Bonjour à tous,
Nous voici au terme et je vous ferai mes adieux en bonne et due forme, une fois arrivés au mot fatidique.
Je tenais juste à préciser quelque chose ici par rapport à la conversation qui va avoir lieu au tout début de ce chapitre.
Certaines d'entre vous avaient exprimé leur curiosité face à ce que je considérais comme les trois responsabilités principales de l'homme dans son mariage, tout comme je l'ai fait pour la femme. Malheureusement, mes réflexions et les études que j'ai menées sur le sujet ne sont pas du tout abouties. Et plutôt que de dire des bêtises, j'ai préféré me taire, le temps de comprendre un peu mieux la nature masculine et ses responsabilités propres.
Cependant, nourrie par Lewis, Tolkien, Chesterton, Frison-Roche, des études en philosophie, quelques balades en psychologie, biologie et génétique, et surtout les psychologues Jordan Peterson et John Eldredge, je me suis risquée à exposer ici les trois grandes aspirations d'un homme. Que cela vous étonne, vous intrigue ou vous indigne, je serai toujours prête à en discuter avec vous et je ne peux que vous recommander les auteurs cités plus haut qui vous en parleront bien mieux que moi.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture et je vous retrouverai à la fin ! ^^
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Chapitre 28 – Jusqu'à transformer le paysage
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- 58 ans après la défaite d'Aizen – 15 Octobre -
« Ah, Byakuya. Merci de t'être déplacé jusqu'à moi alors que tu es dans les tout derniers préparatifs. »
« J'ai été désolé d'apprendre que vous ne pourriez pas vous rendre à la réception. »
Juushiro Ukitake esquissa un faible sourire, considérablement affaibli par sa dernière attaque. Il avait l'habitude de ne pas se projeter dans l'avenir, sa maladie l'ayant accoutumé à savourer précieusement chaque seconde du présent. Même une simple chose comme assister au mariage de son ancien élève n'avait rien de garanti pour lui. Et effectivement, il ne serait jamais remis à temps pour la cérémonie qui devait avoir lieu deux jours plus tard.
« Je tenais à partager avec toi… une réflexion, quelques conseils tirés de mon expérience. Je comptais le faire le jour-même mais c'est mieux comme ça. Nous serons moins pressés par le temps et les sollicitations mondaines. On pourrait croire qu'un célibataire perpétuel n'a pas grand-chose à dire sur le mariage. Mais c'est souvent grâce à cette position privilégiée d'observateur, et parfois de confident, que l'on arrive à comprendre quelques vérités essentielles. A vrai dire, ce n'est pas tant sur le mariage en lui-même que je souhaite t'entretenir, mais sur tes aspirations d'homme par rapport à la vie conjugale et familiale. »
Il ferma les yeux un instant, cherchant à reprendre un souffle ténu tout en refoulant une quinte.
Byakuya lui tendit un verre d'eau, gardant le silence, attentif. Il se revoyait jeune élève auprès de ce mentor choisi par sa famille, alors que son maître cherchait à tempérer ses emportements, prodiguant observations et moyens de canaliser son énergie. Suite à la mort d'Hisana, le jeune noble avait coupé les ponts avec toutes ses relations, s'enfermant dans son deuil et ses remords. Ce n'est que depuis quelques décennies qu'il avait repris ses visites régulières chez celui qui était devenu un ami et un conseiller discret.
Juushiro accepta le verre d'eau et but deux gorgées prudentes avant de le rendre. Un empilement d'oreillers le tenait dans une position mi-assise, mi-allongée, ce qui facilitait la prise d'air et évitait qu'il ait à se relever à chaque fois qu'il devait saisir quelque chose.
« J'ai toujours regretté de ne pas t'en avoir parlé lors de ton premier mariage. Cela n'aurait sans doute pas changé grand-chose, ou peut-être que si. Peu importe, dans ma situation, on ne peut pas se permettre d'être paralysé par les « et si ? ». Quant aux devoirs qui t'incombent en tant qu'homme, noble, chef de clan, époux et, un jour peut-être, père, d'autres seront plus à même d'en discuter avec toi. Tu as d'ailleurs conscience de la plupart d'entre eux. Non, ce qui m'importe aujourd'hui, ce sont les trois grandes aspirations d'un homme. Du moins, de ce que j'ai pu en discerner, non seulement en guidant et conseillant d'innombrables shinigamis, mais aussi alors que ma maladie et ses handicaps me minaient dans ma fierté et mes propres aspirations. »
Et il laissa entrevoir pour la première fois à Byakuya un sourire teinté d'amertume.
« Le premier de trois, c'est vivre une aventure. Explorer, découvrir, tester, ne pas se retrouver enfermé dans des « ne fais pas ci » et « ne va pas là » mais avoir la possibilité de parcourir le monde ou bien de se retirer au désert, d'être seul face à soi-même et de prendre sa mesure. La peur nous retient dans des habitudes ancrées, dans des automatismes, mais ce n'est pas face à une petite vie bien rangée et bien nette que l'on est à même de répondre aux questions qui nous taraudent : « Qui suis-je ? », « A quoi suis-je destiné ? ». C'est face à l'inconnu, à l'insolite, au danger, que l'homme reçoit son nom. Le mariage, c'est également inviter sa femme à cette aventure. Certains disent que la plus grande aventure de l'homme, c'est la femme. Ils n'ont rien compris. Car les plus belles aventures sont sans doute celles que l'on partage avec elle. Et être sa propre aventure n'aura jamais aucun intérêt pour elle. Elle se connaît, elle sait qui elle est dans ses merveilles et ses blessures.»
A nouveau, il dut s'arrêter alors que la toux menaçait de déchirer sa gorge. Cette fois-ci, il ne l'enraya pas à temps et Byakuya dût le soutenir alors qu'il était durement secoué par les quintes. Elles finirent par s'amenuiser jusqu'à stopper complètement et le malade essuya péniblement le sang avant de boire un peu pour chasser le goût ferrugineux.
« Ne voulez-vous pas continuer cet entretien une autre fois ? » Proposa son ancien élève.
Mais il secoua la tête d'un air décidé. « Je l'ai déjà remis à plus tard une fois. C'est un luxe dangereux pour quelqu'un comme moi. Et puis, tu n'es plus un tout jeune homme. Tu as déjà deviné beaucoup de ces choses. Cela m'économisera des paroles. »
« La seconde aspiration, c'est de mener un combat. Nous sommes des êtres violents par nature. Et il y a cette tendance dans certaines familles, certains milieux, de tenter de réfréner et condamner à tout prix cette violence. Sauf que ce n'est pas en niant sa force qu'un homme apprendra à la maîtriser. Au contraire, c'est seulement en l'utilisant, en sachant ce dont on est capable, qu'on peut alors employer à bon escient cette soif de combats, d'affrontements, ce besoin de se mesurer à des adversaires. Lorsque celle-ci est étouffée, dénaturée, réprimée, l'homme se retrouve face à un cul-de-sac. Et bien souvent, il finit par la retourner contre ceux qu'il devrait protéger. Tu étais passionné, emporté, un tempérament difficile à contrôler. J'ai toujours applaudi la sagesse de tes parents qui, au lieu de condamner tes élans, t'ont permis de commencer l'entraînement au sabre bien plus jeune que prévu. Mais certains ne sont pas aussi chanceux. J'étais très inquiet pour toi suite à toute cette histoire, alors que tu vivais retranché de tout et de tous, un étranger pour toi-même. Aujourd'hui, je suis heureux de retrouver un peu du jeune homme qui s'est présenté à ma porte il y a déjà longtemps. Nous devons être fiers d'être forts, et encore plus fiers d'utiliser cette force pour protéger et secourir aussi bien ceux qui nous sont chers que les plus faibles. »
Il fit une pause, sourire aux lèvres, regard vers le plafond, avant de tourner la tête vers Byakuya et de le regarder droit dans les yeux.
« Je me souviens de mon dernier voyage dans le monde des vivants, il y a quelques années de cela. Et la façon dont on élevait les garçons, la façon dont on considérait les hommes m'a horrifiée. Je ne sais pas ce qu'on voulait en faire, des chiens domestiqués peut-être, mais certainement pas des hommes. Je me suis toujours dit qu'on ne pouvait pas qualifier de bon un homme inoffensif. Un homme inoffensif n'a pas eu à choisir d'être bon ou mauvais. Il n'y a eu aucune volonté de sa part d'être bon. Et le jour où on lui remet un grand pouvoir entre les mains est le jour où l'on risque un nombre incalculable de victimes. Car il ne s'est jamais mesuré aux autres et à lui-même. Il n'a jamais eu à lutter pour choisir le bien plutôt qu'autre chose. Mais un homme dangereux, un homme fort, est un homme qui doit constamment choisir le bien, poser un acte de volonté, s'y engager tout entier. Je confierais beaucoup plus facilement la vie des personnes que j'aime à un homme dangereux et bon qu'à un homme inoffensif. Quant à toi, tu as eu tes moments de lutte, de doutes, de tentations et de faiblesses. Tu as choisi, tu as lutté, tu as persévéré, tu as réparé. C'est pourquoi tu as toute ma confiance et mon respect. Je suis fier de toi Byakuya, pour l'homme que tu es devenu. Ta famille pourra compter sur toi, sur ta protection, ta force, ta présence. »
Il rassembla ses idées, respiration sifflante. Byakuya n'osait pas l'interrompre, de peur de l'épuiser à parler encore plus.
« Enfin, la troisième. »
Il s'arrêta, un petit sourire au coin des lèvres.
« Cela, je crois que tu y a réussi sans mes conseils. »
Il ferma à nouveau les yeux.
« Conquérir une belle. A cela, j'ai dû renoncer dès le départ. Je ne pouvais pas me permettre d'offrir une telle vie à qui que ce soit. Si j'avais su que je survivrais aussi longtemps, peut-être aurais-je agi autrement. Mais on ne prend jamais de décisions en connaissant l'avenir. On choisit du mieux possible avec ce que l'on sait du présent et du passé. Ma décision était honorable et juste à l'époque, elle le reste aujourd'hui. »
Il jeta un regard à la fois amusé et triste à Byakuya.
« Je ne comptais pas ressasser ma propre vie avec toi. Mais nous arrivons bientôt à la fin de mon discours. Car il y a un écueil dans lequel nous tombons souvent. Alors que notre dame demande à être choisie entre toutes et aspire à un homme qui se bat pour elle, avec elle à travers ses propres luttes, l'homme, lui, a souvent l'impression d'être un imposteur, de ne pas être suffisamment digne, pas suffisamment vaillant ou capable. Et cette peur le ronge, empoisonnant sa fierté, anéantissant son assurance, nous donnant l'impression que nous vivons dans un mensonge et une hypocrisie permanente, vis-à-vis du monde, vis-à-vis de notre famille, vis-à-vis de notre dame. Nous sommes honteux de nos blessures et de nos faiblesses. »
Byakuya baissa la tête. Des souvenirs dansaient dans sa tête, l'amertume de ses échecs revenant à ses lèvres comme un goût familier.
