Chapitre 27

-Je vous informe que nous allons rechercher les responsables de cet acte de vandalisme et les punir très sévèrement !

Je jette un œil au professeur Dumbledore debout devant la table des professeurs et tente de réprimer un rire nerveux.

-D'ici que nous ayons résolu la situation, j'informe les élèves de Serdaigle qu'un autre gardien sera posté à l'entrée de leur salle commune de manière temporaire.

Tous les élèves attablés ce soir-là sont attentifs aux paroles de leur directeur et je vois les professeurs Mc Gonagall et Flitwick échanger en chuchotant avec un air sévère. Pour ma part, je pose mon menton dans ma main et tourne légèrement la tête vers la table de Poufsouffle située derrière moi. Malgré les nombreux élèves nous entourant, je croise le regard complice d'Arkwood qui tente de garder un visage neutre malgré l'hilarité contenue dans ses yeux.

Il faut dire que nous nous en sommes très bien sortis, pour le coup. Il s'avère qu'après un bon nombre de sort d'Oubliettes, nous avons réussi à déboussoler assez la statue pour qu'elle ne se souvienne absolument pas de nous. Nous avons ensuite rapidement remis la tenture en place et fait disparaître la mare d'eau stagnant au milieu du couloir.

Je crois que c'est l'attrapeuse de ma maison qui est tombée sur le carnage la première. Elle a ensuite alerté tout le château, mais Arkwood et moi étions déjà de retour dans la grande salle, attablés avec nos amis respectifs, et n'avons absolument pas été suspectés. Je crois que Casper a eu un doute quant à mon implication, mais il n'en a rien dit et je le remercie.

-Maintenant, je vais vous demander de retourner à vos dortoirs et j'espère qu'aucun autre incident ne viendra entacher cette dernière semaine avant l'arrivée des champions des autres écoles. Bonne nuit à tous.

Dans un concert de bancs raclés et de discussions animées, les centaines d'élèves présents se lèvent et se dirigent d'un même mouvement vers la sortie. Avec Casper et Jasmine, nous suivons rapidement le mouvement et nous mêlons aux garçons et filles des trois autres maisons qui se déversent autour de nous.

-Alya, j'aimerais te parler.

Je tourne la tête vers le garçon qui m'a accosté et reconnais Galaad, immédiatement suivi de Rabastan. Ceux-ci nous font signe de les accompagner dans le grand hall et nous louvoyons difficilement entre les élèves pour rejoindre un des coins de la haute pièce froide.

-Comment te sens-tu, Alya ? me demande Galaad avec une mine soucieuse.

-Heu… Bien.

Je vois Aaron se joindre à nous et ils arborent tous un visage sombre qui tranche avec l'air jovial qu'ils ont pour habitude de nous présenter.

-Si cela peut vous rassurer, aucune des copines de Burke, et encore moins Burke elle-même, n'ont quitté la salle commune de Serpentard aujourd'hui, commence Rabastan de sa voix égale. J'imagine que vous les avez suspectées en premier, mais je peux vous assurer qu'elles n'y sont pour rien dans la destruction de votre statue.

-Vraiment ? Et en quel honneur tu peux nous assurer ça ? réplique Jasmine avec un froncement de nez agacé, sans toutefois réussir à regarder Rabastan dans les yeux.

-J'étais dans la même pièce qu'elles toute la journée, intervient Aaron en posant une main amicale sur son épaule. Je te jure qu'elles n'en ont pas bougé.

J'aimerais leur dire de ne pas se prendre la tête sur la question parce qu'aucun Serpentard n'est responsable de la chose, mais je préfère ne rien en faire. Si cela venait à se savoir, je ne serais pas la seule à me faire incendier et je n'ai pas trop envie de subir le courroux d'Arkwood parce que je n'ai pas su tenir ma langue. À la place, je les laisse discuter et accepte les quelques mots de Galaad qui me regarde avec beaucoup de douceur.

Le sujet dévie rapidement sur la compétition et Casper et Galaad partent sur une discussion à bâtons rompus concernant l'usage de certains sorts. Pour ma part, j'échange avec Rabastan et Aaron sur les futurs concurrents tandis que Jasmine semble se faire toute petite. Je comprends que la situation ne doit pas trop lui plaire, elle qui est d'une franchise et d'une sincérité assez désarmante pour qu'on puisse lire en elle comme dans un livre ouvert.

-J'ai entendu dire que Éléonore Picard, de Beauxbâtons, est une adepte des manifestations terrestres, me dit alors Rabastan en plissant ses yeux clairs.

-Aïe. Et t'as une idée de son élément de prédilection ? Si c'est le feu ça ne m'arrange pas.

-Je t'avais prévenu de ne pas baser tes sorts uniquement sur l'eau.

-Et j'ai écouté votre conseil, Messire Rowle, je réponds en balayant ses paroles d'un geste de la main. Mais on a tous ses petites marottes, hein ! Au fait, vous savez où ils seront logés ?

-Dans une des tours Ouest, leurs directeurs et plusieurs élèves les accompagneront. J'espère simplement que ça ne créera pas plus d'agitation, il est déjà assez difficile de préparer les ASPIC et la compétition en même temps.

