Chapitre 28 : Azkaban
La respiration de Deryn formait de la buée dans l'air gelé.
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Au bord de cet embarcadère détrempé et luisant, d'où elle pouvait contempler, malgré le brouillard, la terrifiante silhouette d'Azkaban, Deryn sentait le froid glacial dégouliner le long de son échine.
Elle ferma sa vieille cape grise loqueteuse, ajusta son foulard brun, et tenta de faire remonter le plus de bon souvenirs possibles.
Le sourire doux et chaleureux de Dirk, ce vol en balais quand elle avait corrigé sa trajectoire et accidentellement posé la main sur la sienne, et ce tressaillement de bonheur quand elle l'avait vu troublé à son tour.
Ses bras si chauds et attentionnés.
Ses baisers.
Elle ne se sentait pas spécialement réchauffée, mais au moins assez décidée à terminer sa tentative.
Elle ajusta bien visiblement sa casquette rapée de livreuse, puis s'élança.
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Quand elle se posa sur la plateforme d'accostage d'Azkaban, elle n'eut pas le temps de détailler l'environnement. Elle aperçut vaguement des murs hauts, couronnés de barbelés, Une immense porte rivetée, mais dû se plier en deux pour vomir son effroi sur le sol en pierres inégales recouvertes d'algues.
Des détracteurs s'avançaient vers elle, et elle savait que la pâle fumée qu'elle produirait en guise de patronus ne les éloignerait pas très longtemps.
Du haut d'un mirador, un projecteur s'alluma et projeta sa lumière directement dans ses yeux
Deryn failli glisser, et essaya de se retenir de se recroqueviller en boule sur le sol.
Un haut-parleur se mit à grésiller, augmentant encore son effroi. Il fallait qu'elle aille jusqu'au bout, c'était la seule façon de savoir. D'être sure.
- Qu'est-ce que vous voulez ? Qu'est-ce que vous faites là ?
Elle se contint le plus possible pour donner à sa voix l'accent inarticulé et bête qu'elle savait tellement bien prendre.
- Owl eat, m'sieur, j'viens livrer des gamelles.
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Le vigile fit reculer légèrement les détracteurs avec son patronus et la fit pénétrer en bas de son mirador.
La toisant avec méfiance, il examina ses papiers, son autorisation (pourtant maladroitement imitée).
Certaines familles, rares, faisaient parvenir à leurs proches incarcérés des gamelles. Il s'agissait de la plus difficile des missions de Owl Eat, et elle incombait en général aux "punis".
- Zavez pas trop l'air d'un hibou, pourtant.
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Le teint verdâtre et nauséeux, le visage décharné, râpé par le vent froid et toujours gravelé de tâches de rousseur, Deryn donnait tellement l'image de la misère et de la pauvreté d'esprit que le maton ne se méfia pas.
Elle crut même déceler dans le regard du vigile de la commisération.
- J'vais vous prendre les gamelles, mon p'tit.
- Merci m'sieur, c'est cool. J'aurai b'soin d'une signature, ici.
Elle avait dit le mot qu'il fallait. Personne n'aimait signer un papier à l'air officiel.
Il contempla le papier, ennuyé.
- Ecoutez, j'peux pas faire ça, soit vous m'laissez vos gamelles soit 'faut voir avec mon chef.
- Bin j'sais pas, m'sieur, si j'ai pas de signature, je s'rai pas payée.
Le vigile le frotta la barbe, éjectant quelques miettes sédimentées, et se dirigea vers un téléphone en cuivre.
Il marmonna, tentant, contre tout espoir, de rendre ses propos indiscernables pour Deryn.
- Ouais, chef. C'est l'entrée, chef. Ya une livreuse qui veut qu'on lui signe un reçu, chef.
Un grouillement lui répondit.
- Oui, chef !
Il raccrocha et se tourna vers Deryn.
- T'attend là, toi.
Puis retourna s'asseoir devant elle, sur une chaise spécialement conçue pour ne pas être confortable.
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Un homme vêtu d'un manteau long en cuir, suivi de gardiens d'un rang manifestement supérieur à celui du gardien, firent irruption dans la cabine.
- Alors, c'est vous, le hibou qui veut qu'on lui signe un reçu ?
Il se tourna vers elle, et la détailla un moment.
Sa démarche, son regard, tout en lui émanait la cruauté. Deryn croisa les bras autour de son ventre pour se rassurer.
- Oui m'sieur. Faut signer là, m'sieur.
L'homme au manteau de cuir prit tout son temps pour lire le document.
- Ça dit que vous devez les remettre en main propre.
Les matons de rang avancé éclatèrent de rire. Deryn se dit que personne ne pouvait jamais avoir envie de rire à Azkaban, mais que tout le monde savait que sa survie dépendait de sa faculté à rire au bon moment.
- Bin, m'sieur... C'est sûr que c'est pas bien adapté, hein.
Le mangemort contempla à nouveau la liste de bénéficiaires.
- Vous être... Afanen Smith, dit-il en déchiffrant son nom sur les papiers.
- Oui, m'sieur.
Au bout d'un temps qui lui sembla très long, le manteau en cuir prit enfin une décision.
- Je vais signer pour les gens qui sont chez nous.
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Elle tenta de ne surtout pas avoir l'air fébrile en récupérant les documents.
Pas de signature près du nom de Cresswell.
Dirk n'était pas ici.
- Ça va mon p'tit ? Vous êtes toute pâle, dis le planton en s'approchant, n'allez pas nous défaillir en repartant, ça fait de la paperasse.
En ressortant du mirador, Deryn vomit à nouveau, et ne put retenir ses larmes, malgré les regards des matons braqués sur elle.
