Chapitre 29 : La boucle est bouclée

Les roues de la voiture crissent sur le terrain gravillonné qui mène chez les Cullen et je ralentis pour éviter de me taper la tête contre le toit. Les amortisseurs de cette voiture ne valent rien. Mais bon, au moins, je l'ai récupérée.

J'avais complètement oublié que je l'avais laissée à Jacob pour qu'il me la répare sans que j'ai à payer d'indemnités. Finalement, c'est lui qui est venu nous rendre visite il y a quelques jours pour me dire qu'elle était comme neuve ! Enfin, aussi neuve qu'elle était avant mon accident, en tous cas.

J'ai dû vérifier les papiers et je me suis rendu compte que je devais payer des indemnités de toute façon… ayant largement dépassé la date à laquelle je devais rendre la voiture. En revanche, j'ai été sacrément surprise que personne de l'agence ne m'ait appelée pour la demander. Une fois que je les ai eus en ligne, ils m'ont dit que j'avais modifié la date de retour pour allonger mon séjour dans la région et que tout avait été payé.

Zéèv a simplement levé les yeux au ciel en marmonnant :

- Ces Cullen…

C'est donc la raison pour laquelle je me rends chez eux en ce moment. Il est hors de question qu'on me fasse l'aumône. Et aussi pour autre chose. Mais comme je suis trop stressée pour y penser, je me concentre uniquement sur cette première raison.

En arrivant au bout du chemin dans les bois, je débouche dans une large clairière qui semble ne pas être sous l'emprise du temps ou des avancées humaines. L'énorme villa blanche qui trône au centre a l'air hors de cet univers. Ici, on entre dans le monde parallèle des vampires.

Je me fais tellement tout un film dans ma tête, je fais pitié, des fois.

Oh, et Edward est là ! Contrôle tes pensées, Louve… je me morigène.

Je viens me garer pas loin de l'entrée de la maison et coupe le contact. Tout le monde m'aura entendu arriver, et ils doivent à présent m'attendre. Je sors de l'habitacle et monte les marches deux à deux. Avant que mes doigts ne puissent toucher la porte pour toquer, celle-ci s'ouvre sur Carlisle.

- Bonjour Louve, m'accueille sa voix de velours. Comment vas-tu ?

- Ça va Doc, et vous ?

Il m'invite à entrer dans un sourire et je me retrouve face à Edward et Bella, main dans la main, qui ont l'air de m'attendre.

- Salut les tourtereaux ! Ça fait longtemps Bella, ça va ?

- Très bien, merci, et toi ? me répond-elle poliment.

Elle n'est pas froide, juste réservée. Elle doit être timide. Étrange, pour un vampire. Son mari lève un sourcil en entendant mes pensées.

- Bonjour Louve, que puis-je faire pour toi aujourd'hui ?

Je m'avance un peu dans la pièce avant de lui répondre. Il sait déjà pourquoi je suis là, soit parce qu'il l'a lu dans mes pensées, soit parce que Alice le lui a dit avec son don de vision un peu flippant, mais il est courant. Comme sa femme, il fait seulement preuve de politesse envers moi.

- En fait, ce n'est pas toi particulièrement que je cherche.

Je me tourne vers eux, et me retrouve soudain face à trois têtes de plus. La femme de Carlisle, dont j'ai oublié le nom, Rosalie et Emmett sont là. Le couple le plus beau de la Terre me fixe, l'un avec un énorme sourire et l'autre plus distinguée, mais les deux ont l'air heureux de me voir.

- Je voudrais parler à la personne qui s'est occupé de l'assurance de ma voiture.

Comme personne n'a l'air de comprendre de ce dont je parle – ou certains font semblant, je reprends :

- Oui, vous savez, la voiture de location dans laquelle je suis arrivée ici la première fois ? Celle de l'accident qui m'a fait m'arrêter à Forks alors que ce n'était pas du tout prévu de base ?

Les lumières ont l'air de se faire là-haut, puisque Emmett éclate d'un grand rire et tout le monde a l'air moins perdu.