-Je n'en doute pas, mon cher ami, dis-je d'une voix mielleuse. Je pense d'ailleurs que, pour ton propre avenir, tu devrais te concentrer plutôt sur tes études. Tu ne penses pas ?

Rabastan me regarde avec son habituel air de Serpentard sûr de lui et un sourire écorne le coin de ses lèvres.

-Je suis touché que tu te préoccupes autant de ma réussite scolaire, Alya, me dit-il d'une voix froide non départie d'ironie. Cela me va droit au cœur.

Je vois Casper et Galaad se tourner vers nous et ce dernier échange un regard amusé avec son ami Serpentard.

-Si je ne te connaissais pas autant, je dirais que tu as peur de rencontrer Rabastan, intervient le jeune homme en me regardant de ses yeux dissemblables.

-Moi ? Oh, non, j'ai même hâte. Mais je comprendrais aisément que notre ami ici présent veuille se retirer de la compétition. Ça peut être dangereux d'y aller en étant mal préparé, tu ne penses pas ?

Je vois Galaad rire et les yeux de Rabastan se plissent davantage alors que son sourire s'étire.

-Je suis bien mieux préparé que tu ne peux te le figurer, me précise-t-il. Mais c'est très prévenant de ta part, Alya. Et toi, où en sont tes entraînements ?

Je hausse vaguement les épaules sans m'étendre et laisse Galaad et Casper me charrier gentiment.

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Il est dix-neuf heures lorsque nous quittons nos amis et rentrons à la tour de Serdaigle. Nous avons d'ailleurs la surprise de tomber sur une haute armure gardant l'entrée, à défaut de statue d'aigle. Jasmine s'approche la première de la cuirasse immobile et attend sagement l'énigme.

-Heu, excusez-moi, lui dit-elle après une bonne minute de silence perplexe.

-Par ma barbe, oui ! Bien le bonjour gente dame ! s'exclame cette dernière en levant une main devant elle et en l'agitant en un coucou enfantin. Comment vous portez-vous ce jour d'hui ?

-B-bien, lui réponds Jasmine avec des yeux quelque peu étonnés. Vous n'avez pas quelque chose à nous demander ?

-Si fait ! Bien… C'est un fantôme, un vampire et un gobelin qui entrent dans une auberge et… À non, ce n'est aucunement une énigme, au temps pour moi. Ne bougez pas nobles gens, je vous trouve cela !

Sous nos yeux ébahis, nous le voyons faire quelques pas en se grattant le heaume d'un doigt gantelée.

-Voyons… Qu'est-ce qui est petit… et marron ?

-Un marron ? propose Casper avec une voix sceptique.

-Oh, il est bon le con ! [1]

Sans un mot de plus, nous passons la porte de la salle qui vient de s'ouvrir devant l'air satisfait de notre nouveau gardien.

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-Vous pensez qu'ils ont fait passer des entretiens d'embauche avant de choisir qui remplacera la statue ? demande Jasmine, toujours les yeux ronds.

-Ça m'étonnerait… je souffle sans trop savoir quoi en penser.

-Ou bien ils n'avaient personne de mieux…

Nous nous affalons sur notre canapé habituel et remarquons que tous les élèves présents ne parlent maintenant plus que de l'armure. Quand celle-ci se met à chanter une chanson guerrière de l'autre côté du battant, personne ne réussit à contenir son hilarité et à s'empêcher de rire à gorge déployée.

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Et voici venir une nouvelle semaine, dernière ligne droite avant la venue de l'ennemi et derniers entraînements. Casper et Jasmine ont estimé que je devais prendre quelques jours de repos avant les combats, histoire d'être fraîche et dispo, par conséquent l'arrivée de Beauxbatons et de Durmstrang signera la fin de mon calvaire. Mais le début du stress de malade !

Jusqu'ici je repousse du plus loin que je puisse la peur pusillanime qui me prend aux tripes à chaque fois que j'y pense de trop. Malheureusement, je sais bien que je ne pourrais y échapper éternellement et que je devrais faire face à la réalité un jour ou l'autre.

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Ces derniers jours me paraissent à la fois incroyablement longs, tout en étant beaucoup trop courts. Avec Jasmine je révise l'intégralité des sorts que je connais - ce qui en fait une sacrée dose - et tente de maîtriser parfaitement les plus difficiles.

Avec Casper, nous tentons au maximum de me préparer, tant sur l'endurance physique et psychique que demandent les duels de ce niveau ; que sur les esquives que je me dois de maîtriser à la perfection. Je suis d'ailleurs chaque fois frustrée de savoir que Rabastan et Arkwood maîtrisent aussi bien l'art d'éviter les sorts, alors que ça ne m'est aucunement naturel.

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-Je vais vomir.

Rabastan tourne son regard vers moi et lève un discret sourcil interrogateur.

-Tu es un peu livide, en effet. Quel est le problème ?

-Le problème c'est que je n'aurais jamais dû dire oui, je marmonne sans quitter des yeux la haute porte du hall d'entrée. Grand Merlin, qu'est-ce qui m'a pris ?!

Autour de nous, le léger brouhaha des centaines d'élèves sagement rangés contre les murs finit de me donner la nausée et je dois aspirer de grandes goulées pour ne pas flancher.

