One-shot écrit dans le cadre de la cent-trente-septième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Attention". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !
Gilles prit une profonde inspiration et s'efforça de bander ce fichu arc comme Robin le lui avait appris. Certes, l'air froid matinal ne lui facilitait pas la tâche, pas plus que les petites coupures sur ses mains, marques d'une peau trop sèche. Mais, surtout, il n'était naturellement pas doué au tir à l'arc. Et ça, pour lui, c'était un véritable problème. Il avait trop souvent souffert de la comparaison avec son frère, autant quand il était petit et qu'il s'imaginait pourquoi leur père le préférait que quand il avait eu la preuve tangible de cette "supériorité" sous les yeux. Rapidement, il s'était rassuré sur le fait qu'il pouvait le rattraper. Robin était intelligent, mais il pouvait l'être aussi. Il était habile, mais cette qualité ne lui faisait pas non plus défaut. Son frère était courageux, charmeur et déterminé et Gilles savait qu'il l'était aussi, quand il s'en donnait la peine au lieu de bouder. Alors, être mauvais au tir à l'arc… ce n'était pas acceptable. Il devait valoir tout autant que son frère, qu'importait la discipline !
Bien sûr, dans un premier temps, Robin l'avait beaucoup aidé. Il avait passé de longues heures à l'entraîner, en sessions individuelles, même, faisant montre de beaucoup de douceur et de patience. Mais ça ne fonctionnait pas. Gilles demeurait nul. Il avait beau passer ses matinées à s'exercer, ça ne suffisait pas. Alors, son aîné lui avait proposé de participer aux séances de groupe des frères, cousins, fils et neveux des seigneurs des environs. Peut-être que se trouver avec d'autres jeunes hommes l'aiderait… même s'il doutait de la capacité de Gilles à échouer régulièrement en public sans se vexer. Il devrait pourtant apprendre à surmonter sa susceptibilité et ils avaient besoin de liens solides avec leurs voisins. C'était pour ça que le jeune homme avait accepté… pour bien faire, mais ces entraînements lui pesaient de plus en plus. Il n'aimait pas le regard des autres nobles de son âge. Il les intriguait, dans le meilleur des cas, il le voyait bien. Quelques uns étaient plutôt sympathiques, mais la plupart était réticente à sa présence. Il n'y en avait même qui étaient jaloux de la relation très aimante qu'il partageait avec son frère alors qu'eux n'avaient pas cette chance avec les leurs, ce qui faisait qu'ils ne manquaient pas une occasion de le ridiculiser. Pour le moment, il serrait les dents mais ça devenait de plus en plus désagréable.
« Tu sais, ce maître d'arme vient ici pour vous entraîner, plaça doucement la voix de Robin derrière lui, au milieu des arbres d'automne étincelants de rosée matinale. Tu n'as pas besoin de t'y prendre en avance.
-Je sais, rétorqua Gilles d'une voix sourde en continuant de bander son arc. Mais c'est plus difficile qu'on ne le pense de ne pas être parfait et de subir les regards lourds de sous-entendus des autres quand on se trompe.
-Gilles… Tu ne t'attendais quand même pas à maîtriser cette arme du jour au lendemain, n'est-ce pas ? Tu sais que c'est difficile. Comme pour tout. Il faut s'entrainer et…
-Toi, tu as su tirer dès le moment où on t'a mis un arc dans les mains ! »
De mauvaise humeur, l'ancien voleur relâcha sa flèche, qui s'écrasa lamentablement par terre. De dépit, il serra les doigts sur le manche en bois poli à s'en érafler la paume des mains.
« Tu as su lancer des couteaux dès le moment où on t'en a mis un dans les mains, contra doucement Robin en se rapprochant de lui. Nous n'avons pas tous les mêmes talents, c'est tout.
-Lancer des couteaux, c'est un truc de voleur, et tu le sais ! Ce n'est pas ce qu'on attend de moi ! Ce n'est pas comme ça que je serai digne d'être le fils de Père !