- Je crois avoir compris que l'un d'entre vous s'en est occupé pour moi… et a payé l'entièreté de ma facture. Alors je voudrais vous dire merci.

- C'était la moindre des choses à faire, Louve, me dit la femme de Carlisle dont j'ai retrouvé le nom maintenant : Esmée.

- Si nous pouvions t'enlever au moins une épine du pied, acquiesce le Doc.

- Je comprends, c'était très aimable de votre part. Cependant…

Edward sourit déjà, comme en anticipation des réactions de chacun.

- Je voudrais vous rembourser. Autant j'apprécie beaucoup votre geste, autant une facture entière, c'est un peu trop pour quelqu'un que vous connaissez à peine.

Rosalie lève les yeux au ciel et disparaît dans un coup de vent. Bah, qu'est-ce que j'ai dit ? Son mari vient me taper dans le dos, un peu fort, et me fait trébucher pour ensuite me rattraper avant que je ne m'éclate le cerveau par terre.

- Oups, désolé. Tu sais, pour tout l'argent que nous avons, on n'en a rien à faire. Du tout.

Sur ce, il s'éclipse aussi vite que sa belle, sûrement pour la rejoindre. Hum. D'acc. Mais non en fait.

- S'il-vous-plaît Esmée, je plaide en me tournant vers elle. Ça me tient vraiment à cœur.

Oui, oui, je suis une connasse. Je m'en prends à elle seulement parce qu'elle a l'air d'être la plus empathique de cette maisonnée et que je suis persuadée d'avoir plus de chance avec les autres si je passe par elle d'abord. C'est stratégique.

Celle-ci me regarde en me souriant, l'air désolé. Oh oh.

- Je comprends, mais vraiment, ce n'est pas nécessaire. Ça nous fait plaisir.

Elle me caresse timidement la joue puis disparaît à son tour. Je souffle, frustrée. A quel point sont-ils riches, pour se foutre de leur argent à ce point ? Le Doc me lance un regard compatissant avant de partir à la suite de sa femme. Je me retrouve alors seule avec Bella et Edward. La jeune femme a l'air de plaider quelque chose des yeux vers son mari. Hum, intéressant.

Celui-ci l'avise un instant avant de souffler et de secouer la tête. Il se baisse pour l'embrasser chastement alors que je me retourne vivement pour leur donner de l'intimité. Je déteste quand les gens font ça juste devant moi. Ils sont beaucoup trop mignons pour leur bien et le mien.

Finalement, Edward se gratte la gorge derrière moi et je pirouette pour lui faire face. Bella a disparu. Nous sommes seuls dans le grand salon.

- Désolé, je ne peux rien faire pour ta location. Tu devrais garder cet argent pour autre chose, me suggère-t-il et je me retiens de lever les yeux au ciel.

Je sais très bien comment gérer mon argent, merci beaucoup. Mais ça vient d'une bonne intention, donc je reste silencieuse. Même s'il peut entendre mes pensées, donc au final, ça ne change pas grand-chose pour lui.

- Mais je crois que tu viens pour autre chose également ?

Je soupire, mon angoisse remonte en flèche.

- Oui… je marmonne, mal à l'aise. Je me demandais… pourquoi je te dis ça, déjà ? Tu sais déjà ce que je vais dire, n'est-ce pas ?

Il retient un rire, se pince les lèvres. Puis d'un geste plus élégant que je n'aurai jamais, il m'invite à m'asseoir sur le canapé blanc. Je m'y installe et il se plante en face de moi, toujours aussi gracieux.

- C'est vrai, mais ça ne nous empêche pas de continuer d'avoir une conversation normale, tu ne penses pas ?

Okay, message reçu. Il ne veut pas m'aider.

- Je me demandais si ton offre tenait toujours, je dis finalement en un souffle. Je veux dire, ton pote qui bosse dans le label de musique à Seattle. Ce serait cool si… enfin, j'aimerais bien le rencontrer. Évaluer mes chances.

- Bien sûr, dit-il avant d'ajouter : Je ne m'attendais pas à ce que tu viennes me voir si tôt à ce propos.

