Chapitre 31 : Une princesse ratée.

La neige tombait abondamment à l'extérieur, les flocons se déposaient lentement sur la fenêtre de la chambre du petit garçon avant de fondre et humidifier la vitre. Le vent sifflait, la nuit allait encore être très froide, non pas que ce n'était pas habituel à Hébra. Ce soir-là, une atmosphère étrange s'était soudainement emparée de la petite pièce plongée dans la pénombre. Ce qui donnait envie à son propriétaire de fuir. Il ne savait pas pourquoi, mais il sentait que quelque chose était en train de mal se passer.

Suite aux ordres de son père, il avait pris peur et s'était caché sous son lit, allongé à plat ventre, les planches de bois poussiéreuses contre son visage. Les cris qu'il avait entendus au rez-de-chaussée l'avaient terrifié ; recroquevillé sur lui-même, il ne savait plus quelle était la meilleure solution. Son rythme cardiaque s'emballait mais il devait rester calme et silencieux, en espérant que cela allait pouvoir le sauver de cette menace inconnue qui semblait s'être abattue sur ses parents.

Le petit garçon pensait avoir entendu la voix de son grand frère, et il ne s'était pas trompé. Arthur perçut une aura malsaine s'emparer de la maison, tout était pourtant si calme ce soir-là… Le silence morose témoignant de la grande tristesse dans laquelle lui et sa famille vivaient depuis quatre ans s'en était allé si vite… Au bout du compte, peut-être que le cadet s'était fait à cette vie sans son frère, sans savoir où celui-ci se cachait. Il avait appris à se taire lorsque des disputes intenses apparaissaient dans le foyer, toujours en raison du même sujet. Il avait commencé à faire son deuil depuis bien longtemps, faisant face à une vérité que personne ne voulait lui révéler, que personne ne voulait croire. À quoi bon continuer à se mentir lorsque la réalité nous chuchotait clairement dans l'ombre que la mort s'était mêlée de toute cette histoire ?

Du haut de ses dix ans, Arthur comprit tout de même que rien n'allait pouvoir les sortir de cet état mis à part le retour de son aîné. Et ce soir-là, ce dernier semblait avoir pris la décision de réapparaître... compte tenu de l'évolution de la situation, le petit frère se demandait si c'était tout compte fait une bonne nouvelle… Il écouta ce qu'il se disait jusqu'à ce que les choses s'accélèrent subitement.

- Va t'occuper de l'enfant, fit la voix de son frère.

- Brad ! Aie pitié ! s'opposa celle de son père.

Arthur déglutit et écarquilla les yeux de peur. Les marches des escaliers qui menaient à sa chambre se mirent à grincer dans un bruit angoissant. Quelqu'un montait. Qu'allait-il advenir de lui s'il restait ici sans bouger ? Il fallait qu'il parte coûte que coûte.

Il déplaça sa tête de quelques centimètres et celle-ci vint heurter un petit morceau de bois qui brisa le silence dont il essayait de faire preuve. Arthur attrapa la figurine et la regarda de son air neutre et impassible pendant que la personne qui montait marche après marche s'approchait dangereusement de sa chambre. Il serra l'objet contre lui en fermant les yeux lorsqu'il s'aperçut que ce n'était rien d'autre qu'une statuette de la déesse Hylia. Il la pria de tout son cœur de le sauver, car il venait de prendre sa décision.

Sans attendre plus longtemps, Arthur se dégagea du dessous de sa couche et accourut jusqu'à son petit sac qu'il avait lui-même confectionné. Il y plaça tout ce qu'il lui passa par la tête avant de se sauver, c'est-à-dire la figurine d'Hylia, quelques jouets et vêtements qui traînaient à même le sol ainsi qu'un livre sur l'art du combat à l'épée que lui avait prêté sa tante. Les grincements avaient terminé de retentir derrière la porte de sa chambre, la personne qui lui voulait certainement du mal devait se trouver juste derrière elle…

Arthur attrapa son bagage avant de se diriger vers l'unique fenêtre de la pièce. Il l'ouvrit et soudain, une vague de froid se déferla sur son visage, ce qui le fit hésiter quelques secondes. Allait-il vraiment sortir seul, en pleine nuit, de cette température glaciale fidèle à sa région ?

