suis... vraiment horrible, avec toi, bafouille Hux. Est-ce que tu pourras me pardonner un jour ?

— Je... suppose.

— Maintenant ? Ou dans six ou sept ans ?

— Je ne sais pas encore.

— Comment ?

— Je ne sais pas non plus. Ce sera la surprise, tu vois.

Il guette. Essaye de lire ce qu'elle pense sur son visage. Un doux sourire étire ses lèvres. Ce genre de sourire pour lequel il tuerait. Pour lequel il massacrerait tous les Républicains qui risquent de le mettre en péril. Pour lequel il partirait en guerre. Et ses yeux... Ses yeux encore pleins de rancœur... Elle ne lui a toujours pas pardonné son refus. Ne lui pardonnera probablement jamais, malgré tout ce qu'elle peut dire. Et pourtant, elle est là. Dans ce bar bondé, avec de la mauvaise musique trop forte, entourée de gens ivres qui dansent mal. Pour lui. Parce qu'il l'a appelée. Il n'a eu qu'à lui envoyer un message, et elle a accouru. Il s'en veut. Il est pathétique. Il ne voit rien. Il ne comprend rien. Et il le sait.

Il voudrait être de ces hommes romantiques qui débarquent chez leur dulcinée les bras chargés de fleurs. Qui leur envoient de longs poèmes romantiques, simplement pour le plaisir. Mais il en est incapable. Parce que, justement, il ne comprend pas. Il ne comprend pas comment faire quoique ce soit pourrait lui donner la moindre chance, avec une fille comme elle. Comment le plus romantique des gestes pourrait dissimuler le monstre sans intérêt qu'il est réellement. De tout façon, ça n'a pas d'importance. Bientôt, il partira en guerre. Sera dans le cœur de la bataille.

Il ne peut s'empêcher de boire une nouvelle fois son verre d'une traite. Raene n'a pas le temps de l'arrêter.

— Je vais mourir, murmure-t-il, abattu.

— Mais non, soupire la jeune femme.

— Bien sûr que si. Je vais mourir. Mais ça, ce n'est pas grave. Ça fait longtemps que je m'y suis fait.

— Alors, qu'est-ce qui est grave ? demande Raene doucement.

Il met un moment à répondre. A trouver le mot juste. Les phrases s'emmêlent dans sa tête. Son vocabulaire lui échappe. Ses pensées sont sur le bout de sa langue, sans qu'il parvienne réellement à les expliquer. Il a la langue pâteuse et, autour de lui, le monde commence à tanguer. Il ferme les yeux. Mauvaise idée. Il réprime une vague de nausée qui le secoue.

— Ce qui est grave... C'est que je vais mourir seul.

— Armi...

— Non, non... Je pensais que je m'y étais fait aussi. Mais c'est pas vrai. Mon père a beau me le répéter depuis que je suis gamin, c'est étrange de se dire que c'est réel. Que c'est peut-être imminent. Que je vais mourir seul.

Il relève soudainement la tête. Dans ses iris pâles brille un éclat étrange.

— Il faut que je tue mon père, déclare-t-il.

— D'accord, je te ramène à l'Académie, coupe brusquement Raene en se levant.

— Tu vas m'aider ? supplie Hux.

— A te coucher ? Très certainement. Tu n'as même pas l'air en état d'enlever tes bottes !

Elle l'aide à se relever. Il titube, vacille. Elle le retient juste avant qu'il ne s'écrase sur le sol. Il lui fait de la peine. Elle aimerait pouvoir faire plus. Mais tant qu'il refuse de lui ouvrir la porte jusqu'au plus profond de lui, elle est impuissante. Inutile. Elle balance une pièce d'or sur la table. Le serveur se rue dessus, toutes griffes dehors. Elle en rajoute une d'argent, pour son silence. Il lui fait un clin d'œil vicieux qui lui donne le frisson. Elle sort, soutenant du mieux qu'elle peut un Hux qui tient à peine sur ses jambes.

Ils doivent s'arrêter plusieurs fois, sur le trajet jusqu'à l'Académie. A une ou deux reprises, il semble sur le point de vomir. Doit s'appuyer contre un mur pour rester debout. Elle attend, patiemment. Se promet d'essayer d'oublier. Ou de le lui rappeler toute sa vie. Elle ne sait pas encore. Elle y réfléchit. Quand il se sent prêt, ils repartent. Doucement. Elle a remis sa capuche, pour que personne ne la reconnaisse. Au pire, on pensera que le Lieutenant s'est fait raccompagner par l'une des serveuses du bar. Ou une dame de compagnie. Elle a envie, pourtant, d'avancer à visage découvert. Elle brûle d'envie de le faire. Mais elle se retient. Il lui en voudra, demain.

La montée des escaliers pour atteindre les appartements de Hux est complexe. Il trébuche, piétine. Manque de tomber. Propose de dormir sur les marches. Alors Raene l'encourage. Le tire. L'entraîne avec elle. Il bafouille des paroles incompréhensibles qu'elle n'écoute même plus. Manque plusieurs fois de se tromper de chemin. Cette Académie est un vrai labyrinthe. Les hauts murs lambrissés des quartiers des officiers, parsemés par les portraits de grands généraux de l'Empire, l'impressionnent. Comment fait-il pour vivre ici, au milieu de tous ces visages qui le fixent à chacun de ses pas ?

Lorsqu'ils arrivent enfin dans ses quartiers, elle pousse un soupir de soulagement. Enfin, c'est terminé. Elle pousse la porte de la petite chambre, le hisse presque sur son dos pour qu'il avance. Il proteste mollement. Il n'a plus la force de rien. Elle le balance presque sur le lit. Enlève ses bottes, avec difficulté. Il ne l'aide pas vraiment, se contente de la regarder faire. Roulée en boule sur une chaise, Millicent émerge du sommeil pour miauler doucement, les yeux à peine ouverts. Raene a envie de le secouer pour qu'il reprenne ses esprits. C'est risqué. Elle n'a pas envie qu'il lui vomisse dessus. Elle l'aide à se glisser sous les draps – se traîner serait plus juste. Il sourit. Heureux. Elle le regarde un instant. Elle voudrait s'allonger à côté de lui, le prendre dans ses bras. Oublier tout ce qu'il s'est passé, ces derniers mois. Revenir à ce qu'ils étaient avant. Mais pas ce soir. Elle se penche vers lui. Embrasse le coin de ses lèvres. Il ferme les yeux.

Dans le brouillard qu'est son esprit, Hux a prit sa décision. Il espère de tout cœur que, lorsque la planète arrêtera de tourner plus vite que lui, il s'en souviendra.