Tante Agathe m'ayant recouvert le corps de crème, j'en profitai pour en appliquer sur mon visage tuméfié. J'avais l'impression que mon corps tout entier allait se fracasser au moindre mouvement, et m'habiller seule était un véritable calvaire. Nous descendîmes dans le petit salon où Marie et Andrew avaient déposé matelas et couvertures pour y passer la nuit. Une bonne odeur vint allécher mes papilles ; la table de la salle à manger était recouverte de mets plus appétissants les uns que les autres.
- Je me suis dit que tu aurais probablement faim, me dit Andrew en détournant le regard. J'ai commandé un peu de tout, mais je crois me rappeler que tu n'étais pas difficile.
Je le remerciai, comprenant parfaitement sa réaction ; moi non plus je n'arrivais pas à me regarder dans un miroir. Ma petite sœur m'apporta alors une bouteille remplie d'une mixture étrange.
- J'ai trouvé cette recette dans un des livres de maman. Ça devrait grandement atténuer ta douleur et t'aider à guérir plus vite.
Elle me tendit la bouteille en tremblant, totalement incapable de me regarder dans les yeux. Je l'attirai vers moi pour la prendre dans mes bras, esquissant une grimace de douleur.
- Je vais bien, maintenant. Je suis là, d'accord ? Merci pour la potion, je vais en avoir grand besoin.
- Tu sais, quand Andrew t'a ramenée ici, j'ai cru que tu étais…
- N'y pensons plus. Nous retournerons chez nous dans quelques jours, et nous pourrons enfin laisser ça derrière nous.
Moi aussi, j'avais réellement cru que j'allais mourir. Pendant un instant, j'avais même espéré que ça arriverait pour que la douleur cesse enfin, mais c'était sans penser ne serait-ce qu'un instant à tous ceux que j'allais laisser derrière moi.
La soirée fut particulièrement calme. Nous mangeâmes tous en silence, sans même nous jeter un regard. Andrew était venu me rapporter ma baguette et mes chaussures qu'il avait récupérées sur le podium après ma disparition, ainsi que mes effets personnels qui se trouvaient dans la grotte. Par chance, le bracelet de Drago était bien là. Personne ne parlait de ce qui s'était passé, et j'étais trop épuisée pour questionner mon ami sur le sujet. Je savais d'avance que je n'échapperais pas à cette conversation, mais pas avant une bonne nuit de sommeil.
Je pensais que cette interminable journée m'aurait suffisamment épuisée pour que je m'endorme rapidement, mais il n'en fut rien. Si mon corps était totalement affaibli, mon cerveau, lui, n'avait aucunement envie de se reposer ; il était en alerte, ressassant sans cesse les événements de la journée. Je tournai, et tournai encore dans mon lit de fortune, mais je n'arrivai pas à trouver le sommeil. Tout le monde dormait profondément, aussi je me levai sans un bruit pour me diriger vers la cuisine. Sur le comptoir se trouvait le paquet de cigarettes d'Andrew que je lui empruntai avant de me diriger vers la porte d'entrée. Sur le perron, se trouvaient deux hommes qui devaient appartenir aux forces spéciales, vu leurs uniformes. Jusqu'alors, je n'avais même pas remarqué leur présence.
Ils me jetèrent un regard, interloqués, pendant que je m'installais sur le fauteuil à bascule pour fumer.
- Vous avez mangé quelque chose, Messieurs ? leur demandai-je.
- Nous avons mangé, Mademoiselle. Mais vous ne devriez pas rester dehors ; il fait froid, et c'est très dangereux.
- Depuis votre discours, les esprits s'échauffent. Nous avons encerclé la maison, donc ils ne risquent pas de s'attaquer à vous ici, mais soyez tout de même prudente.
- Vous appelez encore ça un discours ? Pour ma part, j'appellerais ça plutôt un fiasco. Est-ce que des gens sont… à cause de l'explosion ?