-Tu es stressée ? me demande mon ami Serpentard en reportant son attention sur le professeur Dumbledore, debout devant nous. Ce n'est qu'une banale compétition, Alya. Il n'y a aucune raison pour que tu te mettes dans cet état.

-Tu peux parler ! Tu t'es passé vingt fois la main dans les cheveux et tu crois que je ne vois pas ton pied taper au sol nerveusement ?

Le jeune homme conserve son air noble et le menton gracieusement levé, mais je remarque que son visage se durcit sensiblement.

-Faut vraiment que tu m'apprennes ça, dis-je en croisant à nouveau son regard clair. Moi, j'ai juste l'impression que je me liquéfie par tous les orifices et que tout le monde s'en aperçoit.

-Je ne peux malheureusement pas te contredire.

-T'es un vrai pote, t'es au courant ?

Il ne répond rien et je remarque le regard sévère du professeur Rogue situé non loin, près des autres enseignants qui attendent patiemment. J'ai bien envie de lui tirer la langue, juste pour me détendre, mais mieux vaut éviter de se le mettre à dos. Malgré son jeune âge - avec Jasmine, on ne lui donne pas encore trente ans - il est des plus sévères et n'a jamais manqué une occasion pour m'envoyer récurer ses fichus chaudrons crados au moindre prétexte. Un amour de professeur en somme.

Avec une longue expiration qui ne calme absolument pas mes battements de cœur erratiques, je reporte mon attention sur le large seuil de la pièce en me demandant ce qu'ils attendent. Je ne me doute pas que l'intégralité des élèves présents, ainsi que des professeurs alignés au bas des marches près de Rabastan et moi-même, se disent la même chose.

Mon regard glisse naturellement vers le grand sourire de Jasmine qui se veut encourageant et la mine sobre de Casper. Celui-ci semble d'ailleurs beaucoup trop détendu et j'ai presque envie de lui envoyer un sort à la figure par pur sadisme.

Je continue mon errance et remarque que quelques fantômes ont été invités pour l'occasion, notamment le Baron Sanglant et d'autres que je ne connais pas trop. Je ne vois nulle part Peeves et remercie silencieusement celui qui a réussi à l'empêcher de pointer son gros nez.

Puis, mes yeux rencontrent ceux de Caussman qui semble s'ennuyer ferme, ainsi que ceux d'Arkwood qui ne me lâchent pas. Ce dernier a laissé tomber son masque de sale type et me présente un sourire amusé, sans doute pour se moquer du teint blafard que je dois arborer à l'instant. Sans trop pouvoir m'en empêcher, je sens mes lèvres s'étirer et lui rends son sourire en sentant des griffes faites d'espoir et d'amertume s'enfoncer dans mon estomac.

Avec un coup de pied au cul de mes trois Alya qui se pâment bêtement, je reporte une énième fois mon attention sur le seuil et ne vois toujours personne.

-Toi aussi tu savais qu'à Durmstrang, ils pratiquent la magie noire ? je souffle à Rabastan qui a passé ses mains dans son dos tout en conservant une allure royale.

Il m'observe à la dérobée et je le vois acquiescer très légèrement.

-Comment l'as-tu appris ? me demande-t-il d'une voix assez basse pour que personne ne nous entende.

-J'ai croisé Galaad à la bibliothèque, mercredi.

-Diantre, mon second pactise avec l'ennemi, il va falloir que je surveille ça !

-Tu "pactises" bien avec mon coach personnel, considère cela comme un simple retour des choses, mon très cher adversaire.

Ses yeux clairs se posent sur moi et je vois un sourire illuminer le coin de son visage.

-Je te remercierais d'être discrète quand tu abordes le sujet, si tu n'y vois pas d'inconvénient.

-Je ne suis pas une idiote, Rabastan, mais je suis tout de même inquiète pour mon amie. J'espère sincèrement que tu ne joues pas avec ses sentiments et que tu ne lui fais pas miroiter l'impossible pour simplement satisfaire ton ego.

Mon visage se fait sombre et je le vois acquiescer pour lui-même d'un air grave.

-C'est ainsi que tu me vois ? Je pensais que tu savais un peu mieux juger les gens que tu côtoies.

-Je ne fais que parler de mes peurs. Jasmine est ma meilleure amie et je ne veux pas qu'elle souffre, essaye de faire en sorte que cela n'arrive jamais, compris ?

Un silence s'étire entre nous et je le vois hésiter à continuer.

-Je compte bien résoudre les choses pour que Jasmine et moi puissions vivre ensemble après Poudlard, avoue-t-il au bout d'un moment. Du moins, si elle veut toujours de moi à ce moment-là.

-Comment ? En abolissant l'intégralité des règles qui régissent les familles de sang-pur et en assassinant tous les membres qui ne seront pas d'accord avec toi ?

-Non, Alya, inutile d'être aussi acide. Sache juste que j'ai ma petite idée là-dessus, mais je préfère ne pas t'en parler pour le moment. Je te demande simplement de me faire confiance.

-Tout comme Viviane te fait confiance ?

Sa bouche s'entrouvre sous la pique et je vois ses doigts se serrer derrière son dos.

