Carotte - 177 mots
« Robin, ce type d'intrusion n'est vraiment pas fait pour toi, objecta Gilles en jetant un coup d'œil, par-dessus le bras de son aîné, sur le potager qui s'étendait de l'autre côté du mur.
-Et pourquoi pas ? rétorqua l'archer en suivant son regard, jusqu'aux gardes armés d'arbalètes qui surveillaient le jardin.
-Tu es trop grand ! Et pas assez discret, répondit son frère en lui donnant une grande tape sur les épaules. Je suis plus petit et moins encombrant. Laisse-moi y aller. Ou alors, changeons de cible.
-Encombrant ? protesta Robin. Encore une preuve que nous avons besoin de voler ces carottes : ça te rendra plus aimable !
-Robin, s'il te plaît, ne fais pas le bébé !
-Non, Gilles, hors de question que je te laisse mettre les pieds là-dedans. C'est trop dangereux ! »
"Trop dangereux", voilà une chose qu'il lui avait déjà dite souvent. Robin ne doutait pas de la capacité de son frère à se débrouiller seul, mais c'était plus fort que lui, il refusait de le mettre autant en danger.
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Sursis - 144 mots
Robin se colla un peu plus à Pierre tandis qu'ils se réfugiaient derrière un mur aux trois quarts détruits, à la recherche vaine et désespérée de quelques minutes de sursis. Sans se concerter, les deux jeunes nobles cherchèrent à tâtons la main de l'autre et la serrèrent fort. Leurs visages étaient couverts de terre, leurs habits de sang, et leurs cheveux respectivement blonds et châtains-roux, emmêlés et poisseux. Ils ressemblaient vraiment à des enfants, comme ça, perdus en pays inconnu, tremblant de peur au milieu de cette guerre sans merci. Robin fut le premier à faire l'effort de se reprendre. Il n'était pas question qu'il laisse à ces Maures la satisfaction de les tuer ! Et hors de question qu'il laisse Pierre se noyer dans la souffrance. C'était comme son frère et il était le moins endurant des deux. Il devait veiller sur lui.
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Flammes - 176 mots
Gilles soupira en sentant une nouvelle fois son corps tanguer comme sous l'effet d'un déséquilibre, alors qu'il était allongé. C'était sûrement la fièvre qui lui donnait ces sensations étranges, de même que ces terribles cauchemars où il se voyait mourir dans un incendie avec sa mère, brûlé pour être le fils de son père, un « adorateur du Diable » ou même carrément en Enfer à cause de son passé de voleur et de croyant modérément dévoué. Il savait pourtant que tout cela était faux… enfin, au moins ses deux premières hallucinations. Peut-être qu'il devrait songer à s'éloigner des flammes de la cheminée devant lesquelles il était allongé, elles étaient trop près, elles lui donnaient trop chaud…
« Hé ? Comment tu te sens ? Pas mieux ? »
Gilles leva vaguement les yeux sur son frère, qui glissa une main sous sa tête pour la soulever, s'assoir sur la banquette et la reposer sur ses genoux. Instantanément, le jeune voleur se sentit mieux. Ses cauchemars se transformèrent en songes plus calmes et remplis de douceur.
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Tapisserie - 195 mots
Robin s'accroupit derrière la chaise où était assis son frère et passa ses bras autour de son cou, puis posa sa tête sur son épaule.
« Alors, il paraît que tu t'es occupé personnellement de la nouvelle tapisserie que Marianne a commandée pour le château ? s'enquit-il en souriant.
-Oui, et avec le plus grand sérieux, répondit Gilles avec un rictus que son frère ne put pas discerner correctement. As-tu hâte de la voir ?
-Beaucoup. »
Cependant, quelques mois plus tard, lorsqu'ils reçurent la commande, Robin fut obligé de constater que ce n'était pas exactement ce à quoi il s'attendait.
« Gilles ! cria-t-il après son frère dans tout le château. C'est quoi, ça ?