- Non, Mademoiselle. Il n'y a eu aucun décès à déplorer, mais quelques blessés graves sur l'estrade. Par chance, le premier ministre n'a rien.
Par chance… J'aurais préféré que ce gros con prétentieux soit mort. Qu'ils l'aient kidnappé lui, plutôt que moi ! J'étais peut-être égoïste de penser de la sorte, mais j'étais épuisée de tout ça, de cette injustice. C'était de sa faute si nous en étions arrivés là.
- Vous voyez ça comme un échec, mais votre intervention a été plus qu'utile, je peux vous l'assurer. Nous avons pu attraper bon nombre de membres de ce groupuscule. N'en déplaise à Monsieur de La Fresnaye, votre discours a redonné beaucoup d'espoir aux gens.
- Nous avons tous assisté à… ce qu'ils vous ont fait. Personne n'oubliera ça. Jamais. Vous n'avez rien lâché, même sous la torture, vous avez su garder la tête haute.
Alors c'était à ça qu'avait servi la sphère. C'était un système magique de transcription audio et visuelle. C'était ingénieux, et je compris rapidement que c'était grâce à ce procédé que les forces spéciales avaient fini par me retrouver.
- N'importe qui dans cette situation, aurait fait la même chose que moi. J'ai même fini par m'évanouir, ça n'a absolument rien de glorieux.
Je me levai, épuisée par cette conversation. Ils voyaient en moi une personne que je n'étais pas. Je m'étais battue pour moi, pour mes opinions ; je me moquais totalement de ce que les gens pouvaient bien penser de moi. Je n'étais pas une héroïne, loin de là ; juste une gamine qui s'était retrouvée au mauvais endroit, au mauvais moment.
- Je vais aller me coucher, à présent. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas ; il y a du café chaud à l'intérieur.
Ils me remercièrent, me souhaitent une bonne nuit. Je me dirigeai vers le salon, repensant à la conversation que nous venions d'avoir. Tout ceci ne me disait rien qui vaille, et j'espérais sincèrement que tout cela resterait derrière moi, après notre retour à Londres. Enroulée dans ma couette, je fermai les yeux, m'endormant en rêvant à un avenir incertain.
Le réveil fut particulièrement difficile ; des courbatures endolorissaient la totalité de mon corps. En jetant un regard autour de moi, je vis que j'étais la seule encore au lit ; je me levai tant bien que mal et me dirigeai vers la cuisine pour me servir une grande tasse de café.
- Salut, belle endormie, me salua Andrew en me tendant une tasse de café, accompagnée d'un grand verre rempli d'une mixture verte. Ta tante m'a donné ça pour toi.
- Hum, ça me semble tout à fait délicieux. Où sont les filles ? lui demandai-je, en buvant une gorgée de ce breuvage.
- Elles sont à côté. Elles échangent avec… le premier ministre.
J'écarquillai les yeux, manquant de m'étrangler avec ma boisson, lorsque j'entendis Agathe s'énerver dans la salle à manger. Je regardai mon ami, prise de panique, alors qu'il semblait s'amuser de la situation.
- Tu penses que je devrais les rejoindre ? lui demandai-je, sans grande conviction.
- Non, je pense qu'elles se débrouillent très bien. Profite de ton petit déjeuner, la brigade voudra te poser quelques questions sur ce qu'il s'est passé hier.
Je voyais mal comment j'aurais pu y échapper. Avec tout ce qui était arrivé, il était évident que le ministère voudrait en savoir davantage sur les instigateurs de ce complot.
- Agathe et Marie m'ont dit que c'était toi qui m'avais ramenée. Comment avez-vous fait pour me retrouver ?
- Je ne sais pas quelle en était la portée, mais de nombreux foyers, ainsi que le Ministère de la Magie, recevaient la transmission émise de ta position. Un employé du service du patrimoine et de la culture a reconnu l'endroit où tu te situais. Il s'agissait du sous-sol d'une ancienne abbaye abandonnée. Nous avons seulement eu à transplaner, mais ceux qui t'ont fait ça ont disparu à l'instant même où nous sommes arrivés sur les lieux.