-Je te remercierais de ne pas juger ce que tu ne comprends pas. Avec Viviane, nous avons accepté une situation qui ne nous a jamais convenu et nous savons tous deux que nous ne pourrons jamais rendre l'autre heureux. Pour ta gouverne, elle a quitté un homme qu'elle aimait pour se fiancer à moi, conformément à la demande de sa famille. J'ignore si elle le voit toujours mais, entre nous, je l'espère. Aimer quelqu'un et être aimé en retour est quelque chose de bien trop précieux pour être abandonné ainsi.

Je ne dis rien et mon regard s'égare vers Galaad qui discute avec Aaron.

-Il est au courant ? je demande finalement.

Rabastan saisit tout à fait de qui je parle et il observe, à son tour, ses deux amis plongés dans une conversation passionnée.

-Non. Pas encore.

Il ne dit plus rien et nous nous concentrons à nouveau sur le seuil de l'entrée qui laisse passer de larges rayons du soleil d'avril, ainsi qu'une brise annonçant un printemps clément.

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Au bout d'une dizaine de minutes pendant lesquelles j'essaye de donner le change, nous voyons enfin une dizaine de personnes s'avancer au centre du hall. Nous reconnaissons l'emblème de Beauxbatons sur leurs tenues légères et ils sont rapidement rejoints par notre Directeur qui les accueille chaleureusement. Celui-ci salue d'ailleurs bien bas leur propre Directrice, qui doit bien faire deux bons mètres de haut, et dont les gestes sont empreints de grâce et d'élégance. Autour d'elle, plusieurs élèves des deux sexes saluent à leur tour Dumbledore d'une révérence gracieuse et je vois Aaron se marrer peu discrètement. Enfin, deux d'entre eux sortent des rangs et accompagnent leur Directrice jusqu'à nous.

-Laissez-moi vous présenter Mlle Alya Tio et M. Rabastan Rowle, commence le vieil homme en s'adressant à la grande femme. Les champions qui concourront sous les couleurs de Poudlard.

Avec Rabastan, nous inclinons le buste comme on nous a demandé de le faire, et les deux élèves nous rendent la pareille avec un visage aussi neutre que le nôtre. Il y a là une jeune femme ne devant pas être bien vieille - quinze ans pas plus - ainsi qu'un jeune homme extrêmement petit. Je sais qu'il est malvenu de critiquer la taille de quelqu'un quand on ne dépasse pas soi-même le mètre soixante-cinq, mais je peux affirmer qu'à côté de moi ce gars fait figure de nain. Il a d'ailleurs des yeux sombres, ainsi que des cheveux tirant sur le blond vénitien qui lui tombent devant le visage.

-Mlle Tio, M. Rowle, laissez-moi vous présenter Mlle Eléonore Picard et M. Sébastien Morel.

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Une fois les présentations faites, nous les voyons monter les marches du hall pour se positionner un peu plus loin. Puis, arrive la délégation de Durmstrang qui est, cette fois-ci, accompagnée d'un très vieil homme au visage dur couvert de rides et d'une épaisse moustache blanche. Nous devinons aisément qu'il est le Directeur de Durmstrang et je serais bien incapable de lui donner un âge avec son visage fripé comme un vieux pruneau. Néanmoins, je ne peux passer à côté de son regard, aussi perçant que celui d'un aigle fondant sur sa proie, et de sa démarche pleine d'assurance qui ne trahit absolument pas son grand âge.

-Directeur Harfang Munter, le salue Dumbledore, sans se départir de son large sourire chaleureux. Bienvenue à Poudlard.

Ils échangent une traditionnelle poignée de main, pendant laquelle je remarque un magnifique sourire factice de la part du Directeur de Durmstrang. La dizaine d'élèves les accompagnants le saluent à leur tour d'un bref mouvement du buste et deux d'entre eux s'approchent de nous.

-Laissez-moi vous présenter Mlle Alya Tio et M. Rabastan Rowle, répète Dumbledore en respectant le protocole. Les champions qui concourront sous les couleurs de Poudlard.

Après notre courbette, je me prends à observer les deux jeunes hommes désormais champions de Durmstrang. Le premier est si maigre qu'on pourrait se demander comment il tient sur ses pieds, sans compter ses yeux constamment dans le vague, donnant l'impression qu'il ne sait pas lui-même ce qu'il fiche ici.

Le second, quant à lui, semble aussi âgé que Rabastan et croule sous une épaisse fourrure qui recouvre ses larges épaules. Il a un visage carré à la mâchoire épaisse, lui donnant un air de brute épaisse, que son léger embonpoint renforce sensiblement. Je croise rapidement son regard gris acier et vois immédiatement un sourire méprisant se plaquer sur son visage.

Il me reluque ensuite des pieds à la tête sans aucune vergogne et il y a tellement d'arrogance dans son regard dédaigneux, que je n'ai qu'une envie : lui foutre mon poing dans la figure et, si possible, lui péter le nez en passant. Je pense que l'œillade assassine que je lui renvoie ne passe pas inaperçue et mon air est assez antipathique pour que le message passe.

-Mlle Tio, M. Rowle, laissez-moi vous présenter Messieurs Hans Van Der Stegen et Sergeï Polianov.

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-Ça s'est plutôt bien passé, je trouve. Tu vois bien qu'il n'y avait pas lieu de stresser, Alya.

