One-shot écrit dans le cadre de la cent-trente-septième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Musarder". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !


Gilles suivit des yeux les allées et les venues des gens qui s'étaient présentés pour rendre visite à son frère. Il y avait là des nobles, des clercs, des manants aisés… Le jeune homme n'avait jamais vu tant de beau monde au même endroit et l'univers de ces gens et le sien étaient si diamétralement opposés qu'il n'était pas sûr de pouvoir les aborder. Les voleurs comme lui ne se mélangeaient pas à l'aristocratie… même les voleurs à moitiés issus d'un noble comme Lord Locksley.

Cet héritage le tiraillait. Il aurait bien aimé aider son frère… mais la transition, de la jalousie et l'opposition à la confiance et à l'amour, était un peu difficile à opérer. Il aimait être avec Robin et découvrir cette fraternité toute neuve, il avait foi en lui et il voulait lui prouver qu'il pouvait se reposer sur lui. Mais ça ne faisait que cinq jours. Même pas une semaine auparavant, ils n'étaient même pas amis. Comment savoir qu'ils s'entendraient vraiment bien ? Et comment être sûr que Robin avait réellement besoin de lui ? Peut-être qu'il n'avait pas besoin de lui. Après tout, il ne l'avait jamais fait appeler à ses côtés et réglait tous les problèmes avec Marianne. Une fois de temps en temps seulement, au dîner, il venait s'assoir près de lui et lui demandait comment ça allait. C'était uniquement à ça que Gilles savait qu'ils étaient toujours frères tous les deux et que Robin ne l'avait pas oublié. Mais quant à savoir si ça intéressait vraiment l'archer que ce lien se soit noué entre eux… c'était une autre histoire. Gilles n'avait, en fait, aucun moyen de le savoir.

Le jeune homme inspira à fond. En réalité, il avait un moyen de savoir que Robin avait été vraiment ému de leur parenté. Il lui avait fait un câlin. Il lui avait caressé les joues, tenu le visage entre ses mains, pressé le genou et essayé de le préserver du danger. C'était pour ça que Gilles continuait de s'accrocher. Il avait vu ce lien, il voulait y croire. À partir du moment où il avait ouvert son cœur à Robin et qu'il n'avait pas été repoussé, son amour pour lui ne cessait de grandir. Son frère lui avait déjà prouvé à quel point il était drôle, doux, optimiste, courageux et attentionné, il voulait plus que tout développer une relation fraternelle authentique avec lui. Mais, pour ça, il allait falloir qu'il lui parle.

Gilles se redressa, prit son courage à deux mains et traversa la cour jonchée de terre et de paille pour rejoindre son frère. Son regard glissa sur les nobles et le clerc qui le dévisagèrent en haussant un sourcil et il leur adressa un signe de tête. Il fit de même avec Marianne et se tourna vers son frère.

« Robin. Est-ce que… il y a quelque chose que je pourrais faire pour t'aider ? demanda-t-il en s'efforçant de paraître assuré.

-M'aider ? Non, je ne crois pas, répondit l'archer en lui souriant et en posant une main affectueuse sur son épaule. Marianne et moi nous occupons déjà de tout. Retourne donc musarder, c'est l'occasion d'en profiter !

-Mais…, commença de protester Gilles, puis son regard se posa autour de lui. »

Malgré les cinq jours qui s'étaient écoulés, les lieux étaient encore dans un bazar monstrueux. Heureusement, Petit Jean avait lancé des opérations minutées et organisées exactement comme il fallait pour nettoyer tout ça. Fanny s'occupait de distribuer les vivres, les chambres et les soins avec Azeem. Frère Tuck rassurait les religieux sur le caractère tout à fait salvateur des agissements de Robin. Le jeune noble et sa dame se chargeaient de toutes les directives et de la remise en état des liens avec les aristocrates qui débarquaient de toutes parts. Tout ce beau monde avait parfaitement pris les choses en mains et il n'y avait rien qu'il pouvait faire ou même était capable de faire pour se rendre aussi utile. Il baissa la tête.

« D'accord…, murmura le jeune homme dans un soupir avant de tourner les talons. »

Il n'oublia pas de saluer tous les gens présents pour sauver les apparences et s'en fut à l'autre bout de la cour. Robin le regarda partir, stupéfait.

« Qu'est-ce qui lui prend ? s'étonna-t-il en se tournant vers Marianne. Pourquoi avait-il l'air si triste ?

