Mot de l'auteur

/!\ Cette histoire est une réécriture en version boy x boy de "La quête des Livres-Monde" de Carina Rozenfeld, l'histoire et les personnages lui appartiennent ! Les livres peuvent être acheter sur amazon, fnac et en librairie ! (Environ 5 à 14 euros le livre et environ 30 euros l'intégrale) pour soutenir l'auteur et la financer dans ses projets ! /!\

PS : Les personnages autres que Nathan, Zayn, Lia et Aela ne m'appartiennent pas ! Ils sont de Carina Rozenfeld, une écrivaine très talentueuse que j'admire !


LE BLOG DU BRIC À BRAC !

- Nuit blanche, journée noire !

J'ai conscience qu'il est quatre heures du matin et que c'est une heure tout à fait indue pour rédiger son blog. Mais je n'arrive pas à dormir, alors mon ordinateur m'a susurré de doux mots pour m'attirer à lui. Je n'ai pas su résister et me voilà !

Je sens déjà votre curiosité en alerte : pourquoi cette insomnie ? Qu'est-ce qui maintient ce bon vieux Nathan debout à la frontière du petit matin?

Tout, trop, beaucoup trop de choses.

Toujours cette peur qui me taraude, qui se tapit dans un coin de ma tête à défaut de se tapir dans un coin de ma chambre (je me comprends...). Le méchant de l'histoire est toujours là, et même s'il me laisse en paix quelque temps, j'ai la certitude qu'il va revenir, et je n'ai aucune idée de comment l'en empêcher. Je vois se poser sur vos visages un voile d'incrédulité, mais faites moi confiance, je sais de quoi je parle.

Il y a aussi la valse des sentiments. Des sentiments joyeux, même euphoriques. D'autres tristes, coupables. En rendant quelqu'un heureux, j'ai fait de la peine à un ami. Un ami très cher et la culpabilité me ronge.

Voilà tous les ingrédients responsables de ma nuit blanche. Je sens que la journée de demain va être très, très longue…


Nathan relut son texte rapidement. Il hésitait à le mettre en ligne. Une partie de lui espérait que Zayn viendrait lire son article et comprendrait qu'il ne voulait pas lui faire de peine. Mais en même temps... devait-il exposer ses sentiments aussi clairement?

En poussant un soupir résigné, il cliqua sur le bouton « Publier votre article ». En quelques secondes il apparut sur son blog.

Il savait qu'il n'aurait aucun commentaire au milieu de la nuit et s'apprêtait à éteindre sa machine pour se recoucher, avec l'espoir qu'il finirait par s'endormir, quand il fut pris d'une inspiration subite : autant utiliser ce temps à quelque chose d'utile. La page d'accueil d'eBay se chargea sous ses yeux picotants de fatigue mais qui refusaient obstinément de se fermer. Il parcourut rapidement tous les intitulés des rubriques. Finalement, il cliqua sur le lien qui menait à la recherche approfondie.

Il tapa le mot-clef « livre » dans la première case et confirma la recherche. Il tomba sur une page pleine de livres de poche, d'images, de guides... Mais rien qui ressemblait à ce qu'il cherchait. Dans une colonne, à gauche, il s'aperçut qu'il pouvait affiner sa recherche en choisissant une catégorie de livres plus précise. Il avait le choix entre « Jeunesse » – même pas la peine d'essayer, il ne voyait pas le rapport -, « Romans, littérature » – si, comme il en avait eu la preuve le soir du 14 Juillet, le détenteur du livre l'avait ouvert, il avait pu constater qu'il ne racontait aucune histoire romanesque – « Loisirs, vie pratique » et enfin, celle qui attira son attention : « Livres anciens, avant 1900. »

Évidemment, on ne pouvait pas dire que le Livre-Monde était ancien. Il venait d'un autre univers où le temps ne s'inscrivait pas de la même manière que celui de la Terre, mais pour quelqu'un qui ne comprenait pas ce qu'il avait devant lui, cela pouvait passer pour un livre ancien, ou rare…

Il cliqua sur le lien sans trop y croire, mais en s'accordant cette dernière chance avant de se traîner jusqu'au lit. Commença alors la recherche fastidieuse : scruter toutes les photos présentées en vignettes minuscules, accompagnant les produits proposés, ou alors lire les annonces quand elles n'étaient pas illustrées.