Autour de nous, les élèves se répandent dans le hall en discutant avec animation et j'observe une dernière fois les délégations étrangères. Celles-ci ont emboîté le pas du professeur Mc Gonagall qui a entrepris de les mener jusqu'aux quartiers leur ayant été alloués.

-Alya ?

-Ouais, ouais, je grogne, alors que Rabastan essaye d'attirer mon attention.

-Tu ne devrais pas faire attention à ce genre de personnes, me dit-il en captant le regard mauvais que je jette à Sergeï Polianov, désormais de dos.

-Je sais, technique d'intimidation, dirait Casper. Mais je déteste ces mecs qui se sentent supérieurs, simplement parce que t'es une fille.

Galaad et Aaron nous rejoignent à cet instant et j'ai le droit à une accolade de brute de la part de ce dernier.

-Raison de plus pour trouver ça fun, la brindille ! s'exclame-t-il en ayant capté notre conversation. J'ai hâte de voir sa tête quand il se sera fait rouler dessus par une nana !

Ses mots me tirent un vague sourire de gratitude et il continue sur sa lancée.

-Vous avez vu cette bande de poseurs constipés ? continue-t-il en faisant bien évidemment référence aux élèves de Beauxbâtons. Des vrais coincés du cul, et vas-y que j'te fais une révérence par-ci et une autre par-là, tss...

-Leurs champions ont défait leurs adversaires avec beaucoup de facilité, je te rappelle, intervient Galaad au moment où Jasmine et Casper nous rejoignent. Il ne faut pas les sous-estimer. Sans compter que la petite taille de ce Sébastien Morel peut être très handicapante.

-Oui, je suis d'accord, confirme Casper en hochant gravement de la tête. La précision va être très importante contre lui, il doit faire quoi… Un mètre vingt ?

Jasmine se glisse à mes côtés et nous échangeons un regard sombre tandis que les garçons continuent leur discussion.

-Nan mais t'as vu le regard qu'il m'a lancé, l'autre là, avec sa peau d'ours sur les épaules ? je grogne en me penchant vers mon amie. Je te jure que j'ai failli lui mettre une beigne.

-Tu te souviens de ce qu'a dit Galaad ? On ne doit pas accorder d'importance aux premières impressions, car elles ne font que nous induire en erreur.

Je vois le Serpentard tourner la tête vers nous à l'évocation de son nom et il hoche gravement la tête.

-C'est tout à fait vrai, Alya, dit-il d'une voix dure. Et s'il est assez intelligent, il comprendra que ton apparence est, elle-aussi, trompeuse. De ton côté, garde-toi de tout jugement avant de l'avoir vu sur l'aire de combat, compris ?

J'acquiesce de mauvaise grâce et ne dis plus rien en m'enfonçant dans un silence songeur. Le stress ne tarde pas à pointer de nouveau le bout de son nez et je remercie Jasmine de me prendre par la main, pour me mener jusqu'à notre salle commune en souhaitant la bonne journée à nos amis restant discuter avec Casper.

Arrivées devant l'armure gardant notre entrée, celle-ci nous laisse volontiers passer après qu'elle eut demandé à Jasmine de lui donner le nom d'un chevalier célèbre.

-Je crois que je la préfère à notre ancienne statue, dis-je à mon amie en me posant dans notre canapé favori. Je suis sûre qu'avec un poil de bagou et un grand sourire, elle nous laisse passer sans même qu'on ait répondu à ses… questions.

Autour de nous, la salle commune est absolument vide et le soleil traverse largement les vitres de la pièce pour illuminer les étoiles d'or du plafond.

-Je suis tout de même curieuse de savoir qui a démoli l'aigle, me dit-elle, pensive. Tu penses que ce sont les filles de Serpentard ? Pourtant, elles n'ont rien tenté depuis un petit bout de temps et Aaron à l'air vraiment persuadé qu'elles n'y sont pour rien.

Je la vois se tourner vers moi, ramener ses jambes sous elle pour poser son coude sur l'assise et mettre son menton dans sa main.

-Après, elles ont pu commanditer la chose, ce n'est pas à exclure. Sans compter que...

-C'est ma faute.

-...la compétition approche. Peut-être qu'elles ont voulu envoyer un…

-C'est ma faute si la statue a été détruite.

-...avertissement par le biais de quelqu'un d'autre… Attends, t'as dit quoi, là ?

-Je me suis battue dans le couloir contre Arkwood. J'ai esquivé ses sorts et c'est la statue qui a pris les coups à ma place.

Jasmine ouvre la bouche en grand et un air absolument sidéré se peint sur son petit minois. Je la vois hocher de la tête en faisant voler ses boucles châtains, puis poser une main devant sa bouche. Enfin, elle explose de rire en se tenant les côtes et ne tarde pas à s'affaler dans le canapé sans que ses éclats ne se tarissent.

-T-t'es sérieuse, Aly ? me demande-t-elle, une fois son hilarité calmée.

Elle passe sa paume sur ses joues humides et semble attendre ma réponse avec impatience.

-Oui. Mais ne dis rien à personne, Mina. Avec Arkwood, on se ferait démolir par Flitwick ou Mc Gonagall !

Son rire la reprend et je dois attendre une bonne minute qu'elle se remette de ses émotions.

