Chapitre 30
-Vous avez de la chance, je ne vois aucun poil mauve pousser dans vos oreilles.
Je regarde avec effroi le professeur Rogue penché au-dessus de moi et lève mes mains jusqu'à mes lobes. Ses yeux froids semblent se moquer et il continue de m'ausculter de derrière la barrière de ses cheveux gras.
-Êtes-vous allergique à la bave de veracrasse ? me demande-t-il de sa voix traînante, tout en plissant le nez devant ma langue qu'il observe avec attention.
-Gnon, je grogne, tandis qu'il serre ma mâchoire entre ses longs doigts pour regarder le fond de ma gorge gonflée.
Il acquiesce pour lui-même et je me prends à maudire sa simple présence, alors même qu'il n'est pas encore neuf heures du matin. En vérité, j'ai passé une nuit épouvantable malgré la potion de Mme Pomfresh censée soulager mes douleurs et je souhaite tout simplement qu'il disparaisse.
Plusieurs fois, j'ai envisagé d'aller réclamer à nouveau de sa mixture à l'infirmière ; mais mes muscles ont semblé être tétanisés toute la nuit et des cauchemars nocifs m'ont fait osciller entre rêve et réalité. Sans compter ces horribles frissons incontrôlables qui me donnent l'impression de ne plus pouvoir contrôler mes gestes.
-Avez-vous mal lorsque j'appuie ici ?
Je grimace quand le professeur pose ses doigts sur une de mes veines jugulaires gonflées serpentant le long de mon cou.
-Non.
-Parfait.
Je le vois qui se redresse et agite sa baguette pour inscrire quelques mots sur un parchemin lévitant tranquillement.
-Vous avez un métabolisme beaucoup plus lent que la moyenne, Mlle Tio. Je vous conseille d'éviter de prendre des relaxants à l'avenir. De mon côté, je vais vous préparer un antidote d'ici demain. Des questions ?
-Non.
D'un second coup de baguette, il roule le vélin et fait demi-tour pour aller discuter à mots couverts avec l'infirmière. Je vois celle-ci acquiescer à chacune de ses affirmations et tente de calmer les battements affolés de mon cœur. Un antidote pour demain ? Croit-il véritablement que je tiendrais jusque-là ?
Je me recroqueville au fond de mes draps, en serrant mes petits poings pour faire cesser les tremblements, et encaisse un nouveau spasme qui me tire un cri étouffé. Puis, je remonte la grosse couverture jusqu'à mon menton et sens mon esprit se perdre à nouveau dans les méandres d'une dépression sépulcrale.
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Il me faut ma potion. Maintenant, tout de suite.
Je me tourne dans mon lit une première fois et tente de repousser ce désir fétide qui balaye tout sur son passage en brisant les quelques réticences que je peux avoir.
Il me faut ma dose.
Je me tourne à nouveau sous mes draps et fixe, sans la voir, la haute porte de l'infirmerie. Avec une prescience de condamné à mort, je comprends que je ne l'aurais pas et cela me fait plonger encore plus profondément dans le désespoir.
Il me faut ma dose.
Je ne prends pas gare à Mme Pomfresh qui vient s'enquérir de mon état et dont les paroles brusques me sont adressées. Elle insiste assez lourdement pour que je boive une de ses mixtures infâmes et je consens à ouvrir la bouche de manière assez mécanique devant sa cuillère.
Les minutes de cette matinée infinie passent, elles s'étirent sans fin en rongeant mon être malmené par une impatience de fauve. Pourtant, je sais que je dois attendre, je ne dois pas bouger tout de suite. Non, je dois rester immobile jusqu'au moment opportun. Un spasme me plie à nouveau en deux, mais celui-ci est moindre et ne me fait pas lâcher la porte des yeux.
Vers neuf heures vingt, mon cerveau parfaitement alerte - malgré un mal de crâne tenace - aperçoit l'infirmière filer aux cabinets. N'attendant pas une minute de plus, je me glisse hors de mon lit et fais quelques pas jusqu'au centre de la pièce lumineuse.
