Et voilà la fin de l'histoire de Greyback et la Vélane grise... C'est pas très gai, tout ça. Mais sinon, dans le reste du monde, ça va bien :)
Katymyny : Moi aussi j'aime bien aller visiter les esprits :) Mais je vais laisser celui de Rogue tranquille un moment, il est encore convalescent tout de même...
Pierre : Je ne pense pas que la Vélane soit végane ;) Je suis très contente que cette histoire te plaise. Merci à toi !
Chapitre 30 - ASPIC
« Tu nous avais caché ton talent de conteur, John », remarqua Stoya, railleuse.
Rogue venait d'interrompre son récit afin de reprendre haleine, et surtout pour laisser monter le suspense. Spécialiste des envols de cape et surgissements inattendus qui terrorisaient les élèves, il savait aussi ménager ses effets quand il faisait son rapport devant les Mangemorts ou racontait une anecdote en salle des professeurs : à l'époque, cela faisait enrager Bellatrix et briller d'intérêt les yeux de Flitwick. Il eût été dommage de laisser se perdre cette compétence.
« Greyback n'a jamais été occlumens, reprit-il, mais son expérience avec la Vélane a dû lui apprendre certaines choses. La défense la plus basique pour contrer une intrusion mentale consiste à focaliser ses pensées sur une image, un son, une sensation quelconque, afin de dissimuler le reste de son esprit. Même les Moldus en sont capables, avec un peu d'entraînement, ajouta-t-il avec un rictus. C'est ce que Greyback a fini par faire. »
Un soir, en s'éveillant, la Vélane l'avait découvert blessé à la gorge : sans doute à force de tirer sur son collier de fer, il s'était profondément entaillé la peau. Il saignait beaucoup, et il souffrait ; elle sentait la douleur pulser dans sa tête. Elle savait qu'il était dangereux de le détacher mais le collier la gênait pour le soigner, et l'esprit de Greyback était tout entier occupé par sa douleur. C'est en tout cas ce qu'elle avait cru.
« À peine libéré, Greyback s'est jeté sur elle, poursuivit Rogue. Le combat a été bref, sans doute grâce à l'effet de surprise qui a joué en sa faveur, et aussi parce que la Vélane ne voulait pas prendre le risque de le blesser grièvement. Il a réussi à la faire tomber dans le bassin et lui a maintenu la tête sous l'eau jusqu'à ce qu'elle ne bouge plus.
-Il l'a noyée ? » s'exclama Roman, choqué.
Rogue confirma d'un hochement de tête.
« J'imagine qu'il devait être très en colère contre elle, commenta-t-il d'un ton badin. Et il s'est peut-être dit qu'elle le poursuivrait s'il ne la mettait pas définitivement hors de combat.
-Mais elle n'est pas morte, observa Stoya.
-Non, en effet », approuva Rogue.
Il ménagea une nouvelle pause dramatique avant d'enchaîner :
« L'eau de ce bassin, nous le savons, n'était pas seulement croupie. Elle contenait quelque chose de… nocif, ou bien elle était devenue nocive en elle-même. La Vélane s'y est trouvée immergée et en a même avalé. »
Roman frémit de dégoût. Pour le dissimuler, Rogue n'en partageait pas moins son sentiment : c'était de cette eau qu'avait émergé le semblant de corps dont Queudver avait doté le Seigneur des Ténèbres autrefois. Pour rien au monde il n'y aurait touché.
« J'ignore ce qui s'est passé, dit-il à voix basse. Cela n'a laissé aucune trace dans son esprit, ou bien à un niveau trop profond pour qu'elle en ait gardé le souvenir. Par la suite, il n'y a que des fragments. »
Il résuma rapidement ce qu'il pensait avoir compris des tout derniers filaments de la dernière fiole. La Vélane avait rampé hors du bassin et était restée prostrée pendant une durée indéterminée. Son corps n'était pas atteint, mais son esprit était comme un oiseau fou : tantôt sa conscience disparaissait et elle n'était alors plus qu'instinct de survie animal, tantôt une rage terrible la prenait et elle détruisait tout ce sur quoi elle pouvait mettre la main, tantôt elle se blottissait au fond de la grotte, submergée de tristesse et de solitude. Elle avait fini par sortir, et ses crises de colère meurtrière ressemblant aux attaques d'une stryge avaient attiré l'attention des autorités magiques, qui avaient appelé le TNT à la rescousse. Fin de l'histoire.
