James venait d'arriver au ministère lorsque Fol Oeil l'attrapa brutalement par le col de sa cape de sorcier et le traîna jusque dans son bureau après avoir hurlé son nom si fort que tous les aurors présents s'étaient retournés. Il referma d'un coup de baguette hâtif la porte et ne lâcha le jeune homme qu'à ce moment là, quand il fut sûr qu'ils étaient seuls.
« Pourquoi ai-je reçu il y a une minute un rapport indiquant que tu es entré en contact avec Rogue ?! »
James demeura immobile alors que Maugrey contournait le bureau dans lequel il avait fouillé un peu plus tôt. Il était presque sûr qu'il pouvait le voir sur son visage tant il le fixait avec insistance et pendant un instant, il songea qu'il allait lui jeter un sort, mais il se laissa simplement tomber sur sa chaise, baguette toujours en main.
« Tu ferais mieux de parler maintenant avant que je ne décide de te verser du veritaserum directement dans le gosier, lui conseilla l'auror sur un ton peu rassurant.
- J'y étais pour raisons personnelles, répondit-il avec une nonchalance feinte.
- Ne fais pas le malin avec moi, Potter. Rogue, comme beaucoup d'autres, est soumis à une enquête dont seulement une poignée de personnes est au courant, mais j'imagine que tes parents t'en ont touché deux mots.
- Oui, je sais, confirma James, mais encore une fois, Maugrey, j'y étais pour raison personnelle.
- Il n'est pas bon d'aller voir un suspect pour raisons personnelles ces temps-ci, lui glissa son interlocuteur alors que James avait l'impression qu'il le scannait. D'autant plus après avoir fouillé mon bureau. »
Sa dernière phrase glaça James sur place. Il aurait dû se douter qu'il ne pourrait pas s'en tirer aussi facilement. Fol Oeil était un génie dans son domaine. Pas invincible, pas impossible à tromper, mais certainement pas sans monter un plan digne de ce nom, et c'était habituellement avec Sirius, Rémus et Peter que James s'occupait de ce genre de chose.
« Qu'est-ce qui m'a trahi ?
- Cette phrase, à l'instant, grogna Fol Oeil alors que James s'insultait mentalement. Tu es bon pour une mise à pied d'une semaine, Potter, le temps qu'on éclaircisse les choses.
- Une mise à pied ?! répéta t-il avec force en plaquant ses deux mains sur le bureau alors que Maugrey lui envoyait un regard dissuasif. Merlin, je... J'avais juste de vieilles querelles d'adolescents à régler avec Rogue, ça n'a rien à voir avec votre enquête c'est juste... Vous devriez aussi surveiller Malefoy, Avery, et Mulciber, vous savez ?
- Comme je te l'ai dit, beaucoup de dossiers sont ouverts. Ceux-ci y compris.
- Qu'est-ce que vous attendez ? s'indigna James.
- Des preuves, Potter, et à moins que tu n'en aies, nous ne pouvons faire quoi que ce soit. Le ministère n'est plus ce qu'il était, ton père doit bien le savoir.
- Ma parole contre la leur... marmonna James en serrant les poings.
- Exactement, trancha Maugrey. »
James resta un instant de marbre devant le bureau, les yeux vissés sur le sol, la mâchoire crispée. S'il n'était pas aussi à cheval sur ses principes, il aurait pu trahir Rogue à ce moment là, mais encore une fois, ses tripes lui disaient que ce n'était pas le moment, que ce n'était pas de cette façon que tout était supposé se passer, alors il se tut et se retourna pour sortir du bureau. De toutes façons, il n'avait même plus la photo maintenant. Ce n'est que lorsque sa main se posa sur la poignée que Fol Oeil reprit la parole.
« J'ai cru comprendre qu'Evans et toi habitiez ensemble.»
Il pivota de nouveau vers lui et fronça les sourcils en lui lançant un regard interrogateur. Il se demanda pendant un bref instant s'il avait eu vent de toute l'histoire avant de réaliser que c'était impossible.
« Elle doit passer ce matin, lui apprit Fol Oeil.
- Est-ce que je peux savoir pourquoi ?
- Simple interrogatoire à propos de vos anciens camarades. J'ai entendu dire qu'elle avait des histoires à raconter sur Avery et Mulciber. »
James hocha la tête en repensant brièvement aux nombreuses fois où elle les avait mis en retenue, et ouvrit la porte du bureau, un goût amer lui tapissait la bouche. Lily ne lui avait parlé de rien et en plus de cela, il avait la désagréable impression d'avoir perdu toute la confiance du chef de la brigade et il détestait cette sensation.
