Bonjour/Bonsoir,

Tout d'abord, j'espère que vous allez bien.

La vie IRL étant ce qu'elle est, la reprise de l'écriture aura été longue et difficile sur cette fiction. Pour autant, elle n'est pas à l'abandon. Ce chapitre est bien plus centré sur Jaime et Brienne et après réflexion, j'ai décidé d'en faire un Interlude. La suite est partiellement écrite et fera la part belle à la guerre, parce que j'ai hâte de reprendre la castagne. Donc voilà un chapitre assez calme.

Petite note tout de même : les premiers points de vue ne sont pas ceux des chevaliers, mais sont là pour donner une idée du contexte politique. Je n'avais pas prévu de les inclure là particulièrement, mais après une discussion avec Lassa, j'ai pensé les glisser là. Pour ceux qui ne s'intéressent qu'aux Lannister, sachez que ces points de vue auront une incidence sur eux.

Et si vous voulez comprendre les points de vue de Jaime et Brienne dans ce chapitre, celui de Leth est totalement indispensable.

Bref, bonne lecture.

DES LOUPS ET DES PACTES

Interlude

- 1 -

Edmure, Sud du domaine Arryn.

Des flocons épars voletaient dans le ciel gris, jusqu'à la mer. Agitée durant des jours, elle avait enfin commencé à s'apaiser. Le château, modeste par la taille autant que par la hauteur, se dressait à quelques dizaines de mètres de la mer. La neige couvrait encore la pierre d'une fine pellicule blanche, mais les jours de tempête étaient passés. Peu à peu, malgré le froid mordant qui persistait et qui, la nuit venait, parvenait encore à couvrir les murs de stalactites, le plus terrible de l'Hiver s'estompait. Il faudrait encore des semaines avant que le soleil ne chauffe à nouveau la terre, et des mois avant que les cultures ne renaissent dans les champs, mais le pire était passé.

- Vous v'là levé, lord Tully.

Levé était un bien grand mot. Edmure n'avait pas le sentiment de tenir debout. Il se faisait l'effet d'un pantin désarticulé qui aurait tenté de se libérer des fils de son marionnettiste.

Il s'était réveillé plusieurs jours plus tôt dans une étroite chambre aux pierres sombres, sans aucun souvenir de la façon dont il était parvenu, ni du temps depuis lequel il s'y trouvait. Il se sentait faible, presque mort, même, et une septa qui venait prendre soin de lui l'avait averti, dès son réveil, qu'il était arrivé au château depuis longtemps déjà et avait déliré durant plusieurs semaines. De fait, Edmure s'était révélé incapable de se lever, et avait dû subir, humilié, qu'on procède à sa toilette et qu'on lui donne la becquée pour le nourrir. Mais il n'avait pas réussi à s'en plaindre, car, épuisé, il était vite retombé dans le sommeil.

Près d'une semaine s'était écoulée et désormais, il parvenait à se lever et à s'habiller presque seul. On ne lui avait toujours pas fait rencontrer son geôlier – ou son sauveur – pas plus qu'on ne l'avait autorisé à quitter sa chambre. Il avait réappris laborieusement à se lever et à faire quelques pas, sans pouvoir encore se passer d'appui.

Edmure se retourna péniblement, une main sur le rebord de la fenêtre, une autre sur le dossier de la seule chaise de la pièce. L'homme qui avait passé la porte de sa chambre avait moins bonne mine que certains cadavres qu'Edmure avait rencontrés dans sa vie. Visage labouré de cicatrices, dents manquantes, regard torve que surmontaient des cheveux filasses, il n'inspirait aucune sympathie.

- Vous êtes ? demanda Edmure en contrôlant son souffle de son mieux.

Il se faisait l'effet d'un de ces malades des poumons dont on ne pouvait plus tirer que des murmures éraillés. De la même manière, il avait eu de la peine à se reconnaître quand on lui avait apporté un miroir, deux jours plus tôt. Cheveux plus longs et blanchis, visage émacié vieilli prématurément, peau livide : il n'était plus que l'ombre de lui-même.

- Ser Ryden Frey, dit l'homme en esquissant un sourire.

Où ce qui aurait dû en être un, mais le résultat insufflait plus de peur que de confiance.

- Je ne me souviens pas de vous, dit Edmure, et sa voix s'érailla sur les dernières syllabes. Je ne crois pas vous avoir déjà rencontré mais…

Il prit une courte inspiration, avant d'achever :

- Si c'est à vous que je dois d'être libre aujourd'hui, alors aucun mot ne saurait vous remercier suffisamment.

- Alors oui, c'est bien à moi qu'vous devez d'être libre, répondit Ryden Frey en fermant la porte et en s'asseyant familièrement sur le lit d'Edmure. Et non, on s'était jamais vus avant aujourd'hui. Mais pour ce qu'est de me remercier, je suis sûr qu'vous trouverez de quoi faire.

Edmure le dévisagea sans un mot. Il s'y était attendu. Depuis qu'il avait réellement repris conscience de son environnement et s'était senti assez remis pour réfléchir, il avait retourné dans sa tête toutes les possibilités. Il n'y avait plus de famille à qui demander une rançon pour son enlèvement. Sansa et Arya n'étaient plus de son sang, ces traîtresses vendues aux Lannister. Bran, peut-être, aurait plus de jugeote. Mais Edmure ne gardait de lui qu'un souvenir vague, et celui d'un enfant naïf encore. Que serait l'avis du jeune homme infirme qui tenait le Nord ? Il ne pouvait pas le deviner, mais préférait penser que son neveu serait aussi mauvais envers lui que l'avaient été ses nièces. Restait Robyn Arryn. Quel âge avait-il maintenant : dix-sept, dix-huit ans ? Il tenait les Eyriés et suivait le commandement de la reine des Six Couronnes, donc Sansa. On ne pouvait pas croire sérieusement qu'il puisse se rebeller contre elle. Edmure avait toujours entendu dire de Robyn qu'il était faible. Il ne s'opposerait pas aux Stark et aux Lannister.

- Vous cogitez, commenta ser Ryden Frey. C'est pas très étonnant. A vot' place, j'en ferai autant.

- Je ne vois pas pour quelle raison vous pourriez avoir décidé de me sauver, dit honnêtement Edmure.

- Oh, moi j'vois. Regardez donc un peu mieux par la fenêtre. A c'te heure, elle devrait être en bas.

Edmure se tourna vers la vitre piquetée de givre et s'appuya contre elle pour regarder en contrebas. Il avait déjà remarqué qu'il se trouvait dans une tour d'un petit château, à peine plus qu'une propriété de vassal, dont les pierres sombres surmontaient une falaise agitée par le vent et l'écume. La cour, unique et centrale, n'avait aucune beauté et les écuries étaient minuscules. Mais, en regardant mieux, Edmure aperçut une femme qui déambulait sur le chemin de ronde enneigé. Elle avait un teint pâle et un beau visage aux cheveux noirs. Elle était jeune, surtout. Vingt-cinq ans tout au plus. Pendu à sa main, un enfant marchait avec précaution sur le sol blanc.

La respiration d'Edmure se bloqua quand son esprit fatigué, enfin, comprit qui ils étaient.

Roslin Tully, sa femme.

Roslin Tully, la fille de Walder Frey.

Alors l'enfant… Le garçon qui lui tenait la main et avait peut-être quatre ans…

- Roslin, dit ser Ryden. Ma cousine préférée. Un corps aussi joli que son visage, et qu'la maternité a pas trop abîmé, si vous voyez ce que je veux dire.

Edmure se détourna de la fenêtre avec raideur, pour croiser le regard lubrique de son sauveur. Celui-ci leva les mains en signe de paix.

- Ma pauvre femme s'en est allée rejoindre les dieux y a un peu plus de deux ans. Vous étiez l'captif des Lannister ou on vous disait mort, et moi, j'avais b'soin de réconfort après avoir été sauver c'te pauvre Roslin des lions.

Quelque chose de brûlant remonta la gorge d'Edmure, qui pinça les lèvres. C'était du dégoût plus que de la rage. Il n'avait connu Roslin que durant une nuit, après quoi il s'était enfui et ne l'avait plus jamais vue. Quand Jaime Lannister lui avait appris qu'elle avait eu un fils, il s'était même dit que peut-être, c'était un mensonge. Ou que cet enfant n'était pas de lui. Il ne savait plus que penser, que croire. Il se disait même parfois que son esprit lui jouait des tours, qu'il n'y avait plus de véritable réalité, qu'une succession de rêves et de cauchemars.

Il n'avait pas le droit d'être jaloux. Ryden Frey s'était approprié ce qu'il avait été incapable de défendre. Il n'avait plus qu'à l'accepter.

- Elle pensait qu'vous seriez peut-être de not' côté, reprit ser Ryden quand il comprit qu'Edmure ne dirait rien. C'pour ça que quand on a su que vous étiez prisonnier de Port-Réal, j'ai commencé à réfléchir. A voir ce que j'pourrais faire. Vous êtes de la famille, après tout. Et puis, j'aime pas bien la façon dont la nouvelle reine essaie de contrôler ma Maison. Ces temps-ci, on reconnaît plus Les Jumeaux quand on s'y rend. Pas que j'y sois retourné depuis un moment, voyez…

Oui, Edmure voyait. Il n'avait aucun mal à croire que Sansa et les Lannister aient pris un contrôle absolu sur ce qu'il restait des possessions Tully. Pour la Maison Frey, ce devait être la même chose. Edmure ne pourrait jamais pardonner à Walder Frey ce qu'il avait fait aux Stark, mais face à la nouvelle reine… Et cet homme, même s'il baisait Roslin, avait tout de même sauvé sa vie et pris soin de son fils. Car le garçon dehors devait être son fils. Il ne pouvait pas en être autrement. Et alors…

- Qu'attendez-vous de moi ?

Le sourire de Ryden Frey s'élargit.

- On commence à en avoir assez d's'faire dominer par une pétasse rousse et un nabot d'or. Alors on s'est dit que peut-être, vous voudrez bien rassembler ce qui reste de votre armée et l'ajouter à ce qui reste de la nôtre. Et ensuite, on ira tuer la putain rousse et le nabot, et on reprendra enfin nos propres châteaux sans devoir demander la permission à personne. Vous en dites quoi ?