« Pauvre chose », murmura Roman.
L'histoire de la Vélane l'avait ému, ce qui n'était pas une surprise : d'eux trois, il possédait le cœur le plus tendre. Et il y avait sans doute de quoi avoir pitié de cette malheureuse, convenait Rogue à part soi.
« Une pauvre chose qui a tout de même retrouvé assez de maîtrise mentale pour attaquer John, nuança Stoya. Je veux bien croire que la photo de Greyback lui ait fait perdre tout contrôle, mais je n'ai pas besoin de te rappeler ce qui a précédé, n'est-ce pas ? »
Ce n'était pas nécessaire, en effet : Rogue se souvenait parfaitement du piège mental dans lequel la Vélane l'avait entraîné, tout en en profitant pour lui extraire à son insu quelques pépites mémorielles.
« C'était un mécanisme de défense, répondit-il. Je pense qu'elle manie les arts mentaux d'une façon instinctive. La legilimancie est devenue chez elle une sorte de sens supplémentaire qu'elle déploie lorsque quelqu'un a le malheur d'attirer suffisamment son attention. C'est du moins l'impression que j'ai eue, tempéra-t-il, mais, si elle en faisait un usage intentionnel, elle se serait déjà introduite dans la tête de tous les gardiens de sa prison, et peut-être aussi dans celle des détenus.
-Rien ne nous dit que ce n'est pas le cas, objecta Stoya.
-Si ça l'est, il n'y en a aucune trace dans la masse des souvenirs qu'elle m'a transmis », répliqua Rogue, velouté.
Il n'avait pas pour habitude de prendre la défense d'autrui, et ne pensait d'ailleurs pas être en train de le faire ; mais, en tant que spécialiste des arts mentaux, il estimait que son avis n'avait pas à être discuté, ce que son visage et le ton de sa voix exprimaient assez clairement.
Stoya hocha la tête, convaincue.
« Bien, soupira-t-elle. Merci pour ces éclaircissements, John. Ils intéresseront très certainement les Aurors en charge du dossier de la Vélane, et peut-être aussi les guérisseurs de l'hôpital magique de Tirana, ajouta-t-elle avec un pli acerbe au coin des lèvres. Malheureusement, si fascinant cela soit-il, je ne crois pas que nous puissions en tirer quoi que ce soit d'utile pour notre chasse au loup-garou. »
Roman se dit qu'elle aurait pu le formuler avec plus de délicatesse, par égard pour tout ce que le pauvre John venait de subir. Rogue, de son côté, songea qu'il n'était pas si mal de disposer d'un peu de temps libre qu'il pourrait consacrer à une analyse plus fine des souvenirs de la Vélane afin d'en extraire des choses pertinentes pour l'avenir. Il avait encore jusqu'à mercredi pour cela. Inclus.
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« Retour à la case Poudlard », pensait Alifair tout en traversant le parc en compagnie de Rusard : comme pour les BUSE, elle avait pris ses quartiers à l'hôtel du Vieux Hibou de Pré-au-Lard, affronté avec succès les sortilèges Repousse-Moldus qui protégeaient le château et apporté ses talons hauts qu'elle enfilerait dans le hall pour parfaire sa tenue. Un soleil presque estival brillait dans le ciel azur, aussi n'avait-elle pas besoin de bottes en caoutchouc, mais les baskets juraient avec son nouveau tailleur-pantalon bleu marine, sobre et de bon goût : ç'aurait été dommage de gâcher son petit effet.