-Ne vous mettez pas martel en tête, Lord Locksley, intervint l'un de ses interlocuteurs. Ce n'est sans doute qu'un pauvre paysan orphelin en manque d'attention.

-C'est mon frère ! gronda Robin en le foudroyant du regard. Marianne, vous voulez bien terminer cette tractation pour moi ? Je reviens. »

D'un pas rapide, il traversa la cour en plein nettoyage, salua d'un geste de la main distrait et pressé les gens qui l'interpelaient et se tordit le cou pour apercevoir la silhouette mince, les cheveux blonds et les vêtements aux tons rouges qu'il avait appris à reconnaître n'importe où. D'abord, parce que c'était un gage de provocation et d'ennuis, mais depuis cinq jours, en raison de l'amour et de la familiarité qu'il ressentait à chaque fois qu'il les voyait. Où était passé Gilles ? Il avait l'air si triste… Il devait le retrouver !

Heureusement, en levant la tête par hasard, il aperçut enfin ce qu'il cherchait. Ni une, ni deux, le jeune comte gravit les marches en pierre pour le rejoindre sur le chemin de ronde.

« Hé ! lança-t-il en se laissant tomber assis à ses côtés. Ça ne va pas ? »

Sa main vint se poser tendrement sur son genou pour le serrer et Gilles sursauta. Il y avait beaucoup d'affection dans sa voix. Autant que dans le câlin qu'ils avaient changé… ce qui le faisait encore croire en la tendresse sincère de Robin à son égard. Alors pourquoi le snobait-il tellement par moment ? Il avait vraiment du mal à le comprendre. Ou peut-être son frère était-il tout simplement trop occupé pour lui.

« Tu sais que tu peux me le dire, insista Robin en constatant qu'il ne disait rien.

-Dire quoi ? se tendit Gilles en se demandant, pendant une seconde confuse, s'il avait lu dans ses pensées. Il n'y a rien… Tout va très bien.

-Tu es sûr ? Tu es parti si vite et tu avais l'air tellement déçu. Je suis désolé si je t'ai fait de la peine. Je… je crois que je n'arrive pas encore très bien à jouer le rôle du grand frère.

-Si, tu le fais très bien. »

Gilles n'avait pas réfléchi à cette réponse. Elle était spontanée et sincère. Quand il était auprès de lui, Robin était un bon grand frère, protecteur et attentionné. Il lui avait sauvé la vie et il lui avait fait confiance avec l'histoire de la catapulte. Peut-être que c'était encore trop tôt pour se poser des questions prises de tête. Peut-être qu'il fallait juste qu'ils apprennent à développer leur lien de frères…

« C'est gentil de me dire ça, lança Robin en souriant. Tu n'es pas trop mal en petit frère non plus, Gilles l'Écarlate.

-Ne dis pas ça. Je ne te sers à rien.

-Arrête, c'est faux. Tu m'as donné la force de me battre contre le Shérif pour libérer Marianne et nos amis, en premier lieu. Ce n'est pas "rien". Je me serais laissé envahir par le désespoir sans toi.

-C'est vrai ? s'assura Gilles avec un peu d'espoir. Alors… je peux vraiment t'aider ?

-Bien sûr ! Mon frère, tu n'es pas inutile. Je suis désolé si c'est l'impression que je t'ai donnée. »

L'archer soupira et ajouta en se penchant en arrière :

« En fait, je crois que je me laisse un peu trop distraire par les fêtes et les responsabilités… Mais ça ne veut pas dire que je ne pense pas à toi. Nous sommes frères, maintenant, Gilles. Nous le serons toujours. Alors… s'il te plaît, ne pense jamais que ça m'est égal que tu sois là ou pas.

-D'accord… Ça fait du bien de le savoir, avoua le jeune voleur en lui souriant timidement, puis plus malicieusement. Et maintenant, qu'est-ce que tu vas faire ? Tenir le même genre de discours à Marianne pour qu'elle te tombe dans les bras ?

-Non ! répondit son frère en riant et en passant un bras autour de ses épaules pour l'attirer à lui. J'ai encore quelques petites choses à régler avec un noble particulièrement coriace. Tu peux venir avec moi, si tu veux.

-Oui, ça me plairait bien. Merci, Robin.

-Y'a pas de quoi. Merci à toi. »

Gilles sourit et savoura le contact de Robin qui frottait gentiment sa joue contre la sienne. C'était bon, d'avoir un frère. C'était vraiment bon.