-Écoute, mon frère… »
Robin n'eut pas le temps de finir. Le bruit de nombreuses marches entrecroisées retentirent sur le sol de la forêt. Avec un pincement au cœur, il vit clairement les épaules de son frère s'affaisser encore plus et il lui pressa doucement la nuque avant d'aller saluer le groupe. L'entrainement commença, mais il s'avéra aussi mauvais que tous les autres. Gilles ne maîtrisait tout simplement pas la force, la trajectoire ni même le comportement de ses flèches. Que son frère soit présent pour le regarder échouer le stressa encore plus et il tressaillit quand le maître d'arme le rabroua :
« Vous manquez vraiment d'attention, jeune homme ! Nous ne cessons de répéter les mêmes techniques depuis des semaines et vous êtes le seul à ne pas progresser ! Quittez donc cette attitude défaitiste, commencez donc à vous battre pour parvenir à réaliser vos objectifs ! On croirait que vous vous moquez d'être aussi mauvais ! »
Gilles serra les dents en continuant de regarder par terre et Robin dut se retenir très fort pour ne pas aller le consoler. Il était certain que son frère n'apprécierait pas son geste. Certes, Gilles aimait ses câlins mais pas dans ces moments-là, où il était censé prouver son indépendance et sa détermination. Passer pour un ancien paysan fragile devant ces nobliaux de familles ancestrales qui murmuraient déjà entre eux risquait de lui faire perdre le peu d'obstination qu'il lui restait.
Et puis, alors que le maître d'arme ouvrait la bouche pour se lancer dans une nouvelle tirade, Gilles redressa brusquement la tête. Ses yeux verts firent le tour de la clairière à une vitesse surprenante et il porta la main à sa ceinture pour dégainer un couteau. Aussitôt fait, il le lança droit dans les fourrés et un sifflement de douleur retentit. L'arme venait de transpercer un serpent qui sortait des buissons et s'apprêtait à mordre l'un des jeunes damoiseaux.
Un silence abasourdi tomba aussitôt sur la clairière. Tous les regards se braquèrent sur Gilles, qui faillit se renfrogner encore plus avant de croiser les yeux bleus pleins de fierté de Robin.
« Tu as entendu ce serpent dans l'herbe alors que personne n'y prêtait attention ? s'émerveilla-t-il en venant lui taper sur l'épaule. Comment as-tu fait ?
-Ce bruit qu'il fait en glissant sur les feuilles, je le reconnaitrais entre mille, répondit l'ancien voleur. Ce n'est pas si exceptionnel quand on a eu l'habitude de vivre dehors. »
Il se mordit aussitôt la langue, mais Robin le serra contre son flanc et s'adressa au maître d'arme :
« Vous voyez ? Contrairement à ce que vous dites, mon frère possède toute l'attention nécessaire. Il n'est juste pas décidé à apprendre à tirer à l'arc.
-Bien sûr que si, grommela le jeune homme. C'est juste que…
-Il refuse de se départir de son attitude défaitiste, répéta le maître d'arme à sa grande surprise. Tant qu'il sera dans cette posture vis-à-vis de vous, Lord Locksley, je ne pourrai rien en tirer. Messire Gilles, réfléchissez aux raisons qui vous poussent à échouer sans cesse. Quand vous ne craindrez plus de ne pas être à la hauteur de votre frère, revenez nous voir. »
Le jeune homme s'empourpra et marmonna des remerciements et des au revoir de circonstance, heureusement pas trop longtemps car son frère l'entraina loin de la clairière.
« Peur de ne pas être à la hauteur ? répéta-t-il en gagnant avec lui les parties les plus ensoleillées de la forêt. Je crois que nous allons encore besoin d'avoir cette conversation.
-Pas maintenant, le coupa Gilles en cueillant une baie sur un arbuste, l'appétit soudain retrouvé. J'échappe enfin à ces séances et je vais pouvoir rattraper mes grasses matinées en retard ! On s'offre un second petit-déjeuner pour fêter ça ?
-Tant que tu as compris d'où venait ton problème et comment le régler, moi, ça me va, répliqua Robin en souriant. »