« Ce sont des examens très people, cette année, l'informa le concierge. Le professeur McGonagall a refusé la demande d'accès spécial formulée par la Gazette, mais Hagrid et moi allons tout de même monter la garde au cas où des journalistes essaieraient de s'introduire dans l'école.
-J'espère qu'on aura droit au tapis rouge pour entrer dans la Grande Salle », plaisanta Alifair.
Vu le nombre de célébrités que comptaient les élèves et le personnel, l'événement prenait en effet des airs de salon VIP. En plus de celui d'Alifair Blake, la liste des candidats aux ASPIC comportait les noms fameux d'Hermione Granger et de Ginny Weasley, surtout connue pour son statut de petite amie en titre du Survivant. S'y ajoutait une flopée de héros de guerre, plus la bibliothécaire et ex-mannequin Lissa Faraday pour la touche glamour. En fait, le casting était assez semblable à celui de la session spéciale des BUSE d'octobre dernier mais, comme quelqu'un l'avait fait remarquer à l'époque – peut-être était-ce Neville – les BUSE n'intéressaient guère les médias. Les ASPIC, c'était autre chose : tout le monde ne poussait pas jusque-là sa scolarité. La Gazette du sorcier s'était fait un plaisir de rappeler le palmarès des candidats les plus célèbres et d'établir ses pronostics. On avait même contacté Alifair pour une interview mais elle avait préféré décliner, par prudence plus que par modestie : inutile d'attirer l'attention sur soi si c'était pour échouer sur toute la ligne.
Elle se sentait beaucoup moins stressée que pour les BUSE, cela dit, peut-être parce qu'elle savait désormais à quoi s'attendre, peut-être grâce à son retour dans le passé qui lui avait bien remonté le moral : elle n'avait même pas repris la cigarette, c'était dire ! Son séjour éclair à Budapest avait dû jouer, aussi : sauver un sorcier en danger de mort, c'était plutôt bon pour l'estime de soi. En plus, elle ne passerait que quatre matières, cette fois : potions, botanique, histoire de la magie et étude des Moldus. Avec l'aide de Slughorn, French, Montague et Crickey, elle s'était préparée à fond – sauf pour l'étude des Moldus : il y avait des limites au bachotage, tout de même. Somme toute, à part l'ASPIC de potions niveau Effort exceptionnel, indispensable pour commercialiser des préparations de classe 2 comme la Tue-Loup, le reste ne serait que du bonus. Presque pas de quoi se prendre la tête. Presque.
Les examinateurs avaient changé depuis l'année dernière, Alifair n'en reconnut aucun. En un sens, elle préférait : sachant tous qui elle était mais n'ayant jamais eu affaire à elle, ils étaient sûrement très curieux de voir à l'œuvre cette Moldue qui prétendait égaler dans certains domaines le talent des sorciers. Curieux et bienveillants, espérait-elle. Tant théorique que pratique, l'épreuve de potions fut un régal : elle eut même droit à une question écrite sur la Tue-Loup, et l'examinatrice se montra très réceptive à son réquisitoire contre le philtre d'amour.
« Le philtre d'asservissement mental, on devrait l'appeler, affirma Alifair avec véhémence. Absolument odieux. En plus, ça déséquilibre complètement le système hormonal, ce truc-là, et personne n'a jamais vérifié si à long terme ça ne provoquait pas le cancer. Si c'était un produit moldu, je peux vous dire que ça serait fait depuis longtemps. »
Le lendemain, elle se tira particulièrement bien de l'épreuve pratique de botanique, qui consistait à greffer des bourgeons de Tentacula vénéneuse sur une souche de Snargalouf, exercice périlleux s'il en fut. Alifair put remercier la tonicité de ses jambes, travaillée en cours de boxe, qui lui permit de rester bien ancrée au sol quand les lianes orangées de la Tentacula tentèrent de la soulever pour la porter jusqu'à ses dents, et le direct du droit avec lequel elle calma le Snargalouf rétif : c'était sans doute moins classe que le double maléfice d'Entrave d'Hermione, mais tout aussi efficace.