Au moins, cet exercice avait l'avantage de pousser Nathan au sommeil. Le doux engourdissement qu'il espérait tant envahissait enfin son corps. Son cerveau ralentissait, ses yeux clignaient de plus en plus.

- Bon, je crois que c'est l'heure du dodo, se murmura-t-il à lui-même, persuadé qu'il ne trouverait rien ici.


Au milieu de la nuit, après toutes les émotions de la journée, la théorie de Lia paraissait beaucoup moins lumineuse.

Nathan allait quitter son navigateur quand une ultime annonce attira son regard.

« Livre ancien, couverture métallique, origine indéterminée ».

Une photo sombre accompagnait cette brève présentation, montrant un motif en arabesques gravé dans du métal doré.

Nathan se sentit traversé d'un frisson qui chassa les limbes du sommeil tentateur en quelques secondes. Il cliqua fiévreusement sur le lien et découvrit l'annonce complète. Ce qui l'intéressa particulièrement, ce furent les photos. Il y en avait trois au total, qui montraient le Livre-Monde posé sur une table en contreplaqué blanc écaillé. Le plan large le dévoilait en entier, doré, mais sans éclat, épais, parfaitement reconnaissable pour quelqu'un qui avait tenu son « frère » entre ses mains. Deux plans plus serrés détaillaient la couverture. Elle ressemblait à celui du Livre des Âmes, mais le motif principal gravé dans le métal était différent : il représentait un cercle complété, en son centre, d'un autre rond.

Le Livre des Lieux. Il était là ! Juste là !

Mis vulgairement aux enchères sur eBay!

Nathan focalisa son attention sur le vendeur. Son pseudo était prétentieux : «Vendeur-de-trésor », il n'y avait aucune indication permettant d'en deviner plus à son sujet. C'était sa première vente sur ce site. Il vivait en Île-de-France, et démarrait les enchères du livre à mille cinq cents euros. On pouvait dire qu'il ne perdait pas le nord ! Mais Nathan décida que Chébérith valait beaucoup plus que mille cinq cents euros. Ils trouveraient une solution pour rassembler cette somme...

Le sentiment de frustration qui monta en lui était énorme. Il avait retrouvé le livre, et il ne pouvait rien faire. En plus, il n'avait pas les idées claires à cette heure de la nuit. La date de fin des enchères le rassura : elles se terminaient dans deux semaines. Il avait deux semaines pour trouver une solution.

Il rédigea rapidement un mail à Lia, Eyver et Zayn en y insérant en copie le lien de la page de l'annonce et éteignit son ordinateur. Il se remit au lit, le cerveau plus en ébullition encore que précédemment. Un mélange d'espoir et d'inquiétude hantant ses pensées confuses, il finit par sombrer dans le sommeil... Il fut réveillé en sursaut par son téléphone.

- J'y crois pas ! J'y crois pas ! C'est dingue ! Tu l'as retrouvé ! T'es trop fort, t'es un champion ! hurlait Lia à l'autre bout de la ligne, forçant Nathan à émerger du rêve dans lequel il s'égarait et à écarter le combiné de son oreille.

- Calmos, Lia. Tu n'as pas vu l'heure à laquelle je t'ai envoyé le mail ? J'ai passé une nuit pourrie.

- Si, j'ai vu, il était presque cinq heures du matin, mais il est midi passé et sept heures de sommeil, c'est largement suffisant pour les héros. Je descends chez toi, j'apporte les croissants que ma mère a achetés. T'as de la chance, j'ai pas tout mangé !

Et il raccrocha.