-C'est toi la meilleure, me dit-elle en me prenant dans les bras sans que je m'y sois attendu. Je t'aime fort, tu sais ?

Son élan d'affection me coupe le sifflet et je pose une main un peu hasardeuse sur son dos pour lui tapoter l'omoplate sans trop savoir.

-Je t'aimerais toujours, continue-t-elle. Quoi qu'il arrive, tu es mon amie pour la vie.

-Heu… Ça va Mina ? On dirait que tu me dis ça parce que tu vas disparaître demain. Tu te sens bien ?

-Mais oui, idiote !

Elle me relâche et me regarde avec beaucoup de tendresse, sans que je ne sache quoi répondre.

-Moi aussi, je t'aime, dis-je finalement d'une petite voix. Tu sais bien que parler de ses émotions c'est pas trop mon truc, mais oui, tu es la meilleure amie que j'ai jamais eu.

Son sourire se fait encore plus grand et je consens à échanger un second câlin avec elle.

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La salle commune tarde à se remplir, ce jour-là, et à l'heure du dîner nous rejoignons la grande salle dont le ciel sans nuage s'étend entre les hautes arches de la pièce. Je remarque vite que les deux Directeurs des autres écoles encadrent le nôtre à la table des professeurs et que la dizaine d'élèves de Durmstrang a été placée à la table de Gryffondor ; tandis que ceux de Beauxbâtons mangent avec Poufsouffle.

-Dire qu'ils sont là pour trois semaines, grommèle Casper en jetant un œil aux deux tables.

-Qu'est-ce qu'ils vont bien pouvoir faire durant cette semaine ? demande Jasmine en se servant un grand verre de jus de citrouille. La compétition ne commence que dans huit jours.

-Du tourisme ? propose Casper, sans trop être convaincu. À moins qu'ils ne suivent certains cours avec nous, mais ça m'étonnerait.

-Tu penses que Rabastan est au courant ? je demande d'une voix si basse que seuls mes amis m'entendent.

-Je peux toujours demander, me répond Jasmine en se servant du gratin.

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Nous obtenons rapidement une réponse à notre question lorsque notre Directeur nous informe, dans un beau discours de fin de repas, que l'aile Ouest du troisième étage est entièrement réservée aux champions pour leur permettre de s'entraîner tranquillement. Plus tard, Rabastan nous précise que, lui comme moi, n'auront plus cours durant cette semaine, à part Sortilège, Métamorphose et Défense, et cela pour que nous puissions, nous aussi, garder la forme.

Une fois de retour dans notre dortoir, Jasmine me demande de profiter de cette semaine pour réviser encore et encore mes sorts ; mais également de prendre du temps pour essayer de gérer mon stress. Elle me refile, pour l'occasion, un magazine emprunté à Judith et expliquant tout un tas de techniques de yoga et autres.

Je me couche en étant pas très convaincue par la chose, mais un sommeil tourmenté vient vite mettre fin à mes réflexions. C'est pourquoi, au matin, je suis encore plus fatiguée que la veille. C'est donc avec un regard morne que j'observe l'aube de ce dimanche dont les nuages blancs viennent strier le ciel et que je regrette encore une fois d'avoir dit oui.

En me levant, je remarque qu'il est encore tôt, mais également que Jasmine n'est plus sous ses draps et je devine sans mal avec qui elle peut bien se trouver. Sans un bruit, j'enfile un pantalon et le pull moutarde de Casper, avant de descendre à la salle commune. Ici aussi, le silence est roi et je me décide à quitter les lieux, histoire de m'aérer l'esprit.

J'ai beau essayer de relativiser et d'écouter les conseils de mes amis, je n'arrive pas à être sereine. La peur de faillir, la peur de mal faire, de décevoir les gens qui comptent sur moi et de ne pas être capable de faire mieux. Voilà ce qui me broie les entrailles depuis plusieurs semaines déjà.

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Avec une mine grognon qui reflète la morosité de mes pensées, je descends les nombreux escaliers me menant jusqu'au troisième étage et file jusqu'à la salle des trophées. Peut-être que lancer quelques sorts me fera du bien et me permettra d'évacuer toute cette anxiété qui me prend aux tripes.

Arrivée devant la haute porte éclairée par deux torches faiblardes, je pose la main sur la poignée et tente de l'ouvrir. Pendant deux secondes, mon esprit déconcerté ne comprend pas pourquoi le battant reste fermé et je consens finalement à sortir ma baguette pour lancer un Alohomora marmonné à peine distinctement. Une fois que le cliquetis de la porte se fait entendre, je réitère mon geste et ouvre la porte devant moi.

La première chose que mon cerveau encore endormi note, est le large canapé posé dans un coin de la pièce et la petite table basse couverte de cartes. Une seconde plus tard, mon esprit se réveille en sursaut en reconnaissant Rabastan et Jasmine, tous deux enlacés sous une large couverture, ne laissant aucun doute quant à la nuit mouvementée qu'ils ont eu.

Je remercie tout de même Merlin qu'ils soient tous deux endormis et referme le battant avec des yeux ronds. Ok, je n'avais vraiment pas besoin de voir ça, en vrai.

