Commençons la partie 3. Vous allez rapidement le remarquer mais changement de partie, changement de point de vue. L'histoire se poursuit à travers le regard de plusieurs personnages secondaires et reprend à la suite de la partie 1!
Iphigeniaaulide: ok, cette fois, plusieurs idées me plaisent on va voir là où je me sens le plus inspirée ;) Merci pour les idées.
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REITO
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La figure de Shizuru n'est pas aussi pâle qu'il s'y attendait, compte tenu du sang qu'elle a perdu.
Selon Saeko, il est difficile d'estimer la perte réelle, son taux de globule rouge n'étant a priori pas dans les normes du fait de sa condition, même si la condition en question n'est pas encore très claire pour Reito.
L'un dans l'autre, la blessure l'a quand même mise KO et elle est allongée dans le lit de l'ancienne infirmerie, inconsciente, depuis presque 24h. Dans le coma? Inconsciente? Youko n'est pas capable de le dire.
Youko et Saeko, en tout cas, n'ont pas quitté son chevet. Elles l'ont recousue, l'ont lavée et lui ont administré des médicaments dont elles ne savent pas vraiment l'utilité. Elles l'ont fait avec mille précautions, n'ayant aucun contact direct avec son sang, manipulant la moindre aiguille avec des gants. Elles ont prélevé un peu de sang et commencé quelques tests et analyses. Reito comprends, son sang est un mélange de rouge vif et de noir épais.
Lorsque Shizuru s'est évanouie à peine dans l'enceinte du camp, Reito a paniqué mais ce n'était rien à côté de Natsuki. Ce n'est pas quelque chose qu'il attendait d'elle, Natsuki était prompt à la colère et aux décisions irréfléchies, mais rarement à la peur ou la tristesse, des émotions qu'elle jugeait pour les faibles selon ses propres mots…
Elle avait perdu tous ses moyens à ce moment-là, se penchant au-dessus d'elle et tentant désespérément de la ramener à la conscience.
Reito s'est ressaisi en voyant Midori lui demander de l'aider à la transporter jusqu'à l'infirmerie. Ils n'ont pas suivi les protocoles de vérification, mais c'était vraiment le dernier de leur préoccupation.
Nao avait été envoyé en avant pour prévenir Youko et Saeko de leur arrivée.
Quelques minutes peuvent parfois tout changer.
Reito est le premier à le savoir. C'est comme ça qu'il a perdu Shizuru i ans.
C'est aussi pour cela que retrouver Shizuru au détour d'un chemin en plein milieu de Fuuka Gakuen relevait d'une véritable surprise; une surprise qu'il n'avait pas réellement su aborder, parce qu'il ne l'avait pas comprise… Shizuru s'était tout aussi figée que lui, incapable de savoir comment réagir.
A la différence d'elle cependant, Reito la revoie toujours distinctement engloutie par plus de mordeurs qu'il n'aurait pu en tuer. Il se rappelle encore de la sensation de cette terreur, cette fatalité -la même qu'à la perte d'Hana- et puis la honte pour sa lâcheté. Il avait fui, l'avait abandonné à la mort ou l'errance éternelle.
Il a passé des années à se convaincre que sa réaction avait été pragmatique : Shizuru était fichue, rien ne servait de chuter avec elle pour quelques concepts d'héroïsme obsolète. Le monde post-chute ne l'autorisait pas.
La revoir ce jour-là, à peine revenu de son expédition pour du matériel médical, s'était donc faire face à un fantôme et à ses propres démons, à une autre vie qu'il s'était efforcé d'oublier parce qu'il n'aimait pas l'image de l'homme qu'il était alors.
ça ne l'avait jamais empêché de se souvenir dans ses songes:d'une autre femme et d'un autre enfant à ses côtés…
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I ans, quand il avait fui devant Shizuru, il était revenu sur ses pas, retournant à son campement de la veille le temps de pleurer 2 bonnes heures et de faire le point. C'était toujours seul qu'il s'autorisait à se montrer vulnérable, le Clan ne l'aurait pas accepté autrement.
Lâche ou non, il avait sincèrement aimé Shizuru. On ne pouvait décemment ne pas aimer la seule femme qui avait été tout à la fois son amie d'enfance, sa meilleure amie et celle qui avait partagé son lit et sa vie. Ils avaient eu Hana, un symbole de tout ce que le monde pouvait encore receler de beau. Perdre Hana avait détruit tout leur espoir de bonheur et prospérité. Il avait aussi perdu Shizuru ce jour-là et Reito ne pouvait pas lui en vouloir, il était le seul à avoir déposé Hana dans cette pièce, c'était lui qui avait cédé aux ordres de son père de ne pas aller voir son enfant, c'était lui qui avait puni Shizuru pour avoir tenté d'échapper au Clan...
