Rating M, pour les thèmes de l'alcoolisme et de violence.
J'ai décidé de changer le nom du recueil, le résumé et la couverture, j'espère que ça vous plaira ! Merci encore pour vos commentaires !
Le deuxième prénom
- À bientôt, les filles !
John s'exclame tout en faisant un signe de la main à Rosie qui n'en finit plus de faire coucou depuis la banquette arrière de la voiture de Harry. La sœur de John fait de même, son bras s'agitant à travers la vitre descendue de la portière. Si elle n'était pas en plein centre ville, elle aurait klaxonné pour dynamiser le tout. John sourit et suit du regard le véhicule partir jusqu'à disparaître au coin de la rue. Sherlock en fait de même, se tenant juste à côté de son compagnon.
C'est la première fois que Rosie part en séjour avec Harry. Elle a hâte de visiter l'Irlande en compagnie de sa tante !
De son côté, John est aussi heureux, mais guère pour les mêmes raisons. Il y a quelques années, il n'aurait jamais pensé laisser la garde d'une enfant à Harry, quand elle avait encore de gros soucis avec sa dépendance à l'alcool. Mais aujourd'hui, cela fait plus de quatre ans qu'elle ne touche plus à une goutte d'alcool. Et pendant tout ce temps, elle voulait s'assurer qu'elle ne replonge pas avant d'avoir une telle responsabilité qu'est de s'occuper de sa nièce. Durant ces quatre années, John l'a soutenu et aidé dès que le manque se faisait ressentir. Après tout, lui aussi s'est longuement battu contre lui-même, désirant également se défaire une bonne fois pour toute de cette semble t-il malédiction qui touche les Watson. C'est ainsi qu'entre frère et sœur, John et Harriet sont parvenus à vaincre leurs démons. Si la sœur préfère ne plus tenter le diable, John s'autorise de temps en temps une boisson, notamment lors des fêtes de fin d'année, mais toujours en quantité raisonnable. Se retrouver ivre devant Sherlock, et surtout Rosie serait trop honteux en tant que père.
John a des souvenirs de jeunesse où l'alcool détournait son esprit, le faisant agir autrement, sous le regard hilare de ses camarades d'université puis à l'armée. Mais il ne se souvient guère si son comportement pouvait parfois poser problème. Beaucoup deviennent incohérents, somnolant ou très guillerets, quand d'autres deviennent sujet à de la violence, parfois orale, mais aussi physique. L'idée de se comporter de la sorte à cause d'une addiction donne des frissons à John, qui se sent aujourd'hui idiot quand il repense à toutes les fois où il s'enivrait pour faire rire des amis, ou pour oublier. La seule fois où il garde un véritable bon souvenir de l'alcool est son enterrement de vie de garçon avec Sherlock. Mêler boissons en tout genre et science était une idée typiquement Sherlockienne, avec des résultats saugrenus !
En attendant, John est fier de sa sœur, qui s'en est sortie avec excellence. Harriet ne cherche plus vraiment à avoir de relations, l'amour ayant toujours mal tourné pour elle. Elle répète souvent « Je me contente de l'amitié et de la famille, ça suffit amplement ! ».
Qu'elle n'était pas sa surprise, d'ailleurs, le jour où elle apprenait que John est en couple Sherlock. Elle se retenait ce jour-là de le dire, mais ni Sherlock ni John ne pouvaient ignorer le soulagement dans le regard de la sœur, ainsi que le « Enfin ! » qui envahissait ses pensées. John s'attendait d'ailleurs à ce que Harry fasse des commentaires taquins, ou inquiets, mais il n'en était rien. Harriet Watson était tout simplement heureuse que son frère partage tout avec l'homme de sa vie. De le voir réussir là où elle n'a jamais réussi.
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Le soir, une fois tous deux dans leur chambre après une enquête assez fatigante, John et Sherlock peuvent souffler et se détendre. Le détective enlève la veste de son costume, ne laissant plus que sa chemise blanche sur son torse. John le regarde avec un regard intense, quand Big Ben sonne minuit. Le médecin consulte son téléphone, et ne peut retenir un soupir en voyant la date s'y afficher. Le 22 juillet. Sherlock remarque la mine désormais attristée de son compagnon.
- Quelque chose ne va pas ? demande t-il d'un ton inquiet.
- Rien, rien, répond John. C'est juste qu'aujourd'hui… c'est la date d'anniversaire de la mort de mon père.
- Oh… Je suis désolé.