Nathan se laissa retomber sur son oreiller en gémissant. Il avait l'impression que ses yeux n'accepteraient plus jamais de s'ouvrir. Finalement, au prix d'un gros effort, il fit basculer ses jambes par-dessus le bord du lit. Il s'étira en bâillant, dérouilla ses ailes en les déployant complètement à plusieurs reprises et enfila un tee-shirt troué. Il trouva ensuite le chemin de la salle de bains.

Lia sonnait déjà à sa porte quand il en sortit un peu rafraîchi.

Son amie se rua dans l'appartement en gesticulant d'excitation,

- J'ai eu Zayn au téléphone ! Bon, on a forcément parlé de « tu sais quoi». Mais, surtout, il a reçu ton mail et il se remet de ses émotions en tentant de prendre contact avec le vendeur. Tu le connais : monsieur efficacité. Il me rappelle dès qu'il a des nouvelles.

- Il ne vient pas ici ?

- Non... Je crois que pour le moment il n'a pas envie de te voir ni de te parler.

Nathan fit la grimace.

- T'inquiète, il s'en remettra ! Quand vous aurez recréé Chébérith, il se trouvera un gentil Chébérien tout mignon et il t'oubliera...

- Arrête de dire n'importe quoi !

Mais Nathan ne put s'empêcher de rire.

Comme promis, Lia avait apporté le petit-déjeuner et les deux amis se rendirent dans la cuisine.

Nathan dévora les croissants et but un grand verre de lait pour les faire passer, tout en écoutant Lia déblatérer sur son génie personnel : c'était grâce à elle qu'ils avaient retrouvé la trace du Livre-Monde, et Chébérith lui devait à présent une reconnaissance éternelle.

- Je suis sûr que quand la planète sera recréée on te nommera dans les livres d'histoire et on t'érigera une statue, marmonna Nathan qui avait du mal à se réveiller complètement.

Lui aussi était encore sous le choc de sa découverte nocturne. Il ressassait également le fait que Zayn ne les rejoigne pas. Décidément, tout devenait trop compliqué, tout allait de travers. Il ne comprenait pas comment ils allaient pouvoir s'en sortir s'ils ne se parlaient plus.

Une fois Lia remontée chez elle, Nathan remarqua qu'Aela lui avait laissé un message car elle avait envie de le voir aujourd'hui. Un sourire un peu niais sur les lèvres, le garçon lui répondit par texto pour lui dire qu'il descendait au parc. Il se mit en tenue de sport, enfila ses chaussures de course, enfonça les écouteurs de son iPod dans ses oreilles et partit courir. Il avait besoin de se défouler, de mettre de l'ordre dans le tourbillon de ses pensées...


Ce matin-là, dès son réveil, Lenny se connecta sur eBay, son pied frappant frénétiquement le sol sous la petite table bancale qui lui servait de bureau improvisé, le temps que l'ordinateur s'allume et que la page se charge. Il fut déçu de constater que personne n'avait encore placé d'enchère sur son annonce. Sous le coup de l'énervement, il donna un grand coup de poing sur le mur à côté de lui et ne réussit qu'à se faire mal. Respirant profondément, il se morigena en se disant qu'il ne l'avait mise en ligne que la nuit précédente et qu'il fallait attendre encore un peu. Chaque chose en son temps, se rassura-t-il. Il ne fallait pas être trop pressé... Et si ça ne marchait pas cette fois, il recommencerait autant de fois qu'il le faudrait. Ce livre tournait à l'obsession. Il n'arrivait même pas à comprendre pourquoi il en avait fait la solution à tous ses problèmes... Mais il voulait y croire. Il s'accrochait à cette idée comme un homme en train de se noyer s'agrippe à une bouée.

Toutefois, avant de se rendre sur son nouveau chantier, il prit le temps de consulter ses mails et là, son coeur fit un bond dans sa poitrine : il avait deux messages privés en provenance de eBay ! Son espoir remonta en flèche, l'avenir radieux qu'il fantasmait depuis quelque temps reprit contenance... Il était à deux doigts de le réaliser !