Je vais nu-pieds et un pyjama de coton bleu couvre mon corps sans véritablement réussir à protéger ma peau du froid piquant de cette fraîche matinée d'avril. Pourtant, tout cela ne m'atteint aucunement car je n'ai alors plus qu'une chose en tête : fuir cet endroit.
Avec des gestes rendus maladroits, je sors de l'infirmerie en faisant le minimum de bruit possible et file vers les escaliers les plus proches. Mon cœur tambourine à ma poitrine à mesure que ma course me mène au travers des couloirs du château et mes mains tremblent de plus en plus fort. Ma langue, quant à elle, s'assèche et je jouis à l'avance de ce nectar qui m'attend dans les hauteurs, caché dans ma table de nuit.
Plusieurs fois, je passe devant des élèves étonnés de voir courir une des leurs en vêtement de nuit, mais je ne prends pas le temps de m'arrêter. J'arrive enfin au cinquième étage et je suis en nage lorsque je me plante devant l'armure gardant notre tour.
-Bien le bonjour, jeune jouvencelle ! s'exclame-t-elle d'une voix enjouée en posant ses poings gantées sur ses hanches. Voilà une bien étrange façon de se vêtir en cette heure-ci, ne trouvez-vous pas ? M'est avis que votre esprit vous a joué des tours au sortir du lit !
J'acquiesce vivement à ses dires et lui présente un large sourire malgré le tremblement qui agite maintenant mes épaules et raidit ma nuque.
-Vous avez bien raison, Messire, je lui réponds d'une voix que j'espère égale. Pouvez-vous m'ouvrir sans délai, je vous prie ?
-Allons, ma bonne Dame, il me semble que je vous dois quelques devinettes, avant de vous ouvrir. Car c'est là mon devoir !
-Vous n'allez tout de même pas me laisser ainsi dans ce couloir, Messire ? Il serait inconvenant de la part d'un chevalier tel que vous. Ne pensez-vous pas ?
J'ignore d'où me vient l'inspiration car je laisse mes lèvres s'agiter seules sans que je ne cesse une seconde de perdre de vue mon but premier. Mes paroles ont tout de même l'air de faire effet car le gardien du lieu paraît réfléchir intensément, avant de me faire un large geste de la main pour m'intimer d'entrer.
Je me contente d'un vague salut de la main comme tout remerciement et rejoins ma chambre à grandes enjambées. Une fois dans la pièce circulaire, je marche jusqu'à mon lit et ouvre grand mon tiroir.
Un long sourire se plaque sur mon visage lorsque le liquide pourpre se réfléchit sur mes pupilles. La fiole n'a pas bougé depuis la dernière fois. Oui, elle est toujours là.
Avec des gestes gourds, je la prends religieusement et l'enserre entre mes doigts en sentant mon corps transi se recroqueviller autour d'elle. Mes jambes tremblent et je me laisse tomber à terre pour m'adosser contre le large pied de mon lit. Devant moi, le pâle soleil matinal se déverse sur le parquet brillant et joue avec la transparence du précieux breuvage.
Quatre gouttes. Ou plutôt cinq ?
J'ouvre le petit bouchon de liège et vois la pipette de verre accrochée à celui-ci en sortir pleine.
Peut-être cinq. Il y a des chances pour que quatre gouttes ne soient pas assez.
Oui, cinq. Cinq c'est bien.
Tel le noyé sortant la tête hors de l'eau, je prends soudainement conscience de l'endroit où je me trouve et ouvre de grands yeux apeurés.
J'ai fuis.
Parce que ma vie n'est qu'une succession de débâcles pour lesquelles j'en suis la principale responsable, j'ai été incapable de lutter et d'accepter de me faire soigner.
Avec des gestes tremblants, je referme hermétiquement la bouteille sans réussir à contenir un hoquet écœuré. Je la lâche ensuite d'un mouvement un peu brusque et celle-ci vient rouler au sol dans un petit bruit sourd.
Un gémissement de souffrance passe vite la barrière de ma gorge sèche et je serre mes mains crispées devant mon visage sans réussir à faire refluer la douleur qui m'étreint à nouveau sans prévenir. La nausée me prend bien vite, brisant mon corps qui s'abat alors sur le sol.