« Oui, il a fallu un adolescent prêt à tout pour secourir son amie, défiant au combat les plus puissants d'entre nous sans songer à l'échec, pour que tu t'extirpes enfin de l'enlisement de tes remords. Le remède est unique à chacun d'entre nous. Un père qui nous regarde avec approbation, un ami qui nous entraîne hors de chez nous, un adversaire qui nous pousse dans nos retranchements… Mais quelle que soit la manière, il nous faut accepter que nous ne nous en sortirons jamais seul. Nous devons recourir à un autre. Tu es ressorti grandi de tes épreuves, sûr de toi après avoir accepté et pansé ta blessure. C'est pourquoi, je suis bien plus confiant sur l'avenir de votre mariage que je ne l'étais pour Hisana. »
Il s'arrêta enfin, yeux perdus dans ses pensées.
« C'est tout ce dont je voulais t'entretenir aujourd'hui. Je suis heureux pour vous. Très heureux. Et je vous souhaite de vivre chaque jour comme si c'était le premier. »
Cette fois-ci, il se tût pour de bon, complètement épuisé.
Et Byakuya, face à cet homme qu'il respectait et admirait profondément, s'inclina silencieusement jusqu'à terre pour le remercier.
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- 58 ans après la défaite d'Aizen – 16 Octobre –
Chacun trop fier pour être reçu dans le bureau de son collègue comme un simple solliciteur ou subordonné, ils avaient convenu de se retrouver sur un terrain d'entraînement neutre lorsque Soi Fon avait exprimé le désir d'un entretien avec le capitaine Kuchiki.
Même s'il avait une idée du sujet de leur conversation et de ce qui avait poussé Soi Fon à provoquer cette discussion, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une grande curiosité face à cette femme que tous croyaient sans cœur mais qui avait peut-être bien en définitive une ou deux exceptions à cette règle.
« Capitaine Kuchiki. »
« Capitaine Soi Fon. »
Déjà qu'il n'était pas d'un naturel bavard, mais avec elle, il avait encore plus de mal à faire des efforts.
« Je tenais à vous informer d'une ou deux choses avant demain. »
« Je vous écoute. »
Elle le regarda, sourcils froncés, bras croisés, lèvres pincées.
« Cette petite a débarqué chez nous en loques. Il a fallu la reconstruire, morceau après morceau. L'ex-lieutenant Omaeda et moi-même avons passé des années en entraînements avec elle pour lui apprendre à marcher droit et à regarder quelqu'un yeux dans les yeux. Des années à lui redonner confiance, autant qu'on puisse se le permettre dans notre métier. Nous avons dû combattre notre propre frustration, notre envie de la secouer, de lui flanquer des claques lorsqu'elle était plus accrochée à ses peurs qu'un avare à sa dernière pièce. Autant vous dire que nous en avons bavé. Et encore, elle a accompli le plus gros du travail par elle-même. »
Elle s'approcha de deux pas.
« Alors si vous vous avisez de réduire à néant tous nos efforts et de briser en morceau tout ce qu'elle est parvenue à recoller, vous vous retrouverez marqué par ma lame avant même d'avoir eu le temps de prononcer votre nom de famille. »
Byakuya cacha soigneusement son amusement. Elle l'aurait très mal pris. Mais son attachement à la subordonnée qu'elle avait personnellement entraînée toutes ces années était touchant. Toutefois, Soi Fon était une personne extrêmement dangereuse et il n'avait aucune intention de se la mettre à dos.
« C'est entendu, capitaine. » Se contenta-t-il de répondre.
« Bien. »
Et là-dessus, elle le salua avant de repartir dans sa division.
Cette fois-ci, Byakuya se permit un sourire. Le capitaine de la 2ème n'était pas si dépourvue de sentiments. Et il l'admirait de parvenir à donner des missions suicidaires à celle qu'elle considérait comme sa protégée, si ce n'est comme sa fille, guidée par le devoir et la nécessité.
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- 58 ans après la défaite d'Aizen – 17 Octobre –
Levées avant l'aube, trois jeunes femmes babillaient autour de leur amie, la coiffant et l'habillant avec soin, après avoir revêtu leurs propres atours. Shion Oba-sama avait gracieusement offert de les loger toutes les quatre cette nuit-là afin qu'elles n'aient pas de grandes distances à parcourir le lendemain et puissent tranquillement apprêter la mariée.
De même, elle leur avait rappelé quelques consignes quant aux différentes pièces d'étoffe et ornements à poser dans les cheveux avant de les laisser seules pour ce moment si particulier, leur permettant de remplacer et combler l'absence d'une mère ou de parentes par leur amitié et leur tendresse.
Elles s'activaient rapidement, la cérémonie démarrant en fin de matinée, sans pour autant en oublier de papoter alors qu'elles révisaient leurs connaissances en termes de tissus et de traditions.
« Donc, là, on t'habille tout en blanc avec le shiromuku, puis, après la cérémonie et avant la réception, il faut qu'on t'aide à revêtir le iro-uchikake. » Se rappela Makae.
« Oui, c'est l'ensemble rouge, assez lourd, avec les fleurs de sakura en or brodé. » Indiqua Nanao.
Rangiku sifflota d'admiration. « Il est magnifique ! Ça a dû coûter une fortune ! C'est un cadeau de Byakuya ? »
« Oui. La tradition veut que l'époux l'offre à sa femme afin qu'elle le revête juste après la cérémonie. »
« En parlant de ça, ils ne t'ont pas trop embêtée avec les histoires de dot ? D'habitude, ils en font tout un foin. »
Kohana baissa la tête, un peu gênée. « Au départ, il n'en était pas question. Puis Shion oba-sama a insisté en disant que cette dot constituait la fortune personnelle de la femme et que s'il s'agissait pour beaucoup d'exhiber leurs richesses, on oubliait aussi que c'était un geste très symbolique, assurant son indépendance financière en cas de malheur. Je ne sais pas comment Omaeda-san en a eu vent mais il a soudain débarqué chez moi, insistant pour m'en fournir une, prétextant que puisqu'il devait jouer le rôle du père, il n'avait pas l'intention de faire les choses à moitié. Il a même réussi à en embarquer d'autres dans l'histoire. Kuukaku-sama m'a envoyé un coffre et un panneau magnifique, certains de mes subordonnés se sont cotisés pour m'offrir deux tableaux et des calligraphies, Soi Fon a déniché plusieurs lames provenant d'un grand maître forgeron et même Shion oba-sama y a contribué en faisant réaliser une de ces boîtes de trois cent cinquante coquillages à assembler, chaque paire représentant une histoire ou un poème célèbre.
« Tu as été sacrément gâtée. » Acquiesça Nanao.
« Et elle n'a que ce qu'elle mérite. De toute façon, Omaeda a une sacrée petite fortune. Ce n'est pas ça qui va le ruiner. » Approuva gaiement la lieutenante de la 10ème. « Et puis, ce sera pour toutes les fois où tu l'as aidé à échapper à la colère de votre capitaine. J'ai entendu dire qu'il avait joué sa vie pas mal de fois comme ça, avec le nombre de gaffes qu'il commettait. »
Kohana haussa les épaules. « Ils ont des personnalités très différentes. Je crois qu'aujourd'hui encore, elle a du mal à voir un paquet de chips sans ressentir une furieuse envie de le cramer, et lui a développé une peur bleue des chats. »
Même Nanao ne put s'empêcher d'éclater de rire en entendant cela. Elles reprirent leur calme avec difficulté, d'autant plus excitées par la journée qui les attendait. Bravement, Makae continua de faire l'inventaire des étoffes.
« Et toutes ces pièces-là, plus légères, c'est pour le hikifurisode, après la réception dans les jardins mais avant le dîner avec les intimes, c'est ça ? »
« Pfff, tu parles d'intimes, il va y avoir près de quatre cent invités qui vont y assister ! » S'exclama la blonde.
« Et encore, il devait y en avoir six cent avant que Byakuya et moi ne négocions. » Rappela Kohana.
« Le clan des Kuchiki est l'un des cinq grands clans, et se dispute la primauté avec les Shihoin. Parmi les quatre cent invités retenus au dîner, la moitié d'entre eux porte le nom du clan, l'autre moitié est constituée de leurs alliés et des personnes qu'ils souhaitent honorer. Il est très facile d'offenser quelqu'un dans ce genre de circonstances. Réduire ainsi le nombre d'invités n'a pas dû être une mince affaire. » Observa judicieusement Nanao.
Kohana hocha la tête et soupira. « Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'aurais dû continuer à vivre dans les ombres tranquillement et à espionner mon monde. Ça m'aurait simplifié la vie. »
« Ooh, ne t'inquiètes pas, il y a quand même quelques avantages ! D'ailleurs, quand nous emmènes-tu faire du shopping dans le monde des vivants ? Avec ton porte-monnaie, tu vas pouvoir nous faire quelques cadeaux sympathiques ! »
« Merci Rangiku, ton amitié désintéressée me réchauffe le cœur. » Rétorqua Kohana avec sarcasme.
Celle-ci se contenta de lui sourire avec humour et l'espionne en profita pour dévisager son amie. Elle aussi avait changé. Elle n'avait rien perdu de son exubérance mais sa joie était plus profonde, plus lumineuse, vraie. Alors qu'elle utilisait auparavant son rire et son énergie pour masquer ses cris de détresse, aujourd'hui, chacun de ses sourires leur réchauffait le cœur à toutes. Il y avait comme une sérénité, encore un peu fragile, encore un peu timide qui se dégageait de la jeune femme. Et Kohana ne pouvait qu'admirer la révolution opérée chez son amie.
« Savez-vous où est partie Yachiru ? Elle était censée nous rejoindre. » S'inquiéta Nanao.
« Elle est peut-être partie rôder autour des cuisines ? » Suggéra Makae.
« Non. Je lui ai fait promettre de ne pas les embêter aujourd'hui. »
« Ha mais c'est vrai, le cuistot de l'Odyssée de Rex a débarqué avec la gérante et leur équipe et ils ont pris possession des lieux. Yachiru doit être encore plus excitée que d'habitude. Elle nous parle constamment de leurs pâtisseries. Comment as-tu réussi ce miracle ? Elle doit tourner autour comme un lion affamé en cage. »
Kohana eut un petit sourire en coin. « Une information que j'ai juré de garder pour moi. »
Rangiku lui sauta dessus immédiatement. « Un secret ? Lequel ? Sur qui ? Raconte-moi tout ! »
Mais l'espionne se tint les lèvres closes et son amie ne put se venger qu'en lui donnant des coups de brosses assez brusques.
« Je vais aller la chercher, ça m'inquiète un peu à vrai dire. » Annonça Nanao.
