Chapitre 26 : L'attentat
Les nappes de brouillard de mars, qui étouffaient l'allée des Embrumes, faisaient couler des gouttes glacées de condensation sur le visage indifférent de Deryn.
Le son des sabots et les grincement métalliques sur le pavage inégal rompirent les gémissements et murmures, bruits de fond des rues sorcières ces derniers temps.
Le panier à salade arrivait.
Les mendiants sans baguettes détournèrent promptement le regard, tentant, au mépris de toute réalité géographique élementaire, de ne pas être témoins du passage des rafleurs.
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Deryn était recroquevillée contre un mur, ramassée sur une marche glacée depuis un très long moment.
Enroulée dans sa trop vieille cape grise, élimée à en voir le jour à travers et aux pans déchirés.
Le visage maculé de suie, la capuche rabattue. Un foulard à carreaux bruns, qui était le sosie d'un torchon de cuisine du temps de son mariage, lui mangeait une partie du visage.
Elle était encore plus qu'à l'habitude l'image de l'humilité et de l'insignifiance.
Elle parvint enfin à voir le chariot. Une cage en métal, garni de roues cerclées de métal, qu'un sombral fatigué tirait lentement.
Depuis quelques temps, les gens étaient tellement confrontés à la mort que la capacité de voir les sombrals était très commune.
Deryn serrait les dents, se concentrant sur le cheval squelettique pour ne pas regarder les malheureux du panier à salade.
La cage était remplie de pauvres hères apeurés, que houspillaient sans ménagement les cochers. Des rafleurs patibulaires, goguenards, effrayants d'insignifiance devenue, avec morgue, importance cruelle.
Le cortège ralentit en s'approchant d'une porte cochère. Un des rafleurs actionna un levier du chariot qui mit en mouvement les portes du bâtiment.
Le cœur de Deryn, qui avait jusque là battu tellement fort qu'elle avait craint de ne pas retrouver son souffle, s'arrêta brusquement quand l'entrée de l'entrepôt des rafleurs s'ouvrit dans un grincement sinistre.
Elle bondit pour jeter un maléfice paralysant au rafleur qui lui était attribué.
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De chaque recoin sombre de la ruelle avaient jailli d'autres silhouettes encapuchonnées aussi grises que Deryn, pour jeter des sorts aux rafleurs.
Les mangemorts furent rapidement neutralisés et on se jeta sur le chariot aux barreaux déchirés par les sorts pour avancer vers l'ouverture.
Certaines silhouettes restèrent en retrait pour aider les prisonniers du panier à salade qui, une fois les rafleurs paralysés, sautèrent en marche.
Deryn escalada le chariot et attrapa les rennes du placide sombral pour essayer de le faire galoper. Ils entrèrent dans la pénombre, baguette au poing. Et se dépêcherent de barricader les couloirs de l'entrepôt. On entendit des cris de ralliement à l'intérieur.
- Vite, à droite. Lui hurla Béatrice.
Mais quand ils esquivèrent de justesse les premiers sorts, le sombral ne voulut plus avancer, ruant d'effroi.
Ils sautèrent au bas de la carriole. Deryn fouilla dans sa besace et en sortit une demi-douzaine de leurres magiques, qu'elle arma et lança dans tous les sens pour les prévenir de l'arrivée de défenseurs.
Puis elle couru, à l'instar de ses camarades, vers ce que leurs sources leur avait promis être une salle aux baguettes confisquées.
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La situation en matière de baguette était critique. De nombreux nés-moldus ou opposants à Voldemort les rejoignaient mais avaient été désarmés, et il n'existait plus aucun moyen de se procurer une baguette depuis la disparition d'Ollivander.
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- Rex et Romulus, vous les tenez en respect hors de ce couloir pour qu'on puisse récupérer les baguettes et sortir, hurla Béatrice à Chiara et Remus.
Deryn fut la première à atteindre la salle. Les murs de la pièce étaient tapissés d'étagères où des baguettes étiquetées croupissaient.
Par acquis de conscience, elle tenta bien sûr un accio, mais qui naturellement n'eut aucun effet. Elle se doutait que les mangemorts avaient prévu ce sort.