Cette fois, il prit le temps d'aller se préparer un café pour faire retomber la tension qu'il sentait monter en lui. Respirer, se calmer... Enfin, il se rassit devant son ordinateur, une tasse fumante à la main. Il se sentait prêt à découvrir la teneur des messages.

Prenant une grande inspiration, il se pencha sur l'écran.

De : PassiondesLivres

À : Vendeurdetrésor

Objet : Livre ancien, couverture métallique, origine indéterminée

Cher vendeur,

J'ai découvert votre annonce sur eBay et le livre que vous mettez en vente m'intéresse au plus haut point. Je collectionne les livres originaux, étonnants, et celui que vous présentez m'a tout l'air d'être une pièce unique : au cours de mes nombreuses années de recherche pour assouvir ma passion, je n'ai jamais rien vu de tel.

Toutefois, vous ne précisez pas ce que le livre contient. Est-ce un roman ? Une bible ? Pourriez-vous me fournir cette information, afin que j'évalue un peu mieux l'intérêt de l'objet ?

Je vous remercie par avance,

Cordialement,

Pierre alias PassiondesLivres

Lenny poussa un gémissement de joie. Quelqu'un s'intéressait au livre! Les enchères allaient monter, c'était bien plus sûr que de jouer au Loto ! Il était tellement énervé qu'il dut se lever et faire quelques pas avant de se rasseoir. Il devait faire attention, il allait tourner dingo à ce rythme-là ! N'y tenant plus, il tapa fébrilement sur le clavier pour répondre au collectionneur.

De : Vendeurdetrésor

À : PassiondesLivres

Objet : Re: Livre ancien, couverture métallique, origine indéterminée

Cher Pierre,

Vous avez du flair ! Ce livre est unique ! Je ne peux pas vous décrire son intérieur car je n'ai pas de mots pour ça. Ce n'est ni un roman ni une bible. Le plus simple, c'est que je prenne quelques photos et que je vous les envoie. Je m'en occupe le plus rapidement possible.

Vendeurdetrésor

Satisfait, il relut sa réponse avant de l'envoyer. Si, avec ça, il n'avait pas titillé la curiosité de ce Pierre, il ne voyait pas ce qu'il pouvait faire de plus ! Toutes ces énigmes, c'était parfait pour mettre encore plus l'eau à la bouche. Au début, il n'avait pas mis de photos des pages intérieures volontairement : les trouvant décevantes lui-même, il ne voulait pas décourager les acheteurs. Mais, finalement, cette omission avait créé une bulle de mystère autour du livre, le rendant encore plus attractif. Ah ! Il était radieux ! Il était sûr que ça se voyait sur son visage. Il prit le temps de siroter son café, les yeux clos, avant d'ouvrir le second message. Si plusieurs personnes voulaient son trésor, il allait les pousser dans les retranchements de leurs comptes en banque. Il ricana, mais s'interrompit rapidement.

À la lecture de ce mail, un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale...

De : Eden962

À : Vendeurdetrésor

Objet : Livre ancien, couverture métallique, origine indéterminée

Madame ou Monsieur,

Je suis extrêmement intéressée par votre livre, que je suis prêt à acheter tout de suite, sans passer par le site eBay. Je tiens à vous prévenir aussi que cet objet est dangereux. Je sais que vous l'avez ouvert. Surtout, ne recommencez pas, sous aucun prétexte !

N'hésitez pas à me contacter pour me donner votre prix.

Je reste à votre disposition.

Lenny relut ces quelques lignes plusieurs fois, le temps de saisir chaque mot inscrit en noir sur son écran. Il y avait cette phrase qui le plongeait dans un abîme de perplexité : « Cet objet est dangereux. » Comment un simple livre pouvait-il être dangereux ? C'était ridicule. Par contre, le gars lui demandait de ne pas le rouvrir. Comment savait-il qu'il l'avait ouvert une première fois ? Sur la photo, la languette qui était censée le maintenir fermé semblait intacte et il n'avait pas mis les photos de ses pages. Il n'y avait aucun moyen pour lui de le savoir...