Edmure ne répondit pas immédiatement. Il se faisait l'impression d'une proie prise en chasse qui voyait le piège se refermer autour d'elle.

- Où sommes-nous ? demanda-t-il pour gagner du temps.

- Au Sud du domaine Arryn, à la limite de la frontière Tully. Le château paye pas de mine, je vous le concède. Mais au moins, on nous y fiche la paix.

- Nous ne sommes pas très loin de la capitale, alors.

- Pas loin, non.

Malgré lui, Edmure sentait déjà son esprit s'agiter. Il n'avait jamais été un homme illustre, il n'avait pas connu de succès particulier au combat, ne s'était illustré d'aucune manière. Mais il avait pour lui une expérience durement acquise qui s'était gravée dans sa chair.

- Tant que l'Hiver sera là, nous ne pourrons rien faire, dit-il avec lenteur, mais une fois les beaux jours revenus, nous serons bien placés pour lancer une attaque.

- L'temps s'adoucit. D'ici deux, peut-être trois mois, sera à nouveau possible de voyager. Mais d'ici deux ou trois mois, Port-Réal sera toujours un champ d'ruines. Et la putain sera peut-être même pas rentrée d'sa guerre de Dorne. Y aura que le nabot à éliminer. Ils ont plus d'armée, de toute façon.

- Il faudra néanmoins porter une seule attaque, poursuivit Edmure en se cramponnant au rebord de sa fenêtre.

Il était fébrile, mais son corps ne suivait pas l'agitation intellectuelle qui dévorait son énergie.

- Ils ne sont peut-être pas au meilleur de leur forme, mais ils ont encore quelques alliés. Il ne faudra leur laisser aucune chance. Avez-vous des hommes, une armée ?

Ryden Frey esquissa un sourire édenté.

- C'est là qu'le bas blesse. On a pas tellement d'gens pour nous suivre. Mais si vous voulez nous aider, on aura assez d'alliés pour détrôner ces usurpateurs. Alors ? Vous en êtes ?

Edmure ne répondit pas. Il savait déjà ce qu'il dirait, il savait que son interlocuteur le savait il n'avait pas le choix. Mais il ne voulait pas encore le dire. Il ne voulait pas encore avoir à formuler qu'il était redevenu le pantin d'un plus puissant seigneur que lui, et qu'on l'avait encore dépossédé de tout.

Mais évidemment, il répondrait « oui ». Il n'avait pas d'autres options.

- . -

Arya, domaine des Eyriés.

Le sommet des Eyriés était enneigé depuis des semaines. La neige s'accumulait dans les cours et sur les toits avec tant de force que pour un peu, l'on aurait pu se croire de retour dans le Nord, le véritable Nord, celui qu'Arya sentait couler dans ses veines depuis toujours. De longues stalactites tombaient des avant-toits, plusieurs couloirs avaient gelé et, malgré toutes les précautions prises par les conseillers de Robyn Arryn, il y avait eu de nombreux morts. Arya elle-même avait charrié les cadavres quand ceux-ci s'étaient accumulés sous les couches de givre. Le spectacle des couloirs envahis de miséreux glacés dans la nuit, aux membres rigidifiés et bleuis, était terrible et déprimant. Seul le souvenir des jours d'horreurs qui avaient suivis la bataille de la Longue Nuit avait permis à Arya de relativiser. Elle avait connu pire, plus grave encore, dans un dénuement plus terrible encore.

Mais alors, ce n'était pas à elle de charrier les cadavres.

Ces derniers jours, la violence du vent était retombée, le gel s'était adouci. Il y avait moins de morts dans les couloirs du château, moins de corps pressés les uns contre les autres dans les chambres. Il n'y avait plus la moindre pudeur depuis l'arrivée de l'Hiver. Tous les occupants du château, lady, seigneur, soldats, serviteurs ou simples gens du commun venus se réfugier dans la sûreté des murs de pierre, se massaient corps contre corps, à plusieurs sous les couvertures.

Il faudrait attendre encore longtemps avant que Meera Reed et Arya puissent repartir. Elles s'étaient réfugiées aux Eyriés peu avant la seconde vague de froid, quand la jeune louve avait reçu la visite onirique de Bran. C'était ce qui les avait sauvées, car sans cela, elles auraient sans doute été prises en plein blizzard et n'auraient jamais eu la chance d'arriver au château à temps.

Mais à présent…

Arya exécutait des pas de danse au milieu de la cour enneigée, l'épée à la main. Aiguille fendait l'air rapidement, précisément. Le froid et l'emprisonnement des dernières semaines avaient causé quelques raideurs à la jeune fille, mais elle restait redoutable, et elle savait, sans en rien penser, que des chevaliers de la garde personnelle de son cousin l'observaient depuis les fenêtres des couloirs supérieurs. Elle avait entendu quelques murmures sur son passage et sur celui de lady Meera, qui, elle, reprenait le tir à l'arc au fond de la cour, criblant de flèches les cibles pourtant difficiles qu'elle s'était installée.

Deux jeunes ladies qui maniaient les armes de la sorte ne constituaient pas une norme pour les hauteurs des Eyriés. Arya le savait, et se moquait de la curiosité qu'on lui témoignait. Elle se contentait d'aimer la froidure du vent qui lui fouettait les joues tandis qu'elle tournoyait, se fendait, esquivait une attaque imaginaire. Elle manquait d'adversaire. Meera, peut-être, serait d'humeur à lui en tenir lieu, une fois sa session de tirs terminée.

Elle en était là dans ses réflexions quand elle sentit quelque chose lui effleurer la main droite. Elle se figea en plein mouvement, la pointe de l'épée à hauteur de visage. Elle avait déjà senti cette sorte de pression, près d'un an auparavant. La sensation était si étrange qu'elle ne pouvait pas l'avoir oubliée, même si elle ne s'était plus manifestée de cette manière depuis. Lentement, elle abaissa Aiguille.

Bran.

Elle se tourna vers lui, et son regard n'accrocha d'abord que le vide, puis, au milieu des flocons qui voletaient, elle crut apercevoir quelque chose. Comme si un visage avait commencé à émerger de l'air froid. Par contraste avec la pierre de la cour, il était possible, en plissant les yeux, de distinguer les traits flous d'un visage vers lequel Arya devait lever la tête.

- Que se passe-t-il ?

La question avait franchi ses lèvres sans même qu'elle n'y pense. Ce qui formait le visage de son frère demeura impassible, mais sa voix résonna à l'arrière du crâne d'Arya, comme un murmure qui serait venu de derrière.

- Une armée marchera sur Port-Réal dès la fin de l'Hiver pour défaire Sansa.

La sentence tomba dans le silence ouaté de la cour. Pourtant, Arya ne sentit aucune peur lui saisir le cœur. La guerrière en elle avait trop vécu pour ça. Après la Longue Nuit et la chute de Port-Réal, elle se sentait curieusement calme à l'idée d'une menace mortelle pesant sur sa sœur et sa couronne.

- Qui ? demanda-t-elle.

Elle tentait de fixer les yeux transparents de Bran, mais la neige brouillait les contours de l'apparition. Le garçon-Corneille lui était déjà apparu plusieurs fois, mais jamais ainsi. Soit il se manifestait sous son véritable visage, en songe, soit il n'était qu'une chaleur, une présence invisible dont la voix portait au-delà des frontières.

- Edmure Tully, répondit la voix désincarnée.

A nouveau, Arya n'éprouva qu'un calme profond, étrange. La mention de son oncle n'évoquait rien en elle. Elle n'avait rien ressenti quand elle avait procédé à son arrestation, des mois auparavant, alors qu'il pénétrait dans l'enceinte du Donjon Rouge avec son armée.

- Il s'est échappé de Port-Réal et sera bientôt à la tête d'une armée, dit encore Bran. La ville n'est pas en capacité de se défendre seule. Et l'armée de Dorne qu'est allée trouver Sansa a trop à faire au Sud de Westeros pour se préoccuper de la capitale.

La jeune fille hocha la tête une fois, gravement.

Tout cela avait-il été écrit longtemps auparavant ? Si elle avait posé la question à Bran, il lui aurait probablement affirmé que oui. Arya n'était pas certaine de posséder un avis tranché sur la notion de destinée. Cela faisait longtemps que les dieux et les notions nébuleuses qui les accompagnaient ne l'intéressaient plus. La réalité des dragons et des Marcheurs, ainsi que les capacités de son frère, étaient des choses fabuleuses et mystérieuses dont la nature profonde lui échappait.

Peu importait.

Elle avait en sa meute une confiance aveugle.

- Je vais dire à Robyn de rassembler son armée, dit-elle. Quand l'Hiver arrivera à son terme, nous partirons pour la capitale protéger la couronne de Sansa.

Il lui sembla que Bran souriait doucement, mais elle n'aurait su en être sûre. Le visage du garçon-Corneille se dissipa doucement dans les flocons et le vent, et la sensation de sa présence s'estompa. Il disparut sans même dire au revoir, et les éléments balayèrent sa visite comme un mirage.

Arya resta immobile quelques secondes, le regard perdu dans le vide. Elle sursauta presque au contact de Meera, qui s'était approchée en douceur.

- Quelque chose ne va pas ? s'enquit l'archère.

Arya se secoua mentalement et posa les yeux sur la jeune femme.

- Il se prépare encore une guerre.

.

- 2 -

Leth, cité libre de Ferboys, principauté de Dorne.

C'était le lendemain de l'entretien avec les seigneurs de Ferboys. Leth voyait le jour gris se dérouler avec un détachement teinté d'aigreur. Il avait réuni les guildiens sur le pont supérieur et dans les aubans, à la vue de tous, car il n'y avait guère d'autre moyen de convoquer un vote unique.

Celui-ci ne se déroulait pas comme il l'aurait espéré. Il le sut avant même de voir toutes les mains se lever, et le résultat, à mesure qu'il s'égrenait, se confirma.

Un guildien n'avait qu'une parole, et Leth avait donné la sienne à la reine. Il ne pourrait revenir dessus, et quand Leung acheva de compter les mains levées, il éprouva une sorte de déception.