La Moldue eut droit à une journée de repos avant l'examen d'histoire de la magie, qu'elle passa à se balader dans la campagne autour de Pré-au-Lard. Alifair n'était pas tellement adepte de la randonnée, mais il faisait si beau que rester à l'intérieur aurait été criminel ; et puis, après des mois à s'encrasser de smog londonien, ses poumons lui en étaient certainement reconnaissants. Le soir, elle retrouva Lissa aux Trois Balais, juste à temps pour l'happy hour. La jeune sorcière était toujours enchantée de son dernier changement de carrière.
« Ils sont mignons, ces petits jeunes, s'attendrit-elle en sirotant son verre de Fairy Martini – gin, vermouth et liqueur de Braillantine. Enfin, la plupart. Et puis, il y a toujours quelque chose à faire. Il faut dire que certains membres de l'association des amis de la bibliothèque débordent d'idées… Peeves en particulier : c'est lui qui a proposé de créer un salon d'écoute pour les usagers fantômes. »
Alifair haussa un sourcil interrogateur.
« Eh bien, les fantômes ne peuvent pas manipuler d'objet, expliqua Lissa. Ils ne peuvent donc pas lire de livres, ce qui est à la fois très triste et très injuste par rapport aux autres habitants du château, Peeves compris. Pour y remédier, on a installé un phonographe dans l'ancien placard à balais de la bibliothèque et créé un petit fonds de livres audio : quand un fantôme veut en consulter un, il n'a qu'à m'indiquer le titre, j'installe le disque sur le phonographe et il peut l'écouter tranquillement.
-Et il y en a beaucoup, des… livres-disques comme ça ? » interrogea Alifair.
Lissa secoua la tête en faisant la moue.
« Non, malheureusement. Les sorciers n'en produisent quasiment pas et, chez les Moldus, on trouve beaucoup plus de cassettes et de CD que de vinyles.
-Les cassettes, ça devrait marcher, dit Alifair en songeant au baladeur qu'elle avait offert à Crickey pour le Noël précédent.
-Je vais peut-être essayer d'acheter un lecteur, indiqua Lissa. De toute façon, le salon a tellement de succès qu'on va en ouvrir un deuxième. Il y avait vraiment une attente très forte du côté des fantômes, on a dû mettre en place un système de réservations pour gérer la demande.
-Tu m'étonnes ! À part se balader dans les couloirs, ils n'ont pas grand-chose à faire pour s'occuper, observa Alifair. Ça doit être long, la mort, quand on s'ennuie…
-Pour ce qui est du phonographe, ajouta Lissa en baissant la voix, on a commencé à enregistrer nous-mêmes certains de nos livres sur vinyle. On ne le dit pas trop parce que je ne suis pas sûre que ce soit très légal, mais… »
Elle haussa les épaules, l'air faussement contrit.
« Faut ce qu'il faut », conclut Alifair.
Elle aurait volontiers pris un deuxième Dragon's Lair, fameux cocktail à base de whisky Pur Feu, mais à la veille d'un examen, ça n'aurait vraiment pas été raisonnable. Elle se contenta donc d'une Bave de Gnome bien fraîche pendant que Lissa terminait son martini. Quittant la bibliothèque, la conversation ne tarda pas à rouler sur le sujet le plus brûlant de l'actualité magique.
« Alors, Crickey va le faire ? demanda Lissa bien qu'elle connût déjà la réponse, comme tous les lecteurs de la Gazette du sorcier.
-Bien sûr qu'elle va le faire, soupira Alifair. Je le savais avant qu'elle se décide. C'était couru d'avance : la politique, elle adore ça.
-Commissaire à l'émancipation des elfes, fit rêveusement Lissa. Si Tommy avait pu voir ça… »
La Moldue était d'accord : comme tous les portraits, celui du jeune sorcier avait célébré avec enthousiasme l'entrée de Crickey au gouvernement, mais son allégresse en deux dimensions n'avait rien de comparable avec la joie exubérante qu'aurait manifestée le vrai Tommy, s'il avait vécu. Lissa, qui partageait la nostalgie d'Alifair, fut la première à se reprendre.