Ce message excita encore plus Lenny. Il le savait qu'il tenait quelque chose de précieux et de rare ! Il allait se faire un fric fou! Il n'avait plus le temps de répondre à Eden962. Se promettant de le faire le soir-même, il se dépêcha de partir sur le chantier où on l'attendait.


Zayn tournait en rond dans le grand appartement de son oncle. Garder son calme, respirer, ignorer la chaleur qui l'étreignait en écharpes lourdes, pour laisser place l'instant d'après a des frissons glacés qui le secouaient, en plus de l'angoisse, la peine, le regret... Ne pas sauter sur son ordinateur toutes les cinq secondes, espérant à chaque fois trouver un mail du vendeur du Livre-Monde. Mais c'était plus fort que lui.

Après son réveil, il avait d'abord pris une longue douche fraîche, avait tenté d'avaler un petit-déjeuner, mais le fruit dans lequel il avait croqué était resté coincé en travers de sa gorge. Malgré lui, l'acte banal de poser ses lèvres sur la peau douce de la pêche lui faisait penser au spectacle de Nathan embrassant Aela. Même en gardant délibérément les yeux ouverts, il les voyait flotter dans la pénombre, serrés l'un contre l'autre, et cette vision chavirait son coeur, lui donnant la nausée. Comme avait-il osé les trahir en révélant à cette fille sans cervelle qu'il avait des ailes, qu'il venait d'un autre monde ? Cette crétine était capable de les mettre tous en danger ! Certainement que déjà elle avait raconté à toutes ses copines que son petit ami l'envoyait au septième ciel ! Pff ! C'était écoeurant.

Et, surtout... comment Nathan avait-il osé lui faire ça ? Il avait cru qu'il l'aimait, au moins suffisamment pour l'embrasser, lui, le serrer contre son coeur. Zayn devait bien l'admettre, il mourait de jalousie ! Après tout ce qu'ils avaient vécu ensemble ! Il lui suffisait de fermer les yeux pour se revoir allongé sur le sable tout près de lui, au bord de la mer, à peine quelques jours auparavant. Il ressentait encore le bonheur qu'ils avaient partagé, virevoltant dans le ciel bleu des calanques. Il se souvenait de l'émotion qu'il avait éprouvé quand il avait posé la tête sur son épaule, tout en haut de la tour Montparnasse, et le visage inquiet qu'il avait eu pour lui après l'attaque de l'Avaleur de Mondes.

Il croyait... il pensait... qu'il l'aimait... Mais finalement il s'était trompé. Il fallait se faire à cette idée, réapprendre à le considérer comme un ami, contrôler les battements de son ceur quand il serait près de lui, ne pas respirer son parfum quand ils se croiseraient, ne pas admirer son visage parfait, ne pas se noyer dans ses yeux...

Pour s'occuper l'esprit, il avait entrepris de ranger la cuisine déjà impeccable, avant d'aller se mettre à ranger, par ordre alphabétique, les livres de l'énorme bibliothèque de son oncle. Puis il reçut le coup de fil hebdomadaire de sa mère... Il était six heures de moins à New York et elle l'appelait avant de commencer sa journée de travail, faite de rendez-vous avec des gens importants et d'activités superficielles pour paraître toujours jeune et en forme.

- Zayn, mon chéri, comment vas-tu ? lui demanda-t-elle, la voix teintée d'un accent américain qu'elle cultivait volontairement. En réalité, le français, qui était sa langue maternelle, restait bien ancré, mais elle trouvait que cela lui donnait un genre...

Zayn soupira, se demandant si sa mère avait conscience qu'il y avait des choses plus graves sur la planète qu'un faux accent...

- Ça va, maman, et toi ? Quoi de neuf de l'autre côté de l'Atlantique ?

- Just the same... Il fait très chaud, et la clim est tombée en panne pendant deux jours, j'ai cru que nous allions mourir. Heureusement, ton père a eu la bonne idée de nous offrir un petit séjour à l'hôtel, c'était très romantique !

- Super...

- Et toi ? Tu ne me dis jamais rien. Que fais-tu à Paris ?