Ces événements l'avaient brisé intérieurement et il avait préféré ne plus les évoquer. La simple évocation d'Hana faisait alors de lui une masse sanglotante que les Hommes du Clan n'auraient pas hésité à piétiner.
Il avait rapidement compris qu'il n'avait et n'aurait jamais leur respect. Il était vu comme un gamin gâté et protégé par son père, et il y avait peut être du vrai là-dedans. Shizuru et Hana en avait été une preuve, mais il y avait aussi que Reito ne se considérait pas réellement comme l'un des leurs. Il n'aimait pas la violence, les viols et le sang et cela le rendait faible à leurs yeux. Ils avaient bien plus apprécié Nagi qui, du haut de ses 12 ans, savourait infiniment trop la souffrance d'autrui.
Reito avait toujours été très lucide sur la situation. Il était peiné pour Shizuru bien sûr mais il n'avait pu ouvertement l'exprimer. Il avait vaillamment tenté de concilier son affection pour elle aux attentes du Clan, lui donner ce qu'il avait pu sans trop perdre de sa position. Il avait tellement essayé d'être conforme aux attentes de son père et de s'imposer face aux autres! Parce que si Kenshi en était venu à mourir, qu'allait-il advenir de Shizuru et de lui? Et puis ensuite, il y avait eu Hana et le futur de sa petite fille. ça avait été un tout autre pan de doute et de crainte pour l'avenir.
Il avait toujours regretté que Shizuru ne lui ait pas parlé de son envie de s'enfuir et de ne pas être partie avec elle... Mais l'aurait-il alors seulement accepté ?
Toute à sa peine, les tempes bourdonnantes et la tête lourde, il avait mis un moment à se calmer et à réaliser qu'il ne pouvait pas rester là indéfiniment.
Une infirme partie de lui lui avait intimé de retourner vers Shizuru, d'au moins lui offrir un salut approprié à défaut d'avoir su la protéger.
Mais parce qu'il n'avait pas eu le courage de lui faire face quelque soit son état -morte ou à l'aube de devenir mordeur-, il ne lui était resté à ses yeux que 2 options : revenir au camp et admettre qu'il était aussi faible et inutile que ce que Le Clan pensait de lui ou poursuivre sa route, trouver un camp de survivants et en ramener toutes les informations possibles: nombre, taille, accès et éventuels gains.
S'il y était parvenu, il aurait ensuite tout le loisir de raconter comment il avait perdu Shizuru, non pas face au premier groupe de mordeurs, mais avec une histoire un peu plus commode et acceptable. Cela lui avait aussi laissé le temps de cesser de sentir les larmes lui monter aux yeux à sa perte.
Oui, la seule solution, avait-il décidé, serait de revenir comme un homme aguerri ayant accompli sa tâche et qui avait pu continuer d'avancer malgré sa perte.
Kenshi aurait été furieux malgré tout, il avait apprécié Shizuru comme sa propre fille, peut être plus que ses propres fils, avait parfois pensé Reito, tant il avait souvent rabroué ses hommes sur le comportement à adopter envers elle. Il n'avait jamais pris la défense de Reito ainsi… probablement parce qu'à ses yeux Reito aurait du se défendre seul…
Fixé sur ses objectifs, il avait donc repris son chemin, suivant la côte avec l'idée de visiter les chapelets d'île munis d'accès piéton -de vieux ponts- qui rendaient certains lieux facilement défendables contre les mordeurs. Un bon endroit pour s'installer à ses yeux.
Il avait mis 29 jours à trouver ce qu'il cherchait. Une île de bonne taille sans mordeur ou vieux cadavres dans les rues, signe que l'île était habitée et entretenue.
Il s'était fait discret avec raison puisqu'il avait fini par repérer des patrouilles parfois accompagné de chiens. Des gens formés à tenir les armes mais qui était détendus, ce qui se comprenait par l'état de leur île. Il n'avait pas été trop difficile de les suivre et d'éviter d'être sous le vent pour les chiens. Il avait alors découvert le grand bâtiment d'un blanc insolent, entouré de murs avec de grands terrains intérieurs cultivés. Il avait amplement eu le temps d'observer et de découvrir les faiblesses de leur enceinte, leur accès à un ponton muni de bateau de pêche, leurs patrouilles, leurs gardes -des "enfants" pour partie. Un peu plus d'une centaine de survivants, la moitié occupée à pêcher, élever un peu de bétail ou travailler la terre, un quart occupant des postes divers de l'artisan commerçant au médecin et le reste rattaché à la protection et sécurité de l'île. Et il y avait des enfants -pas ceux qui gardaient l'enceinte et étaient plus âgés- une bonne dizaine que Reito n'avait pas vraiment comptabilisé.