Il ne pouvait s'empêcher de s'incliner devant le sens du devoir des siens, et la logique qui se dessinait sous le ciel des Tempêtes, mais il aurait donné cher pour que la décision qui l'emporte soit différente.

Ils restaient.

Quel que soit le chemin que prendrait la reine Sansa, aucun guildien ne reprendrait la mer pour Tarth avant longtemps.

Au moins Brienne ne fit-elle aucun commentaire. Ser Jaime et elle s'étaient tenus à l'écart du vote en silence, et avaient observé les délibérations avec impassibilité. Mais Leth n'avait pas besoin de discuter avec le chevalier pour comprendre que celui-ci aurait amplement préféré une autre décision.

- Les guildiens savent choisir leurs batailles, lui rappela Leung alors qu'il traversait le Brise-Tempête pour rallier le navire royal.

- J'aimerais tellement te croire, répliqua-t-il. J'ai bien peur que cette fois, ils aient commis une lourde erreur de jugement.

La Yi Tienne ne répondit rien. Elle avait la mine sombre, le regard perdu à l'horizon. Quoi qu'il se passât dans son esprit, elle n'arborait pas la même sérénité qu'à l'accoutumée. Aussi douée fût-elle pour le combat, aussi sûre fût-elle de leur équipage, elle aussi devait comprendre que cette fois-ci, peut-être, le pire ne serait pas qu'une menace. Leth pouvait presque voir se dessiner l'ébauche de la catastrophe, à la lisière du présent. Bientôt, ils y feraient face, sans aucun espoir de retour.

Ils n'étaient pas équipés. Ils n'étaient pas assez nombreux. Eux qui avaient toujours été parmi les équipages les plus efficaces, capables de lancer plusieurs attaques en ne subissant presque aucune perte…

- Il y aura des pertes, dit Leth d'une voix grave. Il y en aura forcément.

Il chercha le regard de sa sœur, le croisa. Leung resta à le fixer plusieurs secondes, puis se tourna vers le pont arrière, où se trouvait encore la plupart des guildiens.

- Ils le savent tous. C'est une décision prise en toute conscience.

- J'espère, commenta Leth avec aigreur.

- Ce qui n'empêcherait pas la reine de bien vouloir nous rendre un menu service, poursuivit Leung. Je crois savoir que nous avons deux chevaliers en butte avec la légalité ecclésiastique.

- Oui. J'imagine qu'elle pourra faire un geste.

Pendant une seconde, Leth fut tenté de dire à sa sœur de Guilde « Ordonne à Lannister de les ramener à la Guilde. Qu'il y traîne Brienne de force, s'il le faut. ». Mais il renonça avant même que les mots ne passent ses lèvres. Il savait que jamais la chevaleresse ne se laisserait pas faire. Il savait qu'à sa place, lui-même refuserait de fuir.

Il regarda Leung entreprendre l'escalade des gréments. Sans doute voudrait-elle observer les eaux relativement placides, et au loin, invisible à cette distance, leur île. Pendant un instant, Leth laissa son propre regard errer sur l ligne d'horizon. L'océan était gris ce jour-là, mâtiné d'écumes. Le sel de la mer se mêlait tant à tout, vêtements, peaux et cheveux, que Leth se faisait parfois la réflexion qu'un jour, au moment de sa mort, il se changerait en sel et irait se dissoudre dans les profondeurs de la mer. Une fin bien étrange, pour un Dothraki. La seule qui vaille, à ses yeux.

Il franchit le ponton installé entre les deux navires, et se fit annoncer à Sansa. Elle se trouvait seule dans sa cabine, penchée sur une liasse de documents dont elle leva les yeux à son entrée.

- C'est une décision qui me convient, dit la jeune reine quand il eût fini de lui annoncer la décision des guildiens. Et qui me soulage, je dois l'admettre.

- Voilà qui ne me surprend pas, rétorqua le guildien.

Son aplomb lui valut un regard étonné, mais aucun blâme. Visiblement, la jeune louve paraissait avoir compris qu'elle ne pouvait dominer et contrôler autant qu'elle l'aurait souhaité ceux qui acceptaient de la servir. Elle était reine, Leth devait le lui reconnaître. Il avait du respect pour elle et pour son royaume, mais c'étaient les seigneurs de Westeros qui l'avaient élue, non ceux de Tarth. Et si elle voulait que les guildiens combattent dans sa guerre, alors elle devrait les considérer, Leung et lui, comme les seigneurs de guerre guildiens qu'ils étaient.

Ils s'affrontèrent du regard durant quelques instants, avant que Sansa n'acquiesce.

- J'ai accepté de me plier au vote de mon équipage, reprit Leth, mais sachez que je ne prendrai aucun risque que je jugerai inconsidéré. Je ne mettrais pas la sécurité des miens en danger et je ne tolérerai pas que vous et vos généraux preniez des décisions à ma place en ce qui concerne les guildiens. Leung et moi sommes généraux de cette armée.

- Je ne l'oublierai pas, promit Sansa.

- Je l'espère, bien que ma sœur me l'ait assuré encore ce matin.

Il carra à nouveau les épaules dans une posture de salut, et emprunta sa voix de général.

- J'ai une requête à vous faire, avant que vous ne mettiez en place un plan de bataille. Non, se reprit-il avec un sourire amer, ce n'est une requête. C'est une exigence. Toute reine que vous soyez, vous aller nous conduire à la guerre et certains de mes frères et sœurs d'armes n'en reviendront pas. Alors c'est une exigence.

La jeune reine le dévisagea longuement, visiblement perplexe. Sans doute ne s'était-elle pas attendue à ce qu'il s'exprime de cette manière. Il ne s'y était pas attendu non plus.

- Je vous écoute, dit lentement la louve.

- Je veux que vous permettiez à ser Brienne et ser Jaime de se marier.

Le silence tomba comme une masse. Sansa avait écarquillé les yeux, visiblement pleinement prise de court. Leth en profita pour développer :

- Les coutumes westerosi n'ont pas cours à la Guilde, mais je doute qu'ils y vivent toute leur vie, et je ne tolérerai pas d'entendre encore les murmures insultants sur le chemin de ma sœur. Seul le mariage pourra l'en préserver, et vous êtes l'autorité suprême de ce pays.

Le souvenir d'une nuit, plus d'un mois auparavant, le frappa sournoisement. Lui-même avait employé ces insultes, avant de savoir. Lui-même avait été de ceux qui n'en finiraient pas de se montrer outrageants. Il y aurait toujours des rumeurs, des commentaires. Il était bien trop tard pour y mettre un terme, et nul ne l'ignorait. Mais le pire pouvait encore être évité, et bien que les coutumes des Andals n'aient jamais trouvé grâce aux yeux de Leth, il était prêt à faire ce qu'il fallait pour préserver sa sœur autant que faire se pouvait.

- Est-ce réellement une exigence de votre part ? demanda Sansa. Pensez-vous avoir le pouvoir de m'imposer quoi que ce soit ?

- Pas plus que vous n'avez celui de me le refuser, répliqua Leth. Voyez plutôt cela comme une compensation pour le massacre vers lequel vous nous menez. Je comprends que vous ne puissiez prendre de décision entièrement opposée à la politique de lord Selwyn car vous n'avez pas les forces militaires nécessaires pour le mater, même si le paradoxe de la guerre dans laquelle vous vous engagez ne manquera pas de vous sauter au visage.

Au moins Sansa eut-elle le bon goût de paraître gênée. Pour autant, la dureté de son regard revint si vite que Leth sut qu'il n'en faudrait pas plus pour que la jeune louve ne reprenne les rênes de la conversation et n'assoie son autorité. Il lui coupa l'herbe sous le pied en poursuivant avec assurance :

- Au nom de la Guilde, je suis le frère de ser Brienne. Si vous rédigiez un acte attestant de cette réalité, alors je serai en position, en qualité de chef de famille, de la marier en l'absence de son père.

Les yeux de Sansa s'écarquillèrent à mesure qu'elle comprenait où il voulait en venir.

- Je ne vous demande pas d'adopter une motion opposée à la politique tarthienne. Contentez-vous de me reconnaître le frère de Brienne. Elle doit être déshéritée de Tarth, à cette heure. Je ne me réclamerai d'aucun droit de gouverner son île ou ses possessions. Seulement celui de la conduire à un septon.

Pendant un long moment, ils se dévisagèrent sans mot dire. C'était un duel de volonté comme Leth en avait rarement mené. Il faisait face à une reine, non pas à l'une de ses tantes à qui il s'efforçait de faire comprendre son point de vue. Il se sentait acculé : les guildiens avaient rendu leur verdict et il s'y tiendrait, de la même manière qu'il n'avait jamais eu la possibilité de se prétendre l'égal d'une personne royale. Mais Westeros n'avait plus connu depuis des siècles un roi ou une reine qui soit en position aussi précaire. Jamais un Dothraki n'avait eu la possibilité d'imposer sa volonté à une reine Stark. Leth eut une brève pensée amusée pour la situation. L'Histoire ne retiendrait certainement pas son nom, et moins encore cette situation inédite. Difficile de croire qu'en de telles circonstances, il se contente d'imposer une chose aussi personnelle, aussi futile même, au regard de la situation politique.

Sansa reprit la parole d'un ton suspicieux :

- Cela ne vous fait-il rien de savoir que Jaime Lannister sera de votre famille ? J'ai peine à croire qu'une communauté aussi honorable et proche de l'ancienne famille gouvernante de Dorne puisse voir d'un bon œil l'arrivée du Régicide dans sa vaste famille.

Leth sentit ses lèvres s'étirer dans un sourire moqueur.

- Vous ne me ferez pas dire que j'apprécie cet homme, pas plus que vous n'entendrez dire que je suis heureux de me joindre à vous aujourd'hui. Mais ser Jaime fait partie de ma famille depuis son acceptation lors de la cérémonie des Tempêtes. Peu importe que nous nous aimions ou non. Tout ce qui compte, c'est notre conscience d'être guildien, et notre sens de l'honneur envers les autres et envers nous-mêmes. Les guildiens peuvent se détester entre eux, majesté, tant que nous nous souvenons de faire front commun en toutes circonstances. Brienne est ma sœur, et son bonheur m'importe autant que sa santé.