- Je fais du tourisme. Je suis montée en haut de la tour Montparnasse et j'ai visité la tour Saint-Jacques, répondit Zayn d'un ton las.

- Oh wonderful ! Comment vont Ben et les enfants ?

- Très bien. Ben a beaucoup de travail, comme d'habitude. Les cousins sont partis en colonie de vacances pour deux semaines, alors c'est calme à la maison.

- Tu ne veux pas rentrer ?

- Pas encore, maman. Je passe un été sympa, je sors avec mes amis (Zayn grimaça en prononçant ces mots), je suis bien occupé.

- Bon, c'est comme tu veux... Tu nous manques, tu sais ?

Le jeune homme ferma les yeux et sentit des larmes perler aux coins de ses paupières. Sa mère ne lui disait que très rarement ce genre de chose. Et dans le trop-plein d'émotions qu'il traversait, Zayn avait envie, juste là, maintenant, de se jeter dans les bras réconfortants de sa maman, d'enfouir son visage contre sa poitrine et de pleurer en lui racontant ses misères amoureuses. Il ravala son chagrin et répondit d'une toute petite voix :

- Vous me manquez aussi...

- Are you okay, honey?

- I am, don't worry...

Zayn se dépêcha de trouver un sujet de conversation plus léger. Ils parlèrent ainsi encore quelques minutes avant de raccrocher. Sa mère devait partir au travail, il était temps...

Le Chébérien ferma les yeux et se projeta dans son appartement à New York. Il imagina sa mère, au téléphone dans le salon, tournant les pages de son agenda rempli de notes et de rendez-vous en même temps qu'elle lui parlait. Il pensa à sa chambre, vide depuis toutes ces semaines, à ses livres, sa terrasse, qui donnait sur Central Park. Il avait le mal du pays. Tristement, il s'assit sur son lit, se demandant s'il n'allait pas se plonger, une fois de plus, dans la lecture du carnet de Mélior pour se changer les idées, mais il ne s'en sentait pas le courage.

En panne d'inspiration d'activités « utiles » dans la maison, il alluma son ordinateur, résigné. Il avait évité de le faire avant, de peur de trouver ou non un message de Nathan. S'il y en avait un, qu'allait-il lui dire ? S'il n'y en avait pas, que devait-il penser ?

Après avoir ouvert sa messagerie en se mordillant la lèvre inférieure d'angoisse, il poussa un soupir de soulagement. Nathan lui avait envoyé un mail dans la nuit. Peut-être ressentait-il des remords, des regrets ? Impatient de découvrir ses excuses, il ouvrit ce message en premier. La déception le submergea aussitôt. Nathan n'exprimait aucun sentiment personnel dans sa lettre. C'était un courrier qu'il avait envoyé aussi à Lia et à Eyver pour leur apprendre une nouvelle capitale : il avait retrouvé le second Livre-Monde ! La surprise chassa momentanément sa douleur. Le coeur battant, oubliant ses peines sentimentales, Zayn cliqua sur le lien d'eBay et éplucha l'annonce.

Il réfléchit un moment. Devait-il poser une enchère tout de suite ? Il restait deux semaines avant la fin de l'opération. Deux semaines ! Un délai beaucoup trop long, qui laissait l'Avaleur de Mondes libre de les harceler encore, voire de récupérer le livre avant eux. Et puis ce n'était pas dans son tempérament d'attendre. Il devait agir, et tout de suite ! Finalement, il décida d'envoyer directement un mail au vendeur, dans le but de négocier avec lui une vente sans intermédiaire.

Lia l'appela alors qu'il venait d'envoyer son message. Évidemment, ils parlèrent des événements de la veille.

- Nathan est inconscient ! Il volait avec Aela dans les bras ! Je croyais que nos ailes, nos origines, devaient rester un secret et voilà qu'il se la joue pour épater une blondasse...

Lia ricana au ton sec et agacé de Zayn.

- Calmos. Tu attribues bien peu de crédit à la discrétion de Nathan. Il ne lui a rien révélé. Elle savait déjà tout. Elle est à moitié chébérienne elle-même.