« Et tu le vis comment, que Crickey travaille sous les ordres de Weal Enys ? » demanda-t-elle, malicieuse.
Alifair grimaça comme si sa Bave de Gnome était soudain devenue très acide.
« Je ne le pardonnerai jamais à Kingsley », affirma-t-elle sombrement.
N'empêche que nommer Enys secrétaire d'État à l'égalité était assez logique, en même temps que périlleux : si l'ex-candidat d'OSER renouait avec son credo des premiers temps, ça allait dépoter côté statuts spéciaux et régimes discriminatoires. Mais, en créant ce secrétariat d'État et le commissariat associé, le Ministre élu annonçait clairement la couleur.
« On a déjà commencé à recevoir des lettres d'insultes et des menaces, dit Alifair d'un ton léger. Crickey pour avoir accepté la proposition, et moi pour l'y avoir autorisée. »
Lissa se mordit la lèvre. Elle savait que ce genre de choses affectait son amie à peu près autant que la caresse d'un pétale de rose porté par la brise d'été, mais qu'elle n'était pas du genre à permettre qu'on s'en prenne à son elfe.
« Qu'est-ce que tu vas faire ? » s'enquit-elle, plus curieuse qu'inquiète.
Les lèvres écarlates d'Alifair s'étirèrent en un sourire d'une tranquillité menaçante.
« Qu'est-ce qu'on va faire, Crickey et moi, tu veux dire ? corrigea-t-elle. Ce qu'on a toujours fait dans ces cas-là : on contre-attaque. »
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« Je ne me suis jamais sentie aussi femme ! » proclama la galeriste dans un sourire béat.
Une serviette-éponge pudiquement nouée autour d'elle, Narcissa transpirait à grosses gouttes, assise sur l'un des bancs du hammam. Allongée sur la banquette d'en-face, la galeriste semblait parfaitement à l'aise dans cette chaleur infernale et soliloquait avec entrain tandis que sa compagne, la photographe à la peau caramel, se faisait masser dans la pièce à côté.
« Le plus important, c'est de revenir à soi, poursuivait la jeune femme rousse en essuyant distraitement la sueur qui perlait sur ses avant-bras. Être à l'écoute de ses besoins. C'est ce que Shondra dit tout le temps, et elle a bien raison. C'est parce qu'elle fait du yoga. »
Narcissa émit un discret soupir qui pouvait passer pour un assentiment et ferma les yeux, le dos appuyé contre la paroi carrelée du hammam. Là d'où elle venait, les soins du corps se résumaient au bain et à la crème appliquée par soi-même dans le secret d'une pièce fermée. Certains coiffeurs-parfumeurs sorciers développaient leurs propres gammes de produits de beauté et lorgnaient du côté des instituts moldus, mais jamais on n'aurait vu une femme de sang pur se rendre chez l'esthéticienne ; Narcissa ne connaissait d'ailleurs ce terme que parce qu'elle l'avait entendu prononcer par des condisciples Sang-de-Bourbe au temps déjà lointain où elle fréquentait Poudlard. Se retrouver aujourd'hui dans un tel établissement, presque nue au milieu d'autres femmes presque nues qui pour la plupart ne se connaissaient pas mais partageaient un moment étonnamment intime, était de loin la chose la plus exotique qu'elle ait jamais faite.
Ça n'aurait pas pu marcher dans le monde sorcier, songea-t-elle avec une pointe de regret, en tout cas pas chez elle : on allait au hammam pour se détendre, mais comment être détendue si on tombait par hasard sur, disons, Molly Weasley, mère-la-vertu et assassin de votre sœur ? Ou l'insupportable Sang-de-Bourbe Granger, torturée dans votre salon par cette même sœur ? Ou Hope Babbage, la cousine du professeur d'étude des Moldus dévorée sous vos yeux par le serpent du Seigneur des Ténèbres ? Le cas de Narcissa était certes particulier, mais il y avait encore trop de ressentiment au sein du microcosme de la sorcellerie britannique pour que certaines femmes prennent le risque d'entrer ainsi, nues et sans baguette, dans une pièce aveugle où pouvait les attendre une ancienne ennemie.