L'estimation avait été grossière mais amplement suffisante et surtout intéressante et alléchante pour Le Clan: la moitié des survivants était des femmes.
Attaquer de front n'aurait pas été pertinent, mais le Clan usait parfois d'autres méthodes. Les Cocktail molotov était une de leur solution la plus brutale -Shizuru les avait assisté pour les préparer… ce ne serait plus le cas à présent, avait-il soudain songé. Il avait passé quelques jours sans penser à elle, mais leurs vies avaient été beaucoup trop liées pour que des rappels d'elle ne soient pas réguliers.
Le Clan aurait aussi pu les empoisonner via leur réserve d'eau par exemple. Une méthode radicale pour les grands groupes mais qui détruisait une partie des ressources. Il y avait aussi plus simple et dangereux: s'immiscer de nuit et tuer avec discrétion. Il en passait et des meilleurs. Le fait avait été que Kenshi avec l'appui de certains membres du Clan aurait décidé de la façon de s'y prendre sans lui demander son avis. ça n'aurait pas été la première fois qu'ils s'attaquaient à un camp de cette envergure et ils avaient été incroyablement bons dans ce domaine. Leur nombre de morts depuis la Chute se comptant sur les doigts d'une main malgré leur façon de vivre.
Reito était donc reparti non sans jeter un dernier coup au panneau "Gakuen Fuuka" qui indiquait les lieux.
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Rentrer avait été beaucoup plus rapide puisqu'il ne cherchait plus la trace de qui que ce soit. Il avait préparé son discours dans sa tête : il avait réalisé son objectif malgré la perte de Shizuru.
Un discours préparé qui n'avait servi à rien.
Éreinté par sa marche, à éviter les mordeurs et à manger de la nourriture glanée de ci et là, Reito s'était demandé s'il ne s'était pas trompé d'endroit parce qu'il n'y avait plus de Clan.
Il avait vu les restes noircis de l'incendie, les débris de tentes et de matériaux divers. Mais aussi des traces de sang, quelques rares impacts de balles et des traces de luttes un peu partout.
Passer la porte du hangar ouvert avait été une image choquante. Un squelette blanchi, nettoyé de sa chair sur un sol béton rougi de sang séché… ça n'avait pas été là à son départ et puisque les mordeurs ne dévoraient pas les gens, il avait ignoré ce qui s'était passé, mais ce n'était évidemment rien de bon. S'il ajoutait justement la présence de quelques mordeurs qu'il avait reconnu comme un homme du Clan -plutôt du genre costaud- et deux femmes qui lui avait fait penser à d'anciennes prisonnières, Reito avait conclu que le Clan ne l'avait pas oublié ou abandonné -si d'aventure son père avait péri durant son expédition-, Le Clan n'était plus.
Par acquit de conscience, il avait fouillé les lieux en détail après y avoir abattu les mordeurs. Aucune indication d'aucune sorte. Reito s'était retrouvé seul.
Sans direction ou objectif, sans la volonté et les capacités pour s'en sortir par lui-même sur le long terme, Reito n'avait pas tardé à prendre ce qui était pour lui la seule solution, et celle qui s'avéra la meilleure de sa vie : il était simplement retourné à Gakuen Fuuka et en avait demandé l'asile.
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Il n'avait jamais raconté -pas même à Mai- qu'il avait été un pillard venu en éclaireur. Il avait plutôt passé les années suivantes à essayer d'oublier ce qu'il serait advenu par sa faute de Gakuen Fuuka si le Clan avait été en vie.
Il avait donc menti bien sûr, racontant qu'il était parti chercher des vivres pour son père et son frère et qu'il était revenu à son refuge, vidé, remplacé par des mordeurs et qu'ils étaient, les seuls survivants qu'il avait rencontré depuis des semaines.
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Bien sûr, ils avaient été suspicieux. Mais Reito avait tout fait pour ne pas l'être, il ne s'était pas rendu directement à leur porte, cela aurait montré trop clairement qu'il les avait espionné et repéré. Il avait marché dans les rues comme s'il explorait les bâtiments et cherchait des vivres. Il avait passé deux nuits entières dans certaines bâtisses de l'île avant qu'ils ne viennent à lui.