J'ai mal. Au plus profond de moi je hurle. Je halète, ahane et en appelle à tous ces Dieux que je vois maintenant penchés sur mon être tremblant. Autour de moi, leur présence noirâtre et vaporeuse s'égaille dans mon champ de vision, semblant m'appeler encore et encore.
Je voudrais poser mes mains sur mes oreilles pour ne plus les entendre, fermer mes paupières pour ne plus les voir, quitter à jamais ce lieu damné. Mais mon corps est lourd. Il pèse sur mon âme en berne ; alors même que je vois le soleil traverser de ses rayons blafards, le liquide de la petite fiole à terre.
Ma délivrance. Elle est là, à une longueur de bras face à moi. Il me serait, après tout, si facile de me débarrasser de toute cette douleur. De tous ces sentiments acérés qui tournoient autour de mon cœur, cherchant avec avidité les pauvres restes pour s'en repaître aisément.
Oui, si facile.
Ma main tremble sur les lattes de parquet sur lesquelles elle est posée. Ses doigts s'agitent fébrilement pour tenter de ramper vers l'objet convoité et je ne peux que les regarder bouger avec ardeur, sans rien pouvoir faire.
Je veux cette dope. Je la veux avec cette même force que je mets pour me la refuser. Car je ne suis pas une héroïne quelconque mue par le courage et l'abnégation. Non, je ne l'ai jamais été. En vérité, je suis le Judas de l'histoire. De tout mon être, je souhaite la rédemption pour mes fautes et pour cette faiblesse qui est mienne ; tout comme je veux m'enfoncer dans cet enfer délicieux qui me fera oublier ce monde et sera l'or de ma trahison.
Je vois mes doigts se saisir enfin de la fiole et de longs sanglots secouent mon corps sans que je ne puisse les arrêter d'une quelconque manière.
J'ai perdu.
Mon bras se replie et ramène le breuvage maudit vers moi tandis que je me recroqueville davantage. Je ne peux plus lutter seule, je ne l'ai jamais pu.
-Souris…
Ma voix est un souffle rauque dont le faible écho glisse le long de mon corps, maintenant traversé par une chaleur inattendue. Celle-ci gonfle au fond de ma poitrine pour inonder mes membres frissonnant et disparaît aussi rapidement qu'elle est arrivée.
Puis, j'attends. Mes pensées s'enfoncent dans une léthargie à la profondeur insondable et je regarde, sans les voir, les grains de poussière virevolter doucement sous les rayons dorés de ce soleil levant.
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La première chose que mon esprit perçoit sont des bruits de pas. Puis, une incantation. Enfin, une exclamation de stupeur lorsque Galaad se précipite dans la pièce, accompagné d'Aaron. Je les vois s'agenouiller devant moi avec une mine abasourdie et ils me redressent en position assise sans cesser de jeter des coups d'œil alertes alentour.
-Alya, que s'est-il passé ? me demande Galaad en prenant mon visage en coupe. Qui t'a fait du mal ?
Mes larmes continuent de couler librement le long de mes joues et je hoche la tête de dénégation. De son côté, il tente d'attraper mon regard fou, noyé dans une détresse mentale qu'il peine encore à envisager. Ses mains se glissent dans mon dos il me prend délicatement entre ses bras tandis que son ami lui remet une couverture qui ne tarde pas à me recouvrir.
-Dis-moi, me souffle-t-il en faisant signe à Aaron d'aller chercher Rabastan. Parle-moi, Alya, j'ai besoin de savoir pourquoi tu nous as appelés à l'aide.
Sa voix est une ancre à laquelle je me rattrape pour me hisser hors de cette nasse nauséabonde qui s'enroule avec hargne autour de mes sens. Ses bras sont un rempart derrière lequel je me réfugie ; sa chaleur, une arme redoutable qui repousse l'assaillant avec détermination. Peu à peu, mes épaules se détendent, mes frissons perdent de leur intensité et ma douleur calme son feu.