« Je me suis rendu compte qu'en fait je pouvais très bien me passer des hommes, disait à présent la galeriste qui s'était mise à discuter avec une inconnue rondelette elle aussi divorcée. Au fond, c'est vrai, quand on y réfléchit : qu'est-ce qu'ils nous apportent qu'on ne pourrait pas trouver ailleurs ?
-À part des ennuis, vous voulez dire ? » plaisanta la femme rondelette, et elles s'esclaffèrent toutes deux.
Des ennuis : c'était bien ce qu'avait valu à Narcissa son mariage avec Lucius, en fin de compte. La terreur, la déchéance, la haine et le mépris de leurs concitoyens, et pour finir l'exil au milieu d'êtres inférieurs chez lesquels, au moins, le nom de Malefoy ne se prononçait pas avec dégoût. Ses sœurs n'avaient pas connu mieux, la traîtresse avec son né-Moldu inutile qui avait préféré fuir comme un lâche avant de se faire abattre comme le chien qu'il était, et Bella avec cet imbécile de Rodolphus même pas capable de lui faire un enfant. Tous les deux, des sources d'ennuis. Sans parler du Seigneur des Ténèbres, dont seul l'orgueil typiquement masculin avait causé la fin stupide : Potter avait pourtant pris la peine de lui expliquer – au risque de faire tuer Drago au passage – pourquoi il était vain d'utiliser contre lui cette fichue baguette ! À sa place, Bella ou Dolores Ombrage auraient réglé le problème en désarmant Potter avant de lui trancher la gorge ; mais non, il s'était obstiné, sûr de sa force, lui, l'homme qui était devenu « beaucoup, beaucoup plus qu'un homme »… précipitant les Malefoy, Lucius en tête, dans un abîme de problèmes dont ils étaient loin d'être sortis. Alors oui, qu'est-ce qu'un homme apportait qu'on ne pouvait trouver ailleurs ?
« Des enfants », murmura Narcissa pour elle-même.
Sans Lucius, pas de Drago, et sans Drago, Narcissa n'aurait été que la moitié d'elle-même. Elle avait eu des diamants, des perles, un miroir enchanté, des paons albinos, un hôtel particulier, mais jamais Lucius ne lui avait offert de cadeau plus merveilleux que son joli bébé aux yeux gris clair qui lui ressemblait tant.
Un gloussement de l'inconnue rondelette coupa court à l'attendrissement de Narcissa.
« Oh, vous savez, ma chère, de nos jours on n'a plus besoin de l'homme tout entier : il suffit de la petite graine... »
Une surprise l'attendait à son retour à la maison : un splendide bouquet de pivoines aux tons nacrés que Marisol avait disposé dans un vase sur la table du séjour. Un envoi de Nate van der Waals, évidemment. Depuis quelque temps, son jeune soupirant était passé à l'étape obligatoire des cadeaux, et il fallait avouer qu'il était toujours tombé juste jusqu'à présent. Comme Lucius à l'époque où il lui faisait la cour, il savait observer et deviner ; ou bien il avait ses sources. Narcissa n'avait pas mis longtemps à soupçonner que Marisol, qui continuait à faire le ménage chez le jeune acteur, pouvait être son informatrice. Tout le monde espionnait tout le monde ces temps-ci, mais au moins n'y avait-il pas de danger à redouter du côté de Nate ; et puis, cela faisait partie du jeu de la séduction. Même si Narcissa ne tirait aucune fierté d'être l'objet de tous les désirs d'un vulgaire Moldu, susciter l'intérêt d'un bel homme de dix ans son cadet était assez flatteur. Elle se demandait parfois comment les choses auraient tourné s'il s'était agi d'un sorcier… Mais, au fond, elle savait bien qu'elle ne tromperait jamais Lucius, quels que soient ses sentiments : son honneur d'épouse le lui interdisait.