- Ne gaspille pas ta salive pour lui.
Sherlock hausse les sourcils en entendant John dire cela avec un ton amer. Plusieurs questions se bousculent dans la tête du détective. Il revoit Harry, toute guillerette le matin même, les yeux pétillants et le teint clair, assorti à sa jolie coiffure et sa tenue décontractée mais soignée. Elle ne semblait aucunement affectée à l'idée d'être la veille d'un jour si particulier.
Ce n'est pas le cas de John qui semble empreint d'une certaine tristesse. Sherlock se rapproche, et pose une main délicate sur l'épaule gauche de son amant. Cette partie du corps est si spéciale et parlante chez John. En ce moment-même, le détective peut la sentir se tendre à travers le tissu de la chemise. Il ne sait guère quoi dire, ayant conscience que John demeure très pudique sur son passé. Sherlock ne lui pose jamais de question à ce sujet, préférant toujours attendre que son compagnon se confie. John a toujours fait de même, alors Sherlock respecte cet aspect de leur relation. Cependant, John prend une profonde inspiration tout en fermant les yeux, signes évidents qu'il va parler de quelque chose d'important. Le limier ne pipe mot, et attend sagement, tout en continuant à effleurer l'épaule tendue.
- Tu sais que j'ai toujours détesté mon deuxième prénom, mais je ne t'ai jamais donné la raison. En fait, c'était le prénom de mon père. Et j'ai mit des années à comprendre que je détestais mon père. Au départ, quand j'étais gosse, je pensais qu'il était plus autoritaire et exigeant que la moyenne. Il nous demandait toujours à Harriet et moi d'avoir de bonnes notes, de bien nous comporter, du moins de son point de vue, et de savoir se faire respecter. Pour Harriet, il lui disait d'être sage, de bien parler, d'être aimante. Il l'appelait la plupart du temps Princesse, sauf quand il la grondait. Moi, il m'appelait en général par mon prénom, sauf quand il était fier de moi. Dans ces cas, il me disait des choses du style « Tu deviens un homme, je suis fier de toi. », « Tu es digne d'être mon fils, voilà un mec qui sait se faire respecter. » ou même « Si on t'emmerde, tu tapes, sois un caïd plutôt qu'une lopette. ».
» Je l'écoutais aveuglément, et j'étais heureux à chaque fois qu'il me complimentait. Mais à chaque fois qu'il reprochait des choses bénignes à Harry, je me demandai si c'était normal. J'étais encore très naïf à dix ans. Harry en avait douze. Et quand je l'avais vu pour la première fois avec une autre fille, j'étais étonné. C'était la première fois que je voyais deux filles en couple. Sans dire que c'était ma sœur, j'avais demandé à mon père si c'était normal. Et… Et il a dit des choses qui… qui m'ont marqué. Je l'entends encore dire ses saletés, mais je ne veux surtout pas les répéter. À l'époque encore, je l'écoutais, et à cause de lui, j'ai été pendant mon adolescence ce qu'on appelle un sale petit con. À cogner pour la moindre raison, à ne voir les filles que comme des trophées, à penser toutes sortes de conneries. On se serait rencontrer à cette époque, tu m'aurais fui comme la peste, à juste titre.
John pousse un long soupir, tandis que son épaule tremblotte. Sherlock passe son pousse dans le creux, massant au niveau de la cicatrice. Le contact suffit à John pour se détendre légèrement, lui faisant esquisser un bref sourire semblable à un merci. Le détective hésite quelques instants, puis pose finalement sa question.
- Et ta mère ? Elle ne disait rien ?
- Elle est partie quand nous avions huit et dix ans. Elle voulait nous emmener, mais notre père l'a menacé. Avec Harry, nous les avions entendu. Et nous avions comprit que notre mère préférait partir et se mettre en sécurité toute seule, plutôt que de rester avec un époux violent, auprès de ses enfants. Quand elle est partie, notre père n'a pas vraiment changé. Il n'était pas plus violent ou sévère. En fait, il commençait déjà à se méfier de Harry, en comprenant que sa fille ne ferait rien pour lui plaire. Alors il a tout fait pour qu'au moins une de ses progénitures lui plaise. Et j'ai obéi aveuglément jusqu'à quelques mois avant mes dix huit ans.