Avec de rapides gestes désordonnés, je verrouille à nouveau la pièce et repars d'un pas vif vers une destination inconnue. Je m'en veux de les avoir surpris dans leur intimité et je ne peux pas m'empêcher de jurer tout haut contre moi-même.

Alors comme ça Jasmine et Rabastan ont… Je sens mes joues rougir en les imaginant l'un et l'autre, allongés sur le sofa, et me demande s'ils se sont protégés pendant leurs rapports.

-Rhaaaa !

Je secoue mes mains en l'air en râlant contre mon cerveau maintenant échauffé et descends les marches à toute vitesse pour fuir mes pensées complètement inappropriées. Peut-être qu'en allant assez vite, elles n'arriveront pas à me suivre, qui sait ?

J'arrive finalement devant la grande salle et vois quelques élèves aller et venir, mais, étonnamment, je n'ai aucune envie de les rejoindre pour manger. De l'air frais, oui, très bonne idée !

Je file à travers la cour et marche d'un bon pas jusqu'au parc encore endormi, accueillant un soleil tout juste levé et dispensant une lumière blafarde. J'inspire ensuite à fond et me dit que, au moins, ça a eu le mérite de me faire oublier mon stress ; même si mon cœur bat toujours aussi vite et que mon corps m'envoie tout un tas de signaux un poil contradictoires.

Je m'allonge rapidement à même l'herbe et laisse mon rythme cardiaque redescendre tranquillement, tandis que j'essaye de compter les hippogriffes dans ma tête. Au loin, j'entends les oiseaux se mettre à chanter et le château s'éveiller doucement à mesure que les élèves dévalent les étages pour aller petit-déjeuner. Je crois d'ailleurs percevoir des conversations très au loin, ainsi que des rires qui semblent se diriger vers le stade de Quidditch.

Que j'aime ces moment-là, oubliés de tous et semblant être suspendus dans le temps, coincés dans cette aube qui ne semble jamais finir.

-Tio.

Je n'ai même pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir à qui appartient cette voix, car elle apparaît certaines fois dans mes rêves. Rêves aux significations diverses, certes, mais rarement assez obscures pour que je puisse décemment faire comme si je n'en comprenais pas le sous-texte.

-Arkwood. Tu t'es perdu ?

Je n'ai toujours pas levé les paupières et je l'entend distinctement s'asseoir à mes côtés.

-Nan. J'accompagnais Thomas à son entraînement.

-Il va être triste que tu le laisses tomber pour me taper la causette, alors.

Je voudrais également lui dire qu'il dérange deux de mes petites Alya, qui ont déjà assez de boulot lorsqu'elles tentent de calmer la troisième, mais il ne comprendrait pas.

-Ça m'étonnerait, mais c'est sympa de te préoccuper de lui.

-Depuis quand tu penses que je suis sympa avec les vilains Poufsouffle que vous êtes ?

Il rit doucement et un long silence se dépose entre nos deux êtres, nimbés de cette clarté naissante qui glisse insidieusement entre mes paupières pourtant closes. C'est incroyable comme tout mon corps ressent sa présence près de moi, capte jusqu'à sa respiration régulière et le froissement de sa chemise lorsqu'il bouge.

Amoureuse d'un con. Tss. Grand Merlin, dis-moi ce que j'ai encore fait pour que tu m'infliges ça, hein ?! Je sais qu'on ne s'est jamais vraiment aimés, toi et moi, mais quand même ! C'est pas comme s'il n'y avait aucun autre garçon carrément potable dans ce fichu bahut !

Ce qui est marrant quand on y pense c'est comment, face à Galaad, j'ai pu me poser mille questions ; alors que vis-à-vis de cet idiot condescendant et arrogant : rien. C'est genre "Bim, prends ça dans la poire et tais-toi".

-Comment tu te sens ? je l'entends me demander après cinq bonnes minutes d'un silence apaisant.

-Au sortir du lit, je t'aurais répondu avoir envie de me pendre, mais là ça va un peu mieux.

-Je te l'ai dit, Tio, t'es trop faible dans ta tête. Il faut que tu te blindes pour pas te laisser submerger par l'appréhension !

-Si t'es venu pour m'emmerder, tu peux repartir, je lui réponds d'une voix calme, les yeux toujours fermés.

Il ne continue pas et ne semble pas vouloir partir non plus.

-C'est pour toi que je dis ça, me lance-t-il au bout d'une longue minute pendant laquelle la rumeur des entraînements de Quidditch nous parvient.

Je ne réponds rien et me force à ne pas le regarder.

-Ils sont bien plus dangereux que Bulstrode a pu l'être. Faut que tu sois préparée à les affronter et à ne pas les laisser t'atteindre, t'as compris ?

-Je sais, je sais... Je dois gagner et battre Serpentard. Ton disque est rayé mon pauvre, faut penser à le changer.

Je l'entend changer de position et un nouveau silence s'installe. De temps à autre, je perçois le bruit de l'herbe qu'on arrache et me demande vaguement pourquoi il en veut à ce pauvre gazon. Plusieurs fois, je suis tentée d'ouvrir les yeux, mais je sais que je ne pourrais alors plus contenir la troisième petite Alya qui me hurlera dessus et secouera ma conscience déjà assez énervée par la vision de ce matin.

-Désolé pour ta copine, finis-je par dire en brisant l'instant. Je te jure que j'y suis pour rien.