La verve de Leung lui revint en tête et son sourire disparut, alors qu'il ajoutait :

- Par ailleurs, tout parjuré qu'il soit, ser Jaime a su s'intégrer à la Guilde et accepter nos coutumes là où nombre d'Andals ont préféré nous traiter comme des monstres. Il est donc des nôtres, et si nous nous trouvions à la Guilde et en possession de l'un de vos foutus septons, la question serait réglée depuis longtemps.

Sansa le dévisageait en silence, et Leth pouvait presque voir ses pensées grouiller au-dessus de sa chevelure. Il la laissa réfléchir sans la presser. Il venait déjà d'outrepasser très largement son statut et une autre reine l'aurait sans doute rappelé à l'ordre de façon cinglante. Il ignorait s'il devait la tolérance de Sansa à son jeune âge, ou bien à son caractère. Il voulut croire en la deuxième possibilité. Il voulut croire que Brienne disait vrai, quand elle affirmait que son ancienne protégée ferait une bonne reine, sage car consciente de ses limites et méconnaissances.

Enfin, les mots tombèrent, comme une sentence.

- Passez-moi l'encrier.

- . -

Jaime

A son réveil ce jour-là, Jaime avait émergé avec la certitude que le monde allait encore se jouer de lui, et le vote des guildiens l'avait conforté dans cette idée. Il devrait se battre, encore, en crevant de peur pour quelqu'un d'autre. C'était douloureusement familier.

Il était en train de manger sans appétit un morceau de pain noir quand Leth avait traversé le navire d'un pas décidé pour venir leur annoncer d'un ton sans appel, parchemin en main, qu'il était le frère légal de Brienne, et qu'en qualité de quoi, il la marierait le jour même.

Les deux chevaliers étaient restés figés, incapables de dire un mot.

- Quoi ? avait finalement lâché Jaime.

- Quelle éloquence, avait raillé le Dothraki alors que sa sœur s'emparait du précieux document. Votre reine vient de signer ceci. Il est en mon pouvoir de conduire Brienne à l'autel et de l'y marier à qui elle le souhaite. Les épousailles sont toujours dans vos projets ?

- Oui, avait balbutié la chevaleresse. Bien sûr.

- Alors hâtez-vous de trouver de quoi paraître. Le temps d'annoncer la nouvelle au septon local, et cette histoire sera réglée.

La suite n'avait eu aucun sens. Il n'était pas midi quand Sansa envoya ser Davos informer les seigneurs de Ferboys de sa volonté de procéder à un mariage en échange de sa participation à la guerre de Dorne. Moins d'une heure plus tard, le vieux marin était revenu avec l'accord et la bénédiction de lord Cassian et lord Quentyn. A peine quelques minutes plus tard, Jaime et Brienne descendaient à terre pour se faufiler à travers la ville jusqu'au septuaire. Un serviteur de lord Cassian les escorta, et ne se priva pas pour les observer du coin de l'œil. L'idée d'une chevaleresse ne semblait pas le choquer plus que cela, et eût égard à ce qu'il subissait depuis le début de la guerre, Jaime était d'avis qu'il avait bien d'autres sujets de préoccupations – mais visiblement, le seigneur bâtard avait peine à croire que deux chevaliers puissent vouloir s'unir l'un à l'autre.

- Excusez-moi, dit-il quand Brienne braqua sur lui un regard presque hostile. Il est simplement étrange de concevoir un mariage ces jours-ci. Mais c'est assurément une source de réjouissance.

- Assurément, répéta Jaime avec un sourire froid.

A travers de sa surprise, il venait de réaliser à quel point, particulièrement maintenant qu'elle était fatiguée par le voyage, Brienne devait présenter un visage peu reluisant à un étranger. Elle se cachait sous une tunique épaisse et large, même pour elle, elle avait toujours un bras en écharpe, et ses brûlures étaient aisées à deviner, quand elles ne se glissaient pas hors des vêtements. Les cheveux longs, emmêlés et pleins de sel, venaient compléter le tableau.

Pressentant le danger, la chevaleresse effleura le poignet de Jaime de sa main indemne, et se força à ajouter d'un ton neutre :

- Les mariages ont été rares pour nous tous, ces dernières années.

Le serviteur accepta l'esquive et garda prudemment le silence jusqu'au moment où il laissa les deux chevaliers entrer dans le septuaire.

Jaime n'avait jamais réellement envisagé la façon dont se déroulerait son mariage. Il s'était toujours persuadé que cela se ferait à la Guilde, avec Podrick, et il imaginait bien que les dames de la Guilde seraient présentes, de même que Leth et Leung, et très probablement une bonne partie des guildiens qu'il avait appris à connaître. Mais il n'avait pas été jusqu'à penser à d'autres détails. Il croyait simplement dur comme fer que cela n'aurait rien eu de commun avec cette cérémonie expéditive que Sansa était parvenue à mettre en place.

Le septuaire de Ferboys était étriqué et en mauvais état. Une odeur de poisson flottait aux abords du bâtiment et le pénétrait un peu trop au goût de n'importe qui, comme pour rappeler aux adeptes qu'ils se tenaient dans un lieu saint édifié à moins de cinquante mètres du port de pêche. Des lézardes couraient sur les murs, et les guildiens étaient bien trop nombreux pour y entrer tous.

Ça n'ira pas, songea Jaime en contemplant l'édifice avec écœurement.

- Ne peut-on célébrer le mariage sur le Brise-Tempête ? demanda-t-il en cherchant le regard du septon.

Le vieil homme était rabougri, ployé comme sous le coup d'une tempête, et son visage constellé de tâches de vieillesse et de cheveux épars donnait l'impression d'avoir fondu sur ses os. Ce n'était certainement pas une chose plaisante à voir, et il n'inspirait aucune confiance, mais Ferboys ne possédait aucun autre religieux à même de célébrer le mariage.

Le serviteur de lord Cassian avait aperçu le septon devant son bâtiment et l'avait hélé pour le mettre sommairement devant le fait accompli. Le pauvre homme, qui ne s'occupait plus guère de cérémonie de mariage ces derniers mois, officierait le jour-même.

- Une union doit se décider sous l'œil des dieux, répliqua le vieillard d'un ton aigre, en manquant de cracher ses dents au passage. La Mère, surtout, doit y assister. Elle seule peut bénir le mariage et vous permettre de donner la vie.

Aucun besoin de son aide, songea Jaime en échangeant un bref regard avec Brienne.

Les deux chevaliers se trouvaient dans un état second. La rapidité avec laquelle Sansa avait pris les choses en mains, une fois que Leth avait accepté d'engager la Guilde dans le conflit, les avait pris au dépourvu. Désormais, ils se retrouvaient à inspecter le septuaire d'un œil critique.

- J'ai peine à comprendre pourquoi lord Cassian souhaite tout précipiter, marmonna le septon. Exiger la présence d'un homme de foi pour une cérémonie le jour-même, ça ne se voit jamais.

- Un mariage entre deux chevaliers non plus, rétorqua Jaime.

- Nous sommes en guerre, répondit Brienne. Nous ignorons de quoi demain sera fait.

- Aucun combat ne semble se profiler pour demain, insista le septon.

- Nous attendons déjà depuis bien trop longtemps, siffla Jaime en reprenant presque mot pour mot ce que Leth avait asséné à Sansa quand il avait exigé que la cérémonie ait lieu au plus vite.

Le chevalier s'en tint là cependant. Quelques heures plus tôt, le Dothraki avait pour sa part énuméré les risques qui pouvaient retarder ou annuler le mariage, et face à la certitude qu'elle ne lui ferait pas entendre raison sur ces différents points, la jeune reine avait capitulé.

L'homme de foi les dévisagea quelques instants avec suspicion puis, avec une remarque marmonnée si bas que Jaime ne la comprit pas, il quitta le septuaire. Aucun des chevaliers ne le retint. Ils restèrent là en silence, au milieu de la vétusté de l'édifice, à regarder l'autel et les murs lézardés comme s'ils évoluaient dans un rêve.

- As-tu réfléchis à d'autres noms ? demanda brusquement Jaime.

Brienne lui coula un regard surpris, qui laissa rapidement place à la réprobation.

- Nous sommes dans un septuaire sacré !

Jaime leva les yeux au ciel, amusé malgré lui. Certaines choses ne changeraient jamais.

- Je ne te propose pas de concevoir un enfant sur cet autel, simp…

La chevaleresse lui plaqua la main sur la bouche pour le faire taire. Son visage avait viré au cramoisi et son regard était furibard. Les deux chevaliers s'affrontèrent silencieusement pendant quelques instants, avant que Brienne ne baisse le bras, visiblement agacée.

- Il y a un temps pour tout, y compris les conversations les plus triviales. Quand donc l'apprendras-tu ?

- Comment as-tu fait pour survivre à la Guilde et sa liberté ?

- J'étais enfant. Ma septa ne m'avait pas encore inculquée toutes les bonnes manières.

- Elle aurait dû se casser une jambe au lieu de graver des inepties dans ta fichue caboche, soupira Jaime. Cela ne répond pas à ma question.

Il y eut un bref silence, puis Brienne détourna les yeux, comme absorbée par l'architecture du septuaire.

- Eh bien, finit-elle par dire à voix basse, pour une fille, je pensais à Eyme ou Jenifire.

- Pourquoi ?

- Faut-il une raison ?

- Ton premier choix est symbolique, argua Jaime en sentant une bouffée de chaleur à l'idée que, bientôt, il tiendrait peut-être dans ses bras une fillette nommée Mylla. Je ne peux pas croire que tu choisisses d'autres prénoms sans une bonne raison.

Brienne lui adressa un regard nerveux, mais ne chercha pas à nier. Elle avait toujours autant de mal à lui mentir.

- Eyme et Jenifire étaient les noms de deux des sœurs de Podrick. Elles sont mortes en bas-âge. J'ai pensé que cela serait approprié.