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« Fleurs, parfums, bijoux et sacs griffés : tu vas te ruiner, mon garçon ! » prédit Pip en grattouillant les oreilles d'Atticus, le puggle de Nate.
Les deux jeunes gens étaient installés sur des transats au bord de la piscine de l'acteur, où ils sirotaient chacun une bière tandis que le soleil de juin descendait tout doucement à l'horizon, vers l'océan invisible.
« Pour l'instant, je n'en suis qu'aux fleurs et au parfum, nuança Nate. Plus une étole en pashmina que Maddie m'a conseillée.
-Tout de même, tout de même, Chanel n°5 en grand format…
-Il faut ce qu'il faut », dit Nate en répétant sans le savoir des propos tenus quelques heures plus tôt de l'autre côté du globe et dans un tout autre contexte.
Il portait à présent les cheveux très courts, presque ras, et arborait un bleu sur la pommette : le tournage de son film de boxe venait de commencer et il y avait eu une légère erreur lors d'une scène de combat, heureusement sans gravité. Nate trouvait d'ailleurs que ce petit hématome renforçait la crédibilité de son personnage, et on pouvait facilement le dissimuler sous un peu de maquillage pour éviter les faux raccords.
« Tu es vraiment sûr de vouloir t'en aller ? demanda-t-il en changeant de sujet, les yeux dans les yeux de Boo, son fidèle berger allemand qui avait posé la tête contre sa cuisse.
-Oh oui ! répondit Pip d'un ton assuré. Comme on le dit poliment d'un poste qui nous lasse : j'en ai fait le tour. »
Il avait surtout fait le tour de tous les ennuis qui pourraient lui tomber dessus si ce réseau d'espions et contre-espions qu'était devenu le Nightingale passait en alerte rouge. La chose qui lui plaisait le moins, c'était la récente nomination d'un gobelin au poste de gestionnaire financier de l'entreprise : nomination légitime car Narcissa n'était pas rodée à la tenue d'une double comptabilité destinée pour partie aux services fiscaux moldus et pour partie à leur équivalent magique, mais ô combien significative. Les gobelins, eux, possédaient des siècles d'expérience dans le maniement des fonds ; il ne devait pas être bien compliqué pour eux de mettre à profit la nature de zone-frontière du Nightingale pour, disons, blanchir une partie des revenus du conglomérat qui en était propriétaire. Bien entendu, Pip ne possédait pas le début du commencement d'une preuve qu'une telle activité délictueuse se déroulât dans le bureau du comptable, et en aurait-il eu qu'il l'aurait soigneusement jetée à la poubelle. Mais il n'aurait pas été surpris que l'idée en soit venue aux gobelins dès réception de la proposition de Narcissa : en fait, c'était certainement la véritable raison pour laquelle ils avaient acheté le Nightingale.
« Qu'est-ce que tu vas faire, alors ? interrogea Nate.
-Mon vieux, si je le savais, je serais déjà parti », soupira Pip.
C'était bien pour ça qu'il avait fait part à son ami de sa décision de quitter les Malefoy : il espérait qu'à cette annonce, Nate aurait émis une idée de reconversion susceptible de lui convenir parce que, lui, il séchait. Malheureusement, le Moldu n'était pas plus inspiré.
« Tu devrais aller voir le service municipal d'aide à l'emploi, suggéra-t-il. Et peut-être faire un bilan de compétences ? »
Pip gloussa dans sa canette de bière : bien que réelles, ses compétences n'étaient pas de celles qu'on inscrivait sur un CV.
« Dis donc, motus et bouche cousue, hein ? s'inquiéta-t-il soudain. Pas un mot à la dame de tes pensées ni à son bien-aimé rejeton tant que je n'ai rien décidé. Ne déclenchons pas une crise en étant trop pressés. »
La mine très sérieuse, Nate leva la main droite.
« Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer », jura-t-il, solennel.
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