» Peu de temps après mon départ à l'armée, notre père est décédé. Il avait bu avant de prendre le volant, comme il faisait souvent. En fait, parfois, je me demandai s'il n'y avait pas plutôt de l'alcool à la place de son sang ou de son eau dans son corps. Il ne passait pas une journée sans boire au moins un fond de whisky, quand il ne se vidait pas plusieurs canettes de bière. Il nous tapait rarement, mais quand il le faisait… il s'en prenait surtout à moi. D'après lui, c'était pour m'endurcir. Quand il avait découvert que Harry sortait avec une fille, elle avait dix sept ans, il lui avait ordonné de partir. Chose qu'elle a fait en voulant m'emmener à son tour, mais que notre père a une fois de plus empêché. Harry était partie vivre chez sa copine qui était déjà majeure, et moi, j'étais resté à la… maison. Et c'était vraiment devenu insoutenable à partir de ce jour. Il m'engueulait tout le temps, j'étais devenu sa bonne à tout faire. Il buvait presque toute la journée. Et quand il ne picolait pas, soit il parlait tout seul, il gueulait sur la télé, dans la rue, contre les voisins, sur… sur moi…
- John.
Sherlock murmure son prénom, tout en serrant l'épaule pour le faire réagir. Ce qui n'a aucun effet, son compagnon continue de parler sans rien entendre autour de lui.
- À peine que je rentrai du lycée qu'il m'engueulait, il m'ordonnait de faire toutes sortes de choses, alors que j'avais des devoirs. Je me débrouillai pour tout bien faire et en peu de temps, pour pouvoir faire mes devoirs. J'en faisais des insomnies. Ou des cauchemars… Mais il n'était jamais satisfait ! Il me traitait d'incapable, de boulet… De… de...
- John !
Sherlock fait sortir son compagnon de son état de transe, perdu dans ses douloureux souvenirs. Des larmes perlent ses joues sans qu'il ne le réalise tout de suite. John plaque une main sur sa bouche, étouffant son gémissement plaintif.
Aussitôt, Sherlock l'entoure dans ses bras, le serrant fort contre lui. Une main vient se poser sur la nuque de John, tandis que l'autre caresse son dos comme s'il tentait d'apprivoiser un animal perdu et abandonné.
Le visage collé au torse chaud de Sherlock, John ne peut contenir ses larmes qui tachent la chemise de son compagnon, tandis que ses poings se serrent.
- Je le déteste, putain. Je le déteste pour tout ce qu'il m'a fait, pour tout ce qu'il a fait à ma sœur. Je ne lui ai rien dit de ce qu'il m'a fait après son départ. À défaut de souffrir de notre ordure de père, elle souffrait déjà suffisamment de ses problèmes de cœur. Quand il est mort, elle était indifférente, quand moi, j'étais soulagé. Je sais qu'on ne devrait pas penser ça d'un parent mais…
- Tu as toutes tes raisons, John, dit Sherlock d'une voix forte. Tu as le droit. Et tu n'as pas avoir peur. Tu es devenu un homme bon, et ce bien avant que je ne te connaisse, j'en suis sûr et certain.
John ne répond rien. Un sanglot l'empêche de parler. À la place, il hoche la tête, toujours contre le buste de son amant, tout en le serrant à son tour dans ses bras. John se laisse faire, et laisse couler ses larmes de rage tandis que ses cinq sens sont choyés au fil des minutes par Sherlock. Il aime le doux contact de Sherlock, ses bras l'entourant et le serrant avec bienveillance, tandis que sa tête repose sur la sienne. L'odeur que dégage Sherlock est chaude et enivrante. La voix de Sherlock qui murmure toutes sortes de choses intelligibles est basse et réchauffante, comme un feu de cheminée en plein hiver. En relevant le visage, les yeux désormais rougis et taris, John expire difficilement en voyant le regard azur plein de compassion et le sourire tendre de Sherlock. John sent son cœur battre plus doucement, mais plus fort en embrassant Sherlock, le goût de ses lèvres le faisant toujours perdre pied.
John sent aussi son épaule plus détendue, et son esprit moins lourd. Il ferme les yeux et esquisse un faible sourire tandis que Sherlock essuie sa joue zébrée de larmes.
- Je suis désolé pour tout ce que tu as vécu, John.
- Ce n'est pas ta faute, répond le médecin.
- Je suis quand même désolé.
Les deux hommes demeurent enlacés pendant plusieurs minutes, les battements de leurs cœurs se synchronisant en une poignée de secondes. Et tandis que dehors, la ville continue de s'animer énergiquement, John sourit vraiment.
- Merci, murmure t-il dans l'intimité de la chambre.