« Vous savez que mon allégeance va à l'Ordre, n'est-ce pas ? lui demanda t-il à voix basse alors qu'il était dans l'encadrement de la porte. Vous savez que dans l'éventualité où je vous cacherais des choses, j'en aurais de bonnes raisons, des raisons que je ne peux pas divulguer au Ministère mais dont je pourrais parler... Mettons... Au professeur Dumbledore par exemple ?
- Si ce n'était pas le cas, tu serais déjà renvoyé, Potter.
- Mais... La mise à pied...
- C'est le protocole. Maintenant rentre chez toi, et ne traîne plus dans des endroits malfamés. »
James demeura immobile, les poings serrés le long de son corps, et lorsqu'il émergea du bureau de Fol-Oeil, il remarqua directement Lily et Sirius à quelques mètres de lui, en train de chuchoter à toute vitesse en jetant des regards vers le bureau duquel il venait de sortir avant de se stopper net en le voyant.
James sentit son cœur se serrer devant la façon qu'elle avait de le dévisager comme si elle voulait savoir s'il allait bien sans toutefois parvenir à mettre leurs différents de côté pour le lui demander.
« Ca va être sans moi cette semaine, Patmol, dit-il à son meilleur ami en enfonçant les mains dans les poches de son manteau. J'ai une mise à pied.
- Quoi ?! Pourquoi ?!
- Le mot que je te l'ai laissé dans ton casier, répondit simplement James. »
Il ne voyait Lily que du coin de l'oeil mais elle fronçait les sourcils et se tenait les épaules comme si elle avait froid, mais il savait que c'était parce qu'elle redoutait l'interrogatoire qu'elle allait subir. Il leur fit un signe de tête discret vers la salle de pause à présent déserte et il referma la porte avant de se planter devant la jeune femme.
« Je suis allé voir Rogue alors qu'il était surveillé par le ministère.
- Merlin, souffla t-elle en plaquant une main sur son visage avant de se retourner et de faire les cent pas, nerveuse.
- Il fallait juste que...
- Evans ! s'exclama Fol Oeil en ouvrant la porte à la volée. Avec moi ! Potter, il me semble t'avoir ordonné de rentrer chez toi ! »
James comptait leur expliquer exactement ce qu'il avait vu, mais Maugrey le fixait avec insistance en attendant qu'il déguerpisse et il n'eut pas le choix, il quitta le ministère et transplana à Godric's Hollow où il tira des parchemins, un encrier, et une plume du buffet du salon afin de raconter ses péripéties à ses meilleurs amis, puis de parler de tout ce qu'il avait vu au professeur Dumbledore.
Il écrivit pendant une bonne heure avant que Lily ne rentre à son tour. Il ne posa sa plume qu'à ce moment là, tournant la tête vers elle alors qu'elle se défaisait lentement de son manteau pour aller se poster en face de lui, les bras croisés contre sa poitrine.
« Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
- Parce qu'il est amoureux de toi, répondit James de but en blanc. Il fallait que je lui parle, que je lui rende la photo pour qu'il s'en souvienne, que j'essaie de le faire changer d'avis pour toi. »
Il vit Lily déglutir devant lui et ses bras ballants tomber le long de son corps. Il se leva immédiatement de sa chaise et s'empressa d'aller l'étreindre, sachant que cette fois-ci, elle ne le repousserait pas.
« Il y avait Avery, Mulciber, et Malefoy avec lui. Ils étaient tous les quatre en train de préparer je ne sais quoi pour Voldemort, une potion, et... Lily, ils en sont tous, termina t-il. »
Il l'entendit renifler un peu bruyamment, et il resserra son étreinte autour d'elle sans vraiment savoir ce qu'elle ressentait, avec un pincement au cœur à l'idée qu'elle puisse ne penser qu'à Rogue et à ce qu'il serait devenu si elle n'avait pas pris ses distances avec lui.
« Est-ce que tu l'as dit à... A Fol Oeil ? demanda t-elle d'une petite voix.
- Non. Je l'ai écrit dans une lettre à Dumbledore, c'est tout. Maintenant, ce n'est plus de mon ressort. Il utilisera ces informations s'il le veut. Au ministère, les murs ont des oreilles.