« Je vais t'aider. On ne sera pas trop de deux. Tu n'as plus besoin de moi, Rangiku ? »
« Non, non, allez-y ! Je finis la coiffure et le visage et on vous attendra pour revêtir le shiromuku. Maintenant que vous avez préparé tous les vêtements et ornements, ça ira vite. Kohana, tu es vraiment sûre de toi pour le maquillage ? »
« Rien sauf peut-être de quoi cacher un peu les cernes et les cicatrices. Et encore, du discret. »
Rangiku poussa un long et profond soupir. « Je crois que tu es l'un de mes plus grands échecs. Même Nanao a accepté de se maquiller les yeux ! »
« Je me grime lorsque j'ai un rôle à jouer. Aujourd'hui, c'est Kohana Mumei qui intervient. »
« Je comprends la symbolique, mais on aurait pu te mettre un peu en valeur quand même. »
Kohana savait exactement comment lui clouer le bec sur le coup.
« Je suis si moche que ça ? »
« Quoi ? Non, non, nonononononon ! Une femme n'est jamais moche, seulement mal mise en valeur ! Surtout une femme le jour de son mariage ! Alors tu vas m'ôter cette vilaine idée de ta tête et … et tu te moques de moi, c'est ça ? »
Kohana ne put s'empêcher de rire. Elle réfléchit un moment et décida non sans effort de se confier à Rangiku. Elle lui devait bien ça et comme il n'y avait qu'elle dans la pièce, ce serait plus facile. « Être jolie était synonyme pour moi des pires ennuis. J'ai une apparence quelconque, qui passe facilement inaperçue et c'est grâce à ça que j'ai été à peu près épargnée. »
Ce à quoi Rangiku s'étrangla parce qu'elle aurait pu qualifier Kohana de beaucoup de choses, mais certainement pas d'épargnée. Mais Kohana ne releva pas et tenta tant bien que mal de continuer, gênée de parler de quelque chose d'aussi intime pour elle.
« Mais pour la première fois, avec Byakuya… je désire être belle à ses yeux. Par moment… quand je souris… ou quand nous discutons de quelque chose, il me regarde. Il me regarde vraiment. Il voit mes cicatrices, les cernes sous mes yeux, les soucis qui font des rides sur mon front, mes traits pas forcément très harmonieux. Mais il me voit moi. Le maquillage, … comment dire… j'aurais l'impression d'essayer de me cacher à ses yeux. Et c'est quelque chose qui m'est insupportable. Pour une personne au monde au moins, je veux être parfaitement sincère. »
Elle ferma les yeux, tourmentée par l'émotion et la peur après avoir révélé cela. Mais Rangiku se tint coite, se contentant de la prendre dans ses bras un court instant. Puis, elle continua comme si de rien n'était, attachant ses cheveux pour former un chignon élégant dont elle avait trouvé le modèle dans un magazine du monde des vivants. Elle n'avait pas l'habitude de garder le silence, mais elle savait que c'était le plus beau cadeau qu'elle pouvait faire à Kohana pour cette confidence.
« Rangiku ? »
« Hmm ? »
« Je crois que je ne t'ai jamais demandé pardon… d'avoir été aussi brutale avec toi. »
Les mains de la coiffeuse quittèrent leur ouvrage.
« Tu n'avais pas à me demander pardon pour quoi que ce soit. C'est plutôt moi qui ne t'ai jamais remercié. »
« J'aurais pu être… plus diplomate, bienveillante… »
« Pour ce que ça m'aurait servi ! Il me fallait une vraie baffe pour me tirer de là. Et c'est ce que tu as fait. C'est pour cela que même si nos personnalités sont chacune à un bout du spectre, tu es et restera toujours l'une de mes plus fidèles amies. Parce que tu m'as apporté ce dont j'avais réellement besoin et non ce que je désirais.»
« Tu as l'air… en paix. »
« Oh, j'ai mes jours. Par moment, je retombe dans les idées noires et puis je me reprends une petite claque et j'arrive à nouveau à placer un pied devant l'autre. »
Elle posait désormais les divers ornements sur la tête de la mariée, réfléchissant longuement au meilleur endroit avant de les fixer définitivement.
« Quel dommage que ça soit caché par le wataboshi ! Tu vas être magnifique ! »
« Ça ne sera que le temps de la cérémonie. Je l'enlèverai pour la réception, en même temps que je changerai de tenue. »
« J'attends de voir la tête qu'il fera lorsqu'il te verra. Hmm, tu disais vouloir être belle à ses yeux, hein ? »
« Rangiku. » L'avertit Kohana ennuyée, ayant peur de ce qui allait suivre.
« Je crois qu'on va assister au dégel de la reine des glaces ! »
« Rangiku ! »
« Si vous avez besoin de vous éclipser plus tôt du dîner, je peux toujours attirer l'attention vers moi pour vous permettre de faire votre sortie ! Il… »
« STOP ! »
« Quoi, stop ? Je n'avais même pas encore commencé ! »
« C'est pour ça que je t'arrête maintenant. Autant, je te permets de te venger un peu de la « claque » que je t'ai administrée, autant, ça, c'est une limite à ne pas franchir. »
« Oooh, on peut bien plaisanter un peu ? » Protesta la blonde avec humour.
« Il y a des choses qui appartiennent strictement au domaine conjugal. C'est trop… trop intime, trop précieux pour que j'accepte qu'on en parle comme ça, ou pire, qu'on parte dans le grivois. »
Rangiku sourit gentiment. « Bon, parce que c'est toi, je t'épargne. » Et elle nota l'avertissement dans un coin de sa tête. Elle se rendait soudain compte que pour Kohana, cette intimité conjugale qu'elle allait vivre avec Byakuya était la plus belle et la plus grande marque de sa confiance, de son respect et de son amour envers lui. En entrant dans cette relation, en acceptant de l'épouser, en s'engageant à lui ainsi, elle avait également accepté de lui révéler et de lui confier toute sa vulnérabilité. Elle lui donnait en quelque sorte l'arme avec laquelle la détruire, tout en lui faisant entièrement confiance pour ne jamais s'en servir, mais au contraire devenir son rempart. Les taquiner là-dessus serait l'un des plus sûrs moyens de perdre l'estime et la confiance de la jeune femme. Et son amitié avec Kohana était trop précieuse pour que Rangiku se permette de tester les limites.
« Merci. »
C'est à ce moment que Nanao et Makae réintégrèrent la pièce, au très grand soulagement de l'espionne.
« Alors, avez-vous trouvé Yachiru ? »
« Je crois qu'elle est partie embêter Koshiro. Le pauvre est un peu vert à l'idée de se mêler à une foule pareille. »
« Dis plutôt qu'il est complètement nauséeux, oui ! » Maugréa Makae.
« Si tu voulais une preuve de son amitié, tu l'as. Je crois qu'il n'aurait bravé une telle marée d'inconnus pour personne d'autre au monde. »
« Le pauvre. Je ne l'aurai pas épargné. » S'inquiéta Kohana.
« On va rester avec lui, lui faire un rempart de visages connus. Et puis, je crois que Yachiru s'est institué son bouclier personnel. Les gens ont tendance à la fuir, ce qui sera parfait pour lui. »
« C'est marrant quand même qu'ils arrivent à s'entendre alors que l'un est un surdoué pratiquement autiste et l'autre une boule d'énergie qui a plus tendance à écraser des orteils qu'à ménager son monde. » S'étonna Rangiku.
« Mais comme Nanao l'a souligné, c'est un combo qui marche bien. Elle fait fuir les gens et lui permet ainsi de garder un périmètre de sécurité. Et puis, j'ai toujours remarqué qu'il était plus à l'aise pour discuter avec des enfants qu'avec des adultes. Les enfants sont beaucoup plus sincères, il n'y a pas besoin de déchiffrer tous leurs faits et gestes, au contraire des adultes. Et même si Yachiru peut être plus roublarde qu'un contrôleur des taxes au moment de la récolte, elle garde une franchise désarmante. Tout ce qu'elle pense, elle le dit cash. Ça écrase des orteils mais pour quelqu'un qui n'est pas doué avec les gens, c'est du pain béni. »
« C'est pour ça que tu l'aimes bien aussi ? »
« Je n'ai pas les mêmes difficultés que Koshiro là-dessus. Je fuis les gens par peur d'être blessée alors que lui, c'est tout simplement qu'il ne les comprend pas. Nous sommes autant des extraterrestres pour lui que lui pour nous. Mais oui, j'avoue que c'est reposant et rafraîchissant de discuter avec Yachiru. On n'a pas besoin de deviner tous les non-dits et de chercher six interprétations différentes à une même phrase. »
Elle resta plongée dans ses pensées un moment avant de se mettre à réfléchir tout haut, ce qui surprit beaucoup ses amies.
« Je pense aussi que malgré son développement intellectuel, ou plutôt, à cause de cela, Koshiro a une maturité affective très en retard. »
« C'est l'auberge qui se moque de l'hospitalité, là ! »
« Oui, j'ai eu ça un peu, mais là encore, pas pour les mêmes raisons et en ne rencontrant pas les mêmes difficultés. Koshiro a encore une âme d'enfant d'une certaine manière. Comme un enfant, il est encore en pleine découverte du stade amitié. Je ne sais pas quand il parviendra au stade supérieur et au don total de soi, ou s'il y parviendra un jour. Mais du coup, c'est plus facile pour lui de se retrouver avec d'autres personnes qui sont au même stade que lui. »
« C'est sûr que dès qu'on commence à parler histoires de cœur, il a l'air complètement dubitatif et déboussolé. » Observa Rangiku.
Makae se mit à rire de façon incontrôlable. « Je me souviens d'une fois où tu nous avais raconté un de tes mélodrames habituels. Tu avais dû partir plus tôt pour régler une urgence. Il avait passé le reste de la soirée à demander pourquoi ceci, pourquoi cela. Je crois qu'il trouvait les réactions des différents protagonistes de ton histoire complètement abracadabrantes et stupides. »
« Enfin, ça, avec les histoires de Rangiku, il n'y a pas besoin d'être en retard affectif pour trouver leur comportement ahurissant. » Rétorqua Nanao d'un air sceptique.
« Hé ! Mes histoires sont très bien d'abord ! » Répondit Rangiku avec sa verve habituelle.
« Et je crois qu'il y a encore autre chose. » Continua Kohana, sans être le moins du monde troublée par les interventions de ses amies. Celles-ci lui prêtèrent l'oreille, attentives.
« Du fait de son incompréhension des choses et des gens, de ses faits et gestes qui n'arrêtent pas de susciter l'étonnement, de son hypersensibilité qui le démarque encore plus du reste, Koshiro a un énorme problème de confiance en lui. »
« Ça aussi, ça me rappelle quelque chose. »
« A chaque fois, il préfère se taire. Dès qu'il se trouve face à d'autres adultes, à leur regard qui scrute, il doute. Face à des enfants, il peut se poser en aîné, leur apprendre des choses, être écouté sans se retrouver confronté à un jugement. Il peut avoir confiance en lui et pour une fois, obtenir le respect et l'admiration de ses interlocuteurs. »
« Enfin, avec Yachiru, c'est pas ses calculs de statistique qui vont gagner son respect. » Observa Makae.