Sans un mot, je lève ma main et laisse Galaad ouvrir mes doigts raides pour faire glisser la petite bouteille de verre dans sa paume. Il ne dit rien mais comprend la portée de mon geste.
Rabastan finit par nous rejoindre. Ils écoutent tous trois mes paroles atones avec attention et conservent un air inquiet malgré les mots de réconfort de Galaad. Celui-ci ne m'a d'ailleurs pas lâché une seule seconde, semblant vouloir bouger le moins possible, de peur que je m'échappe s'il s'agite trop.
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-L'infirmière a été informée, nous apprend Aaron en remontant, après avoir disparu pendant un long moment. Je pense qu'il faudrait prévenir Casper et Jasmine, aussi. Ça serait pas mal, pensez pas ?
Les deux autres acquiescent distraitement et Rabastan retourne une énième fois la potion de compassion entre ses doigts.
-Il faut que tu t'en débarrasses, Alya, me dit-il en s'accroupissant face à nous.
-On aura qu'à la filer à Pomfresh quand on redescendra, nan ? propose Aaron en croisant ses bras musclés sur son torse.
-Non, le contre abruptement son ami. Elle doit le faire elle-même. Briser une addiction n'est jamais un geste anodin. Il faut faire preuve d'une volonté inflexible pour ne pas risquer de replonger.
Je vois ses yeux clairs se planter dans les miens, mais je peine à supporter le poids de ses reproches muets et ferme mes paupières. De son côté, Galaad fait un discret geste à son ami et celui-ci se relève pour arpenter à nouveau la pièce.
-D'accord, finis-je par d'une voix rauque. Je vais le faire.
Je sens Galaad presser ses paumes sur mes épaules et Rabastan se contente d'acquiescer gravement. Il me tend ensuite sa main et je la prends pour me hisser sur mes pieds, hors des bras accueillant de Galaad. Sans un mot, nous marchons jusqu'à la petite salle de bains et il doit me soutenir par le coude pour ne pas que mes jambes tremblantes ne cèdent sous moi.
En croisant mon reflet dans le petit miroir accroché au-dessus du lavabo, je prends conscience de l'irréalisme de cette scène. Car, incongruité est bien le mot pouvant justifier que trois jeunes hommes de Serpentard pénètrent sans vergogne dans la petite pièce d'eau de mon dortoir.
Nous nous serrons d'ailleurs tous les quatre sur le carrelage et Rabastan me tend la petite fiole avec un geste ferme ne supportant aucune contestation. Je déglutis et ne peux détacher mes yeux de ses doigts blancs. Mon corps, quant à lui, appelle de ses vœux cet élixir miraculeux, mais je suis désormais fatiguée de tout cela. Une main chaude vient se poser sur mon épaule et je croise le regard de Galaad dans le verre du miroir.
Oui, je sais que je peux le faire. Je dois le faire. Pour laisser derrière moi ma propre faiblesse, pour faire disparaître la souris et laisser enfin la place au félin grondant qui refuse d'être gouverné par la bassesse de ses pulsions.
D'un mouvement que je veux assuré, je retire le bouchon de liège et tend le bras au-dessus du lavabo émaillé. J'inspire puis expire et ferme les yeux en faisant pivoter mon poignet. La petite bouteille s'incline et le liquide finit par s'en écouler doucement, tintant contre la porcelaine pour glisser jusqu'au siphon.
Une fois le récipient vidé, je sens mes membres se mettre à trembler avec force et mes dents claquer durement les unes contre les autres. Ma nuque se raidit et je dois être rattrapée par Aaron pour ne pas choir sur le sol froid. Puis, aidée de mes trois amis, je descends avec difficulté les étages du château pour rejoindre une Mme Pomfresh préoccupée. Celle-ci fait l'impasse sur une quelconque remontrance, pourtant méritée, et me ramène à mon lit défait.
Elle remercie chaleureusement les trois Serpentard et j'ai le temps de sentir les doigts chauds de Galaad sur ma main, avant de succomber au Noctambulo qu'elle me lance. Une torpeur bienvenue se dépose rapidement sur mon être éreinté et je sens finalement mes muscles se détendre pour me faire m'enfoncer dans un sommeil sans rêve.