- Alors vous avez assisté à tout…
- Écoute, Dora, je suis vraiment désolé pour tout ça ; j'avais promis de te protéger, mais même ça je ne l'ai pas réussi. Si tu savais comme je m'en veux ! Te voir comme ça, ça me rend fou de rage. Contre moi, contre eux !
Je m'avançai vers lui pour l'enlacer. Je ne lui en voulais pas, même un peu. La seule personne à qui j'en voulais réellement, c'était le premier ministre. Même Carmilla et Giuseppe ne me semblaient pas dignes de ma rancune. Sans cette invitation qui, de toute évidence, n'en était pas une, tout ceci ne serait pas arrivé. J'entendais ma tante à travers la porte, qui s'époumonait contre Monsieur de La Fresnaye. Je me reculai, regardant mon ami dans ses yeux humides, tout en caressant sa joue.
- Ne t'en fais pas pour ça. Je ne t'en veux absolument pas. Par contre, pour ce qui te sert de patron, je ne peux pas en dire autant.
Je l'embrassai sur la joue, avant de me diriger vers l'étage.
En grimpant les escaliers, un flash me revint du soir où tout avait basculé. Avec tout cela, je n'avais même pas repensé à l'assassinat de mes parents. Même si je nous y savais en sécurité, je n'avais pas pensé à l'effet que produirait sur Marie notre retour dans notre ancienne maison. Le parquet n'avait gardé aucune trace de ce qu'il s'était passé. Pour autant, l'atmosphère y restait particulièrement oppressante, comme une empreinte qui ne quitterait jamais les lieux.
Dans ma chambre, tout était resté à sa place ; des posters de l'équipe de France de Quidditch et de mes groupes préférés étaient encore accrochés aux murs. Ma petite bibliothèque était remplie de romans divers et de souvenirs de nos voyages à l'étranger. En un coup de baguette, je fis revivre les quelques plantes fanées qui bordaient la fenêtre. Voilà, à présent tout était comme avant. J'ouvris ma penderie pour jeter un regard à tous les vêtements que j'y avais laissés, mais mes yeux furent attirés par mon ancien uniforme. Lui non plus n'avait pas changé, si bleu, et son tissu de satin si léger ; j'aurais adoré que Fred me voie dedans. Après quelques retouches, je pourrais en faire une robe tout à fait portable au quotidien. Je le déposai sur le lit, avant d'enfiler un simple jean et un pull. M'habiller seule me faisait toujours aussi mal. La douleur se répandit telle une décharge électrique dans tout mon corps.
En jetant un regard au miroir, je vis que mon visage était toujours recouvert de multiples ecchymoses, mais il avait beaucoup dégonflé ; au moins, j'avais un peu plus figure humaine. J'y étalai la crème, lorsque quelqu'un frappa à la porte. C'était Andrew, qui se tenait sur le pas de la porte.
- Tu es prête ? Ça va être à ton tour.
- Comment je suis ? lui demandai-je.
- Parfaite, me répondit-il en me tendant sa main.
Je la pris, espérant sincèrement qu'il ne me laisserait pas seule face à ces rapaces. Une énorme boule se forma au creux de mon estomac, accentuant davantage mon anxiété. Ma tante et ma sœur se trouvaient dans la cuisine, mais leur colère retomba à l'instant même où elles me virent descendre les escaliers. Agathe s'approcha de moi et souleva mon menton pour scruter le moindre centimètre de mon visage.
- Tu as bien dégonflé, c'est une bonne chose. Continue de boire la boisson que je t'ai préparée, et d'ici quelques jours tu n'auras plus de traces, et la douleur s'atténuera considérablement.
Elle fit une pause, me regardant d'un air triste, avant de poser sa main sur mon épaule pour me réconforter.