- Quoi ?

Lia prit le temps de lui expliquer la situation. Zayn était abasourdi. Un Chébérien avait eu un enfant avec une Terrienne ! Cela signifiait que leurs patrimoines génétiques étaient assez proches pour créer un être ensemble. Il aurait dû s'en douter, puisque des Terriennes avaient porté, sans problème, des enfants chébériens... Mais quand même, cette révélation était énorme !

Il enchaîna sur la découverte de Nathan et le message qu'il avait envoyé.

- J'ai déjà écrit au vendeur. Je suis prêt à lui donner ce qu'il veut en échange du livre. Et je l'ai mis en garde : il ne faut pas qu'il le rouvre. Cela va attirer l'Avaleur de Mondes vers lui.

- Tu ne veux pas nous rejoindre, Nathan et moi, pour qu'on agisse ensemble, comme d'habitude ?

- Non... Pas tout de suite. Je préfère pas. Laisse-moi quelques jours pour être capable de regarder Nathan en face sans me mettre à jouer aux fontaines intarissables.

Lia eut un petit rire.

- Je ne t'imagine pas du tout en fontaine ! Je te verrais plutôt lui mettre un poing dans la figure.

- Tu n'as pas tort, tu sais. C'est d'autant plus prudent de ne pas le voir tout de suite ! répondit Zayn en riant lui aussi.

- Tiens-moi au courant, d'accord ? conclut Lia.

- Évidemment.

Il attendait... Le fameux vendeur d'eBay ne répondait pas. Un certain PassiondesLivres avait enchéri et Zayn, sous son pseudo Eden962, avait fait de même, juste par principe. Pas question de se faire souffler le Livre-Monde sous le nez. Il ruinerait ses parents s'il le fallait, mais il le récupérerait coûte que coûte.

Pour faire passer le temps, il extirpa finalement les photocopies du carnet de Mélior qu'il cachait sous son matelas, pour en surligner quelques passages au marqueur fluo. Il aimait surtout les descriptions de Chébérith, qui, en quelques mots, le transportaient dans son monde d'origine. Il ferma les yeux et s'envola alors, par la pensée, au-dessus de l'océan Majilpuûr, peuplé d'agrales.

" L'océan Majilpuûr est le plus vaste de Chébérith. Ses abysses sont tellement profonds que personne n'a encore réussi à en étudier les fonds. Traversé de courants chauds, il recèle une faune et une flore riches et superbes. Des bouquets de pourpral - délicates plantes arachnéennes aux reflets violets - aux couflons qui recouvrent les rochers, telles des pierres précieuses végétales et brillantes, chaque parcelle de cet océan est un enchantement de couleurs et de diversité. Les agrales en sont peut-être l'espèce la plus étonnante. On ne les trouve que dans le Majilpuûr, où elles suivent les courants chauds d'un continent à l'autre, selon les périodes de l'année. Ces cétacés pourraient être comparés aux baleines sur la Terre. Ils pèsent plusieurs tonnes et leur « visage » est comme celui des dauphins, paraissant sourire perpétuellement. Leurs yeux, assez gros et globuleux semblent renfermer une sagesse, une douceur qui en font souvent les animaux préférés des enfants, et les plus fascinants pour les adultes.

Les agrales aiment accompagner le vol des Chébériens qui rasent la surface de l'océan. Quand elles repèrent la silhouette de quelqu'un, ailes déployées, qui survole les flots, ces bêtes gigantesques font émerger leur dos de l'eau et envoient des messages par le biais de leur peau qui change de couleur en fonction de leur humeur. Elles forment un arc-en-ciel nacré qui scintille sous le soleil. De nombreux Chébériens ont tenté de déchiffrer les messages, les harmoniques colorées que dessinent les agrales, sans succès. Leurs clignotements, leurs pictogrammes pigmentés sont toujours restés un mystère. Ce que l'on sait, c'est que les agrales ont un sens particulier de l'humour. Parfois, quand leur dos devient entièrement vert, elles expulsent un jet d'eau de leur évent, destiné à arroser le Chébérien qui vole juste au-dessus. Quelle douche ! Il vaut mieux se trouver assez près de la côte pour se réchauffer et se changer rapidement ! "

Zayn adorait ce passage. Il rêvait de rencontrer les agrales, de voler au-dessus de leurs sillages, voire de se faire arroser. Si un jour, il avait la possibilité de vivre sur Chébérith, il étudierait lui aussi les pensées arc-en-ciel de ces monstres marins. Il en était certain, il arriverait à les comprendre.