- Ils m'ont interrogée là dessus. Ils m'ont posé des questions sur lui et sur toi. Ils m'ont... Ils m'ont demandé si j'entretenais une liaison avec lui, si c'était pour cette raison que tu étais allé le voir et je... J'ai dit oui, murmura t-elle d'une voix à peine audible, et les yeux de James s'agrandirent alors qu'il s'écartait légèrement d'elle. »
Elle le retint en posant sa main sur sa taille, les doigts crispés sur son polo alors que James avait l'impression que tout son être allait imploser.
« Ce n'est pas vrai, s'empressa t-elle de lui dire. J'ai... Je me suis juste dit que de cette façon, ils se diraient que tu y es allé pour lui régler son compte... Ou je ne sais quoi, bredouilla t-elle. Je ne crois pas que Fol Oeil m'ait cru, mais je... Je ne voulais pas qu'ils puissent penser que tu étais impliqué là dedans avec lui, termina t-elle sur un ton amer.
- Merlin, Lily, souffla t-il avant de déposer un baiser sur son front. Je suis désolé pour tout ça.
- Ne fais plus ce genre de chose, s'il te plaît. »
Son ton était presque suppliant et son énervement des jours précédents semblait avoir laissé place à une peine que James détestait encore plus. Il avait fait ça. Il l'avait mise dans cet état. Il en était malade.
« Comment est-ce que tu es ressorti de là indemne ?
- J'ai dit à Rogue que tu ne lui pardonnerais jamais s'il me touchait.
- Et aux autres ?
- Ils étaient partis.
- Est-ce qu'ils t'ont fait du mal ?
- Non, répondit-il aussitôt en secouant la tête, soucieux de ne pas l'inquiéter encore plus.
- Ils auraient pu te torturer ou... Ou pire. Tu aurais dû me réveiller, tu aurais dû me dire que...
- Tu ne voulais pas parler, la coupa t-il avec une pointe de remord lorsqu'elle le lâcha.
- J'étais en colère, se justifia t-elle aussitôt.
- Je sais.
- Je l'aurais tué s'il t'avait fait du mal, reprit-elle avec une certaine froideur qui sembla la glacer elle-même sur place. »
Une larme roula sur sa joue et elle la chassa aussitôt. Ses yeux étaient obstinément vissés aux siens et il voyait que la fureur n'avait pas disparue, elle était toujours là, avec tout le reste. La tristesse, la souffrance, l'amour, chaque sentiment semblait la déchirer.
« Et je t'aurais tué après parce que tu es un abruti. Tu n'avais pas besoin d'aller là bas. Je n'avais pas besoin de plus de preuves que cette photo, reprit-elle.
- Ce n'était pas tant pour avoir d'autres preuves que pour essayer de voir s'il était possible de le faire changer d'avis, et je pense que oui, Lily. Je pense qu'il n'est pas perdu là dedans.
- C'est ce que je me suis toujours dit, à Poudlard, chuchota t-elle en baissant la tête, mais il n'a jamais changé dans le bon sens, il est devenu pire. Je ne veux plus y penser. Je veux juste... Je veux juste que tu ne retournes plus le voir.
- Je n'irai plus, lui confirma t-il sur un ton doux, ses doigts plongeant dans ses cheveux roux. »
Elle se laissa faire pendant une minute, et puis elle attrapa sa main et la garda dans la sienne avant de le regarder droit dans les yeux.
« Je ne veux plus qu'il interfère dans notre couple, de quelque manière que ce soit, déclara t-elle. Il est juste un... Un ancien élève de notre école et je sais que tu vas me dire qu'il a été mon ami pendant longtemps et que je ne peux pas l'effacer, mais regarde ce qu'il a fait. »
Elle agita sa main entre eux deux et il savait ce qu'elle voulait dire. Severus Rogue les avait déchiré. Rien n'était perdu. Rien ne le serait jamais, pas entre eux. Quoi qu'il advienne, des sentiments subsisteraient parce qu'ils avaient imprégné leur peau et rien ni personne ne pourrait y faire quoi que ce soit, mais Rogue avait creusé un tel fossé entre eux que James regardait l'espace entre son corps et celui de Lily avec une angoisse oppressante.
« C'est ce qu'il fait toujours, reprit-elle, et si j'ai arrêté d'être son amie, c'est parce que je ne pouvais plus supporter ça. Ne me fais pas revivre ça, s'il te plaît. »
Il secoua la tête et avança d'un pas vers elle, s'apprêtant à l'étreindre lorsque l'on frappa à la porte. Il soupira quand elle se faufila hors de sa portée, répondant à son regard interrogateur par un simple « C'est Mary », avant d'ouvrir à sa meilleure amie. Elle avait probablement les yeux un peu humides parce que dès que la jeune femme pénétra dans la maison, elle fronça les sourcils et s'empressa de pointer un index accusateur vers James.