« Détrompe-toi. » Intervint Nanao. « J'ai appris que ça faisait un petit bout de temps qu'il lui apprenait à compter et l'aidait à remplir la paperasse de sa division. »
« Quoi ? Yachiru l'irréductible ? Celle qui a mis des décennies avant de savoir correctement lire et écrire ? »
Kohana hocha la tête. « Elle s'est mise en tête de lui donner des leçons de comportement social. »
Un grand silence résonna dans la pièce.
Avant que quatre fou-rires n'éclatent et ne se répercutent en écho dans toute la maison, qui n'était pas petite.
Ce n'est qu'un quart d'heure plus tard qu'elles réussirent à reprendre leur sérieux, à grande peine.
« Bon, en tout cas, s'ils ne veulent plus de toi à la 2nde, tu as une place toute trouvée à la 4ème comme psy. » Commenta enfin Rangiku.
« Ça ne va pas la tête ? J'ai réussi à déchiffrer Koshiro, d'accord, mais c'est seulement parce que je m'y colle depuis qu'il a intégré notre division, ou presque. J'ai fini par lui servir de traducteur et d'intermédiaire auprès de ses collègues et de ses supérieurs. Je ne vous raconte pas la tannée par moment ! »
« Tut, tut, attention, Kuchiki-sama, quel langage ! » S'amusa à la reprendre Rangiku.
« Oui, enfin, j'ai encore quelques heures avant de porter ce nom-là donc, épargne moi ! Lorsqu'il nous a rejoints, je ne te raconte pas le cauchemar. Il y en a certains qui se mettaient à pleurer à force de devoir travailler avec lui, d'autres qui hurlaient. Soi Fon ne savait plus dans quelle équipe le mettre et a dû se résigner à le faire travailler en solo. Mais il devait quand même recevoir ses missions d'un supérieur et faire des rapports. Et comme j'avais réussi à échanger une dizaine de mots et deux ou trois idées avec lui, elle a sauté à pieds joints sur l'occasion et m'a demandé de le gérer. Alors que j'étais dans un pôle complètement différent et qu'on ne plaisante pas avec le cloisonnement chez nous. Du jamais vu ! Mais bon, je n'étais pas tout-à-fait dans une situation régulière non plus. Donc, quitte à être pendue, autant que ça le soit pour une bonne raison. »
Ses amies étaient hilares. Elles étaient heureuses que l'espionne se confie de plus en plus à elles et découvraient avec ravissement des anecdotes croustillantes et un humour pince-sans-rire qui les mettaient en joie.
C'est à ce moment que Shion oba-sama toqua à la porte.
« Où en êtes-vous mesdemoiselles, il ne va plus falloir trop tarder. »
Heureusement, Kohana était fin prête, les mains ayant été aussi efficaces que les langues.
La noble la contempla d'un air inquisiteur et satisfait. « Parfait. Vous êtes ravissante. Allons, venez, je vais vous conduire à la pièce où vous pourrez recevoir vos proches avant la cérémonie. Le capitaine Soi Fon et Omaeda-san vous y attendent déjà. Il y a aussi un jeune homme qui m'a l'air au bord de la crise de panique mais je n'ai pas réussi à deviner si c'était à cause de la lieutenante Kusajishi ou pour une autre raison. Des serviteurs transporteront les autres tenues au manoir. Vous aurez une pièce à proximité des salles de réception pour vous changer tranquillement avec l'aide de ces demoiselles. »
« Prête ? » Lui souffla gentiment Nanao.
Kohana ferma un instant les yeux, prit une grande inspiration et avança d'un pas. « Il est hors de question que je refasse ça une deuxième fois. Alors, autant sortir le grand jeu. »
« Ha, ce qu'on ne ferait pas pour les beaux yeux d'un homme ! » Lança Rangiku d'un ton moqueur. Ce à quoi, ses amies se mirent à pouffer comme des gamines. Heureusement qu'il n'y avait personne pour constater dans quelle déchéance étaient tombées les lieutenantes du Gotei 13. Quoique, à leur décharge, même Shion Oba-sama arborait un large sourire.
Comme quoi, la joie avait bien le don de transformer les âmes.
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Le mariage du chef d'un des cinq grands clans était un évènement fort rare et déchaînait les passions. Tous ceux en quête d'honneurs ou souhaitant satisfaire leur propre vanité se battaient pour obtenir une invitation à la réception qui allait suivre. Intrigues, manœuvres habiles, rappel aux bons souvenirs, faveurs et dettes… Tous les moyens étaient bons.
Mis à part le clan des Kuchiki et ses vassaux, on retrouvait également leurs partenaires commerciaux et politiques, les artistes renommés dont ils étaient les mécènes, la parenté plus éloignée, les familles principales des quatre autres grands clans, la majeure partie des officiers du Seireitei, ainsi que des représentants des grandes guildes du Rukongai et plusieurs personnalités réputées. Les jardins avaient été préparés à cet effet afin de supporter l'assaut des mille cinq cent personnes prévues, des buffets dressés dans chaque allée, des musiciens aux grands carrefours, des parterres de fleurs automnales soigneusement plantés afin que les couleurs et les senteurs enveloppent les invités d'une belle harmonie tandis que les armées de serviteurs, tous arborant les couleurs des Kuchiki, se hâtaient d'apporter les dernières touches à ce tableau magistral.
Dans les salles intérieures, les tables croulaient sous les cadeaux destinés aux invités avant qu'ils ne repartent. Bonbonnières ouvragées débordantes de délices, coupes de thé ou de saké réalisées par les plus habiles maîtres potiers, éventails précieux, calligraphies aussi nettes et volontaires que les mouvements d'une lame, herbes rares et encens parfumés.
Au centre de cette enfilade de pièces, on avait exposé la dot de la mariée, comme le voulait la coutume. C'était la revanche du clan suite au premier mariage de leur chef. Quand bien même certains considéraient l'épousée moins qu'idéale, l'initiative de l'ancien lieutenant Omaeda avait mis un peu de baume sur leur déception en permettant de clouer le bec aux langues venimeuses de leurs rivaux. Car les malveillants n'auraient pas hésité à lancer de nombreuses remarques et autres commentaires plus ou moins discrets sur l'absence d'une dot, tentant de saper l'autorité de la nouvelle dame du clan avant même que celle-ci ne cherche à l'exercer.
La dot n'était peut-être pas la plus formidable qu'ils aient jamais vu mais elle était tout du moins non négligeable et d'une beauté élégante et non ostentatoire. Ce qui avait beaucoup étonné les amies de Kohana, Rangiku devinant aussitôt qu'Omaeda avait demandé conseil à quelqu'un, ou se l'était vu offrir sans pouvoir refuser. Cependant, malgré toute son habileté, elle n'avait pas encore réussi à deviner s'il s'agissait d'une intervention in extremis de Shion Kuchiki ou d'une autre âme secourable.
Lorsque Kohana avait réalisé l'ampleur du désastre lors des discussions de préparation, Byakuya avait eu un argument assez curieux. Puisque de toute façon, ils allaient devoir être confrontés à la foule, aux regards, aux salutations et sollicitations innombrables et à tout ce genre de désagréments, autant permettre au conseil du clan de satisfaire à son orgueil en faisant de ces noces un événement dont on parlerait un siècle durant. Ils n'étaient plus à cinq cent invités près et cela leur servirait de monnaie d'échange pour acheter leur tranquillité sur d'autres sujets. De plus, ces réceptions étaient un outil pour imposer leur autorité et asseoir leur légitimité vis-à-vis des autres clans, mais aussi de leurs propres vassaux et partenaires. En tant que chef de clan, il ne pouvait se permettre une cérémonie privée et une réception modeste car cela pourrait avoir de graves conséquences pour sa famille, quelle que soit leur influence passée.
Heureusement, il était de tradition que seule la famille proche assiste à la cérémonie elle-même. Le grand-père de Byakuya n'avait pu y assister, devant se prêter aux règles de retrait du monde qu'il avait lui-même réinstaurées au sein de la chambre des 46. Il y avait cependant Shion et son époux qui avaient accepté de prendre la place de ses parents, Rukia et Ichigo, ainsi qu'une poignée d'intimes qui avaient son estime et sa confiance.
Il était fort rare qu'un shinigami se marie. Leurs conditions de travail n'étaient pas les plus favorables à une vie de famille et la mortalité était assez élevée en dépit de tout. Il était encore plus rare que ceux qui s'y lancent n'aient plus aucun parent. Dans ces cas-là, le Gotei 13 avait une vieille tradition demandant aux supérieurs hiérarchiques de se tenir au côté de l'orphelin pour ce jour spécial, la division représentant leur seule famille. Le spectacle de Soi Fon et de Marechiyo Omaeda encadrant Kohana avait quelque chose d'étrange et de touchant à la fois. Ces deux personnalités à l'opposé l'une de l'autre, forcées de travailler ensemble durant des années en dépit de l'irascibilité de la première et de la négligence du second et qui ne pouvaient pas se piffrer, avaient tout de même accepté sans aucune hésitation de servir de père et de mère par procuration à cette jeune femme. S'il y avait bien un seul point sur lequel ils tombaient d'accord, c'est qu'ils seraient prêts à beaucoup pour Kohana, même à se supporter mutuellement, l'une masquant son dédain et ses exigences, l'autre sa peur et sa vanité.
On retrouvait également, en plus des trois femmes shinigami qui ne l'avait pas quittée de la matinée, la gérante de l'Odyssée de Rex, un jeune homme à l'air un peu éberlué et songeur et une gamine aux cheveux roses qui trépignait sur place tout en faisant de grands efforts pour rester sage. Bizarrement, Kohana n'avait même pas eu à insister plus que cela pour que Byakuya accepte la présence de Yachiru auprès d'eux lors d'un moment aussi solennel. Elle qui était pourtant au courant de beaucoup de choses se demandait parfois si ces deux-là n'avaient pas formé une sorte de pacte à son insu.
En guise de famille, Kohana n'aurait pu trouver un groupe plus hétéroclite et mal assorti que celui-ci si elle l'avait fait exprès. Et pourtant, ce groupe prenait tout son sens rassemblé autour d'elle alors qu'elle s'apprêtait à fonder son propre foyer.
Elle ne savait pas ce que d'autres pouvaient ressentir en pareille occasion, mais, étrangement, ce furent les paroles de Shion oba-sama qui lui revinrent en mémoire alors qu'elle prononçait son engagement.