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J'ignore ce qui me réveille et me ramène des profondeurs de cette courte sieste artificielle, mais réparatrice. Peut-être le bruit des élèves transitant dans les couloirs ou encore la cloche peu discrète sonnant l'heure du repas. Dans tous les cas, mes yeux s'ouvrent avec facilité sur le paysage blafard des dizaines de lit d'infirmerie, dont les draps vides sont bercés d'un silence apaisant.
Dans cette immobilité aux odeurs de produits désinfectants, un très léger bruit de page tournée me parvient alors et je prends conscience que je ne suis pas seule. Il me faut mobiliser toute ma volonté pour bouger mes membres amorphes, mais je finis par me retourner vers l'homme assis à mon chevet et se balançant sur sa chaise sans quitter son livre des yeux.
-Arkwood.
Le Poufsouffle lève les yeux de "La Peste", d'Albert Camus, et laisse sa chaise retomber sur ses quatre pieds. Il marque ensuite sa page et pose son ouvrage sur ma petite table de chevet sans me quitter des yeux.
-Alya.
Sa voix est égale et son visage débarrassé de tout masque, laissant de nouveau voir la personne qu'il est véritablement.
-Ta nouvelle copine a de meilleures lectures, dis-je d'une voix pâteuse en jetant un œil au livre abîmé.
Le jeune homme lève un sourcil et continue de me fixer avec intensité. J'imagine qu'il met facilement à jour mes paroles faussement badines, dont le sous-texte est un peu trop évident.
-Je n'ai personne actuellement, me répond-t-il tout de même. C'est Thomas qui m'a prêté de quoi patienter.
-Ah.
Un silence se redépose entre nous et je tente de m'asseoir sur mon matelas pour cacher les sentiments opposés qui s'agitent en moi. L'espoir et la frustration, l'amertume et le désir. Ils s'entremêlent tous en une danse à laquelle je suis forcée de participer, sans que je puisse fuir leurs pas compliqués.
-Tu sais vraiment pas être raisonnable, hein ? me demande le jeune homme d'une voix basse en me regardant taper mon oreiller et m'y adosser.
Je ne réponds rien et il vient s'asseoir sur les draps en posant nonchalamment son coude sur son genou replié.
-Comment tu te sens ?
Ses yeux bleus ne veulent décidément pas cesser de me fixer et je les esquive instinctivement, sans réussir à les soutenir plus de deux secondes d'affilée.
-Bien.
-Bien ? Et c'est tout ?
D'un geste saccadé, je plonge mes doigts dans la poche de mon pyjama et en ressort la fiole vidée de son contenu. Je la lui tends un peu brusquement et sens ses mains se refermer sur la mienne lorsqu'il récupère le récipient. Sans surprise, le toucher de sa peau me fait frissonner sans que je ne puisse malheureusement l'en empêcher.
Je me permets ensuite un regard dans sa direction et le vois hocher gravement de la tête, avant de faire disparaître le flacon dans les plis de sa cape.
-C'est Samuel qui t'as vu passer pieds nus, ce matin, me dit-il en essayant d'accrocher mes yeux fuyants. Je ne pensais pas que tu te débinerais à nouveau...
Il laisse sa phrase en suspens et je croise mes bras sur ma poitrine en fixant la haute vitre, au loin sur ma gauche.
-Regarde-moi, Alya.
Je resserre mes mains sur mes épaules refroidies et me refuse à lui obéir.
J'aimerais qu'il disparaisse. Oui, je voudrais ne l'avoir jamais connu, n'avoir jamais croisé sa route, et alors peut-être que ma vie aurait été plus simple. Je serais sortie avec Galaad en secret et cet idiot ne se serait jamais glissé dans mes pensées pour ne plus en sortir.
Ne me voyant pas sortir de mon mutisme, Arkwood grommèle et se lève sans cacher son irritation. Il récupère son livre et je le sens hésiter à partir. Il se décide finalement à vider les lieux au bout d'une minute attentive en ayant, au préalable, lancé un petit paquet sur les draps.