C'était de la folie… mais rester ici l'était tout autant.

Un hurlement d'effroi retentit. Celui de son père. Arthur sentit les larmes lui monter aux yeux. Il jeta son sac par-dessus la fenêtre, ses affaires atterrirent dans un buisson enneigé qui amortit leur chute, en contrebas. Le petit garçon passa ensuite sa tête à l'extérieur pour examiner la hauteur. Il devait bien y avoir au moins trois mètres.

- Il serait préférable pour toi de rejoindre tes parents, petit.

Il se retourna en sursautant. Un grand homme aux cheveux noirs se tenait debout et immobile devant lui. Sa voix suave s'opposait totalement à l'atmosphère qu'il installait avec sa présence dérangeante. Arthur se figea en scrutant le visage de son interlocuteur qui affichait un air mélancolique. Il s'agissait d'Alan.

- Autrement, tu chercheras plus tard à les fuir lorsque tu t'apercevras qu'ils ne sont plus comme tu les connaissais. Et qui dans ce monde souhaiterait fuir à tout prix ses propres parents ? Des parents que tu aimes, et qui t'aiment ?

Il avait un parfait exemple en tête qui raviva une colère que jamais le garçon n'avait encore pu exorciser. Il l'avait toujours gardée pour lui. Alan fit un pas en avant qui incita Arthur à passer une première jambe dans le vide extérieur.

- Mon frère l'a bien fait, lui ! dit-il, à cheval sur le rebord de sa fenêtre.

- Je suis là pour ton bien. Agis avec raison, et viens à moi. Rejoins-nous. Le Seigneur Ganon te protégera.

Ce nom… il l'avait déjà entendu quelque part… Tout le monde en parlait ces dernières semaines ; durant son séjour chez son oncle et sa tante, à la citadelle d'Hyrule, nombreux étaient les personnes mentionnant cette entité maléfique. Et même s'il n'avait pas encore l'âge d'en apprendre davantage sur cette légende vieille de la nuit des temps, Arthur savait que cette appellation n'était pas bon signe.

Alan s'avança encore d'un pas, installant une pression chez le petit garçon qui fit le choix de sauter juste avant que la vitre de sa fenêtre ne vole en éclats lorsqu'une traînée de corruption la traversa. Il atterrit dans de la végétation enneigée qui avait un peu réduit ses chances de se casser une jambe. Fort heureusement, il s'en était sorti pour le moment malgré l'apparition très probable de futurs et douloureux hématomes aux genoux. En récupérant son sac qui était tombé au même endroit, il courut aussi vite qu'il le put vers la sortie du village de Tabanta. Il jeta un œil derrière lui, il vit sa maison recouverte de neige et trois masses noires en jaillir, l'une troua le mur porteur de gauche, l'autre de droite, et la dernière passa par le toit, s'échappant vers le ciel. Et ce simultanément dans un son assourdissant. Ces trois personnes corrompues s'éparpillèrent dans le brouillard.

Le vent lui gelait la peau, il fallait qu'il trouve un endroit sûr où passer la nuit, sous peine de mourir de froid dehors. Lorsqu'il atteignit l'entrée de son village, Alan fit brusquement son apparition en barrant la route à Arthur qui trébucha avec son sac, celui-ci laissant s'échapper la petite figurine d'Hylia qui se réceptionna dans la neige.

Les iris teints d'un rouge vif, l'homme s'apprêtait à corrompre le garçon sans défense. De ses mains émana une aura fidèle à celle du Fléau qui flotta dans les airs comme un gaz en se dirigeant directement vers Arthur. Celle-ci s'approcha, de plus en plus, le petit frère de Brad reculait à même le sol, effrayé. Des sons maléfiques et des particules noires naquirent.

Mais Alan grogna lorsque son attention vint instinctivement se porter sur ce jouet de bois représentant la déesse. Il ne voulait pas, mais c'était plus fort que lui. Il le savait, ou du moins, la partie de Ganon qui vivait en lui le savait…

On voulait lui faire passer un message.