Jaime prit quelques secondes pour répondre. Plus qu'une négation, c'était la surprise qui lui imposait le silence. Il ne se souvenait pas d'avoir discuté avec Podrick de sa famille – à peine avait-il conclu que l'écuyer n'en avait plus, puisqu'il affirmait n'avoir que Brienne au monde. L'idée que le garçon ait pu avoir des sœurs ou des frères ne l'avait pas même effleuré.

- J'aime les deux, dit-il, et il ne manqua pas la lueur soulagée dans le regard de Brienne. Même si je pense avoir une préférence pour Jenifire. Et pour les garçons ?

- Tu n'y as pas réfléchi ? demanda-t-elle.

Ce fut à Jaime d'hésiter. Il y avait songé, mais n'était pas certain de la direction dans laquelle l'avaient entraîné ses pensées. Les idées de Brienne lui paraissaient soigneusement pensées et déjà concrètes, comme si elle ne pouvait qu'accoucher d'enfants qui porteraient ces noms. Leur garçon se nommerait Torryn, leur fille Myla, ou Eyme, ou Jenifire. Jaime les voyait presque. Les deux premiers noms évoquaient tant de choses qu'il sentait une bouffée de chaleur gonfler sa poitrine, et les deux derniers étaient comme un lien nécessaire pour raccorder définitivement Podrick à leur famille.

L'idée qu'il avait eue, quant à elle, ne faisait que les relier au passé dans ce qu'il avait de pire.

- Bran.

Le visage de Brienne se figea.

- Non.

Sec, sans appel. Prononcé d'une voix blanche.

- Non, Jaime. C'est hors de question.

- Ce serait une forme d'amendement, souffla le chevalier.

- Ce serait une torture, répliqua Brienne. Et tu as déjà payé pour ça.

- Pas assez, et tu le sais. Je ne pourrais jamais racheter un acte aussi abject.

- Pourquoi pas Eddard, tant que tu y es ?

- Stark père m'a condamné sans jugement, Bran aurait pu mourir par ma faute ! Cela n'a rien de comparable !

Il se figea, surpris par sa propre véhémence. Il n'avait pas réalisé qu'il avait haussé le ton. Le septuaire était toujours désert, mais sa voix s'était répercutée contre les murs abîmés. Brienne le fixait sans ciller, le visage dur. Elle ne se laisserait pas convaincre, il le voyait déjà. Il s'en était douté au moment même où le nom du garçon-Corneille lui avait échappé. Quand elle ouvrit la bouche, Jaime se prépara à subir un accès de colère. Mais non. Un mot lui tomba des lèvres :

- Rickard.

Jaime cligna des yeux, perdu.

- Si tu veux t'amender de cette manière auprès des Stark, alors ce sera Rickard, pour Rickon. Il a été tué par Ramsay Bolton juste avant la reconquête de Winterfell. Tu ne lui as rien fait, et il a été une victime de la guerre. Ce serait un bon compromis.

Pendant plusieurs secondes, Jaime la dévisagea. Il n'y avait pas pensé. Plus que cela, il n'en revenait pas des détours que faisait Brienne pour le protéger, encore et toujours, y compris contre lui-même. Etait-ce le prix à payer pour la fin de ses cauchemars ? Ou celui pour avoir donné la paix à Cersei ? Arriverait-il à réaliser, un jour, qu'il n'avait peut-être pas besoin de se flageller éternellement ?

Encore faudrait-il en être convaincu, songea-t-il avec aigreur.

Mais aussi honteux et chargé de remords qu'il fut, il n'en revenait pas non plus d'être devenu à ce point incapable de s'habituer au bonheur, comme si toute une partie de son être n'aspirait qu'à se torturer sans fin en représailles du passé.

- Rickard, répéta-t-il lentement.

- Ou ce que tu voudras, dit Brienne. Mais pas Bran. Ni Brandon. Jamais. Je ne comprends même pas que tu aies pensé…

- J'ai plus à me faire pardonner que je ne pourrais le faire en une seule vie.

Et j'ai le sentiment que je ne serai jamais digne de toi, songea-t-il, mais il ravala cette dernière phrase.

- Tâche de la vivre sans devenir fou, et tu pourras peut-être espérer te rattraper pour ce que tu veux expier.

Jaime comprit soudain, avec un temps de retard et une peur soudaine, qu'ils en étaient revenus à cette scène, lors de laquelle Brienne lui avait avoué, sur le pont du Brise-Tempête, que chaque fois qu'elle pensait que les choses s'amélioraient, Cersei ressurgissait entre eux et ravageait tout. Pourquoi ne pouvait-il se convaincre d'aller simplement de l'avant ? Pourquoi fallait-il que certains de ses pires choix continuent de le hanter, jour après jour, comme un poison se serait infiltré sous sa peau ?

Il poussa un lent soupir et attrapa la main de la chevaleresse. Il se moquait comme d'une guigne de se tenir dans un septuaire, mais il doutait que la chevaleresse accepte un baiser sous l'œil réprobateur des dieux.

Lentement, il caressa les doigts, les jointures, la peau couverte de cette fine pellicule de sel qui patinait tous ceux qui prenaient la mer.

- Rickard et Torryn, alors.

Pas d'excuse, songea-t-il en s'abimant dans la contemplation de la main de Brienne.

Pas cette fois. Pas encore.

- Ou Mylla et Jenifire, ajouta-t-il en pressant doucement les doigts de la chevaleresse.

Il leva enfin les yeux vers elle, évalua son expression. Comprit, soulagé, que le pire avait été évité. Il ébaucha un sourire.

- Ou Torryn et Mylla.

- Ce ne seront pas un garçon et une fille, assena Brienne d'un ton féroce.

- J'ai hâte de te voir combattre la Mère à ce sujet. Mais ce pourrait être encore pire. Imagine : il paraît que dans ma famille maternelle, il y a quelques générations de ça, une femme a donné naissance à trois enfants en une seule fois.

La chevaleresse écarquilla les yeux.

- Tu plaisantes, j'espère ?

- Aucune idée. Je ne les ai jamais rencontrés.

Il éclata de rire, rire qui se bloqua dans une protestation étouffée quand Brienne le frappa au bras. Il s'écarta de justesse d'une nouvelle frappe, passa les deux bras autour de la jeune femme et l'étreignit par derrière, lui bloquant efficacement son seul bras valide entre les deux siens.

- Lâche-moi, siffla Brienne. Nous sommes dans un lieu sacré !

- Je ne fais rien de pire que je ne le ferai pendant la cérémonie, rétorqua Jaime avec un sourire. Je ne crois pas qu'il existe aucune réglementation des étreintes tolérées entre deux fiancés, d'ailleurs…

C'était si simple, finalement. Se laisser porter, et abandonner les fantômes au passé pour ne plus profiter que du présent.

- Si le septon arrive, il risque d'être furieux, dit encore Brienne.

- Ou jaloux, rit Jaime. Je le serai sans doute, à sa place. Il n'a pas l'air de savoir ce que c'est de toucher une femme.

Il avait posé son menton sur l'épaule de la chevaleresse et elle lui tournait le dos il ne vit le geste brusque de son bras que trop tard, et se reçut un coup de coude dans les côtes. Juste assez fort pour lui couper le souffle, juste assez doux pour ne pas le blesser. Il relâcha Brienne sous le choc et celle-ci fit volte-face. Avant que Jaime ait pu faire un trait d'esprit, elle l'embrassa. Très brièvement. Très doucement. A peine plus qu'un effleurement, avant de s'éloigner.

- Tu es un imbécile.

- Ce devrait être une vérité générale connue du monde entier, commenta Jaime. En combien de langues peux-tu me le dire, déjà ?

- Au moins quatre.

Jaime fut tenté de renchérir, maintenant que Leung lui avait donné un terme pour « tête de pioche » en yi tien, mais il renonça. Il avait la curieuse sensation d'évoluer dans un rêve, que le sol sous ses pieds n'était pas fait de pierre, de terre et de bois, mais il n'allait certainement pas rompre l'illusion ou s'en plaindre. Alors il esquissa un sourire.

A cet instant, il aurait donné cher pour ne pas être dans un lieu sacré. Ou pour que Brienne n'en ait que faire. Mais au regard qu'elle lui dispensa, il comprit que c'était un combat perdu d'avance.

Tant pis. La culpabilité était retournée se tapir au fond de son esprit et la chevaleresse avait retrouvé un semblant de sourire, c'était déjà une victoire.

- Tu n'es pas trop déçue ? demanda Jaime en avisant à nouveau l'état du septuaire.

- Ce ne sera pas le mariage auquel je m'étais prise à croire, admit Brienne. Mais c'était un tort d'espérer que nous puissions le célébrer à la Guilde. Sans doute mes tantes souhaiteront-elles qu'on fasse une fête tout de même, afin de compenser. Si cela te va, bien sûr.

Jaime avait suffisamment appris à connaître les tantes de la Guilde pour présumer qu'elles s'étaient faites une joie de pouvoir marier leur nièce au milieu de leur communauté. Et même sans faire cas des guildiens, l'absence de Podrick se faisait lourdement ressentir.

- Evidemment qu'on fera une fête, assura-t-il. Qui serais-je pour interdire à des guildiens de célébrer quoi que ce soit ?

- Tante Lyn avait fait préparer des vêtements rituels, dit Brienne. J'en ai aperçu quelques-uns dans ses appartements, un jour que je voulais lui parler.

- Nous les porterons, assura le chevalier. J'ai hâte de te voir en habit cérémoniel guildien. Je suis certain que ce sera sans pareil avec aujourd'hui. Et je serai honoré d'être marié à la Guilde. Ce doit être la meilleure cérémonie qui soit.

Il avisa à nouveau la toiture délabrée. Brienne dit :

- Nous ne devrions pas nous plaindre. Ce mariage est un cadeau des dieux.

- Il était temps, commenta Jaime avec un sourire de travers. Jusqu'à présent, ils ne nous ont pas facilité la vie. Je savais déjà qu'ils ne m'aimaient pas, mais j'aurais cru que tu attirerais leur clémence.

- Tu devrais éviter de blasphémer dans un septuaire, tu sais.

- Vu ce qui me traverse l'esprit à cet instant, crois-moi, les dieux n'ont que faire de mes paroles.