- Ils ne vont pas être tendres avec toi. Ils vont te demander de te souvenir de tout ce qu'il t'est arrivé hier, dans les moindres détails. Mais je serai là, avec Andrew.
Je lui répondis d'un simple signe de tête, cherchant Marie du regard. Je ne savais pas ce qu'il s'était dit derrière cette porte, mais ma sœur n'en était pas sortie indemne. Quelqu'un m'appela alors dans la pièce d'à côté. Mon cœur rata un bond, tandis que tante Agathe me prit par la main, en me chuchotant que tout se passerait bien, que je n'étais pas seule. Tout autour de la table se trouvaient des membres des forces spéciales. Quant au Premier Ministre, il était installé tout au bout de celle-ci, présidant la réunion. Agathe s'assit à côté de moi, Andrew restant debout à nos côtés.
- Mademoiselle Lancelot, vous semblez en bien meilleure forme que ce que l'on m'avait rapporté.
- Je ne peux pas en dire autant de vous, Monsieur le Premier Ministre, lui répondis-je, exaspérée, mais vous n'êtes pas venu dans ma maison pour me faire part de banalités. Venez-en au fait, je vous prie.
Tante Agathe ne put s'empêcher de pouffer de rire, tout comme certains aurors autour de la table.
Monsieur de La Fresnaye me regardait avec ce même regard qu'il m'avait jeté la veille, lorsque je faisais mon allocution. Je voyais parfaitement dans ses yeux qu'il détestait cette audace que j'avais de le défier. Il allait tout essayer pour me faire sortir de mes gonds, mais j'allais devoir être plus forte que cela, et me maîtriser.
- Bien, puisque vous le prenez de la sorte. Dites-nous ce qu'il s'est passé hier, juste après l'explosion. Vous avez disparu, non sans laisser quelques effets personnels derrière vous… peut-être pour brouiller les pistes.
- Je n'ai pas disparu, j'ai été enlevée. Et je n'aime absolument pas vos insinuations.
- Ne me mentez pas, jeune fille ! Nous avons tous vu leur façon de s'adresser à vous ; ces gens vous connaissaient !
- Ils me connaissaient, mais ce n'était pas réciproque. Je peux uniquement vous donner leurs prénoms… lui répondis-je, agacée.
- Bien ! Pour une personne qui désire nous faire croire qu'elle ne les connaît pas, j'ai l'impression que vous avez beaucoup à nous dire sur eux.
- Je les ai uniquement écoutés parler entre eux. N'importe quel idiot aurait pu en faire de même, avec un minimum de bon sens.
Il se crispa de nouveau. Je ne savais pas pourquoi il essayait à ce point de me piéger, mais je n'aimais absolument pas ça. À quel jeu jouait-il ?
- Bien, et donc ? Leurs noms ?
- L'homme de main s'appelait Adrian, je crois, la femme s'appelait Carmilla et l'homme avec les tatouages sur les bras…
- Giuseppe, me coupa tante Agathe.
Je la regardai, interloquée, tandis qu'elle me regardait d'un air triste. Mon cerveau fonctionnait à toute allure ; bien sûr qu'elle les connaissait, puisque ces deux psychopathes avaient mentionné maman à plusieurs reprises. Au début, je les avais pris pour des fans, mais ils étaient bien plus que ça, et j'aurais dû le comprendre bien avant.
- Ce sont des cousins d'Italie, ajouta-t-elle. De notre branche Visconti. Théo devait avoir quelques photos de famille, j'irai vous en chercher une tout à l'heure. Je ne sais pas comment j'ai pu ne pas les reconnaître sur la transmission. Et pourquoi t'avoir enlevée ? Ils ne sont pas du genre à s'attaquer à leur propre sang.
- Oui, comme vous dites, c'est assez étonnant. Et vous allez me faire croire que vous n'étiez pas de mèche ? me demanda le premier ministre.