L'aura maléfique se dissipa, et Arthur récupéra avec hâte la figurine. L'inaction du corrompu le perturba, Alan se contentait de le dévisager tout en affichant un air d'incompréhension. Il avait une très forte impression de déjà-vu qui l'avait littéralement figé, le petit frère de Brad en profita bien évidemment pour s'enfuir en allant se cacher derrière un tronc d'arbre plus loin. La tempête de neige empêchait de voir à plus de quelques mètres et il espérait que cela le sauverait.

Alan ne voyait que la déesse Hylia dans son esprit, il ne pouvait pas faire autrement. Sa corruption développa une haine incommensurable envers cette dernière, et ses pensées le torturaient durement. Le frère de Gabriel gesticula et poussa un fort cri de colère avant de s'agenouiller à même la neige jusqu'à ce que la totalité de son corps ne soit recouvert de corruption pendant quelques secondes. Une fois cette sorte de crise passée, il souffla et la déesse disparut de sa tête. En relevant le regard, il vit Brad accompagné de Maëlle et Daniel.

- Tu l'as eu ? demanda le chevalier en faisant abstraction de cette étrange scène.

Alan se redressa.

- Laisse tomber, dit-il. Il n'était de toute évidence pas un réceptacle assez grand pour l'étendue des pouvoirs que le Seigneur Ganon veut nous offrir. Un enfant faible ne peut pas supporter une telle force.

- Mais il risque de comprendre et révéler ce que nous préparons, répliqua Brad.

- Un gosse comme lui ne tiendra jamais la nuit dans une température aussi basse. Il sera mort avant l'aube.

Le brun souffla pour faire savoir son mécontentement. Comment avait-il pu échouer devant son frère de dix ans ? Alan s'excusa et reprit dans la foulée.

- Il vaudrait mieux passer à la suite et ne pas perdre de temps.

Le groupe des quatre corrompus s'éjecta vivement vers le ciel nocturne avant de disparaître à travers le brouillard et les flocons de neige, partant mettre au point la suite de ses desseins.

Les rayons du soleil passaient sans difficultés à travers la fenêtre de cette tour du château. Ils venaient se déposer sur un livre dont les pages avaient par conséquent gagné en température, la princesse les tournait en sentant le papier chaud sous ses doigts. Dans la petite pièce circulaire, de nombreuses étagères en bois recouvraient les murs, là où étaient posés divers matériaux antiques et différentes fioles consacrées à l'étude de la flore d'Hyrule et de ses bienfaits. C'était en quelques sortes le petit coin de paradis de Zelda qui pouvait passer des nuits entières à étudier ici. En cet après-midi ensoleillé, elle avait invité Link à la rejoindre afin de lui partager son passe-temps qu'était la lecture d'anciens manuscrits d'archéologie qui regorgeaient encore de beaucoup de mystères à élucider.

Presque une semaine était passée depuis leur retour de leur mission au repaire des Yigas, et leur vie au château d'Hyrule avait repris son cours, comme si rien n'était arrivé. Impa était rentrée au village de Cocorico, l'absence soudaine de la magistrate adjointe inquiétait et avait fait beaucoup parlé ces derniers jours…

Zelda, le nez plongé dans ce vieil ouvrage qu'elle lisait avec passion depuis quinze longues minutes, faisait part de ses différentes hypothèses en ce qui concernait l'abondance des reliques trouvées selon les régions d'Hyrule avec Link. Mais c'était une conversation à sens unique, le héros se contentait de confirmer les dires de la blonde d'un même hochement de tête, celui qui leur rappelait le début de leur relation. La princesse soupira et referma le livre avant de se tourner sur sa chaise vers le chevalier, assis sur un tabouret un peu plus en arrière.

- Je vois bien que cela ne t'intéresse pas… souffla-t-elle. Tout le monde n'est pas obligé d'aimer ce domaine, je ne t'en veux pas, tu sais.

- Non, continuez. Je souhaite en apprendre davantage.