Reito avait été sûr qu'il avait été repéré bien avant et qu'ils l'avaient observé cherchant des signes de sa situation: était-il seul? agressif?
Il avait été escorté par les patrouilleurs, une femme l'avait testé avec une étrange machine qui indiquait son taux de contamination. Une invention incroyable de son avis qui lui avait fait poser tout un tas de questions à la femme qui s'avérait l'inventrice. Kuga-san avait été gentille et accueillante. A son feu vert et après que les patrouilleurs eux-même furent testé, on l'avait mené à l'intérieur du camp. ça avait été plaisant de traverser un camp vivant qui ressemblait à la ferme qu'il avait habité 3 ans durant. Ses yeux avaient navigué en tout sens, appréciant l'ambiance tranquille et les discussions faciles. Aucune personne n'avait semblé agressive ou violente, il n'y avait pas de cris de femmes violentées. Des enfants d'âge différents avaient couru en tous sens. Il y avait des femmes, des hommes, des vieux et des jeunes. A l'intérieur de ses murs, avec ces gens, il avait une sensation de nostalgie: un rappel d'un monde d'avant la Chute.
On lui avait offert un repas, on lui avait demandé son histoire et Reito leur avait servi son mensonge.
On lui avait permis de rester. On lui avait offert une chambre et pendant plusieurs jours, semaines même, les patrouilleurs l'avaient surveillé, observé ces faits et gestes. Reito s'était efforcé de ne pas se laisser aller aux enseignement du Clan. Il s'était montré comme il avait toujours voulu être souriant, aimable, diplomate et prêt à aider tous ceux qui le souhaitaient.
Petit à petit, il avait été intégré. Les gens avaient arrêté de simplement lui poser des questions et ils s'étaient mis à parler d'eux.
Reito s'était senti bien.
Il avait découvert d'autres gens de son âge. Il s'était imaginé ce que cela aurait été de grandir ici avec Shizuru. Hana aurait été en vie, elle aurait été heureuse de vivre ici. Même Nagi, le frère qu'il ne pouvait s'empêcher d'aimer malgré ses défauts, aurait probablement été une toute autre personne ici. Shizuru s'était toujours montré si attentive et patiente avec lui, mais la pression de tant d'hommes violents et les conditions malsaines de sa croissance avaient facilement pris le pas sur toutes les tentatives de Shizuru d'en faire quelqu'un de bien. Shizuru avait été la première à subir le comportement du garçon qui la voyait à la fois comme une mère, une soeur, une amie, une confidente et une femme qui serait à jour à lui. ça ne lui avait pas semblé anormal… Il aurait été si différent ici. Ils l'auraient tous été.
Reito s'était rapidement lié d'amitié avec Tate Yuuichi.
D'un an son cadet, ce dernier avait toujours grandi ici et Il s'exprimait alors plus comme un enfant rêveur qu'un homme responsable, racontant qu'il aurait aimé être un samouraï des temps modernes. Il s'entraînait régulièrement au kendo -une discipline dont Reito ignorait tout- avec un autre jeune homme de son âge. Takeda Masashi.
Reito avait découvert ce que c'était d'avoir des amis, des gens avec qui partager tout et rien.
Yuuichi lui avait parlé de la fille qui l'intéressait: Tokiha Mai et Reito avait rencontré toutes les filles -les jeunes femmes- de leur âge.
Tokiha Mai- la rousse pétillante et extravertie intéressée par la cuisine, un plaisir et non une tâche d'asservissement. Nao Yuuki -la plus jeune de leur groupe- une rousse passive-agressive quoique plus souvent agressive que passive qui passait son temps à se disputer avec Natsuki Kuga. Cette dernière, la fille de l'inventrice, si semblable à sa mère mais au caractère bien plus froid et impulsif qui rêvait du monde de dehors. Haruka Suzushiro, la blonde pleine de directives qui tentait trop souvent d'ordonner un groupe de jeune gens qui ne s'impliquait pas encore réellement dans leur avenir.
Reito avait évolué avec eux, avait appris à les apprécier.
Si Natsuki avait été d'une beauté frappante, Reito s'était découvert bien plus charmé par Tokiha Mai qui ne semblait receler aucune colère ou comportement agressif de la première. Mai avait semblé empli de bonne volonté, d'envie d'aider ses amis, de les choyer et de les nourrir.