Elle commença à remplir son sac de toutes les baguettes, le plus vite possible mais méticuleusement, afin de toutes les récupérer.
Soudain, elle entendit ses leurres exploser bruyamment. Les mangemorts avaient réussis à passer l'entrée cochère malgré les barricades dressées en hâte
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- Vite, laisse les autres, on se replie, lui ordonna Béatrice en sortant.
Mais Deryn était décidée à ne rien laisser derrière. Elle ramassa les dernières baguettes et sortit en hâte.
Un sortilège lui effleura la joue. Elle sentit la douleur cuisante mais n'avait pas le temps de s'y attarder. Le dos courbé pour éviter les sorts, elle courut rejoindre les trois autres, qui tenaient toujours leur position et préparaient leur sortie.
- Il faut rouvrir la porte. Hurla Béatrice. Cheshire, tu t'occupes du levier sur la calèche. Nous on fonce dans le tas.
- Quoi ?! Hurla Remus.
- Il n'y a pas d'autre solution pour atteindre la porte, on va devoir leur passer par-dessus.
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Deryn sortit son balai de sa besace, et l'enfourcha.
Dans sa main libre, elle voyait sa baguette arroser de sorts ses adversaires sans qu'elle n'ait conscience d'invoquer quoique ce soit.
Protégée par la couverture de sorts des trois autres membres de l'ordre, elle réussit à slalomer entre les sorts maladroits et passer au-dessus les mangemorts.
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Béatrice avait raison.
Des gros bras mais mauvais duellistes. Ils attaquaient en force et sans finesse.
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Elle dégoupilla une poignée de bombes fumigènes pour aider ses camarades et prit le temps de viser les mangemorts avant de se ruer sur le chariot.
Arrivant dans l'entrée, elle constata que des renforts mangemorts arrivaient, moins maladroits.
Elle piqua sur le levier qui actionnait la porte dans le chariot, mais elle fut touchée par un sort au bras.
Sans tomber complètement, elle perdit assez l'équilibre pour devoir se rattraper avec son bras restant.
Le temps qu'elle replonge, un mangemort masqué avait sauté sur le chariot et l'attrapa par le col.
Au milieu de la douleur, de la fébrilité et de l'effroi, elle réussit à le dévisager froidement.
Elle le reconnut.
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Elle le vit lever sa baguette et sentit l'atmosphère vibrer de l'avada kedavra.
Elle se mit à rire. L'ironie de la situation lui faisant oublier tout le reste.
Elle abaissa son foulard pour dévoiler son visage.
- Et bien, Père, tuer vos deux fils officiels en les forçant à rejoindre les mangemorts ne vous a pas suffit, vous avez l'intention de couper la dernière des branches que vous avez engendrée ?
- Deryn ?!
- Deryn, Père.
- Ce n'est pas possible, pas toi, pas ici !
- Mais si. Moi-même. Ici.
Il tremblait de rage, sa baguette contre la gorge de Deryn. Sans qu'il n'ait invoqué le moindre sort, Deryn sentait sur le point de contact une brûlure atrocement douloureuse.
- Cette fois, Père, nous sommes à un carrefour de notre histoire. Soit vous me laissez partir faisant passer en premier, et pour première fois, votre devoir de père, soit vous me tuez. Et vos petits collègues trouveront mon corps assez facilement identifiable.
- Tu n'es personne…
Il semblait véritablement effrayé, tremblant, peu décidé.
- Voulez-vous vraiment que les derniers mots que j'entende venant de vous soient encore des insultes ? Bien sûr que je suis quelqu'un.
- Personne ne t'identifiera ni ne t'associera à moi.
- Évidemment que des gens me chercheront, m'identifieront, me pleureront et chercheront à me venger.
- Si tu parles de ces camarades pseudo révolutionnaires, ils seront bientôt morts.
- Ou alors ce sera vous et vos camarades mangemorts. Dans tous les cas, ce sont les derniers mots que vous avez l'occasion de me dire. Voulez-vous prouver que vous pouvez agir en père ?