Je voyais rouge, tellement rouge. Et il le savait parfaitement, il voulait uniquement me pousser dans mes retranchements. Mais pour quelle raison ? Me faire avouer quelque chose de faux ?
- Bien évidemment, c'est dans ma nature d'aimer me faire torturer jusqu'à épuisement ! Vous êtes la cause de tout ceci, Monsieur le Premier Ministre, et c'est ce qui vous fait peur ! Vous avez perdu le contrôle, et les gens s'en rendent compte ! Vous n'avez plus aucune issue, et vous préférez faire accuser une gamine, plutôt que de faire face à vos erreurs.
- Je ne tolérerai pas qu'une petite idiote me parle de la sorte, me hurla-t-il de rage. Je sais très bien ce que je fais, ne vous méprenez pas, et je n'ai aucune intention de démissionner.
- Vous verrez bien ce qu'en dira l'opinion publique, ajouta ma tante d'un ton sec.
- Bien, je crois que nous en avons terminé ici, Messieurs. Monsieur Lefort, récupérez ces photos pour étude et rentrez à la brigade. Mesdames, je vous laisse quelques-uns de mes hommes pour cette nuit. Vous serez reconduites à la frontière dès demain matin ; et je ne veux plus jamais vous voir ici.
Sans même un au-revoir ni même des excuses, il transplana. Quelle espèce de gros… Je ne savais pas tellement à quoi je m'attendais de sa part. Peut-être avais-je imaginé qu'il se confondrait en excuses, lorsqu'il me verrait. Mais j'étais loin d'imaginer qu'il se moquerait ouvertement de moi, sans même daigner avoir une once de regret dans le regard. Enfin, je me réconfortai en repensant à sa toute dernière phrase : demain, nous serions enfin rentrées chez nous.
Le reste de la journée passa à grande vitesse. Andrew avait dû nous quitter pour rejoindre la brigade au Ministère de la Magie, nous promettant de nous retrouver le lendemain matin pour nous raccompagner. Quelques aurors continuèrent de surveiller la maison, et nos affaires furent enfin transférées de notre chambre d'hôtel jusqu'à chez nous.
Ne sachant quand nous pourrions revenir, j'avais jeté un sort d'extension sur ma valise pour emporter de nouveaux effets personnels, notamment mon ancien uniforme de Beauxbâtons. Pour la première fois depuis notre arrivée, je me dirigeai vers la chambre de mes parents. Je n'y avais pas remis les pieds depuis l'année précédente ; cette pièce non plus n'avait pas gardé de traces des meurtres, et pourtant l'atmosphère y était particulièrement oppressante. Je restai assise sur leur lit pendant quelques minutes, regardant face à moi, dans le vide, imaginant ce qu'aurait pu être notre vie actuelle si nos parents n'avaient pas été tués ce soir-là. Tout aurait été bien différent : Marie ne serait probablement pas devenue aussi courageuse et forte, je n'aurais jamais rencontré Fred et mes autres amis, mais au moins je ne serais pas tout le temps triste, vivant avec un trou béant dans la poitrine, pleurant à la moindre occasion. Je n'aurais pas vécu toutes ces horreurs de la veille, je ne me serais pas fait naïvement manipuler par le chef du gouvernement. Ma vie aurait été simple, calme, sans embûches. Mes parents seraient là, nous partagerions nos repas ensemble, Papa évoquant ses futurs projets de thèse et Maman nous parlant de son dernier match de Quidditch. Je sortis de ma torpeur, essuyant les larmes qui coulaient le long de mes joues. Je me devais d'avancer, de cesser de repenser à mon passé constamment ; rien de ce que je ferais à présent ne changerait quoi que ce soit à ce qu'il s'était passé ce soir-là. Il me fallait juste vivre avec.