Ça, elle l'avait bien remarqué depuis quelques jours, et ce comportement était assez intriguant. Link qui prenait de son temps pour la technologie sheikah… À vrai dire, depuis leur retour, il n'agissait plus vraiment comme il en avait l'habitude. Il s'imposait plus facilement lors des conversations, son estime de soi s'était accru, et il avait adopté des façons de s'exprimer qui ne lui ressemblaient absolument pas. Parfois, Zelda pensait entendre Revali, même si Link se rattrapait de justesse l'instant d'après. Suite à l'insistance du chevalier qui voulait qu'elle poursuive la lecture, la princesse lui assura que cela ne servait à rien.

- Si je rentre dans les termes scientifiques, je risque de te perdre en cours de route.

Le héros s'excusa de ne pas avoir suivi ce qu'elle lui racontait depuis plusieurs minutes et lui sourit en maintenant son désir d'apprentissage.

- Je retiendrai l'essentiel. Et je pourrais… passer le reste de mon après-midi à la bibliothèque.

Zelda retint de toutes ses forces un rictus qui désirait s'installer sur ses lèvres. Ce n'était pas convenable de se moquer ainsi de Link qui s'ouvrait à ce milieu. Bien évidemment, le voir à la bibliothèque ferait plaisir à la princesse, mais d'un autre côté, tout était allé si vite qu'elle se demandait ce qui l'avait poussé à un changement si brutal. Elle porta une main pour cacher sa bouche, mais le capitaine avait bien remarqué que sa remarque avait amusé Zelda.

- Toi ? Tu ferais ça ? s'étonna l'Hylienne.

- Pourquoi ne pourrais-je pas ? s'interrogea le héros en refroidissant l'atmosphère.

Le sourire de la princesse s'évapora aussi vite qu'il était apparu, elle fut stupéfiée par la froideur si particulière que son chevalier servant venait de faire preuve avec elle. Link semblait vexé, se sentait-il jugé ? Pourtant, son « aversion » pour la lecture n'était pas une surprise et les élus avaient déjà ri de cela un grand nombre de fois. Son comportement mit mal à l'aise la princesse qui, instinctivement, regretta de s'être moquée.

- Pardonne-moi, je me demande simplement ce qui te pousse à autant t'investir dans ce domaine depuis ces derniers jours… Je t'avais proposé de t'expliquer quelques petites choses et voilà que tu consacres presque tes journées à cela !

- Je m'intéresse seulement à votre passion, Princesse Zelda.

Elle haussa un sourcil.

- Très amusant, mais je ne te crois pas.

Le héros reporta son regard vers le sol, n'osant point répliquer. Ce qui, manifestement, montrait que ce n'était pas la raison pour laquelle il agissait comme tel, ou du moins, ce n'était pas la seule. Zelda argumenta ses propos.

- Link, tu as passé ta journée d'hier aux côtés de Pru'ha et des autres Sheikahs des quartiers de recherches. Il y a deux jours, je t'ai vu fouiller dans les mécanismes d'un Gardien hors-service. Non pas que cela ne me réjouisse guère, mais comment se fait-il que tu prends autant de ton temps pour ces choses-là, maintenant ?

- Je ne saurai comment vous le formuler autrement, c'est… en partie la vérité.

La princesse se recula sur sa chaise et s'appuya contre le dossier de celle-ci en croisant les bras, dubitative. Link ne lui disait pas tout, alors que les deux jeunes gens avaient établi une relation de confiance mutuelle entre eux. Cela ne stipulait pas qu'ils devaient n'avoir aucun secret, mais la blonde pensait qu'il lui aurait tout de même parlé.

- Donc tu t'affectionnes tant avec la technologie antique simplement car j'y consacre une partie de mon temps libre ? Et en as-tu une véritable volonté, au moins ?

- Je ne me force pas, je vous assure.

- Mauvaise réponse, Héros d'Hyrule. Combien de fois vais-je devoir vous rappeler que…

- Je ne sais pas mentir…

Link esquissa un sourire embarrassé. Il fallait qu'il cesse d'essayer ce genre de choses qui ne fonctionnaient plus, - et qui d'ailleurs n'avait jamais fonctionné -, avec son amie. Il ne savait pas réellement la raison pour laquelle il avait un comportement si différent ces temps-ci, c'était comme si quelqu'un d'autre l'incitait à bouger, parler, penser autrement.

- Nous nous faisons confiance, je te rappelle, fit Zelda. Si quelque chose te tracasse, tu peux m'en parler, tu devrais le savoir.