« Qu'est-ce que tu as fait, encore ?
- Rien, Mary, rien, s'empressa d'intervenir Lily en refermant la porte derrière elle. Je suis juste allée à ma convocation au ministère aujourd'hui et... Les aurors n'étaient pas très agréables.
- Oh, fit simplement la jeune femme avant de se détendre. Tu ne travailles pas, ce matin ?
- Longue histoire, répondit James après avoir secoué la tête, soucieux de ne pas remettre Rogue sur le tapis comme le lui avait demandé Lily. Comment va Vance ?
- Bien. Très bien, même. Je venais justement annoncer à Lily que j'ai laissé ma brosse à dent chez elle hier soir ! s'exclama t-elle avec une pointe d'excitation.
- Est-ce que ça veut dire que vous habitez ensemble ? l'interrogea James.
- Oh non, répondit Lily avec un léger sourire, ça veut simplement dire que Mary a tellement peur de l'engagement qu'elle y va petit à petit. La semaine dernière, elle a laissé ses gants.
- Donc on peut espérer un emménagement d'ici une dizaine d'années ? plaisanta James.
- Oh ferme là, Potter. Tout le monde n'achète pas une maison avec la première venue, répliqua Mary en levant les yeux au ciel.
- La première venue va reprendre le double qu'elle t'a donnée si tu continues, ironisa Lily. »
Elle affichait toutefois un demi-sourire, et alors que sa meilleure amie la suivait dans la cuisine en s'exclamant que ce n'était pas ce qu'elle voulait dire, il se surprit à pousser un profond soupir de soulagement. C'était la première fois qu'ils plaisantaient ensemble depuis ce qui lui semblait être des lustres et il fut tenté de les suivre rien que pour pouvoir continuer et pour revoir un nouveau sourire sur son visage, mais il se ravisa et les laissa toutes les deux.
A la place, il monta les escaliers quatre à quatre et brandit sa baguette pour faire un peu de rangement à l'étage. Il termina par leur chambre et lorsque le tiroir le plus bas de leur armoire à vêtements s'ouvrit pour laisser entrevoir la multitude de lettres qu'ils s'étaient échangées lorsqu'ils n'habitaient pas ensemble, il demeura immobile pendant quelques secondes, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine.
Il avait tout gardé, et elle aussi, mais il découvrait seulement maintenant qu'elle avait mis tous leurs échanges à l'abri, soigneusement rangés là où personne d'autre qu'eux ne pouvait y accéder. Elle l'aimait, et il avait beau avoir eu peur pendant un bref moment que ce ne soit plus le cas, en revoyant les parchemins, leurs écritures passionnées, la quantité de pages, simplement, il se rappela de la façon dont ils se languissaient de se voir, et de ses mots qui n'étaient destinés qu'à lui. C'était il n'y a pas si longtemps, mais il avait l'impression que des années entières s'étaient écoulées. Il se pencha pour s'en saisir. Il ne savait pas que Lily les gardait là, avec tout un tas d'autres souvenirs qu'il ne remarqua que quand il retira l'énorme paquet d'enveloppes.
Il reconnut immédiatement la plume rouge et or qui venait de Scribenpenne et que sa mère avait achetée à Lily la première fois qu'elles s'étaient rencontrées, juste avant leur premier rendez-vous que la petite Charity avait intelligemment arrangé sans qu'aucun des deux ne s'en aperçoive.
Il remarqua aussi deux invitations à l'anniversaire de Mary. La première datait d'une année auparavant, l'autre de quelques mois plus tôt. Il esquissa un sourire en repensant à ce qu'il s'était passé à ces soirées là, et plus exactement à la première. Ils avaient tout fait dans le désordre, mais ils avaient quand même réussi à se retrouver. Il eut un petit pincement au cœur quand il repensa à ce qu'il s'était passé entre temps, à Marlène, à ces disputes qu'ils avaient eues, à ce que Lily et lui avaient vécu, chacun de leur côté, à faire semblant de ne jamais s'être touchés alors même que les souvenirs étaient encrés en eux d'une telle façon qu'il se rappelait exactement de la sensation de ses mains sur lui cette nuit là et qu'il était certain que c'était pareil pour elle.