Je me levai en direction de la commode sur laquelle se trouvait la boîte à bijoux de ma mère. C'était une boîte à l'ouverture cachée par une énigme ; c'était mon grand-père qui la lui avait faite lorsqu'elle était plus jeune. Après quelques minutes à enclencher le mécanisme, la boîte s'ouvrit. Agathe avait pris soin de ranger les alliances de nos parents dedans, ainsi que tous les bijoux qu'ils portaient ce soir-là. Quelqu'un frappa à la porte, et je vis ma tante passer sa tête dans l'ouverture.
- Est-ce que tout va bien, ma chérie ?
- Je crois, oui. Je regardais la boîte à bijoux de maman.
- Ton grand-père nous en avait fait deux identiques. Je vois que tu as réussi à l'ouvrir.
Elle entra dans la chambre, refermant la porte derrière elle.
- Oui, maman me laissait m'entraîner à l'ouvrir, quand j'étais plus jeune. Où est Marie ? lui demandai-je.
- Elle se repose. Je pense que l'entrevue avec le premier ministre a été fort éprouvante pour elle.
- Je suis désolée pour tout ça… Je ne pensais pas que ça irait si loin. Nous aurions peut-être dû accepter la proposition du professeur Dumbledore, et ne pas assister à cette « cérémonie ».
Elle s'assit sur le lit, tapotant la couette pour que je prenne place à ses côtés.
- Je ne veux pas que tu culpabilises. Tout ceci n'est aucunement ta faute, nous nous sommes juste fait embarquer dans quelque chose qui nous dépasse. Et je ne m'en fais pas pour Marie ; quand nous serons de retour à Londres, elle aura tout oublié et sera passée à autre chose.
Je voulais la croire, sincèrement. J'espérais qu'elle avait raison et que tout cela resterait enfin derrière nous. Elle prit la boîte à bijoux et en sortit les alliances de Papa et Maman.
P- eut-être que tu devrais prendre celle de ta mère et Marie celle de ton père.
- J'y avais pensé, mais pour une fois, peut-être que Marie voudrait quelque chose qui appartenait à Maman. Je lui en parlerai quand nous descendrons.
J'en sortis le cornicello rouge de maman, fait en corail, qui se trouvait au bout d'une chaîne en or. Il était presque identique à celui que j'avais offert à Fred pour Noël. Elle le portait à chacun de ses matchs ; peut-être que si elle l'avait porté ce soir-là… Tante Agathe le prit et l'attacha autour de mon cou.
- Je suis certaine qu'elle aimerait que tu le portes.
Je posai ma tête sur son épaule, en gardant le silence. Ma tête était submergée de souvenirs de famille.
- Pourquoi est-ce que Giuseppe et Carmilla ont fait ça ? Pourquoi s'en sont-ils pris à moi ?
- Je ne sais pas, ma puce. Ce qui est d'autant plus étonnant, c'est que Giuseppe était très épris de ta mère. Il faut que tu saches que ce côté de notre famille est très… extrémiste. C'est pour ça que nous avons fini par partir, ta mère et moi ; nous n'étions pas en accord avec leurs convictions. Le mariage entre membres d'une même famille n'est absolument pas un problème pour eux. Ton grand-père a toujours été contre ça, bien sûr, mais ce n'était pas le cas de ses frères et sœurs.
- Pour une histoire de sang pur… Je ne comprends pas comment ils peuvent en arriver là. Une guerre a déjà éclaté, il y a des années, pour des raisons similaires, mais c'était comme si tout le monde l'avait oublié. Comme si tout cela ne s'était jamais produit.
- C'est le problème avec les gens radicalisés ; ils sont tellement ancrés dans leurs convictions qu'ils en oublient tout le reste.
Nous restâmes là pendant de longues minutes, à échanger sur notre famille en Italie. Plus je repensais à notre entrevue avec nos cousins, plus je comprenais ce que tante Agathe voulait me dire. Ces gens étaient fous, contrôlés par des convictions et des ambitions démesurées. J'espérais seulement que le premier ministre ne ferait pas n'importe quoi et qu'il agirait en son âme et conscience, qu'il ne mènerait pas ce pays à une guerre sans retour possible.