Il ne savait pas pourquoi une telle chose le dérangeait depuis un certain temps alors qu'il pensait être passé à autre chose, mais effectivement, une certaine pensée le perturbait dans son quotidien et Link souffla.

- Il est vrai que je me suis senti assez désemparé durant vos recherches dans ce que vous avez appelé le « Sanctuaire de la Renaissance », dit-il à mi-voix.

- Ta présence était plus que nécessaire, tu étais loin d'être sans intérêt. Cela te mine encore aujourd'hui ?

- Je me disais qu'il pouvait être plus agréable pour vous de pouvoir discuter sur des sujets technologiques avec quelqu'un qui s'y connaissait un minimum, lors de vos voyages.

Zelda laissa échapper un hoquet de surprise suite à cette explication qui la laissait sans voix.

- Ce n'est pas en passant ton temps aux côtés des chercheurs sans en avoir l'envie que tu en sauras plus, Link ! Je suis très heureuse de pouvoir partager mon savoir avec toi et t'apprendre de nouvelles choses. Ne crois-tu pas que je suis assez grande pour savoir avec qui je souhaite discuter ? Je te trouve très étrange depuis ce début de semaine… J'ai besoin d'une protection lorsque je sors du château, cela est un fait, mais delà à vouloir me protéger d'une lassitude fictive que je pourrais ressentir en ta présence, ne trouves-tu pas cela un peu excessif ? Crois-tu réellement que j'ai organisé ce pique-nique pour le partager avec quelqu'un qui m'ennuie ?

La princesse remit les idées en place dans l'esprit de son chevalier servant. Oui, elle avait raison, ce n'était pas des choses auxquelles Link devait se préoccuper, d'une part car ce n'était pas son rôle premier et d'autre part, il s'était imaginé un problème inexistant. Zelda le lui fit bien comprendre. Le ton qu'elle avait employé était avant tout utilisé dans l'optique de le rassurer, mais ce dernier était aussi mêlé à un peu d'agacement que la blonde dissimula tant bien que mal. Le héros passa une main dans ses cheveux avant d'hocher négativement la tête, ne comprenant pas ce qui l'avait mené à agir aussi différemment.

- Toutes mes excuses… formula-t-il. Je… ne sais pas ce qu'il m'a pris.

Zelda remarqua sa gêne, elle resta plongée quelques secondes dans ses yeux puis se leva et atteignit un livre de plusieurs centaines de pages qui était posé à l'autre extrémité de son bureau. Elle souffla avec entrain dessus pour en dégager toute la poussière qui s'était accumulée sur la couverture avant de le tendre à Link.

- Prends ceci. Et lis-le seulement lorsque tu en auras la volonté, c'est ainsi que tu prendras plaisir à étudier les reliques. Mais arrête-toi au douzième chapitre, la suite te sera trop complexe si je ne t'explique pas moi-même.

- D'accord.

Le héros récupéra l'ouvrage et fut surpris du poids que celui-ci pesait. Combien de tonnes de notions et de termes complexes y avaient-ils à l'intérieur ? Si en savoir davantage sur les sciences sheikahs était un véritable souhait de Link, alors cela ne devrait pas le décourager. Il s'y intéressait vraiment, de plus en plus, et si la princesse prenait plaisir à lui apprendre ce qu'elle savait, ce qui en résultait ne pouvait être que bénéfique. Link devait simplement y aller à son rythme, et pour lui.

- Merci, fit-il, embarrassé.

- Je l'ai lu lorsque j'avais onze ans, informa Zelda. Ce sont principalement les bases ainsi que quelques idées un peu plus avancées, n'hésite pas à me demander si certaines informations te paraissent floues.

Les bases ? Seulement les bases ? Le blond déglutit en observant la couverture du livre, intitulé « La révolutionnaire science des Sheikahs ».

- Je n'oserai pas vous faire perdre de votre temps pour moi, dit-il.

- On ne perd jamais son temps en partageant ses connaissances.

Zelda se dirigea vers la porte qui menait à la muraille reliant ses appartements à son étude, elle tourna la poignée de celle-ci et invita Link à la suivre. La princesse tendit l'oreille à travers l'entrouverture qui laissait passer un frais courant d'air venant rafraîchir la pièce close.