La chevaleresse lui adressa un regard de côté, avant de détourner les yeux pour ne pas voir l'air goguenard qu'affichait Jaime. C'était fascinant de constater avec quelle persistance elle continuait à se trouver mal à l'aise à la moindre allusion graveleuse. Et le lion n'avait pas menti. Plusieurs idées intéressantes lui envahissaient l'esprit depuis quelques minutes. Plus il prenait conscience de la réalité du mariage imminent, plus les idées se bousculaient sous son crâne – certaines, pesantes comme Bran, d'autres plus agréables, comme la perspective de la nuit de noces.

Il sourit plus largement, et Brienne se renfrogna d'autant plus. Jaime n'eut cependant pas le temps d'en rajouter à son malaise : la porte s'ouvrit dans un grincement sonore et Leth franchit le seuil du septuaire d'un pas déterminé. Il s'arrêta à la hauteur des Andals et engloba l'endroit d'un large geste du bras.

- Oubliez cet endroit, nous célébrerons sur le Brise-Tempête.

- La reine est intervenue auprès du septon ? s'étonna Brienne.

- Non : ta sœur s'en est chargée. Je ne crois pas que le pauvre homme avait déjà vu une femme yi tienne lui promettre l'ablation de ses parties génitales avec un sourire aussi large. Si je n'avais pas été élevé avec elle, je trouverais probablement Leung effrayante.

- N'importe qui la trouverait effrayante, commenta Jaime en secouant la tête.

- A votre place, je m'en ferais plus encore que la plèbe, rétorqua Leth. Leung aura d'ici ce soir doublement de raisons de vous garder à l'œil.

Jaime ne releva pas. Il savait, avec une acuité toute particulière, à quel point le guildiens qui aimaient Brienne scrutaient ses faits et gestes. En l'absence de Podrick, qui avait toujours su le protéger depuis Winterfell, il était plus que jamais sous le jugement de ceux qui avaient appris à le connaître par son régicide et son inceste.

- La reine et une partie de son équipage seront là, reprit Leth, et je viens d'apprendre que ce sera également le cas des seigneurs de Ferboys. Il semble qu'ils ne veuillent pas manquer un tel évènement.

- Les mariages de chevaliers sont rares, commenta Jaime avec un sourire.

- Y a-t-il autre chose ? s'enquit Brienne.

- Oui.

Son frère de Guilde se campa devant elle d'un air sévère, et bien qu'il fût plus petit qu'elle d'une demi-tête, Brienne parut soudain impressionnée.

- Tu es mandée par Leung et Ahnne sur le Brise-Tempête immédiatement. Je ne crois pas les avoir déjà vu dans un tel état d'exubérance, aussi je te conseille de ne pas traîner. Je ne lui ferai rien, ajouta-t-il en désignant Jaime d'un geste du menton. Et tu auras tout le loisir de passer le reste de ta vie avec lui selon les lois de ton pays. Maintenant, va-t'en.

Jaime aurait juré que n'importe qui d'autre, après une telle réplique, aurait vu Brienne lui rabattre le caquet avec violence. Mais Leth s'en tira avec un simple regard noir, et sur un infime sourire à l'intention du chevalier, Brienne les laissa. Leth attendit que sa sœur de Guilde ait disparu derrière la porte refermée avant de se tourner vers Jaime. Son expression n'avait plus rien d'amical, mais ne témoignait pas encore de la hargne et du mépris auquel le chevalier s'était habitué durant les premiers mois de sa vie à la Guilde.

- Entendons-nous bien, Lannister. Nous sommes partis du mauvais pied, selon l'expression de votre peuple, et je reconnais que je vous ai mal jugé. Mais aussi frères de Guilde que nous soyons, je ne pense pas que nous serons amis un jour.

Jaime se fendit d'un sourire froid. Au cours des dernières semaines, il avait constaté le calme de Leth comme une agréable surprise sans jamais fonder le moindre espoir pour autant. Il y avait trop d'honneur dans le sang du Dothraki pour accepter jamais comme beau-frère et ami un régicide incestueux coupable de lâcheté. Le lion en avait fait son deuil sans remord. Cette tardive mise au point lui semblait inévitable.

- Vous allez nous marier, dit-il d'un ton dégagé. Ce me semble bien assez amical.

- Inutile de vous dire que c'est par égard pour ma sœur que je le fais, répliqua Leth. Mais ce n'est pas la question. Ce que je souhaite, ser Jaime, c'est entendre de votre voix la promesse que je ne regretterai pas de vous accepter comme beau-frère.

J'aimerais beaucoup en être assuré moi-même, songea le chevalier. Mais ce n'était pas la chose à dire, et il savait que cette fois-ci, il n'aurait pas de seconde chance. Ou de dixième, pour ce qu'il en avait compté. Brienne méritait qu'il tienne parole et aille de l'avant, et elle tenait une place trop importante à la Guilde pour qu'il ne s'aliène quiconque. Même Leth Aranoth.

- Je vous jure sur ma tête et la sienne que je ne lui ferai aucun mal, dit Jaime. Et que je ferai en sorte de me montrer digne de la place qui m'a été donnée à la Guilde.

Leth le dévisagea quelques secondes, le regard aiguisé comme s'il cherchait quelque chose de particulier, un début de mensonge peut-être. Puis, avec un léger soupir qui parut affaisser ses épaules puissantes, le Dothraki acquiesça.

Il ne dit pas un mot. Il se contenta d'un signe de tête et tourna les talons, plantant Jaime au milieu du septuaire. Le chevalier le regarda s'éloigner, perdu dans ses pensées. Il n'avait jamais cherché la sympathie des guildiens, de Leth moins encore, mais il devait admettre que savoir le Dothraki de son côté était un certain réconfort. Pourtant, à cet instant, un seul sentiment était parvenu à se frayer un chemin jusqu'à lui. Et maintenant que Brienne était hors de vue, il ne pouvait plus l'ignorer.

Sous le soulagement et un début de joie, crevait la peur.

Il regarda son poignet, et le cordon de tissu bleu qui émergeait sous la manche. Il avait demandé la main de Brienne tant de fois qu'il ne croyait presque plus réussir à l'obtenir – et pas de cette façon. Il n'avait pas eu le temps de se retourner ni de réfléchir. Depuis l'annonce de Leth, juste après son entretien avec Sansa, tout s'était enchaîné. Si vite que Jaime avait l'impression de n'avoir pas même respiré.

Oui, il ignorait de quoi demain serait fait. Mais il savait qu'il se tenait au bord d'un précipice et qu'il n'avait pas été préparé à le traverser aussi brusquement. Le cordon était familier. Ce qu'il se passerait ce soir serait un saut dans l'inconnu. La légalisation de ce qu'il tentait de construire depuis des mois sans toujours très bien s'en sentir capable.

Il ferma les yeux.

Ce n'était pas le moment de convoquer Cersei. Ce n'était pas le moment d'entendre sa voix résonner dans sa tête, railler son envie de mariage, lui qui avait toujours refusé toutes les offres faites par leur père avant de s'engager dans la garde royale.

Tu appartiens au passé, pensa-t-il avec force. Reste-s'y.

Mais le passé serait toujours là. Myrcella en demeurait la preuve. Ce qu'il avait résolu de faire à Ellaria Sand aussi.

Ce que Brienne l'aiderait à faire à Ellaria Sand en serait la preuve.

Il prit une profonde inspiration et rouvrit les yeux. Cersei n'était pas là. Aucune silhouette évanescente n'était venue marcher jusqu'à lui, aucune voix douce ne résonnait à son oreille. Cersei dormait toujours paisiblement sous l'arbre-pleureur, dans le secret de la petite vallée de Tarth où Brienne lui avait permis de l'enterrer.

Jaime quitta la septuaire.

- . -

Brienne

D'aussi loin qu'elle se souvenait, la chevaleresse n'avait jamais réellement penser à ce que serait son mariage. Chaque fois qu'elle avait pris le risque de se l'imaginer, elle s'était figurée une scène guildienne, et s'était vue entourée de ses tantes. Elle s'en voulait de les avoir mentionnées dans le septuaire, cela lui donnait le sentiment de faire montre d'ingratitude. Leth venait de lui offrir sur un plateau une solution pour se tirer de l'embarras et de la honte, et elle n'avait aucun droit de se plaindre. Elle avait même pris le temps, avant d'aller retrouver Leung et Ahnne, de remercier Sansa avec sincérité. Peu importait que Leth lui eût un peu forcé la main : la louve avait promis qu'elle les aiderait et elle venait de le faire. C'était inespéré.

Mais rapidement, alors qu'elle passait une tunique propre, Brienne comprit que quelque chose n'allait pas se dérouler comme prévu. Sansa avait juré qu'elle les aiderait dans cette entreprise, mais quand la jeune reine vint s'enquérir de l'état de la chevaleresse, celle-ci vit bien qu'une dureté familière avait pris place sur le visage de la louve. Brienne avait déjà vu cet air chez lady Catelyn, puis bien plus tard chez Sansa et Arya. C'était annonciateur de danger. Leth ne s'était pas fait une amie en insistant autant auprès de la jeune reine.

- Je hais la politique, commenta Leung quand elle vit Sansa les quitter.

La Yi Tienne avait décidé d'aider Brienne à passer la tunique propre qu'Ahnne avait sorti et rafistolée avec soin. Le choix était maigre, car la chevaleresse n'avait emporté que deux tuniques, et aucune ne se prêtait à une cérémonie de mariage. Ahnne avait agrémenté le pauvre tissu, initialement élégant dans son pragmatisme, de quelques fils d'argent qui venaient remplir les trous. On voyait toujours que la tunique avait été portée sous la pluie et le sel, mais au moins semblait-elle à peu près décente.

- La politique nous encercle, rétorqua Brienne d'un air sombre. Ahnne, le travail que tu as fait sur cette tunique est impressionnant, je n'aurais jamais cru possible d'en faire autant si vite.

- Je suis guérisseuse, ser. Je sais coudre.

- A ce compte-là, toute la Guilde sait coudre, dit Leung. Or j'en connais une ici qui ne serait pas capable de faire de la couture même si sa vie en dépendait.