Je hausse les épaules. Les méandres du système de mon cerveau sont un mystère, même pour moi.

- Quand serais-tu disponible pour prévoir un rendez-vous ?

- Quand tu veux, je réponds. Pour l'instant, je n'ai pas grand-chose de prévu, j'ai à peu près jusqu'au mois de Juillet prochain de libre, je rigole en espérant me détendre un peu.

Ça ne marche pas.

- Disons la semaine prochaine, dans ce cas ? Je vais appeler Luke et je reviendrai vers toi avec une date et un horaire, si ça te va.

- Oui, c'est parfait ! Est-ce que tu penses… comment dire. Que j'aurai besoin d'apporter mon travail ?

- Très probablement, acquiesce-t-il. Tu devrais essayer d'enregistrer Rosalie avant ça, d'après ce que j'ai vu, ce morceau sera très réussi.

Je hoche la tête, gênée qu'il sache sur quoi je travaille. D'un autre côté, il serait temps que j'arrête d'être si embarrassée à chaque fois qu'il s'agit de montrer mon travail à qui que ce soit, si je veux en faire un métier.

- D'ailleurs…

Il s'arrête et a l'air d'hésiter. Je l'enjoins à continuer d'un mouvement du menton.

- Est-ce que ça te dérangerait de retourner sur Seattle pour ce rendez-vous ? Je ne pense pas que Luke puisse faire le déplacement jusqu'ici, malheureusement.

- Non, bien sûr ! C'est la moindre des choses. J'irai en voiture.

- Pourrais-je t'accompagner ?

Je suis surprise qu'il me le demande.

- Oui, évidemment ! C'est ton ami à toi, après tout.

Il me sourit, reconnaissant.

- J'espère que tu aimes la vitesse alors, car c'est moi qui conduirai.

Je hausse les sourcils, l'air joueuse. J'adore la vitesse.

Deux jours plus tard, je reçois un coup de fil d'Edward – j'ai complètement arrêté de l'appeler la crevette, encore plus depuis qu'il m'offre une opportunité de travail. Ça me manque, mais ça me paraît plus respectueux. Je sais à quel point il détestait ce surnom.

Même s'il me faisait bien rire, quand même.

Je me redresse dans le canapé et saute sur mes pieds en décrochant.

- Hey ! je m'exclame alors que je sens le regard de Zéèv qui me brûle le dos.

J'étais complètement avachie sur lui, en train de m'endormir sous ses caresses, devant un film Disney. Je serais complètement incapable de dire lequel tellement j'étais déconcentrée. Ou plutôt, distraite.

- Bonjour Louve.

La voix du vampire est toujours aussi calme et posée, et ça a le mérite de m'angoisser davantage. Je commence à sauter partout.

- Alors, alors ?

J'entends son rire retentir et je me retiens de lui crier dessus. Je suis beaucoup trop sur les nerfs, mais ça fait deux jours que j'attends son appel et que je m'angoisse toute seule – probablement inutilement.

- Eh bien, nous avons rendez-vous la semaine prochaine, comme prévu. Mercredi à 11h30, plus précisément. Est-ce que ça te va ?

- Évidemment ! je m'écrie, avant de me forcer à contenir mon énergie. Je veux dire, c'est super, merci. A Seattle, donc ?

- Absolument, mais pas au label. Il m'a proposé de nous inviter à manger dans un restaurant du centre-ville où il aime rencontrer des clients.

Je reste silencieuse un court instant avant de lui répondre :

- Toi, tu vas manger ?

C'est très clair dans ma voix que je me retiens de rire. Je suis quasiment sûre qu'il lève les yeux au ciel actuellement.

- Je veux dire, tu vas aller dans un restaurant, commander de la nourriture, et manger ?

J'éclate de rire à l'image que j'ai dans la tête. Ça ne colle juste pas.

- Non Louve. Je vais aller dans un restaurant, je vais commander un plat et c'est toi qui le mangeras pour moi.

Je sens son sourire dans sa voix et le mien disparaît.