Ça avait été Mai qui lui avait demandé de sortir environ 2 ans après son arrivée à Fuuka. Reito avait flirté plus ou moins involontairement avec elle depuis plus de mois qu'il ne s'en souvient mais il n'était jamais aller plus loin. Il y avait toutefois des obstacles: les souvenirs de son autre vie, de Shizuru et puis il y avait Tate -son meilleur ami déjà intéressé par la jeune femme. Sauf que Mai n'était pas intéressée par le jeune homme, comme elle le lui avait dit quand il l'avait poliment refusé.
Mai n'avait donc pas accepté d'entendre son explication pour son refus.
"Je suis libre d'aimer qui je veux Reito. J'ai le choix. C'est dommage pour Tate, mais me dire non, ne me fera pas plus sortir avec lui."
Reito avait réfléchi, avait remis en cause sa précédente relation et s'était demandé si Shizuru avait eu ce choix. Son père avait toujours dit qu'ils seraient ensembles et Reito avait aimé cette idée… mais Shizuru qui était aussi promise à son petit frère, n'avait-elle été avec lui que par obligation?
Incapable de répondre à cette question, Reito comme tout le reste s'était efforcé de ne plus y penser, cela n'aurait plus rien changé de toutes les façons.
Et à bien y penser, le choix lui avait trop souvent été enlevé à lui aussi… alors Reito avait décidé qu'il méritait de profiter pleinement de cette nouvelle vie. Il avait dit oui à Mai. Ils avaient diné ensemble, s'étaient tenu la main, s'étaient promené et puis ils avaient commencé à s'embrasser.
Tate avait mis 2 mois à lui pardonner ce qu'il avait vu comme une trahison.
Leur relation s'était bien passée, mieux que bien d'ailleurs.
Ca avait été Reito qui, après un an, lui avait proposé d'emménager ensemble.
Natsuki ne l'aimait pas et s'il avait pensé dans les premiers temps qu'elle éprouvait peut être une certaine forme de jalousie envers leur relation, il avait vite compris que Natsuki n'aimait pas grand monde et qu'elle ne lui faisait absolument pas confiance.
C'était presque comme si elle parvenait à percevoir en lui, celui qui aurait pu être leur fin.
Ça avait été environ 1 an et demi plus tard que Mai était tombée enceinte.
Reito n'avait pas ressenti la même joie qu'à l'annonce de Shizuru, il avait été plus âgé à présent, plus conscient de ses responsabilités et de tout ce qui pouvait mal se passer.
Et il avait été terrifié de ne pas aimer cet enfant autant, de ne voir que le corps à moitié dévoré de sa petite fille se superposer à celui-ci, mais il n'avait pas pu dire tout cela à Mai, si heureuse de cette grossesse.
Natsuki qui avait été une partie intégrante de leur vie, une sorte de sœur/meilleure amie pour Mai avait disparu lors d'une patrouille avec Mai alors que sa grossesse était déjà bien entamée.
Reito avait dû redoubler d'effort pour que Mai cesse de pleurer et de s'apitoyer sur toutes les possibilités de ce qui pouvait lui arriver. Et puis Mai avait accouché sans difficulté.
Une petite fille si semblable à sa première qu'il s'était retrouvé à l'appeler Hana sans y penser quand on la lui avait mis dans les bras. Mai avait aimé le nom -et s'il était venu si instinctivement à Reito, c'était peut être là le signe que c'était son nom, avait-elle dit.
Reito avait senti sa gorge se serrer et malgré lui avait vu cette enfant comme une absolution. Il n'avait pas pu lui dire pour quelle raison un autre nom aurait mieux convenu, il avait simplement serré contre lui sa petite fille avec abandon et avait pleuré pour la perte de son premier enfant et la connaissance de la seconde.
Les mois passant, Mai avait été convaincue que Natsuki était morte. Aucun de leur âge ne connaissait véritablement le monde post-Chute.
L'annonce de son retour -même des jours après, lors du retour de Reito de son expédition - avait mis Mai dans tous ses états: pure joie bien sûr, mais aussi colère pour son départ, inquiétude pour son état. Elle lui avait indiqué que Natsuki était revenue accompagnée et Reito ne s'en était pas vraiment soucié avant de la voir au détour du chemin.
Shizuru. Shizuru Fujino, vivante.
Ils s'étaient fait face, blême et puis elle avait été furieuse.
A voix basse, elle lui avait demandé comment il avait osé l'abandonner, fuir sans même tenter de l'aider. Reito s'était excusée, avait demandé comment elle s'en était sortie, avait tenté d'expliquer ce qu'il avait ressenti avant de la supplier de ne rien dire de leur relation, du fait de se connaître, ou d'avoir été pillards.
Le visage de Shizuru s'était fermé brutalement.