- Pourquoi es-tu si éveillée, aujourd'hui ? grogna Brienne en enfilant délicatement son bras blessé dans la manche de la tunique.

La Yi Tienne lui renvoya un large sourire incurvé, un de ceux que tous ses frères et toutes ses sœurs de Guilde avaient appris à redouter.

- Je m'apprête à marier ma sœur et à entrer dans une guerre pour laquelle l'équipage n'est pas préparé et qui pourrait bien tous nous tuer. Je crois que c'est une excellente raison de faire preuve d'éveil.

Brienne ravala la réplique qui lui brûlait les lèvres et se contenta d'échanger un bref regard avec Ahnne. Dès l'instant où la jeune guérisseuse brisa le contact visuel, rompant ainsi l'instant de complicité, la chevaleresse sentit la peur la prendre à la gorge. Ils venaient tout juste de perdre plusieurs guildiens. La vision de Gydeon et de sa cervelle éparpillée sur le pont du Brise-Tempête s'imposa. Le garçon n'avait eu que quinze ans – l'âge d'Ahnne, désormais. Que se passerait-il si, en offrant leur aide militaire à Sansa et ses alliés dorniens, les guildiens perdaient encore de leurs enfants ?

Certes, ils avaient pris la décision de combattre à Dorne par vote. Certes, chacun d'eux avait été formé auprès de certains des meilleurs combattants de Westeros. Mais Brienne ne voyait plus que le crâne brisé de Gydeon, auquel se mêlaient le sourire et les cheveux roux d'Ahnne.

Brienne n'avait jamais aimé la vision d'un enfant mort. Sans doute personne n'aimait réellement cela, mais elle se souvenait de plusieurs occasions où elle avait dû lutter contre l'émotion en voyant souffrir des enfants qu'elle ne connaissait pourtant pas. Jamais elle ne pourrait regarder Ahnne mourir. Elle connaissait la jeune guérisseuse depuis l'âge le plus tendre. S'il lui arrivait malheur…

- Ne pense pas si fort, protesta Leung en lui donnant une tape sur le bras. Tu te maries ce soir. Pense-donc à cela, au lieu de te préoccuper de mille et unes choses.

C'était certainement un bon conseil, mais que Brienne doutait de parvenir à suivre. Même la perspective de pouvoir enfin épouser Jaime ne suffirait pas. Ou presque, car l'idée commençait à gonfler dans son esprit, pour prendre toute la place.

Et, confusément, Brienne réalisa qu'elle n'y croyait plus réellement. Elle avait fini par faire le deuil de ce mariage et se faire à l'idée qu'aucune loi de Westeros ne lui permettrait de devenir légalement l'épouse du chevalier. Même après avoir parlé avec Davos et Sansa, elle avait cessé de croire réellement à une conclusion honorable, comme si le mariage lui-même était devenu une institution hostile à leur cause.

Comme si, aussi, malgré la demande et les déclarations, elle n'avait jamais cru que Jaime puisse mener ce projet à bien. Comme si le fantôme de Cersei demeurait trop présent et le contexte trop complexe pour leur permettre d'être légalement heureux.

Elle manquait de foi. Un comble, au vu de la situation.

Une nouvelle tape sur le bras la tira de sa réflexion. Leung la foudroyait du regard

- Je reformule, tête de pioche : pense à des choses positives.

- Je songe à ce soir, n'est-ce pas ce que tu voulais ?

- Si c'est la tête que tu fais quand tu penses à ton futur mari, j'annule la cérémonie tout de suite. Et je suis très sérieuse.

- . -

Jaime

Le pont du Brise-Tempête s'était scindé en deux foules égales mais bigarrées. Ceux qui n'avaient pas trouvé de place confortable à même le sol s'étaient hissés dans les cordages pour ne rien manquer. Le premier rang était dévolu à Sansa, lord Varys, et les seigneurs de Ferboys d'une part, et à Leth, Leung, Ahnne et ser Davos d'autre part. L'absence de Podrick creusait comme un vide là où aurait dû se tenir l'écuyer, mais Jaime s'efforçait de ne pas y penser. Il ne voyait que Brienne, et son esprit était entièrement focalisé sur la prière rituelle. Il avait répété et répété encore, mentalement et à voix haute, l'ordre dans lequel il devrait bientôt énumérer les dieux et leurs bienfaits. Il savait qu'il aurait dû être fébrile, soulagé et heureux. Au lieu de ça, il était habité par la panique.

Ce mariage n'avait rien de commun, ou presque, avec celui dont Brienne avait pu rêver. Le peu qu'elle en avait évoqué suffisait à Jaime pour comprendre qu'elle garderait un goût d'inachevé au souvenir de cette journée. Certainement qu'à l'avenir, la fête que donneraient les dames de la Guilde à leur retour deviendrait le repère de leur mariage. Et cela lui convenait.

Mais aussi étrange que puisse être cette cérémonie, Jaime ne pouvait se permettre de laisser à son esprit imparfait le droit de tout ruiner. Il avait tant peiné à apprendre à lire… comment pourrait-il être certain de déclamer les mots dans l'ordre ?

- Détends-toi, articula silencieusement Brienne.

Bien qu'elle fût visiblement mal à l'aise, comme engoncée dans son propre corps, maladroite si près du septon qui déclamait son sermon avec emphase, elle persistait à penser à lui et à la façon dont il vivait cette scène surréaliste. Elle n'avait pu enfiler son armure : son bras en écharpe ne le lui aurait pas permis. Tout au plus s'était-elle lavée, peignée, et vêtue d'une tunique qu'un guildien ou une guildienne avait agrémenté de quelques détails. Son épée pendait à son côté. Jaime se sentait presque mal à l'aise, en armure complète comme il l'était.

Leth avait traversé l'assemblée au bras de Brienne, jusqu'au septon près duquel attendait Jaime. Lentement, le Dothraki donna la main de la chevaleresse au religieux.

- Qui donne cette femme en mariage ? demanda celui-ci d'une voix solennelle.

- Leth Aranoth, fils de Naath Aranoth, frère de Brienne de Tarth.

Le septon cilla, mais ne dit rien. Il inclina simplement du chef et prit la main de la chevaleresse pour la positionner dans l'exacte posture adéquate. Jaime prit une courte inspiration, et énuméra à nouveau mentalement l'ordre des vœux rituels. Il ne pouvait ruiner cet instant inespéré, aussi simple qu'il fut. La cape symbolique qu'il devrait passer sur les épaules de Brienne n'avait rien du riche manteau finement brodé que le chevalier avait vu au cours des cérémonies auxquelles il avait assisté. Si le mariage s'était déroulé n'importe où ailleurs, Jaime aurait dû poser sur les épaules de la chevaleresse un manteau de sa maison, et elle aurait alors pris les couleurs des Lannister. A la Guilde, sans doute se seraient-ils tournés vers une cape ou un manteau brodé par l'une des tantes de Brienne, mais le travail aurait été d'orfèvre et le symbole tout aussi puissant.

Ce qu'on leur présentait à cet instant n'avait rien d'équivalent. C'était une simple étoffe de lin, que l'on employait dans les septuaires pour les mariages trop pauvres, lorsque les époux n'avaient pas leur propre manteau. Si quelques détails de couture forçaient le respect, on sentait que le tissu avait connu des jours meilleurs. On s'était visiblement peu préoccupé de son aspect précieux, et l'ensemble donnait davantage l'impression d'avoir pendu à une fenêtre pendant des jours que d'avoir été entreposée dans un coffre rituel.

C'était misérable.

Et Brienne lui souriait de façon encourageante.

Elle n'aurait pas dû lui sourire de cette manière, elle aurait dû être heureuse, excitée, rêveuse ou n'importe quoi d'autre, mais elle n'aurait pas dû se retrouver à le soutenir encore maintenant. Elle n'aurait pas dû se préoccuper de ce qu'il ressentait.

Jaime s'obligea au calme.

Il ne ruinerait pas davantage cette cérémonie qu'elle ne l'était déjà.

Le septon leur dispensa un bref discours dont Jaime ne comprit pas le moindre mot, trop focalisé sur la misérable étoffe qui pendait à sa main de bois. Il avait insisté pour l'enfiler, car il lui paraissait impossible de se présenter avec son moignon pour la cérémonie. Mais cette chose… Il ne voulait pas utiliser ce tissu. Il ne pouvait pas imaginer une seule seconde qu'en plus de la pauvreté de l'objet, celui-ci ne serait jamais rien de plus qu'un bout d'étoffe miteux abîmé par le soleil.

Pourquoi avoir tant voulu faire de ce mariage un événement, si rien ne pouvait ne serait-ce qu'en effleurer l'image ? A quoi jouait donc la reine ?

- Je crois qu'il y a méprise.

L'affirmation claqua dans la nuit et figea tout le monde. Jaime leva les yeux et réalisa, stupéfait, que Leung avait fait un pas en avant pour quitter le rang, et le regard qu'elle adressait au septon valait toutes les menaces du monde. Peut-être fut-ce d'ailleurs pour cela que le pauvre homme eut un mouvement de recul.

- Plaît-il ? murmura-t-il.

- Je crois qu'il y a méprise, répéta Leung en articulant soigneusement. Ce n'est pas ce dont on avait parlé.

Cette fois-ci, Jaime échangea un regard avec Brienne, qui sembla aussi perdue que lui. Mais avant que l'un d'eux ait pu demander la moindre explication, la Yi Tienne lui arracha l'étoffe d'un geste brusque et lui colla dans la main un autre tissu. Les doigts de Jaime se refermèrent dessus et il perçut instantanément la différence. De lin également, le manteau était de meilleure qualité, et quand il baissa les yeux pour l'observer, il réalisa qu'il était teint de bleu et d'argent, et cousu du symbole de la Guilde.

Simple, mais autrement plus symbolique. Une bouffée de chaleur remonta dans la poitrine du chevalier.

Leung, elle, s'était avancée entre les deux époux et rivait sur le septon un regard de meurtre.

- Si je dois encore envoyer une seule fois un guildien chercher un élément que vous avez décidé d'omettre délibérément, je pends votre sainte personne au mât de mon navire. Et par la queue, histoire que vous sachiez quoi en faire.