- Je n'ai rien à racheter, ta naissance était une erreur. J'ai fait au mieux au regard de…
- Au mieux ? Un abandon quasi total ? La misère ? L'humiliation constante ? Et pour couronner le tout, l'assassinat de…
- Assassinat, quel assassinat ? De qui parles-tu ? De cet homme, là ? Ce sang de bourbe ! Cresswell !
- Je l'aimais. Vous l'avez tué.
- Je ne tenais pas la baguette qui l'a tué !
Il était de plus en plus affolé.
- C'était un sang de bourbe, sa mort n'était qu'un détail !
- Ce n'était pas un détail pour moi, et maintenant qu'il est mort, vous allez devoir décider de tuer ou non votre fille.
- Tu n'es pas ma…
- Evidemment, je ne le suis pas. Pour être une fille, il faut un père, ce n'est pas ce que vous avez été. Mais légalement, c'est le cas.
- Mais non. J'ai veillé à...
- Mais si. Vous ne vous doutiez pas que la livreuse de bouffe insignifiante pouvait s'assurer que sa mort au combat serve au moins à entacher la réputation de celui qui avait causé la mort de son amant ?
Il tremblait, de peur encore et de rage maintenant.
- Tu n'as pas osé…
- Vous avez bien osé le tuer.
- Tu voulais salir ton père, ta famille ?
Elle le regardait toujours aussi froidement, cruellement.
- Quel père et quelle famille ?
Elle sentait que la prise sur son col devenait moins ferme.
Elle en profita.
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Elle balança sa tête le plus fort possible sur le nez du mangemort.
Il tomba du chariot, à la renverse, le visage en sang, et atterrit sur les corps inanimés de ses collègues.
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Deryn se rattrapa très souplement pour retrouver son équilibre sur le chariot.
Elle se hâta de tirer le levier et sauta sur son balai qui était miraculeusement resté dans sa main.
Sans se retourner, elle franchit le seuil.
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Elle sentit que d'autres balais s'étaient greffés dans son aspiration.
La baguette en main, elle se retourna pour vérifier que la menace était restée dans l'entrepôt.
Elle put rapidement la baisser. Il s'agissait bien de Béatrice et de Remus qui soutenaient une Chiara ensanglantée.
Leurs autres camarades avaient fui avec les rescapés du panier à salade.
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Deryn ralentit pour permettre à Béatrice et surtout Chiara et Remus de les rejoindre.
- Deux fois huit seize, cria soudainement Béatrice.
- Sept fois huit, cinquante six, répondit Deryn.
- Trois fois trois, neuf, dit Remus
- Et… Et neuf fois six… neuf fois… cinquante sept… essayait vainement Chiara.
Ses blessures semblaient sérieuses.
- Non. Mais c'est la bonne opération. Transplannons et occupons-nous de vous deux. Dit Béatrice froidement.
Les quatres transplannèrent dans une lande écossaise déserte.
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Remus se dépêcha de s'occuper des blessures de Chiara, aidée de Béatrice.
Celle-ci s'éloigna au bout de quelques instants pour rejoindre Deryn.
- Elle est salement amochée. On va lui laisser quelques heures avant de tenter de la déplacer.
Deryn opina, puis reprit l'inventaire des baguettes récupérées qu'elle avait commencé.
- Toi aussi, tu es salement amochée. dit froidement Béatrice, essuyant le sang sur le visage de Deryn pour déterminer la gravité des blessures.
Deryn haussa les épaules sans s'y intéresser.
- Ce n'est pas grave, dit-elle, juste douloureux.
- Comment as-tu échappé au mangemort qui te retenait ?
Deryn haussa encore les épaules.
- Compliqué. Je le connaissais mais c'est fini. Pas très important.
Beatrice regarda les baguettes que fébrilement Deryn étalait et fouillait.
- Ah.
Deryn leva les yeux.
- Quoi ?
- C'est pour ça que tu n'as pas obéi à l'ordre de retrait.
Deryn baissa les yeux pour contempler ses mains.
- Elle n'est pas là.
- Elle est peut-être restée dans la salle ?
- Non, il n'y avait plus rien.