Il ricane et remue assez pour me cacher temporairement le soleil qui tape contre mes paupières scellées.

-Thomas parle beaucoup trop, grogne-t-il, avec tout de même de l'amusement au fond de la voix. T'y es pour rien dans tout ça. Elle m'a fait une crise de jalousie après ma soirée d'anniversaire.

-Je te l'avais bien dit. Fallait m'écouter et te dépêcher de rentrer dans ton dortoir.

-Je pense qu'elle m'aurait fait chier, peu importe l'heure à laquelle je serais revenu. Elle avait trop peur que je la trompe.

-Avec moi ?

-Ouais.

Je ris, même si, au fond de moi, le cœur n'y est pas.

-C'est vrai qu'avec ma prestance incroyable et mon port de reine, sans compter ce superbe bonnet E, tu ne pouvais que tomber sous le charme ! Et je ne parle même pas de mon goût imprononçable pour les vêtements aguicheurs. Pour tout t'avouer, j'ai tellement d'hommes à mes pieds que je ne sais plus où donner de la tête !

Je l'entends rire de bon cœur et me demande pourquoi je suis aussi maso.

-Désolé de te le dire, mais les seuls hommes à tes pieds sont ceux que tu défonces à coup de sorts.

-Tu oublies un petit Serpentard pas bien farouche.

C'est incroyable comme je ne parle quasiment jamais de mes histoires à quiconque, et que je ne peux m'empêcher de déballer ma vie à chaque fois qu'il est dans le coin.

-C'est vrai, au temps pour moi. T'as fait comment pour l'appâter celui-là, d'ailleurs ?

-Crois-le ou non, mais il est venu de lui-même. J'avais clairement pas prévu d'aller à ce fichu bal avec lui, mais…

Je hausse les épaules, sans toutefois ouvrir les yeux, et pose un bras sur mon front.

-C'était ça ou y aller seule, alors je n'ai pas trop réfléchi.

Un léger silence se redépose et Arkwood le brise finalement d'une voix grave.

-Si t'avais personne, t'aurais pu me demander, Alya.

J'ouvre les yeux.

J'ignore si c'est le fait qu'il prononce mon prénom, ou tout simplement le sens de ses paroles qui me fait lever les paupières, mais peu importe. Lorsque mon attention se porte sur lui, je remarque qu'il est assis en tailleur à ma droite et que son regard est posé sur mon ventre. Ma respiration se bloque et un long frisson me parcourt quand je prends conscience que ses yeux effleurent le bout de peau dévoilé par mon pull trop large.

Cet instant ne dure cependant pas plus d'une seconde, car il plante bien vite ses yeux bleus dans les miens, sans même faire mine d'être gêné. Pour ma part, je sens une chaleur bien caractéristique inonder toutes les fibres de mon corps et mon ventre réclamer une jouissance bienvenue. J'aimerais répondre quelque chose de cohérent à Arkwood qui n'a pas bougé et qui me dévisage maintenant avec attention, mais je suis trop perturbée pour réussir à aligner trois mots dans mon esprit agité.

Au bout d'une dizaine de secondes silencieuses, son sourire s'étire et je n'y vois aucun mépris, ni aucun air moqueur, qu'il a pourtant pour habitude de me présenter.

-Alors c'est vraiment arrivé ? me demande-t-il, faussement étonné. J'ai vraiment réussi à te claquer le bec sans même recourir à ma baguette magique ? Je pense que je vais le noter quelque part pour pas oublier ce jour faste.

Je déglutis et me redresse rapidement sur mon séant. Arkwood n'a pas bougé et je me retrouve alors près de lui, mes yeux à la hauteur des siens, mes lèvres non loin de ses propres lèvres et son souffle se mêlant au mien.

Et, pour une fois, j'aimerais y croire. J'aimerais, juste une seconde, croire que je lui plais, oublier le rire de Caussman et me dire qu'il me trouve un quelconque je-ne-sais-quoi lui donnant envie de m'embrasser, là, maintenant, tout de suite.

Une première seconde s'écoule, à la fois si rapide et en même temps incroyablement lente, presque infinie.

Et rien ne se passe.

J'attends la deuxième seconde. Celle-ci semble s'étirer jusqu'à plus soif et je ne bouge toujours pas, attendant un signe, quelque chose, n'importe quoi.

Rien ne se passe.

Les yeux bleus d'Arkwood semblent me transpercer et me mettre à nu, mais je suis toujours immobile. J'ai l'impression qu'il n'y a plus que nous deux dans ce monde inondé d'une douce lumière dorée. Plus rien ni personne, plus de château, plus de compétition, plus d'avant, plus d'après. Juste nous.

Mais les secondes s'écoulent et plus rien ne peut alors les arrêter. Implacablement, elles glissent entre mes doigts gourds en diluant mes espoirs dans cet océan de peine qui ne tarde pas à me tendre des bras accueillants.

-T'as un problème, Tio ? finit par me demander Arkwood d'une voix dure.

Je hoche la tête de dénégation, me remets sur mes pieds et époussète mon dos pour me donner une contenance. Arkwood fait de même et je le gratifie alors d'un bref salut de la tête, avant de repartir vers la grande salle maintenant remplie d'élèves affamés.