- M… Mais ce manteau n'est pas béni, bredouilla le septon en se ratatinant sur lui-même.

- Son commanditaire l'a fait bénir chez nous, rétorqua Leung, et cette fois-ci, Jaime aurait juré voir des flammes flamboyer au fond de ses yeux. C'est le seul foutu manteau dont ils ont besoin, me fais-je comprendre ?

Brienne avait de la peine à conserver son sérieux, et à en juger par Leth, que Jaime apercevait juste derrière elle, elle n'était pas la seule. La chevaleresse regarda sa sœur de Guilde reculer de deux pas, et aussi petite fût-elle, il était certain qu'elle venait de durablement traumatiser l'homme de foi.

- Un mariage guildien où Leung ne menace personne est considéré comme bien ennuyeux, murmura Brienne.

Jaime la dévisagea quelques secondes, puis un sourire lui étira les lèvres. Cette cérémonie n'aurait rien de celle que lui-même s'était figuré, mais soudain cela lui semblait bien plus supportable.

- Pourquoi cela ne m'étonne pas ?

- Tu aurais dû voir le mariage de Leth, il y a quinze ans. Nos tantes craignaient que le frère de la mariée ne survive pas à la cérémonie.

- C'est tout de même curieux, cette manie qu'elle a de vouloir empaler ou castrer. Serait-ce une tradition yi tienne ?

- Une tradition leunguienne, dirais-je plutôt, répondit Brienne.

- Quand vous aurez fini de vous moquer, vous reviendrez peut-être à votre propre cérémonie, répliqua Leung, et Jaime reporta son attention sur elle. C'est un certain écuyer qui a glissé ce manteau dans les bagages. Il présumait que vous en auriez besoin.

L'étoffe lui sembla plus chaude, et il vit Brienne déglutir. Ils baissèrent tous deux les yeux sur le manteau simple, puis échangèrent un long regard qui se passait de mot. A aucun moment, lors d'une cérémonie, la mariée n'était tenue de toucher le manteau : tout juste devait-elle le garder sur ses épaules. Mais Brienne effleura le tissu du bout des doigts, et personne ne fit la moindre remarque. Jaime aurait de toute façon fracasser le visage du premier à parler.

Pendant quelques instants, Podrick parut flotter entre eux.

Puis quelqu'un dans l'assemblée se râcla timidement la gorge, et les deux chevaliers se tournèrent d'un même mouvement vers le septon. L'air terrifié, celui-ci leva les bras dans une injonction tremblante.

- Vous pouvez passer le manteau.

Un échange de regards, et Brienne se tourna pour laisser à Jaime l'opportunité de déposer le manteau sur ses épaules. Le tissu ressemblait davantage à une cape et n'avait pas la lourdeur ni le précieux des manteaux d'épousée de la famille Lannister, mais Jaime aurait juré qu'il s'en dégageait quelque chose de plus chaud.

- Vous pouvez dire les mots, l'invita le septon quand la chevaleresse fut à nouveau face à Jaime.

- Père, Forgeron, Guerrier, Mère, Vierge, Aïeule, Etranger, déclara-t-il avec assurance. Puis, plus bas : Tu vois, je les connais.

La dernière phrase lui avait échappée, comme un sursaut de fierté puérile. Une autre femme se serait vexée, ou aurait été choquée. Au lieu de ça, les lèvres de Brienne s'incurvèrent légèrement.

- Je n'en doute pas, chuchota-t-elle, avant de réciter à son tour, sans attendre d'y être invitée par le septon : Père, Forgeron, Guerrier, Mère, Vierge, Aïeule, Etranger.

L'homme de foi leur adressa un regard perdu auquel ils ne prêtèrent pas attention, et c'est sans attendre son signal qu'ils achevèrent les vœux par la phrase rituelle :

- Je suis sien, elle est mienne, jusqu'à la fin de mes jours.

- Je suis sienne, il est mien, jusqu'à la fin de mes jours.

Pendant une seconde, Jaime se dit qu'il aurait du mal à entendre l'ordre du septon même si celui-ci avait parlé directement à son oreille. Il connaissait par cœur le déroulé d'une cérémonie et n'avait certainement pas besoin qu'on le lui demande pour embrasser la chevaleresse. Même s'il dut se rappeler de s'écarter plus rapidement que d'ordinaire.

Il l'embrasserait plus longuement une fois dans leur cabine. Quand ils ne seraient plus sous des centaines de regards. Quand ils pourraient enfin célébrer la nouvelle.

Au moment de reculer, il se demanda néanmoins si Brienne se sentait mal à l'aise. Elle avait les yeux brillants, les joues rouges, et autour de sa main qu'elle tenait entre les deux siennes, Jaime sentait la chevaleresse trembler. Une Dame n'avait pas coutume de se faire embrasser devant tant de spectateurs.

- Tout va bien ? murmura Jaime.

La chevaleresse déglutit et hocha la tête. Un large sourire lui étirait progressivement les lèvres, et le chevalier sentit son estomac se retourner. Il ne l'avait vu sourire de la sorte qu'une seule fois, une éternité plus tôt, à Winterfell, au moment de son adoubement.

Le septon déclara quelque chose que Jaime n'entendit pas. Il lui sembla que c'était la dernière formule consacrée, celle qui achevait d'officialiser l'union. Mais il ne parvenait pas à y prêter attention. Il se sentait fébrile, et souriait à son tour, si largement que ses joues lui en faisaient mal.

Il était marié.

Il était marié à Brienne.

Il était marié à Brienne et les fantômes s'étaient endormis.

- Embrasse-moi encore.

La supplique lui tomba des lèvres, et la chevaleresse fronça les sourcils une seconde. Jaime eut tout juste le temps de se demander s'il n'outrepassait pas une règle de trop avant que la jeune femme – que sa femme – ne pose à nouveau ses lèvres contre les siennes. Cela resta chaste, mais le chevalier sentit quelque chose se réveiller dans sa poitrine.

Quelqu'un dans l'assemblée poussa une exclamation de joie et plusieurs applaudissements retentirent. Il lui sembla vaguement que le septon marmonnait dans sa barbe. Il ne lâcha la main de Brienne que pour lui saisir délicatement le visage.

Il se fichait que ce soit inconvenant. Le monde pouvait bien aller se faire pendre. Quand il mit fin au baiser pour reprendre son souffle, il ne s'écarta qu'à peine. Il n'avait plus à s'éloigner. Plus à se cacher.

Il était marié.

Les premières notes s'élevèrent presque discrètement dans la nuit, puis le roulis des tambourins fit tourner la tête à Jaime. Perché dans les aubans, il entendit s'élever le son de quelques flûtes. Un instrument à cordes, dont il était incapable de noter le nom, lui parvenait également. L'ensemble formait un air qui lui était vaguement familier, sans qu'il puisse remettre un mot dessus.

Et puis Leung étira le cou et entonna les premières paroles, et il comprit.

Il avait déjà entendu cette chanson, des années auparavant, quand elle était relayée par les soldats de l'armée Lannister.

Hands of Gold.

Autrefois, le chant lui avait paru une fable sur sa famille, une raillerie teintée de dégoût sur ce que le monde ne pouvait pas comprendre, sur Cersei et ce qui le liait à elle. Sur la pureté et la chaleur que ne dégageaient que les bras de sa sœur.

Mais ce n'était pas exactement les paroles que Jaime avait entendues un jour au détour d'un campement, et il sentit un frisson lui remonter le long de l'échine.

Il parcourait les rues de la ville

En bas de sa colline, en haut.

Par-dessus les vents et les marches et les pavés,

Il s'accrocha au soupir d'une femme.

Car elle était son trésor secret,

Elle était son espoir et son bonheur.

En croisant le regard de Leth, en voyant avec quelle force les guildiens entonnaient le chant, Jaime n'eut pas le sentiment de se retrouver engluer dans la toile des lions. En rangs serrés sur le pont, dans la posture militaire qui était la leur, ou bien juchés dans les gréements, perchés jusque que sur le mat, les guildiens chantaient, et c'était de la force qui se dégageait de leurs voix entremêlées.

Et un titre et un château ne sont rien,

Comparés au baiser d'une femme.

Car les mains d'or sont toujours froides,

Mais les mains d'une femme sont chaudes !

Car les mains d'or sont toujours froides,

Mais les mains d'une femme sont chaudes !

La main de Brienne se referma sur son bras.

Le serra, fort.

Il déglutit.

Sansa, Varys, leur capitaine et les dorniens scrutaient le pont avec sur le visage le reflet de leur perplexité. Y voyaient-ils une insulte, un affront, rien du tout ? Davos, lui, souriait d'une oreille à l'autre.

Les mains d'or sont toujours froides, mais les mains d'une femme sont chaudes.

Et dans la nuit, les voix puissantes des guildiens tutoyaient les cieux.

..

.

Voi-là !

J'aurais mis le temps, mais ça y est, c'est fini les pauses, on passe à la castagne – dans le prochain chapitre.

Si vous lisez encore malgré les délais (et, peut-être, la lassitude) je vous en remercie. Vraiment. Je n'ai pas toujours été le plus prompt à répondre aux reviews, mais elles ont toutes été un bonheur. Je ne m'avancerai pas à vous donner une date de publication pour la suite de cette fic (mais l'écriture se poursuit, sachez-le). J'ai également repris Jour après jour, ma fic qui couvre les « scènes manquantes » de l'épisode 4 de la saison 8, et je publierai bientôt à nouveau.

Concernant la chanson Hands of Gold, je me suis basé sur la reprise orchestrale faite par l'orchestre symphonique national danois (disponible sur Youtube), et sur la traduction sur le Wiki Game of Thrones. Mais comme dit, j'ai modifié quelques paroles.

Oh, et concernant Ryden Frey, c'est une invention de ma part. La famille Frey est décrite comme très étendue, mais je n'ai trouvé que peu de noms réels, donc j'ai dû inventer celui-là. Roslin est en revanche bien le nom de l'épouse d'Edmure dans la série.

Je vous remercie d'avoir lu jusque-là,

A bientôt,

Kael Kaerlan