Ce n'est qu'une fois la grande porte de l'infirmerie claquée que je tourne les yeux vers le sachet de Patacitrouilles reposant devant moi. J'attrape maladroitement les friandises et me glisse à nouveau sous mes draps en me recroquevillant autour et en laissant mes songes s'évader.
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Jasmine vient me visiter le soir même, accompagnée de Casper et Soneïs. Ils sont rapidement rejoints par nos amis Serpentard, mais je ne suis pas là. Mon corps est présent, un sourire rassurant collé sur mon visage, mais c'est tout. Mon être, lui, accuse le coup. Il peine à conserver sa lucidité et à entretenir une conversation cohérente avec tous ces gens attentionnés.
Ce n'est que le lendemain et après avoir ingurgité une potion au doux goût d'orange, que je réussis à sortir de cet état. Je passe mon dimanche midi avec Jasmine qui me distrait en me racontant la vie du château. Bien peu de choses sont notables, mais ça a le mérite de me changer les idées.
Mes douleurs refluent également et je sens mon esprit s'apaiser peu à peu tandis que la date de la compétition arrive. Elle est prévue pour le lendemain et je crois que mes amis ont peur que je ne quitte pas l'infirmerie à temps. Le professeur Rogue, quant à lui, confirme ce que je pensais en m'indiquant pouvoir sortir le soir même.
Vers dix-huit heures, après avoir promis à l'infirmière que je ne toucherais plus une goutte de potion de Compassion, j'enfile mon uniforme ramené par un elfe zélé. Je rejoins ensuite Jasmine et Casper qui m'attendent impatiemment devant la haute porte. Ils arborent chacun un large sourire, mais je perçois tout de même une inquiétude vive de la part de mon amie.
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-Tu te sens prête ? me demande Casper, après le repas.
Nous sommes blottis tous les trois au fond d'un canapé et nous regardons distraitement les élèves vaquer à leurs occupation dans la salle commune.
-Non. Pas du tout.
-Ce n'est qu'une bête compétition, Aly ! intervient Jasmine en parlant plus vite que notre ami. Tu ne dois pas stresser pour ça !
Je pourrais lui répondre qu'elle revêt bien plus d'importance qu'elle ne peut l'imaginer, car se battre et mettre son honneur en jeu n'est jamais anodin, mais je ne dis rien. Je laisse le silence leur répondre et observe ma sœur discuter avec ses amies en me lançant de temps à autre un regard aimant.
Je me sais entourée de tous ces gens qui comptent pour moi, mais me sens étonnamment loin d'eux. Loin de la personne que j'ai été auparavant, comme si mon insouciance s'était peu à peu diluée dans les gouttes pourpres qui ont glissé sur ma langue.
Autour de nous, de nombreux élèves me gratifient d'un sourire encourageant et j'en vois certain terminer les longues banderoles qu'ils ont mis des jours à préparer.
-Neuf heures, demain, me souffle Casper en suivant mon regard. Présentation des baguettes au délégué officiel ainsi qu'aux arbitres. Puis, quatorze heures, début des combats.
J'acquiesce sans conviction et il sort un parchemin griffonné tandis que nous nous penchons vers celui-ci.
-Vous êtes six concurrents en tout, nous indique-t-il, même si nous le savions. Les matchs sont donc répartis en poules.
-En poules ? s'esclaffe Jasmine. Genre l'animal ?
Notre ami se rembrunit et agite une main agacée.
-Mais non, voyons. Des poules, ce sont des groupes de combattants qui sont constitués afin de ne pas faire s'affronter tout le monde. Déjà, parce que ça prendrait un temps dingue, et ensuite parce qu'avoir six concurrents c'est compliqué pour l'organisation des matchs. À la place, ils vont séparer les duellistes en deux groupes distincts de trois personnes et les faire tous s'affronter entre eux. Vous suivez jusque-là ?
Je hoche la tête et Jasmine lui fait un petit geste pour qu'il continue.
-Donc, Alya, tu es dans la poule numéro deux et tu te battras contre Sébastien Morel, puis contre Hans Van Der Stegen. Dans cet ordre.
-Je ne suis pas avec Rabastan ?