"Bien, avait-elle dit fermement et sur un ton définitif. Pour tout ce que j'en sais, tu es mort pour moi. Je ne pense pas avoir jamais su qui tu étais de toute façon."
Il n'avait pas compté les nuits suivantes à se remémorer les mordeurs qui l'engloutissaient. Il l'avait donc bel et bien abandonnée et elle s'en était sortie seule. Avait-elle rejoint le Clan? Savait-elle ce qui était advenu d'eux? Ou en avait-elle profité pour fuir?
Les questions n'avaient cessé de tourner dans sa tête, sans oser les poser. Il ne pensait pas mériter de réponses.
Parce que Mai s'extasiait sur Shizuru et que Natsuki elle-même l'appréciait, Reito avait dû la côtoyer plus souvent qu'il l'aurait aimé, mais l'un comme l'autre s'en était tenu à ne pas admettre se connaître. Même quand Mai lui avait posé des questions.
Si sa femme et Natsuki n'avaient pas été aussi suspicieuse, Reito aurait choisi de l'éviter indéfiniment.
Reito avait compris que Shizuru avait bien plus changé que lui durant ces dernières années. Elle ne baissait plus les yeux, ne disait plus oui à tout, elle se tenait droite, forte et sûre d'elle. Il l'avait vu discuter avec sa femme et d'autres, elle riait et souriait. Elle avait paru plus vivante qu'elle ne l'avait jamais été. Reito s'était empêché de lui demander comment elle avait pu garder cette apparence, elle n'avait pas l'avoir d'avoir vieilli, ressemblant toujours à la dernière image qu'il avait d'elle.
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Lorsqu'il avait été appelé par Midori, il avait été sur les murs à tirer inlassablement sur la horde avec son comportement étrange et leurs attaques organisées. Hana était gardée avec les autres enfants et Mai, qui aidait à la défense, avait fini son service.
On lui avait appris que Shizuru était partie et qu'ils devaient la retrouver. Nao l'avait traité de lâche. Elle venait de déserter selon ses propres mots.
Reito n'avait pas été d'accord, il ne connaissait peut être pas bien cette nouvelle Shizuru mais il ne voyait pas en quoi elle était lâche. Il fallait avoir du courage de quitter les murs de défense pour s'enfoncer seule dans la forêt. Des mordeurs il y en avait probablement derrière chaque arbre.
Mais c'était surtout la raison pour laquelle il fallait la poursuivre qui l'étonnait. Car désertion ou non, Fuuka n'avait jamais retenu personne contre son gré.
Il s'était soudainement demandé, terrifié, si Shizuru ne profitait pas simplement de la Horde pour s'enfuir et retourner auprès du Clan. Quelle preuve avait-il en définitif qu'ils aient été détruits ? Shizuru n'en avait jamais dit un mot, non pas que Reito le lui ait demandé. Shizuru les avait-elle rejoint après avoir été attaquée ? Travaillait-elle pour eux en tant qu'éclaireuse? Une femme était après tout bien moins suspecte qu'un homme pour ce genre de tâche…
Midori et Natsuki, Mai elle-même, paraissaient en savoir plus mais ne voulaient rien en dire, à part qu'ils devaient la rattraper vivante.
Nao leur avait indiqué le chemin avec l'aide de Duran.
Et Reito suivait, maudissant Shizuru durant toute cette marche. Tout était incohérent. Sa décision de s'enfoncer dans les bois vers aucune échappatoire possible: pont ou port. Une trajectoire irrégulière qui donnait la sensation qu'elle faisait des zig-zag sans raison…
Il ne comprenait pas ce qu'elle cherchait à faire, on aurait presque dit qu'elle voulait que les mordeurs la trouve.
Quand ils s'étaient retrouvés dans les fourrés, avec un vent favorable, et avaient découvert les mordeurs alignés comme des soldats, il avait eu un frisson d'effroi. Quelque chose allait très mal et le regard inquiet de ses camarades l'avait conforté dans l'idée qu'il y avait bel et bien un souci… restait à savoir si cela était lié à Shizuru.
Comme pour répondre à cette question, Shizuru était apparu. Aucun mordeur ne lui avait sauté dessus -ce qui était déjà louche en soi-, mais Reito avait senti son sang se cristalliser dans ses veines.
Sa première pensée avait été que Shizuru avait trahi Fuuka, jouant bel et bien le rôle d'éclaireuse pour le Clan car les deux hommes qui se tenaient à ses côtés, Reito les avait reconnu même s'il ne s'était pas empressé pas d'en informer Midori.