Il rangea les invitations sur le côté du tiroir et ses doigts glissèrent sur deux enveloppes qui regorgeaient de petits mots en tout genre. De celle de Lily s'échappait un dessin d'elle et de Mary qu'il lui avait offert le soir de l'anniversaire. Ses yeux bruns tombèrent sur le vif d'or qu'il avait dessiné dans un coin du morceau de parchemin à l'intérieur duquel figuraient ses initiales ainsi que celles de Lily.
Il les fixa pendant un long moment, l'esprit soudainement très clair. Il avait gribouillé ces initiales pendant trop longtemps sur ses feuilles de cours, les avait aussi imaginées d'une autre façon, avec un simple petit changement qui faisait pourtant toute la différence, et là, dans leur chambre, il se demanda pourquoi il n'y repensait que maintenant quand cela l'avait obsédé pendant si longtemps.
Il referma le tiroir sans fouiller d'avantage et descendit les escaliers. Il n'entendait plus les voix de Mary et Lily dans la cuisine et aucune des deux ne s'y trouvait. Il longea le couloir et s'arrêta dans l'encadrement de la porte du bureau. L'ancienne préfète était assise sur un tabouret et déposait de délicates touches de peinture sur un tableau dont il ne pouvait voir que le fond, une épaisse et sombre forêt.
Elle ne se retourna même pas quand le parquet craqua sous ses pas alors qu'il se rapprochait pour s'arrêter dans son dos, son regard tombant sur son pinceau au bout duquel apparaissait un gros chien noir qui lui était familier. Un sourire s'étala doucement sur son visage alors qu'il distinguait clairement la silhouette d'un cerf émergeant d'une arche formée par les arbres. Il n'y avait aucun doute sur son identité. C'était comme se regarder dans un miroir.
« Il faut que je la finisse avant d'essayer de l'animer. Je dois encore terminer Patmol et rajouter Queudver et Lunard et... »
Elle s'interrompit quand il noua ses bras autour de son cou et posa sa tête sur son épaule. Son pinceau trembla et elle le laissa reposer sur sa palette en prenant une inspiration un peu brutale. Ses doigts se crispèrent sur son avant bras et il la vit fermer les yeux. Elle profitait, et c'était bien plus que tout ce qu'elle ne lui avait donné ces derniers jours.
« C'est superbe Lily. »
Elle ne répondit pas tout de suite mais ses doigts glissèrent légèrement sous les manches de son pull comme si elle avait besoin de sa peau. Il n'avait pas espéré tant, pas avec toute cette tension qui les entourait depuis plusieurs jours.
« Je n'ai pas réussi à te saisir, dit-elle finalement, les yeux rivés sur le cerf de la peinture.
- J'espère que tu plaisantes. C'est parfait.
- Non. J'ai... J'ai toujours l'impression qu'il manque quelque chose. Il y a des morceaux de toi que je n'arriverai jamais à atteindre et je... A chaque fois que je peignais ce cerf, je... Merlin, je l'ai effacé à peu près quinze fois, souffla t-elle en s'appuyant un peu contre lui. »
Sa respiration se bloqua pendant une seconde. Il n'avait aucune idée qu'elle avait cette sensation là. Il avait toujours l'impression qu'elle le touchait là où personne le l'avait jamais touché, qu'elle savait exactement de quoi il était fait, et il fut pris au dépourvu. Il se contenta de caresser brièvement son épaule avec son pouce, la gardant toujours solidement calée contre lui.
« J'ai cru avoir réussi à un moment, mais maintenant je le regarde et je me dis que ce n'est pas suffisant, reprit-elle en penchant légèrement la tête. »
Il relâcha son étreinte, s'accroupit juste pour faire pivoter le tabouret et l'arrêta net lorsqu'elle lui fit face. Ses yeux tombèrent directement dans le sien et, alors que ses doigts étaient crispés sur le tabouret, ceux de Lily s'agrippèrent à ses avants bras.
« C'est exactement moi, lui dit-il.
- Non ce n'est pas toi, soupira t-elle. Tu es plus que ça.
- Plus ? S'étonna t-il. Plus quoi ?
- Plus tout. »
Elle posa sa main sur sa joue et le regarda avec une telle tendresse, une telle envie de percer au delà de tout ce qu'il lui avait déjà donné qu'il oublia presque à quel point ils s'étaient déchirés, mais il y avait ce nœud dans sa gorge qui n'était pas complètement délié et qui le lui rappelait constamment.
« Comment tu te sens ? demanda t-elle.