- Donc si jamais tu gâches, ce sera de ma faute, c'est ça ?

- Tu m'illumines avec ton intelligence, Louve.

Ça y est. Tant pis. Je craque.

- Et toi, par ton machiavélisme, la crevette.

Héhé. Je suis fière de moi. Je l'ai eu. Il ne répond rien, probablement énervé que je lui rende son surnom.

- Je passerai te prendre mercredi à 9h, sois prête.

- 9h ? On arrivera en retard !

Mais il a déjà raccroché. Il faut trois bonnes heures pour aller d'ici au centre de Seattle, on n'aura jamais le temps d'y être pour 11h30. Mais visiblement, ça n'a pas l'air de l'inquiéter. Nom d'un chihuahua en boîte.

Je tourne sur mes pas pour revenir vers Zéèv, toujours à moitié avachi sur le canapé, devant le film qu'il n'a pas jugé bon de pauser le temps de mon coup de fil. Bon, ce n'est pas comme si j'étais très concentrée dessus, mais quand même. En y jetant un œil, je découvre que nous regardons Raya et Le Dernier Dragon depuis près d'une heure. J'adore ce film, je ne sais pas comment j'ai pu l'ignorer à ce point. Enfin.

Mon loup m'observe, un fantôme de sourire courant sur les lèvres.

- Edward conduit comme un dératé, m'explique-t-il. En partant à 9h, vous arriverez largement à l'heure, si ce n'est en avance.

Je hoche la tête puis range mon téléphone dans ma poche avant de me jeter sur lui pour retrouver ma précédente position. Ses bras se referment sur moi et il m'embrasse le haut du crâne. Je savoure.

- Il a intérêt à ne pas me mettre en retard, je maugrée malgré tout.

- Il ne te mettrait jamais dans une position pareille, fais-lui confiance.

Je le sais, mais je suis un peu de mauvaise foi après qu'il m'ait raccroché au nez.

- Tu penses que j'ai une chance ? je murmure après un moment.

Il stoppe ses caresses dans mes cheveux.

- Bien sûr. J'en suis persuadé et Edward aussi. Il ne t'aurait pas proposé ça, sinon. Il n'y a que toi qui doute de toi ici. Aie confiance en ton talent, tu verras que tu iras loin.

Je n'ose rien répondre, touchée par ses mots qui vibrent de sincérité.

- Merci, je chuchote.

Je resserre mes bras autour de lui et il reprend ses caresses.

Dans le fond, il a raison. Je sais que j'ai des capacités, un potentiel certain. Parce que composer, c'est que j'aime par-dessus tout, c'est ce qui m'anime. Mais entre le vivre pour moi seule, sans le montrer à personne, me baser sur mes propres critères de qualité et en faire un métier ce sont deux choses largement différentes.

Il faut que j'arrive à avoir confiance en mes créations, comme dit Zéèv. Après tout, si je rencontre Luke, et qu'il voit une gamine qui n'a aucune expérience mais qui en plus n'est pas capable de dire avec aplomb que son taff est super, ça risque d'être compliqué pour lui de voir quoi que ce soit qui lui donnerait envie de m'embaucher. C'est à moi de me vendre, et de vendre mon travail. C'est comme ça que ça marche.

Techniquement, je le sais. Mais je ne m'attendais pas à devoir me mettre dans cet optique si tôt dans mon parcours. Normalement, cette année était sensée être la dernière année tranquille avant de faire des études et de rentrer dans un schéma plus classique de carrière.

Et pourtant, voilà où j'en suis aujourd'hui. J'ai un copain, qui s'avère être un loup-garou et qui s'est entiché de moi d'une façon complètement surnaturelle et fantastique. J'ai des amis loup-garous et vampires qui forment une belle et étrange famille. Et j'ai survécu aux attaques mentales d'un vampire très chelou, à moitié sympa et à moitié méga flippant. Et à présent, je m'apprête à aller à un entretien d'embauche pour travailler dans un label de musique aux États-Unis, une chance que je n'aurais jamais espéré rêver.

La vie est vraiment inattendue, parfois.