Sauf qu'il y avait quelque chose d'étrange. Ils se déplaçaient comme des survivants, mais leurs vêtements, l'inexpression de leurs visages n'étaient pas naturels… ils ressemblaient presque à des mordeurs…
Et puis Nagi était apparu, plus pâle et effrayant que jamais, avec une apparence carnassière. Il marchait comme un seigneur flanqué de ses sbires et Reito comprit de moins en moins car Nagi parlait bizarrement. Une voix râpeuse, comme si elle était peu utilisée et que la langue était difficile à employer. A peine une phrase, plus une suite de mot vaguement cohérente, mais c'était son frère, son petit frère qu'il pensait mort depuis des années. Toutes les peurs et les colères qu'il pourrait avoir contre lui s'étaient dissipés à la simple joie de cette retrouvaille fraternelle. Ca avaient été les bons moments qui lui était revenu en tête et, bien avant qu'il ne songe aux mauvais, Shizuru l'avait abattu froidement d'une balle dans la tête.
Le "non" avait été instinctif, du fond de son être, un cri, une supplique pour que la mort ne lui reprenne pas ce qu'il pensait avoir retrouver.
Et ce "non" avait tout mis en branle, les mordeurs semblant se réveiller de leur étrange transe et se précipitant vers eux.
Leur fuite avait ressemblé à un cauchemar.
Abattre son poing sur Shizuru ne lui avait procuré qu'un plaisir éphémère quand elle était venue à leur rencontre. Cela lui avait bien trop rappelé la fois où il avait tenté de suivre les conseils aberrants des membres de son groupe qui lui affirmaient que Reito prendrait plaisir à la battre. Il n'avait jamais aimé frapper les gens, il ne le fait toujours pas. Mais il avait été tellement en colère…
Resté perché la haut, sans réponse, pendant que Shizuru avait abattu les mordeurs en contrebas lui avait laissé plus d'une demi heure à penser. Il reconnaissait qu'il y avait quelque chose d'aberrant chez les membres du Clan qu'il avait vu. Si sa perception avait été troublée par la reconnaissance, il comprenait à présent que c'était des "marcheurs". Un terme attribué à quelque chose que personne ne savait encore bien définir.
Reito avait été partagé entre sa curiosité pour Shizuru -tous les secrets qu'elle avait, compris- et l'effroi qu'à présent il allait devoir parler de lui et d'elle. Il était évident pour tout le monde à ce moment-là qu'ils se connaissaient. Et ses propres secrets risquaient de lui faire perdre sa maison, sa femme et sa fille.
Ils avaient tant de questions et de suppositions mais aucune réponse.
Shizuru avait les réponses, toutes les réponses.
Mais celles-ci tardent à arriver, Shizuru avait perdu conscience à leur retour.
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Ces dernières 72h, Reito a cependant compris plusieurs choses:
Shizuru n'a jamais échappé aux mordeurs i ans. Il avait été là quand Youko et Saeko avaient enlevé ses vêtements. Natsuki, Midori, Nao et lui s'étaient tous figés devant les ravages de son corps… les morsures si nombreuses sur son bras et flanc gauche, l'étrange bande de peau cicatrisée autour de son biceps droit, les marques dans son dos dont le souvenir avait rendu Reito malade et la plaie profonde et d'apparence mortelle dans le bas de son dos.
Natsuki était presque devenu hystérique à la vue et Saeko avait ordonné qu'on la sorte de l'infirmerie. Ils s'y étaient pris à trois pour la traîner à l'extérieur et elle s'était mise à pleurer dans les bras de Midori.
C'était la première fois que Reito la voyait pleurer, quelque part il ne l'avait pas pensé capable, mais il avait compris. Reito avait connu Shizuru avant toutes ses cicatrices et il ne voulait pas imaginer la souffrance quand elle les avait récoltées.
Et avec ce coup de couteau, c'était un vrai miracle que Shizuru ait pu marcher si longtemps sans s'effondrer.
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Reito a été interrogé après que la situation de Shizuru se soit stabilisée. Il a finalement accepté de se montrer honnête, mais il a demandé à ce que Mai soit là. Il n'était pas sûr de réussir à raconter son -leur- histoire deux fois. Il a tout dit à Mai, Midori et Saeko ainsi que Natsuki qui a refusé de bouger et que Mai a demandé pour le soutien comme consciente qu'elle allait en avoir besoin. Il leur a avoué être un pillard, d'avoir grandi entouré de violence, de les avoir trouvé en tant qu'éclaireur, du mal qu'il aurait pu leur causer. Il leur a parlé du Clan, de sa disparition qu'il l'avait laissé esseulé en quête d'une nouvelle maison. Il parle de la dureté de sa vie d'avant, du mal mais aussi du bon qu'il y avait vécu. Il parle de son père et de son frère, Nagi le Marcheur. Et puis il parle de Shizuru. De son amour pour elle dont il ignore à présent s'il a été réciproque, de sa lâcheté et de sa conviction de l'avoir perdu. Il n'y a que d'Hana dont il ne parle pas. Quelque part, son amour et sa peine pour sa première fille, il ne doit cette histoire à personne. C'est un souvenir précieux à Shizuru et lui dont il n'est toujours pas prêt à discuter.