-Bien sûr que non, les duellistes de chaque école sont séparés. Lui, sera avec Eléonore Picard et Sergeï Polianov.
Je le vois qui relit rapidement son parchemin et continue.
-Donc, une fois que tout le monde s'est affronté, les deux meilleurs de chaque poule montent en demi-finale. À ce niveau-là, il n'en reste plus que quatre et chaque champion affronte celui de l'autre poule. Je ne vous ai pas perdu ?
-Et si tout le monde gagne un combat dans sa poule ? demande Jasmine en fronçant le nez sans réussir à déchiffrer l'écriture brouillonne de Casper.
-On prend ceux qui ont vaincu leur adversaire le plus rapidement. Mais ça arrive peu souvent. Il y en a généralement un qui surclasse tout le monde.
Je tente de relire, à mon tour, les pattes de mouches étalées sur le papier et observe le schéma grossier.
-Ça veut dire que, si Rabastan gagne ses matchs et moi aussi, on s'affrontera en demi-finale ? je demande en suivant du doigt la pyramide qu'il a gribouillé.
-Il y a des chances, même si j'ignore s'ils vont faire se battre deux champions de la même école. Entre nous, j'en doute.
Je lève vivement les yeux de ma lecture et m'agace.
-Mais moi je veux être contre lui ! dis-je d'une voix outrée.
-Je sais, Aly. Mais ce n'est pas toi qui décide.
C'est à mon tour de me renfrogner et je laisse Casper enchaîner.
-Une fois la demi-finale passée, les deux gagnants monteront en finale pour qu'il n'en reste finalement plus qu'un. Tous ces combats, c'est-à-dire neuf au total, se dérouleront sur plusieurs jours. Lundi après-midi, trois combats : un de la première poule et deux de la seconde. Mardi, les trois matchs de poule restant. Mercredi, les demi-finales et, enfin, jeudi c'est la finale. Le vendredi il y aura la remise de prix.
-C'est quoi les prix ? demande immédiatement Jasmine.
-Aucune idée. Les autres années c'était une coupe et de l'argent je crois. Une année, ça a même été un voyage.
-Trop bien, s'extasie mon amie en s'imaginant déjà dans une île paradisiaque, à boire un cocktail en notre compagnie.
-Par quel combat est-ce que je commence, déjà ? dis-je en sortant la jeune femme de ses rêveries.
Casper retourne sa feuille et lis avec attention ce qu'il a noté au verso.
-Par Sébastien Morel. D'ailleurs, il combat Hans Van Der Stegen le lundi et le lendemain c'est toi qui te bats contre Durmstrang.
-Et Rabastan ? demande Jasmine en se mordant la langue.
-Il fait le combat du lundi contre Eléonore Picard. Le mardi, il affrontera Sergeï Polianov.
Je m'enfonce profondément dans le canapé et laisse mon regard glisser sur les élèves heureux qui agitent, pour la plupart, leurs baguettes frénétiquement devant eux. Je devine qu'un petit groupe s'est mis en tête d'animer un gros aigle de mousse et de carton peint mais, jusqu'ici, ce n'est pas très concluant.
Je sens le stress monter peu à peu en moi, alors même que mon estomac semble définitivement noué depuis ce matin. Le breuvage du professeur Rogue m'a entièrement débarrassé des résidus de potion de compassion restant dans mon corps, mais je reste tendue et frissonnante malgré la chaleur.
Que j'aimerais disparaître. Ne jamais avoir à avancer au-devant de centaines de gens dont les espoirs de réussite reposent entièrement sur ma personne. Ne pas supporter les regards de défi de tous ces autres combattants avides de sang, certains que le mien seul coulera au bas de l'estrade. Oui, que j'aimerais.
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-Il est temps d'aller te coucher, Aly, m'annonce Casper, alors que dix heures sonnent. Tu dois faire une bonne nuit de sommeil pour être en forme. On se retrouve ici à huit heures, demain matin, ça te va ?
Je tourne une mine tendue vers lui et sens mon cœur tambouriner à ma poitrine. On y est, je ne peux plus me débiner désormais. Demain est le grand jour.