-Une tapisserie qui raconte tes exploits ! répondit son frère en riant si fort qu'il faillit tomber du lit où son aîné venait de le plaquer. N'est-elle pas assez représentative ?
-Si, mais pourquoi as-tu mis ce moment gênant où je me suis abîmé avec la charrette de Frère Tuck dans la rivière ?
-Oh, mon frère, tu sais très bien pourquoi ! Mais ne t'inquiète pas. Ça le rend plus humain, et ça c'est bien, non ? »
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Pirouette - 223 mots
C'était, à l'origine, une situation tout à fait sérieuse. Le pigeon voyageur qui transportait une missive de Marianne pour Robin - quelque chose que les deux tourtereaux pratiquaient parce qu'ils pouvaient être vraiment nunuches, par moments, de l'avis de Gilles - avait décidé de se percher dans un arbre à l'orée du bois et de ne plus redescendre. Gilles avait donc grimpé les branches pour aller le chercher et, depuis, il s'échinait à la fois à ne pas tomber et à ne pas effrayer l'oiseau.
« Allez, viens ici, stupide volatile, marmonna le jeune voleur en esquissant un pas de plus, puis en effectuant une pirouette aussi soudaine qu'impressionnante pour éviter une branche qui lui tombait dessus. »
Ce mouvement brusque eut pour effet de le rapprocher d'un coup du pigeon et il parvint à le coincer dans ses mains avant de perdre son appui et de tomber de l'arbre. Heureusement, Robin était juste en-dessous et le rattrapa directement dans ses bras.
« Pourquoi est-ce qu'ils applaudissent comme ça ? s'étonna-t-il en se tournant vers la foule qui les observait depuis le début.
-Ils ont dû nous prendre pour des troubadours, rétorqua son frère en maintenant fermement le pigeon. Regarde, ils se mettent même à nous lancer des pièces ! Tu sais quoi, je crois bien que je vais changer de métier ! »
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Couvercle - 199 mots
Lord Locksley était en train de travailler à son bureau lorsqu'une redoutable odeur de navet parvint jusqu'à lui. Il fronça les sourcils, perplexe. C'était la première fois que les fumets de nourriture étaient aussi forts et en plus, il n'aimait vraiment pas un grand amateur de navets. Il se leva de son siège, descendit jusqu'aux cuisines et constata que tous les couvercles de toutes les marmites avaient disparu. Ce constat le fit tomber en arrêt. Un voleur de couvercles ? Dans son château ? Heureusement, des petits pas derrière lui résolurent bien vite le problème.
« Père, regardez ! s'exclama le petit Robin, tout fier, en lui montrant son bouclier improvisé. C'est mon équipement de chevalier !
-Et le chevalier Du Navet avait-il vraiment besoin de voler tous ces couvercles ? demanda le comte en se penchant pour soulever son fils dans ses bras.
-C'est que je dois être prêt à enchaîner les batailles !
-Hum. C'est une bataille contre les légumes que nous devrons mener, au souper, quand ta mère essaiera de nous faire avaler ce potage. Que dirais-tu que je t'emmène trouver un vrai bouclier ? Ça devrait nous occuper jusqu'à ce qu'elle aille se coucher. »
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Travail - 129 mots
Le petit Gilles avait toujours pensé que trouver un travail auquel on n'était pas destiné à la naissance était difficile, insurmontable, mais il avait été embauché très rapidement quand un seigneur avait demandé de la main d'œuvre pour préparer ce banquet gigantesque en l'honneur des épousailles de sa sœur. Le petit garçon de neuf ans s'était bien sûr émerveillé devant le luxe, la grandeur des lieux et la profusion de mets et de bijoux, mais il s'était rapidement astreint au calme. Il devait être concentré. Cet emploi était le seul qui lui permettrait de gagner de l'argent et d'acheter des médicaments à sa mère malade. Et qui sait ? Il pourrait peut-être en profiter pour lui voler un peu de nourriture, ici. Elle pourrait enfin manger comme une princesse.