- Deryn…
Béatrice lui attrapa les deux mains et la força à la regarder dans les yeux.
- Deryn, il peut y avoir mille explications à l'absence de sa baguette, mais Dirk est mort.
Les témoignages sont très brumeux et il y a un corps en trop qu'on a pas identifié mais pas le sien, sa baguette n'est nulle part. Béatrice, c'est…
- Non, Deryn. Non. Il est mort.
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Deryn libéra ses mains de l'emprise de Béatrice et pour en faire quelque chose, les posa sur son abdomen. Elle essayait de calmer la peur qui soudainement avait repris ses droits et faisait brûler ses intestins.
Elle s'affala sur le sol et admira le ciel gris, si différent de son cher ciel gallois.
- Je dois être sûre, Bea. Je ne peux pas encore abandonner.
- Deryn…
- Le cadavre en trop, ce n'est pas un mangemort, ce n'est pas un résistant. Il ne reste qu'une solution.
- Un moldu ?
- Un gardien d'Azkaban.
- Tu ne peux pas sérieusement envisager de…
- …
Béatrice s'affala à son tour près de Deryn, trés essouflée et pâle.
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Deryn remarqua à quel point la guerre l'avait affecté. Béatrice était aux aguets, affamée. Chaque nouvelle pleine lune était encore pire que la précédente. Ils avaient de plus en plus de mal à trouver de la potion tue-loup, et aucun des loups-garous résistants ne voulait prendre le risque de mordre.
On avait sauvé de justesse Kenneth après qu'il ait bu un mélange d'alcool et de potion de sommeil un soir de pleine lune. En fait, on avait pu le sauver uniquement parce qu'il avait vomit la trop grande quantité d'alcool.
Tout le monde se demandait s'il savait qu'il allait tomber dans le coma avec ce mélange. Et on se doutait que oui.
Terence ne le quittait presque plus.
La dépression décimait les troupes autant que les mangemorts.
Barnabé, le grand, le roc, celui qui n'accusait jamais aucun coup, était celui qui inquiétait le plus Deryn.
On ne pouvait rien lire de différent sur son visage, pourtant elle avait remarqué qu'il se laissait plus aller. N'était plus le boute-en-train qu'on avait connu. Ne prenait plus autant part aux conversations.
Chiara, qui aimait tellement les autres, qui avait tant besoin de pouvoir faire confiance, avait été trahi par une de ses sources de sorcière hebdo. Elle avait dû la tuer pour protéger Béatrice.
Deryn la voyait fréquemment se brosser les mains douloureusement pour en retirer une tâche visible seulement d'elle-même.
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La seule chose qui les maintenait tous debout étaient de préparer leur future société.
Certains, donc bien sûr Béatrice et Deryn, mettaient une ardeur enfiévrée à la préparation d'un programme politique pour la future société, négociant chaque point âprement. Arthur et les autres résistants les moins politisés s'étaient progressivement retirés, suivant les débats d'une oreille intéressée mais incapables d'avoir le recul et la passion que cette négociation exigeait.
Kingsley, lui, s'était étroitement intégré à ces discussions, tentant de timorer les débats, sans succès. La seule ligne politique que tous avaient adoptés était de "sortir de la dictature". Pour tous les autres points, les discussions étaient longues, ardues, mais toujours constructives.
Potterwatch relayait les décisions actées, et on savait que ces promesses de lendemain meilleur galvanisaient les auditeurs et auditrices.
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Son exaltation fièvreuse pour ce sujet et pour les faits de resistances était les seuls moments où on retrouvait la Deryn d'avant.
Son état catatonique, en dehors des batailles et des joutes oratoires, inspiraient les plus grandes inquiétudes aux autres. Ils pensaient qu'elle n'arrivait pas à faire le deuil de Dirk, mais ils ne comprenaient pas.
Si elle acceptait la mort de Dirk, elle acceptait la sienne également, à plus d'un titre.
L'espoir aussi minuscule pouvait-il être de le revoir était tout ce qui la maintenait encore en vie.
Merci à Destrange et à Kalibeth pour les review :)
On est presque à la fin de l'histoire. Le dénouement commence au prochain chapitre.