« Promettez-moi, si jamais vous acceptez sa demande, que ce sera par réciprocité avec ce qui l'a poussé à la faire et non pour une autre raison. Qu'il n'y ait pas de déséquilibre dans ce que chacun de vous donne et reçoit dans ce mariage. »
Elle le regardait droit dans les yeux, cherchant à le redécouvrir, à trouver cette réciprocité, à s'assurer qu'elle ne s'était pas trompée. Et bientôt, elle sourit à sa réponse. Ils auraient leurs désaccords, leurs difficultés, leurs moments d'agacements, de lassitude, de désespoir peut-être. Et à chaque fois qu'elle en arriverait là, elle se rappellerait la promesse qu'elle venait de faire, renouvelant chaque jour cet acte de volonté, ce choix qu'elle avait posé en toute liberté, s'efforçant d'échanger et d'apaiser, d'écouter et de comprendre, de réparer et de pardonner. Mais aussi de s'émerveiller, de se réjouir, d'espérer et de confier, de découvrir et d'avancer. Et elle savait qu'il ferait de même, suivant la bénédiction de son ancien mentor : « Je vous souhaite de vivre chaque jour comme si c'était le premier. »
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Suite à la cérémonie, ils avaient déjeuné tranquillement avec le même entourage, s'armant de courage pour le reste de la journée et s'abreuvant du silence qui régnait encore dans les parages. Une heure plus tard, les premiers invités franchissaient les portes, atteignant rapidement la place centrale, une pelouse luxuriante à l'ombre des frondaisons or et pourpres des arbres où les attendaient les représentants des deux familles pour les accueillir. Les mariés se tenaient un peu à l'écart, prêts à recevoir les mots d'usage et expressions plus ou moins sincères de la joie des invités. Byakuya avait fait promettre à Kohana de le prévenir si jamais elle avait besoin de solitude. Mais elle avait bien l'intention de tenir jusqu'au bout, agacée et mise au défi par son zanpakuto qui s'amusait à commenter les tenues et allures des uns et des autres. Grâce à de longues années de pratique, elle parvenait tout de même à l'ignorer, notant simplement les remarques les plus amusantes pour en faire discrètement part à Byakuya lorsqu'elle en avait l'occasion.
Son époux.
Elle ne réalisait pas encore tous ces changements, happée par la mécanique de cette réception, souriant, remerciant, inclinant la tête, échangeant quelques mots par-ci par-là. De temps en temps, profitant de quelques secondes de répit, elle observait le tableau autour d'elle en ayant l'impression de jouer dans une scène de théâtre. Puis elle levait les yeux vers lui alors qu'il lui serrait doucement la main, attentif à son trouble.
Elle avait encore plus cette impression de décalage alors qu'on lui donnait pour la première fois le suffixe le plus honorifique : Kuchiki-sama pour la plupart, Kohana-sama pour ceux portant désormais le même nom qu'elle. Elle se rendait compte qu'elle venait d'intégrer une famille, d'adopter un nom porté par d'autres, qu'elle partageait désormais le sort de tous ces êtres et qu'une erreur de sa part pourrait leur coûter leur honneur et le respect qu'on leur accordait à tous.
Mais les sollicitations constantes ne lui permettaient pas de se retrancher derrière ses réflexions et ses observations. Elle devait réagir, écouter, saluer, honorer. S'ébrouant mentalement, elle quitta la position de retrait qu'avait adoptée son esprit afin de se replonger dans le présent et d'y prendre pleinement part.
Le soleil déclinait lentement, bien trop lentement dans le ciel. Quel ne fut pas le soulagement de l'espionne lorsque ces amies vinrent la trouver comme promis pour lui permettre de se rafraîchir et de se changer avant le dîner! Elle était tout aussi heureuse de quitter les lourds tissus de l'iro-uchikake pour revêtir ceux plus légers du hikifurisode.
« Tu t'es débrouillée comme un chef ! » S'exclama Makae.
« Ce vêtement doit peser une vingtaine de kilos, c'est pas possible ! » Grognait Rangiku alors qu'elle tentait de défroisser les différentes couches avant de les plier.
« Plains-toi ! Tu n'as pas eu à le porter plusieurs heures, complètement immobile. Et encore, je suis entraînée. Je ne sais pas comment font toutes ces femmes de la noblesse. Je ne sais pas si je dois en ressentir de l'admiration ou de l'horreur. »
« Rassure-toi, tu n'auras pas l'occasion de porter un tel monument très souvent. » Intervint Nanao. « Quant à ces femmes, elles aussi s'entraînent depuis leur plus jeune âge. »
« Les pauvres. » Constata Makae.
« Avoue que tu admires toi aussi leur élégance. »
« C'est vrai. Surtout celles qui arrivent à imposer le silence d'un seul regard. »
« Soi Fon y arrive aussi, mais pas de la même manière. »
Et voici que ces vétérans de guerre, lieutenantes pour la plupart, habituées à susciter le respect et à diriger leurs subordonnés sans coup férir, femmes mûres et sensées, se remirent à pouffer comme des gamines ayant bu leur première coupe d'alcool.
« Je m'interroge sur notre santé mentale. » Constata Makae après qu'elles aient repris un semblant de sérieux.
« Oh, ça fait du bien de se lâcher un peu par moment. Surtout lors d'une journée pareille ! Et puis, je crois que nous avons battu notre record ! »
« Un record ? Quel record ? » S'inquiéta Kohana.
« Oh, juste le nombre de fois où nous arrivons à te faire rire au cours d'une journée. »
« Je suis vraiment si triste que ça ? »
« Meuh non, juste un peu coincée sur les bords. AÏEUH ! »
La bonde venait de se prendre un vigoureux coup de coude dans les côtes par une Kohana indignée alors que son propre zanpakuto se payait sa tête.
Elles finirent quand même par nouer le dernier nœud de sa nouvelle toilette et purent la conduire aux grandes salles de réception à l'entrée desquelles l'attendait Byakuya. Celui-ci fut rassuré de la retrouver avec les traits plus sereins et joyeux que lorsqu'il l'avait quitté. Remerciant du regard ses escortes, il lui offrit son bras afin qu'ils aillent s'installer sur l'estrade d'honneur, des panneaux de bois et d'or entrelacés masquant le mur derrière eux alors que des petites tables basses se remplissaient peu à peu de plats alléchants.
L'intervention du cuisinier de l'Odyssée de Rex avait été apparemment le coup de grâce. Les deux mariés ne rencontrèrent pas une seule mine grincheuse tout au long du dîner alors que les compliments et les exclamations de joie résonnaient dans la pièce, au milieu du brouhaha des conversations. Les voix ne se faisaient murmures que lorsque des musiciens entamaient un nouvel air ou lorsque des danseuses offraient une démonstration de grâce et de légèreté aérienne, maniant avec une précision d'horloger leurs éventails et leurs épées au rythme des tambours et des shamisens.
« Après la réussite de cette journée, je crois que pas une personne du clan ne s'aviserait de te faire grise mine. » Souffla discrètement Byakuya à son épouse.
« Autant en profiter car je ne sais pas si ça durera longtemps. » Un sourire amusé naquit sur leurs visages.
« C'est bientôt la fin. Après cela, nous pourrons nous reposer. »
Elle hocha la tête, soulagée à la perspective d'en avoir bientôt fini. Ces dernières semaines avaient été particulièrement épuisantes alors qu'ils jonglaient entre derniers problèmes d'organisation, responsabilités au sein de leurs divisions respectives et réponses aux multitudes de messages qu'on leur envoyait. Et encore, ils avaient reçu une aide inestimable de la part de Shion et certains autres parents, ainsi que de l'intendant et de la gouvernante du manoir.
Ce fut enfin la cérémonie du miroir, alors que l'on brisait le couvercle d'un tonneau de saké à l'aide d'un marteau avant de plonger des coupes carrées, habituellement utilisées pour mesurer le riz, afin de servir la boisson aux invités.
C'était le dernier rituel de la journée et Kohana poussa un soupir de soulagement en constatant qu'ils pouvaient désormais se retirer lorsqu'ils le souhaitaient.
« J'ai beau avoir aidé Kuukaku-sama au mariage de Rukia et Ichigo, je ne me souvenais pas à quel point cette journée pouvait se révéler éprouvante. »
Byakuya l'observa, se rappelant lui aussi cet événement, quatre ans auparavant, lorsqu'il avait éprouvé un sentiment d'agacement face aux traits de Kyoko.
« Je préfère ce visage-là. » Se contenta-t-il de répondre.
Elle ne fit pas le lien tout de suite et lui adressa un sourire lumineux lorsqu'elle comprit enfin son allusion.
« Veux-tu que nous nous retirions ? »
« Il doit être minuit passé. Je pense que nous ne vexerons personne si nous lançons le signal du départ. » Acquiesça Kohana.
Byakuya fit discrètement signe à sa tante et bientôt, le silence s'installa dans la salle, leur permettant d'adresser des derniers remerciements à l'assemblée avant de se diriger vers leurs quartiers, escortés par ceux qui avaient assisté à la cérémonie.
Ceux-ci les saluèrent et les quittèrent devant leurs portes afin de retrouver les invités qui commençaient à prendre congé. Deux servantes attendaient là et s'approchèrent de Kohana pour la guider vers ses propres appartements. Elles défirent avec adresse les différents nœuds, repliant avec soin les riches tissus avant de la revêtir d'un vêtement de nuit et de la quitter tout aussi silencieusement qu'elles l'avaient assistée.
Dès qu'elles se furent éloignées, commença un étrange manège alors que Kohana attachait à nouveau ses cheveux puis enfilait un manteau et des chaussures. Un toc-toc léger résonna et elle ouvrit la porte de communication à Byakuya qui avait lui aussi revêtu des vêtements pour le dehors.
« Tu as tout ce qu'il te faut ? »
Elle hocha la tête et commença à souffler les bougies.
« Tu as laissé un mot ? »
« Oui. Nous devrions être tranquilles. »
Sans plus échanger une seule parole, ils firent coulisser la porte-fenêtre avant de se faufiler sur le couloir extérieur du manoir. Refermant derrière eux, ils adoptèrent un pas de shunpo après avoir camouflé leur reiatsu et disparurent à travers les arbres.
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- 58 ans après la défaite d'Aizen – 18 Octobre –
Dans un coin de la cuisine, les deux servantes qui avaient été nommées pour servir la nouvelle maîtresse de maison discutaient nerveusement autour d'un plateau dont le thé avait refroidi depuis longtemps. La gouvernante ne s'aperçut qu'un peu tard de ce fait inhabituel, occupée comme elle l'était à faire rentrer le manoir dans l'ordre.
« Que faites-vous là ? » Les interrogea-t-elle vivement. « Et que veut dire ce plateau ? Cela fait deux heures que vous auriez dû l'apporter. »
« Mais nous n'avons reçu aucune réponse lorsque nous avons toqué. Et nous avons essayé à trois reprises. Nous ne savions pas s'il fallait risquer de les déranger ou non. »
La gouvernante soupira, admettant que la situation s'avérait délicate. Toutefois, le seigneur Byakuya ne l'avait pas habitué à la paresse. Il n'y avait plus qu'une heure avant le déjeuner et elle décida qu'il ne devait plus y avoir grand-chose à craindre.
« Refais chauffer de l'eau, prépare deux tasses et apporte les là-bas. Toque deux fois, vivement. Si tu n'obtiens pas de réponses, entre discrètement, dépose le plateau et demande où il faut servir le déjeuner. »
« Bien, madame. »
Il n'y eut pas plus de réponse cette fois-ci qu'à ses premières tentatives, aussi la jeune servante rassembla courageusement ses nerfs et fit coulisser la porte de l'appartement de sa dame. Celui-ci était complètement vide, le lit intact. Sortant à nouveau, elle entreprit alors de toquer à la chambre de Byakuya-sama. Là encore, aucune réponse ni signe de vie, le lit bien fait et la pièce désespérément vide. C'était à n'y rien comprendre.