Mais il conclut sur cette vérité: il n'a jamais été aussi heureux qu'ici.
Il voit bien qu'elles ne savent pas quoi faire de tous ses aveux. Reito fait partie des leurs depuis 6 ans maintenant, il s'est montré loyal et utile, mais elles réalisent qu'il avait fallu peu de chose pour qu'il soit un de leurs agresseurs.
La présence des Marcheurs, leur existence même, il n'en sait rien de plus. Il n'a jamais menti en disant qu'il les pensait mort et Shizuru à son arrivée ne lui en a rien dit. Lui aussi veut des réponses, probablement plus qu'elles.
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Mai lui en veut, mais il comprend. Lui aussi s'en veut.
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Ils ont trop besoin de bon tireur pour qu'il soit mis aux arrêts ou jugé dès à présent, alors on le laisse libre de ses mouvements mais toujours sous le regard attentif de Midori.
Pendant son temps libre, il préfère venir ici, à l'infirmerie plutôt qu'affronter les reproches silencieux de Mai.
Le regard de Natsuki, lui, n'a pas changé, si ce n'est que sa désapprobation envers lui n'a fait que croître. Une désapprobation qui a l'évidence ne s'étend pas à Shizuru.
La plupart du temps, Natsuki n'est de toutes les façons même pas consciente de la présence de Reito.
Il a pris le temps de regarder les traits immuables de Shizuru qu'il a dessiné des centaines de fois dans un passé révolu. Mais c'est surtout la première fois qu'il observe Natsuki en présence de Shizuru et il voit une chose à laquelle il ne s'attendait pas -n'imaginait même pas possible-, il voit une femme amoureuse.
La possibilité que Natsuki puisse être amoureuse est un concept qu'il l'étonne autant que l'homosexualité.
Mais il la voit là, tenant fermement la main de Shizuru. Natsuki dort la tête sur les draps blanc, les yeux gonflés de trop de pleurs. Il voit sa peine et son affection réunis tous ensemble. Il sait que le champ de vision de Natsuki s'est rétréci, elle est toute entière focalisée sur Shizuru au point qu'elle fait totalement abstraction de Youko qui vérifie ses constantes, de Saeko qui lui chuchote des paroles réconfortantes ou de lui qui a du mal à quitter Shizuru des yeux. Elle semble même avoir totalement oublié la Horde toujours à leur porte. Une Horde toujours dangereuse quoique étrangement désorganisée, plus facile à combattre, ce qui leur offre une possibilité de s'en sortir.
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Shizuru ne s'est pas encore réveillée, mais le couperet est tombé: Shizuru n'est pas immunisé, bien au contraire.
Shizuru est contaminée par un variant de l'Otome que l'Hime ne sait pas détecter.
Le Parasite a donc finalement muté, affreuse conclusion car le seul point positif de l'Otome était son côté immuable: cela fait longtemps qu'ils n'ont plus de mauvaise surprise.
Cette version, au terme d'une étude provisoire succincte, est plus agressive dans sa capacité à contaminer. Savoir que les Marcheurs viennent du même groupe que celui de Shizuru est un indice important et Reito imagine le déroulement par lui-même. Shizuru est rentrée et a contaminé volontairement ou non le Clan.
Hypothèse précoce mais plausible selon Saeko.
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Reito continue de venir régulièrement, à chacune de ses pauses dans un besoin désespéré d'avoir des réponses… C'est du moins ce qu'il se convainc mais au fond, si Natsuki ne se tenait pas là, serrant la main de Shizuru, ses yeux verts incroyablement vifs détaillant le visage de Shizuru avec une prière fervente et silencieuse pour qu'elle se réveille, Reito se tiendrait à sa place. Il parcourrait ses traits du bout des doigts de la même façon que Natsuki le fait quand elle pense être seule.
"S'il te plait, Shizuru, réveille-toi, lui soufflerait-il."
Parce qu'une part de lui ne cessera jamais de l'aimer.