- Minable, répondit-il très honnêtement.
- Dans une semaine, tu retourneras là bas et tout ira mieux, Fol Oeil sait que tu es prêt à tout pour que la guerre s'arrête et...
- Pas à cause de ça, la coupa t-il en secouant rapidement la tête. Tant pis pour le ministère, honnêtement Lily, je ne pense qu'à toi. »
Il déglutit quand son regard tomba sur ses lèvres, mais sa main resta posée sur sa joue et son visage ne se rapprocha pas du sien. Il bascula sur ses genoux puis posa sa tête sur ses cuisses et les doigts de Lily plongèrent immédiatement dans ses cheveux noirs. Elle pouvait difficilement s'en empêcher, et cela lui allait.
« J'ai besoin que tu m'aimes comme avant, lâcha t-il. »
Sa voix était tremblante, des larmes commençaient à s'agglutiner dans ses yeux, et il savait qu'elles allaient probablement s'écraser sur son jean, qu'elle les sentirait et qu'elle le verrait pleurer pour ce qui lui sembla être la première fois, mais il n'y avait rien dont il se fichait plus à cet instant précis.
Il devina aussi, lorsque sa main se figea dans ses cheveux, qu'il l'avait prise au dépourvu. Il ne l'avait pas habituée à ça, à s'effondrer devant elle, à lui montrer exactement ce qu'il retenait, ce qui lui manquait, ce qu'il ne laissait personne voir de lui, mais tout était soudainement devenu écrasant et il était terrifié à l'idée de la perdre après tout cela, à l'idée qu'ils ne se remettent jamais vraiment de ses mensonges, de leurs incompréhensions, et de sa faculté à détruire absolument tout ce qui avait de l'importance pour lui.
« James... l'appela t-elle d'une voix douce en essayant de soulever son visage pour le regarder. »
Il resserra ses bras autour d'elle et s'obstina à se cacher contre ses cuisses, et elle abdiqua immédiatement mais il sentit bientôt sa main masser sa nuque et le haut de son dos et il essaya de se focaliser sur sa respiration mais elle n'avait jamais été aussi inégale.
« Est-ce que tu n'as rien retenu de ces derniers jours ? souffla t-elle d'une voix un peu fébrile. »
Il ne répondit pas. Il ne le pouvait même pas. Il ne s'était jamais retrouvé dans un tel état avant, il ne savait même pas ce qu'il se passait, il avait juste l'impression que tout s'écroulait avec lui et son étreinte se resserra autour d'elle. Il voyait bien que ce n'était pas normal d'aimer autant, seulement voilà, il ne pouvait rien y faire. C'était trop pour lui. Probablement trop pour elle aussi. Mais il n'y avait pas de solution. Aucune. Il ne pouvait pas moins l'aimer, mais il avait eu l'impression ces derniers temps qu'elle en était capable, et ce simple constat l'avait achevé. Pourtant, quand elle reprit la parole, il réalisa à quel point ses peurs obscurcissaient son jugement.
« Je n'arrive pas à arrêter de te toucher. Merlin je... Même quand je suis en colère contre toi je... Je ne peux pas respirer si je ne te sens pas contre moi et je... Je suis positivement certaine que je suis dingue à certains moments et... Et j'ai l'impression que si je te le dis tu vas prendre peur alors j'essaie juste de faire comme si tout était normal mais vraiment je... Je ne crois pas qu'on puisse aimer plus que ça. »
Il resta figé un long moment, la respiration coupée comme si un boulet de canon venait de lui être tiré dans l'estomac. Comment pouvait-elle penser une seule seconde ne pas réussir à l'atteindre alors que les mots qu'elle venait de prononcer faisaient échos à ceux qui le narguaient dans sa tête depuis plus longtemps qu'il ne l'avouerait jamais, lui donnant régulièrement l'impression d'être profondément cinglé ?
« James, s'il te plaît... Dis quelque chose. »
Il aurait voulu. Il aurait sincèrement aimé pouvoir lui répondre, mais sa gorge était nouée. Il ferma juste les yeux et se cala un peu plus confortablement contre elle, glissant sa main sous son pull, dans le bas de son dos, là où il pouvait atteindre sa peau, et ce simple contact dut lui suffire puisqu'elle laissa échapper un discret soupir de soulagement. A chaque fois que ses doigts l'effleuraient, une nouvelle crainte s'envolait, et bientôt, tout redevint paisible et intime et tendre et rassurant et il sut qu'ils iraient bien.