Il ne fallut pas plus longtemps que cela pour que la ruche des domestiques commence à bourdonner, cherchant à deviner le pourquoi du comment. Certains parlaient déjà d'une dispute, d'autres, d'un enlèvement, ce à quoi on leur riait au nez car on n'enlevait pas si facilement que ça un capitaine de Gotei. Sauf si… c'était un complot depuis le départ ! Et si leur nouvelle dame avait manigancé depuis le départ pour arriver à endormir la méfiance de leur chef et l'éliminer ? Ne faisait-elle pas partie de la deuxième division ? Et celle-ci n'avait-elle pas la réputation d'employer des espions, voire même… des assassins !
La gouvernante et l'intendant étaient furieux et tançaient vertement ceux qui osaient lancer des idées aussi farfelues. Ils ne pouvaient cependant empêcher une sourde inquiétude de les envahir et décidèrent d'inspecter soigneusement chacun des deux appartements.
Quelle ne fut pas leur surprise en découvrant un mot en évidence sur la table de travail de Byakuya-sama, soigneusement coincée sous une pierre à encre pour l'empêcher de s'envoler !
Celle-ci disait : « Nous serons absents quatre jours. A moins d'une menace de destruction de la Soul Society, toute tentative de contact est déconseillée. »
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Alors que certaines imaginations se calmaient et que d'autres s'emballaient de plus belles, à plusieurs kilomètres de là, deux silhouettes se découpaient sur le pas de la porte d'un cabanon modeste, non loin d'une rivière. La jeune femme blottie dans les bras de son époux, ils dégustaient tranquillement une tasse de thé, savourant avec bonheur le silence et la solitude.
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- 59 ans après la défaite d'Aizen – 23 Novembre –
Les capitaines et lieutenants se saluaient sur la terrasse menant à la salle de réunion du Capitaine Commandant, avec une civilité restreinte pour certains, voire une hostilité à peine voilée, et de grands sourires pour d'autres.
Par le passé, il était rare que l'état-major se retrouve au complet. Cela ne se produisait que dans des cas extrêmes suite à une alerte majeure ou pour la nomination d'un nouvel officier supérieur. Les capitaines étaient libres de gérer leur division comme ils l'entendaient et d'assister aux réunions tenues par le Capitaine Commandant suivant leur bon plaisir. Le Gotei était par ailleurs tellement grand qu'il était parfois complexe de pister chacun des officiers pour les informer à temps d'une réunion imprévue.
Depuis deux ans, de nouvelles habitudes avaient été mises en place par Genryusai Yamamoto, avec plus ou moins de difficultés et de mauvaise volonté de la part de ses subordonnés. Désormais, il était de bon ton d'organiser des exercices de collaboration entre divisions. Les capitaines étaient invités à se prononcer sur un protocole d'urgence en cas de crise supposé s'appliquer à l'ensemble du Gotei et qu'il restait encore à fignoler et mettre en place. Et tous les mois avait lieu une réunion d'informations à laquelle étaient priés d'assister les capitaines et lieutenants de chaque division à moins de se trouver gravement malade ou d'être en patrouille au loin.
Ils se retrouvaient donc au complet aujourd'hui, sans pour autant qu'on ait entendu résonner une alarme ou assister à des effusions de sang plus importantes que celles dues à la routine habituelle.
Le seul qui faisait une tête curieuse ce jour-là était d'ailleurs le Capitaine Commandant lui-même. Ukitake et Kyoraku avaient l'habitude de la façade renfrognée de leur ancien professeur et constataient avec surprise qu'il avait l'air… malade ?
Échangeant un regard, ils comprirent qu'ils étaient aussi ignorants de la situation l'un que l'autre et attendirent patiemment davantage d'informations, stationnés à leurs places respectives.
Mais comme à son habitude, ce n'est qu'une fois son monde au complet et les portes soigneusement fermées que Yamamoto prit la parole, décidé à suivre scrupuleusement l'ordre du jour sans se préoccuper des deux regards scrutateurs qui suivaient ses moindres faits et gestes.
Ce n'est qu'à la toute fin, lorsque les questions prévues furent débattues, qu'il précisa avoir une information de dernière minute.
L'air décidément troublé, d'une voix qui ne parvenait pas à demeurer impassible, il annonça :
« Le capitaine Unohana n'interviendra plus dans aucune opération ou soin nécessitant l'usage du reiatsu pour les deux prochaines années. Elle ne s'occupera que de la partie administrative de sa division et des interventions purement chirurgicales, laissant le reste aux bons soins de sa lieutenante et de ses équipes médicales. »
Le silence qui suivit cette nouvelle fut hanté de questions dans tous les sens alors que les yeux voyageaient du capitaine de la 4ème division à sa lieutenante avant de revenir vers le capitaine commandant, un grand « Pourquoi ? » lisible jusque dans le fond de leurs pupilles.
Puis, certaines paires d'yeux commencèrent à se rappeler d'un indice, avant de se diriger vers la lieutenante Rukia Kuchiki dont le ventre arrondi dénonçait la grossesse avancée avant de revenir vers Retsu Unohana.
On n'avait pas annoncé les choses de façon si formelle avec la lieutenante de la 13ème, mais elle n'était pas non plus le médecin en titre du Gotei. Pourtant, tous avaient été rapidement mis au courant avec la recommandation de contrôler leur reiatsu en sa présence, de peur de blesser l'enfant. Une grossesse était un événement rare dans la Soul Society, les chances de conception dépendant de la puissance du reiatsu des parents. Seuls les nobles, issus de familles puissantes, avaient une lignée d'ancêtres ininterrompue. Mais c'était encore plus rare chez les Shinigamis, quand bien même ils étaient tous dotés de reiatsus, car leur mode de vie constituait un sérieux obstacle aux responsabilités qu'entraînait l'arrivée d'un enfant.
Les officiers présents avaient donc une double raison de s'étonner. La première pour qu'il y ait deux grossesses si rapprochées dans le Gotei alors qu'on pouvait passer quelques décennies sans que cela ne se produise, la seconde car il s'agissait de Retsu Unohana.
Celle-ci affichait le même air serein et indéchiffrable qu'à l'accoutumée, traitant les regards indiscrets comme de légers courants d'air qui ne méritaient pas son attention.
Soi Fon restait imperturbable, manifestement au courant, de même que sa lieutenante. Cependant, Renji remarqua le froncement de sourcils de son supérieur en direction de sa femme qui ne l'avait apparemment pas averti. Celle-ci haussa légèrement les épaules, en signe d'excuses, lèvres serrées comme si elle n'avait pas eu le droit de lui faire part de cette nouvelle. Et alors que le capitaine Kuchiki était réputé pour son calme, il le sentait soudain nerveux, presque… horrifié ? Non, ça devait être son imagination.
Et pourquoi le capitaine Ukitake arborait-il un sourire aussi ravi ? Pour un peu, on aurait pu l'accuser d'être le père, s'il n'affichait pas une mine complètement surprise et franchement amusée.
Etait-ce Kyoraku ? Alors même que le rouquin se posait la question, celui-ci prit la parole.
« Toutes mes félicitations, capitaine Unohana ! Par contre, ne m'en voulez pas si je renonce dès lors à être nommé baby-sitter de ce charmant bambin, malgré ma position de vieil ami de la famille. A mon âge, c'est une activité que mon médecin me déconseille fortement. »
Unohana haussa un sourcil mais lui répondit par un sourire moqueur et un hochement de tête, se gardant de lui rappeler qu'elle était plus âgée que lui.
Les yeux voyageaient dans la pièce de plus belle. Le capitaine Unohana était toute entière consacrée à sa division et ne sortait du Seireitei que pour des missions de secours. Les probabilités que son partenaire soit dans la pièce étaient suffisamment hautes pour que l'on se mette à le chercher frénétiquement autour de soi.
La tension était à son comble, si bien que l'un d'entre eux craqua et formula tout haut ce que chacun avait hurlé tout bas.
« Mais… mais… avec qui ? »
Shuhei Hisagi eut soudain l'irrésistible envie de creuser un trou dans le sol afin de s'y cacher après avoir commis le seppuku. Mais sa curiosité, ou conscience professionnelle, comme il l'appelait, était la plus forte et il supporta vaillamment la désapprobation ambiante, crayon dissimulé dans sa main et prêt à écrire le prochain article sensationnel du journal des shinigamis.
Il remarquait d'ailleurs que la lieutenante d'Unohana, Isane Kotetsu, semblait légèrement nauséeuse. Était-elle au courant ? Ou était-ce simplement la perspective d'assumer de nouvelles responsabilités au sein de sa division ? Il faudrait absolument qu'il obtienne une interview d'elle.
Rukia affichait un air tout aussi étonné que ses confrères, la joie en plus, alors que Nanao Ise, l'annonce une fois digérée, ne semblait pas plus surprise que ça. Ce qui étonna Kohana. Elle savait que son amie était très observatrice, mais elle ne se doutait pas que celle-ci avait percé à jour l'un des plus grands secrets du Gotei. A moins que Yachiru lui ait laissé des indices ?
Quant à Rangiku, sa réputation de commère était en jeu et elle fouillait désespérément sa mémoire afin de retrouver le moindre indice lui permettant de deviner l'identité de l'inconnu.
« Je profite de cette absence temporaire de notre médecin en chef pour vous rappeler les règles de sécurité de base. Nous n'aurons plus de faiseur de miracle sous les mains. Essayez de ramener vos subordonnés en meilleur état que par le passé. »
« J'ai toute confiance dans mes équipes, Capitaine Commandant. Cependant il est toujours bon d'encourager la vigilance sur ce sujet. Les entraînements n'ont pas besoin de s'achever en bain de sang, et il vaut mieux réfléchir un peu avant de foncer tête baissée vers l'ennemi. »
Elle lança un regard appuyé vers le bout de la salle, où se tenait le capitaine Zaraki. Celui-ci se contenta d'élargir son sourire carnassier.
« Hors de question, ça permet d'faire le tri. Et comme ça, y pourront pas jouer les mauviettes. Y s'battront jusqu'au bout ou ils crèveront. »
Vraiment, par moment on avait l'impression qu'il prenait plaisir à asticoter la femme médecin et qu'il lançait ce genre de remarques juste pour cette raison. Le résultat ne se fit pas attendre alors qu'elle lui envoyait un regard appuyé et désapprobateur, ce qui le fit sourire de plus belle, franchement amusé.
Les esprits échauffés par la curiosité et la situation inattendue commencèrent à explorer de nouvelles possibilités.
Est-ce que le ciel leur était tombé sur la tête ? Ils n'étaient pas en train de... flirter ? Tout de même ? Et certains qui avaient entamé un processus d'élimination contemplèrent les choix qui leur restaient.