Mais pour cela il fallait recréer Chébérith, les Chébériens et tous les endroits - dont l'océan Majilpuûr et ses étranges habitants - de la planète, enfermés dans le Livre des Lieux détenu par ce fameux Vendeurdetrésor. Il alla vérifier pour la millième fois sa messagerie, toujours aussi désespérément vide...


Bien que la journée touchât à sa fin, la chaleur remontait en nappes brûlantes du trottoir, donnant l'illusion que les voitures garées contre son bord tremblotaient. L'ombre dispensée par le store de la brasserie ne suffisait pas à offrir un peu de fraîcheur à un Lenny qui frissonnait malgré tout. Perdu dans ses pensées, il fixait un point invisible sur l'asphalte ramolli de la route. Il entendait, en bruit de fond, la conversation de ses collègues qui s'offraient, comme tous les soirs, la bière fraîche tant méritée après une dure journée de chantier en plein soleil.

D'habitude, il participait aux discussions, aimait faire de bons mots pour faire rire ses camarades, être le centre d'intérêt. Mais, ce soir, il n'avait qu'une hâte : rentrer chez lui pour voir si les enchères avaient monté, et pour répondre à ce mail qui lui trotter.

Il y avait pensé toute la journée, effectuant son travail presque machinalement, son esprit entièrement tourné vers toute cette histoire de livre. Que faire ? Devait-il interrompre la vente sur eBay et fixer un prix de vente à Eden962 ? Si oui, quel montant proposer ? Et si les enchères montaient encore plus haut que tout ce qu'il pouvait imaginer ? Toutes ces questions tournaient sans cesse dans sa tête. Dans un premier temps, il valait mieux observer le déroulement des événements sur eBay.

Des pleurs d'enfants attirèrent l'attention de Lenny et le sortirent un peu de sa transe. Un frère et une soeur se disputaient un ballon distribué par un restaurant situé un peu plus haut dans la rue. La mère s'interposa entre les deux et, excédée par leurs cris, fit éclater le ballon sous les yeux horrifiés des petits.

- Tant pis pour vous ! Si vous acceptiez de partager un peu plus, vous auriez pu en profiter tous les deux. Maintenant, il n'y a plus de ballon.

Ravalant ses larmes, le garçon regarda tristement les lambeaux du beau ballon disparaître dans la poubelle avant de rattraper sa mère déjà partie en avant.

Une tierce personne... D'un seul coup, le cerveau de Lenny se mit en ébullition. Il savait ce qu'il allait faire. Tout lui apparaissait maintenant clairement. Pour commencer, il devait refuser la proposition de Eden962 et maintenir l'enchère telle quelle. Il avait deux acheteurs potentiels qui s'étaient manifestés. C'était bien, mais pas suffisant. Il en fallait un troisième qui fasse monter les chiffres, qui devienne l'arbitre de la bataille, en quelque sorte. Et il allait devenir cette troisième personne. Il allait se créer un autre compte et enchérir lui-même sur son livre, afin de faire grimper le nombre d'euros au compteur. Il verrait bien jusqu'où ça pouvait monter ! Se levant d'un bond, il manqua de renverser sa chaise en plastique et déposa quelques euros sur la table.

- Hé, Lenny, tu pars déjà ? T'as même pas terminé ta bière !

- Finis-la pour moi, Gégé. J'ai un truc urgent à faire, je rentre. À demain !

Et, sans se retourner, Lenny s'éloigna pour se perdre dans la foule.