« Non… ce n'est pas… ça ne peut pas… » Balbutia un Izuru Kira hagard avant de s'écrouler lourdement par terre alors même que Rangiku hurlait :
« Kohana, espèce de traître ! Comment as-tu pu nous cacher un truc pareil ! »
Et alors que le capitaine Unohana envoyait un sourire amusé au Kenpachi, haussant les épaules de l'air de dire : « Fini la tranquillité », plusieurs de leurs confrères prirent une teinte de fruit pas mûr en tentant d'intégrer la réalité de ce couple improbable, et surtout, le monstre qui leur servirait de progéniture.
« J'vais être grande soeeeeeeeeeeeeeeeeuuuuuuur ! »
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- 80 ans après la défaite d'Aizen -
Kohana était perchée dans un arbre, cachée par les ombres et les feuillages alors qu'elle observait les trois bâtiments qui se dressaient dans la prairie. De temps en temps, lui parvenait portés par le vent des éclats de rire ou des ordres particulièrement autoritaires alors que des enfants bâtissaient une cabane près de l'orée, que d'autres jouaient à chat, et qu'un groupe se concentrait sur les différentes plantes ramenées par une de leurs gardiennes alors qu'elle tentait de leur expliquer comment les identifier et les utiliser pour des remèdes.
Elle distinguait cinq gardes qui patrouillaient discrètement, intervenant de temps en temps dans les jeux des enfants pour stopper une dispute, prodiguer un conseil, répondre à une question. Dans l'un des bâtiments, des enfants ânonnaient des lettres, déchiffrant les mystérieux dessins que leur maîtresse avait tracés à la craie. D'autres inspectaient une carte et tentaient d'y retrouver des noms familiers alors que dans une grande salle, plusieurs ateliers permettaient aux jeunes âmes de découvrir les talents et les promesses des différents artisanats.
Une carriole conduite par un vieil homme apparut sur la route et aussitôt, trois grands se précipitèrent pour observer ce qu'il avait ramené du marché et aider à décharger le cargo. Les fenêtres des autres maisons étaient grandes ouvertes sur la plupart des étages, alors que des couvertures avaient été soigneusement étendues pour prendre l'air et se gorger de soleil.
Ils étaient cent quarante. Cent quarante enfants tirés de la misère, de l'esclavage, de la violence, du désespoir. Cent quarante enfants qui avaient retrouvé la sécurité, la confiance, la joie de vivre et la protection d'adultes aimants et dévoués.
Fermant les yeux sur ses larmes, elle se décida à partir. Elle avait promis d'être de retour à l'heure. Alors qu'elle traversait les districts à toute allure, elle observait leur transformation. Des patrouilles de deux personnes parcouraient certains quartiers, une petite milice civile constituée de gens du coin et que l'on saluait avec bonhommie, les interpellant afin de régler un litige, partager un souci, annoncer une bonne nouvelle. Elle distinguait de temps à autre un bâtiment tout neuf. Ici, un avant-poste qui servait de relais aux messagers et aux patrouilles, là une cour dans laquelle se déroulaient les jugements, ou encore un hospice pour recueillir les personnes dans le dénuement. Elle eut même l'impression de reconnaître un visage de l'Onmitsukido chez l'un des voyageurs qui se hâtaient sur la route, un de ceux qui avaient été nommés Inspecteurs afin d'enquêter sur les abus possibles des milices et autres figures d'autorité.
Ils opéraient la transition en douceur, village après village à travers les districts, permettant ainsi aux mœurs de changer par étape et aux âmes d'adopter ce nouveau mode de vie de façon pérenne.
Depuis vingt ans, il n'y avait pas eu de nouvelles alertes, bien que les attaques des hollows s'intensifient à nouveau, maintenant que leurs rangs grossissaient après la purge de la dernière grande guerre.
Elle avait parfois l'impression de vivre dans un rêve dont elle s'éveillerait pour se retrouver petit soldat brisé, accablée par le poison de sa vengeance, une colère insatiable et grondante et le vide du désespoir.
Soi Fon et Omaeda avaient été les premiers à croire en elle alors qu'elle avait tout perdu, y compris elle-même. Ils lui avaient appris à se tenir debout, tête droite. Ils ne l'avaient pas emballée dans du coton, mais au contraire, l'avait lancée en plein dans la tourmente afin qu'elle apprenne à l'affronter. Et dès qu'elle s'écroulait, ils la tiraient à eux pour qu'elle puisse reprendre son souffle.
Puis, il y avait eu Makae, suivie de Yachiru qui avait entraîné avec elle Nanao. Pour la première fois, elle avait dû partager des moments de détente, des échanges, des confidences, des intérêts communs, des souvenirs, des joies aussi bien que des agacements.
Plus tard, elle avait rencontré une gérante atypique qui avait décidé d'ouvrir une auberge comme on décide de tenter une nouvelle recette. Elle n'en avait fait qu'à sa tête et le résultat était sans pareil, grâce à sa mystérieuse cuistot. Elle n'avait jamais trop compris comment ou pourquoi ces deux-là l'avaient adoptée. Par pitié ? Par curiosité ? Par amusement ? Ou peut-être parce qu'elles avaient détecté chez elle la présence d'une âme-sœur ? Grâce à elles, l'Onmitsukido avait établi pour la première fois une plateforme de renseignements au sein du Rukongai en même temps que Kohana réfléchissait à un plan de restructuration avec ses supérieurs.
Ensuite, Koshiro avait intégré la quatrième unité de l'Onmitsukido. Ce qui avait pris au départ des allures de cauchemar s'était transformé en amitié tâtonnante et inattendue. Aussi maladroits et perdus l'un que l'autre, déboussolés et en incompréhension totale face à leurs pairs, ils avaient réussi à établir un lien, une confiance réciproque. Pour la première fois, elle avait dû prendre soin de quelqu'un, quelqu'un qui finissait par se raccrocher à elle comme à une bouée de secours lorsque les humains et leur logique extra-terrestre le tournaient complètement en bourrique, le laissant avec une forte envie de se recroqueviller sur lui-même au fond d'une cave pour ne plus jamais en ressortir. Et lui, en échange d'un peu de persistance, d'un brin de bienveillance, d'une touche de compréhension et de beaucoup de patience, lui, il lui avait offert un miracle.
Il ne s'était pas contenté de déjouer un complot extrêmement habile à partir de quelques bribes de renseignements et des pistes constamment brouillées. Non, ce n'était rien ça. Mais parce que son amie le lui avait demandé, parce qu'elle avait cru en lui, et parce qu'il s'ennuyait ferme, il avait mené une étude d'une complexité effrayante, avait accepté de collaborer avec d'autres, de sortir des murs protecteurs du Seireitei, d'affronter les souvenirs du Rukongai et d'observer ceux qui l'avaient rejeté, ébranlant par ces conclusions les convictions les plus fermement ancrées de ceux qui les gouvernaient.
Seuls Yamamoto, Ukitake, Soi Fon et Kohana avaient eu vent de la tempête que cela avait suscité au sein de la chambre des 46. Ils s'étaient entre-déchirés, des camps s'étaient formés, des rancœurs avaient surgies du passé et des mots avaient volés aussi sûrement que des flèches en plein cœur de leur cible. Pendant 10 ans, ils avaient débattu et s'étaient battus, ordonnant peu à peu de mener les expériences imaginées par Koshiro, ne serait-ce que pour établir un jugement sur des données avérées. Puis la sentence avait été prononcée.
Ils allaient fonder une nouvelle division. Une division civile dont le capitaine serait en lien direct avec eux. Des milices seraient constituées à partir des volontaires des différents quartiers, des enquêteurs et des juges seraient formés et commissionnés par la chambre, tandis qu'un service de messagers allait être constitué pour relier les districts entre eux. Le capitaine Kurotsuchi avait reçu pour mission d'étudier les possibilités d'un transport rapide pour faciliter l'arrivée de secours en cas d'attaques et une nouvelle unité d'Inspecteurs allait être constituée au sein de l'Onmitsukido afin d'empêcher les abus de pouvoir.
Kohana avait pleuré de longues heures lorsqu'elle avait reçu la nouvelle de la bouche même de Soi Fon. Lorsque Byakuya avait tenté de la réconforter, elle lui avait avoué qu'elle ne voulait pas se réveiller, que c'était trop beau, à tel point que c'en était dur, terriblement dur, que ça lui faisait mal. Elle souffrait autant qu'elle se réjouissait, sans comprendre le pourquoi du comment. Et sa réponse l'avait bouleversée.
« Je ne sais s'il était devin ou simplement avec le don de lire les âmes. Mais je pense que dès le départ, il savait que tu n'étais pas au bout de tes épreuves, que tu douterais de tout, y compris de toi-même, que tu te révolterais contre tout ce qu'il t'avait légué. Le fardeau qu'il t'a confié ne pouvait être porté par une âme insouciante mais par quelqu'un qui a su devenir l'avocate des personnes dont elle a souffert. Une âme tenace, vivace, brisée. La tâche que tu as entreprise vient à peine de commencer. Nous sommes comme des apprentis-sorciers face à un bac à sable. Nous devons chercher à tâtons, mais le problème, c'est que nous avons des âmes entre les mains au lieu de morceaux de bois. Il nous faudra le reste de notre vie et celle de nos enfants pour établir quoi que ce soit de bon et de pérenne. Mais désormais, lorsque tu croiseras l'Ancien au détour d'un songe ou ailleurs, tu pourras le regarder droit dans les yeux et lui répéter ton nom. Tu nous as changés, transformés, Kohana. Ton capitaine, ton ancien lieutenant, ton collègue, tes amies. Et moi. Tu as réussi à me réveiller des derniers restes de paralysie qui me clouaient au sol. Même le clan est en train de se métamorphoser. Et désormais, c'est au tour du Rukongai. Parce que tu n'as pas tenté de faire quoi que ce soit par toi-même, mais plutôt parce que tu as su toucher le cœur de ton entourage et qu'il s'est mis en marche de lui-même. J'ai compris que je t'aimais lorsque je t'ai vu te pardonner à toi-même. Et j'ai compris que cet amour-là survivrait même à ton refus le jour où tu as pardonné à ton bourreau. Je ne pouvais pas forcément répéter ce geste, mais j'en ai été bouleversé au plus profond de moi-même. »
Cette nuit-là, alors qu'ils se manifestaient leur amour et leur joie, leur tendresse et leur confiance, ils conçurent un fils, héritier de leur espérance.
En plus du clan, de leurs divisions respectives et de l'arrivée de cet enfant, ils avaient dû jongler entre les tâches, volant de précieuses heures de sommeil pour travailler sans relâche. Byakuya s'était chargé d'impliquer ses pairs dans les décisions de la chambre des 46, débattant avec eux à chaque occasion, négociant des aides financières, attisant les bonnes volontés tandis qu'il écumait les archives de sa famille pour s'instruire du passé. En tant que chef des espions, Kohana avait reçu l'ordre d'établir la nouvelle unité d'Inspecteurs au sein de l'Onmitsukido. Afin d'éviter le surmenage de sa subordonnée, Soi Fon l'avait déchargé de ses devoirs envers la 2nde division de manière temporaire, prenant sur elle les fardeaux supplémentaires que cela impliquait en plus de la supervision des différentes expérimentations menées par Koshiro et l'équipe dont il s'était retrouvé bien involontairement le chef. Ces chercheurs avaient pour mission de prévoir et calculer les moyens nécessaires à une mise en place progressive des nouveaux dispositifs, étudiant la meilleure manière de les instaurer auprès des populations en fonction des districts et des niveaux de vie, déterminant pour chacun l'ordre dans lequel aborder ces changements. Au bout de 20 ans, ils n'en voyaient toujours pas le bout et n'avaient encore rien tenté au-delà des 15 premiers districts.
Beaucoup de ces décisions n'étaient encore que des projets à l'étude. Il y avait tant de personnes à recruter, tant de responsables à former, tant de détails à prendre en compte, de risques à calculer, de bénéfices à garantir, de compromis à trouver, d'habitudes à faire intégrer à une immense population éparpillée sur des milliers et des milliers de kilomètres. La tâche semblait titanesque, improbable, impossible.
Et tout cela, parce que l'unique amie d'un enquêteur hors pair et autiste lui avait demandé d'accomplir un miracle.
Kohana n'était pas dupe. Rien de tout cela n'aurait eu lieu sans Koshiro, Soi Fon, Byakuya, Yukiko et tant d'autres. Et elle se demandait, reconnaissante, quelle était cette providence qui les avait placés sur ses pas.
Elle arrivait en vue des portes du manoir et les salutations respectueuses des gardes la sortirent de ses réminiscences. Leur rendant leur salut, elle se dirigea rapidement vers l'arrière du manoir où une troupe d'enfants bruyants s'exclamaient à qui mieux-mieux, perdus dans leur imaginaire. Un vivant aurait donné dix ans aux plus âgés, quatre aux plus jeunes même s'ils avaient vécu le double de ce compte.
Car ces vingt ans avaient également battu le record du nombre d'enfants de shinigami. En plus de leur fille aînée, caractère affirmé que provoquait en ce moment le fils des capitaines Unohana et Zaraki, Ichigo et Rukia avaient eu un fils, douze ans plus tard, qui jouait plus sagement avec les jumeaux du capitaine Hitsugaya et de Karin.
« Maman ! »
Elle tressaillit à ce nom avant d'accueillir dans ces bras la boule d'énergie qui avait foncé sur elle dès qu'il l'avait aperçu. Lui rendant son baiser, elle le serra un instant contre elle avant de le laisser rejoindre ses amis. Chaque fois qu'il prononçait ce nom, elle se rappelait que ce petit être dépendait d'elle, qu'il était son enfant, son fils. Elle était constamment partagée entre le bonheur de cet amour inconditionnel et la terreur de faillir à son devoir.
On fêtait aujourd'hui son dixième anniversaire et il avait insisté pour réunir au manoir toute cette ribambelle bruyante et gaie. Ce n'était pas la première fois, loin de là. Tous plus ou moins cousins à une exception près, ils formaient une bande soudée que même les ordres les plus strictes de leurs parents n'auraient réussi à séparer, ce qui n'était certainement pas l'intention de ces derniers, quand bien même Byakuya et le capitaine Hitsugaya redoutaient l'influence du fils Zaraki sur leur progéniture.
Quant à Yachiru, son rôle de grande sœur semblait avoir été l'élément déterminant de sa croissance. L'éternelle enfant avait désormais l'apparence d'une adolescente, presque une jeune fille. Et Kohana se demandait parfois s'il n'y avait pas un autre déclencheur. Elle n'avait jamais cessé ses « leçons de comportement social » auprès de Koshiro. Même Byakuya avait ri en l'apprenant. Le chercheur ne voyait rien et ne comprenait rien, trop perdu dans ses calculs et ses études pour cela, acceptant simplement avec reconnaissance les interventions de la fillette qui l'aidait à communiquer avec le monde autour de lui. S'apercevrait-il dans quelques années que l'enfant était devenue jeune femme et que les visites qu'elle lui rendait n'étaient pas complètement désintéressées ? Kohana entrevoyait une possibilité sans pour autant être certaine que l'un ou l'autre s'engage dans cette voie. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer ce que cela pourrait donner, surtout au moment où le Kenpachi découvrirait que son futur gendre était aux antipodes de ce qu'il aurait pu attendre ou souhaiter pour sa fille adoptive.
En attendant, qu'ils la laissent grandir et mûrir tout le temps dont elle aurait besoin, qu'ils le laissent explorer les méandres de la nature humaine et reconnaître qu'il était l'un des leurs, il serait bien temps de sonder leurs intentions dans une ou deux décennies.
Contemplant cette bande joyeuse et exubérante qui s'entraînait à pourfendre des monstres et cavaler d'un arbre à l'autre, lorsque les aînés ne se battaient pas en duel, Kohana réfléchissait au monde qui les accueillerait, le jour où ils endosseraient leurs responsabilités d'adultes. Quels dangers les guetteraient ? Quelles seraient leurs responsabilités ? Auraient-ils à rougir des actions de leurs parents ou seraient-ils à leur tour réceptacles de cette flamme qui couvait dans le cœur de Kohana et qui s'était propagée à son insu parmi son entourage ?
Le pas de son mari interrompit sa rêverie. Il passa un bras autour d'elle, heureux de la retrouver après son absence de plusieurs jours.
« Tu as pu te libérer à temps. Il sera aux anges. »
« Renji a offert de boucler les derniers dossiers. Je lui proposerai de prendre son après-midi demain pour le remercier. »
Elle appuya sa tête contre son épaule, ne quittant pas un instant les petits des yeux.
« Ton voyage s'est bien passé ? »
« Oui. Mais c'est le dernier que j'entreprendrai pour un moment. »
Il baissa la tête vers elle, intrigué.
« Je ne pourrai bientôt plus utiliser le shunpo. » Annonça-t-elle à voix basse, se concentrant enfin sur son époux.
Emu, il posa une main sur son ventre, cherchant dans son regard une confirmation. A ce geste, le sourire de la jeune femme s'élargit. Alors, il profita de ce que les enfants étaient distraits par l'annonce du dîner pour l'embrasser.
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FIN
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« Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix.
Là où est la haine, que je mette l'amour.
Là où est l'offense, que je mette le pardon.
Là où est la discorde, que je mette l'union.
Là où est l'erreur, que je mette la vérité.
Là où est le doute, que je mette la foi.
Là où est le désespoir, que je mette l'espérance.
Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière.
Là où est la tristesse, que je mette la joie.
O Seigneur, que je ne cherche pas tant
à être consolé qu'à consoler,
à être compris qu'à comprendre,
à être aimé qu'à aimer.
Car c'est en se donnant qu'on reçoit,
c'est en s'oubliant qu'on se retrouve,
c'est en pardonnant qu'on est pardonné,
c'est en mourant qu'on ressuscite à l'éternelle vie. »
Attribuée à Saint François d'Assise (1182 ou 1183 - 1226)
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Chers amis et lecteurs,
J'ai démarré cette aventure il y a bientôt cinq ans, alors que germait dans mon esprit la silhouette d'une petite espionne rongée par ses doutes et ses peurs, empoisonnée par sa colère et son désir de vengeance.
Cette jeune femme m'était à la fois familière et étrangère, je comprenais ses terreurs et ses dilemmes mais n'en avait vécu moi-même qu'une infime partie.
Et bien que j'écrive déjà depuis de nombreuses années, une activité salvatrice me permettant de sortir le trop plein de mon cerveau et de faire le tri dans mes tumultes intérieurs, il ne me venait pas à l'esprit d'immortaliser cette demoiselle sur le papier, celle-ci habitant un univers qui ne m'appartenait pas.
Mais certaines de mes amies ne m'ont pas laissée en repos, m'encourageant à me lancer dans ma propre fanfiction. Je leur suis aujourd'hui encore très reconnaissante de m'avoir poussée à effectuer ce petit pas en avant. Cela m'a permis d'écrire de façon régulière pendant trois ans et surtout, de confronter mes écrits à des avis extérieurs.
Et quels avis !
Je tenais à vous remercier, tous et toutes, pour les commentaires et les encouragements que vous m'avez laissé au cours de ces chapitres. A chaque publication, j'attendais vos retours, vos idées, vos suspicions, et le partage des passages qui vous avaient le plus touché. Je riais ou m'émouvais avec vous, ressentant une profonde gratitude face à vos éloges, vos conseils et vos réflexions.
Vous l'aurez compris, le thème central de cette histoire est la miséricorde et le pardon. J'ai suivi, de façon bien plus modeste et bien moins déchirante, quelques uns des chemins de Kohana et de Koshiro et, lorsque j'avais l'impression de tomber dans le néant absolu, sans plus rien à quoi me retenir, c'est la miséricorde qui formait une branche à laquelle me retenir pour ne pas me noyer.
L'autre thème qu'une de mes lectrices fidèles a détecté et que je n'avais absolument pas remarqué, c'est la famille. Grâce à son observation, je me suis rendue compte après toutes ces années à quel point ma famille avait été et continue d'être un repère et un socle pour moi. Cette histoire est également une manière de les remercier sans qu'ils s'en doutent. De plus, ma mère nous a quittés il y a un an et demi, après une lutte contre le cancer qui a duré deux ans. Je voulais que, de là-haut, elle puisse être fière de mon histoire et de ce que j'ai tenté de partager avec vous, en dépit de toutes les maladresses que j'ai sûrement commises.
Bien que je compte hanter encore un peu ce site, il n'y aura plus d'autres fanfictions de ma main. Je compte tout d'abord relire celle-ci en entier et corriger, affiner, retravailler tous les passages qui me satisfont moins, en profitant pour gommer les incohérences que j'ai pu laisser traîner. Je republierai les chapitres au fur-et-à-mesure sur ce site et pense également poster l'histoire sur archive of our own. Je vais publier en mai, à la suite de cette histoire, le document récapitulatif de tous les personnages que j'ai créé ainsi que de la chronologie des événements. Un document qui me permettait de me rafraîchir la mémoire après une pause entre deux séances d'écriture. Il faut juste que je le nettoie un peu pour le rendre plus lisible.
Et après ça ? Après ça, c'est le grand saut. Il va me falloir créer mon propre univers, mes propres règles, fonder des sociétés, enrichir des cultures, former des communautés, dépeindre des personnalités, narrer une aventure qui seront toutes issues de mon cerveau, nourri et inspiré de tout ce que j'ai pu lire jusqu'à ce jour.
Cela prendra cinq, dix, vingt ans peut-être. Mais la prochaine histoire que je publierai sera la mienne de bout en bout. Et le jour où cela arrivera, je ne manquerai pas de vous en tenir informés par le biais de ce site, en mettant à jour mon profil.
Alors, encore un immense merci pour votre participation à ce qui a été pour moi une épopée fantastique et tellement riche d'apprentissage.
Je vous souhaite à tous d'être chamboulés par la miséricorde, comme je l'ai été moi-même et continue de l'être.
Gilmei