- Je crois qu'un Gardien est en action près des jardins, que dirais-tu d'aller y jeter un œil ? proposa-t-elle.

Le héros accepta avec plaisir lorsqu'il vit les yeux de l'Hylienne s'illuminer en entendant le bruit mécanique de la machine fonctionnelle. Elle n'avait pas encore eu l'occasion d'en voir un en parfait état de marche et il lui tardait d'aller contempler cet exploit que tous attendaient de réaliser. Zelda passa devant et marcha à pas précipités jusqu'aux créneaux de la muraille où elle se pencha pour voir le plus distinctement possible ce Gardien animé d'une énergie bleutée et orangée à l'intérieur de son mécanisme. Link la suivit, son livre toujours entre les mains.

- Regarde ! s'exclama la princesse. C'est formidable, nous arrivons à présent à faire fonctionner ces machines en toute sécurité ! C'est une excellente nouvelle !

Accompagné d'un Sheikah en contrebas, le Gardien se déplaçait machinalement de plusieurs mètres avant de se stopper et repartir dans une autre direction que le chercheur lui avait ordonné d'un geste simple de la main. Cette facilité de contrôle stupéfia les élus des déesses, Link restait bouche bée devant cette démonstration improvisée de la manipulation de ces bêtes mécaniques imposantes. Une centaine de Gardiens du même genre, et ils pourraient faire preuve d'une puissance remarquable face à Ganon.

- Nos études sur les cœurs antiques nous ont permis de reconnaître certaines anomalies qui se présentaient lors de nos sessions de tests. Comme tu peux le voir, le détecteur de mouvement intégré dans la tête du Gardien est beaucoup moins sensible et cela nous évite des dégâts involontaires. Il est maintenant capable de reconnaître aisément une cible et de déterminer si cette dernière est composée de rancœur du Fléau.

Cela plut beaucoup au blond qui avait dû se confronter au rayon laser d'un autre de ces spécimens quelques semaines plus tôt. Ce dernier avait tiré son feu destructeur où bon lui semblait à plusieurs reprises sans analyse ni visée au préalable…

- Comment fait-il pour se déplacer aussi précisément avec ses pattes articulées ? demanda-t-il à Zelda, agréablement surprise de cette intervention.

- Il y a quelques paragraphes sur les Gardiens dans le livre que je t'ai prêté, tu pourras ainsi en savoir plus et entrer dans les détails.

Elle reporta son attention sur la machine qui se baladait dans les jardins Ouest du château.

- À ce rythme-là, nous aurons tôt fait de parfaitement maîtriser les créatures divines. Et nous pourrons faire face à Ganon, le moment venu !

- Que faîtes-vous ici ? lâcha soudainement une voix grinçante qui fit sauter un battement au cœur de la jeune femme.

À leur gauche, Rhoam Bosphoramus Hyrule apparut devant eux, marchant d'un pas assuré, et le regard austère. Lentement, l'expression joyeuse de Zelda se fana aussitôt sur son visage et se transforma en un air peu serein. En refermant les poings, elle s'attendait bien entendu à une énième réprimande de la part de son père qui ne paraissait pas de très bonne humeur, ce jour-là. Link s'agenouilla devant son souverain en serrant d'un bras l'ouvrage qu'on lui avait prêté contre lui, posant ainsi son autre avant-bras sur son genou, tête baissée.

- Link et moi observions ce Gardien… répondit timidement la princesse. Nous discutions sur ces nouveaux progrès qui portent leurs fruits de nos recherches. Nous devons tout savoir sur l'étude des reliques si nous voulons nous confronter à la Calamité.

Au fond d'elle, elle savait que cette explication allait déplaire au roi d'Hyrule qui jeta un discret regard au Gardien. Cette situation, elle avait l'impression de l'avoir vécue un nombre infini de fois… Zelda baissa le regard comme toujours lorsqu'elle interagissait avec son père. Les dîners qu'elle partageait autrefois avec lui étaient beaucoup plus conviviaux, c'étaient là les seuls moments dans la journée où l'Hylienne pouvait discuter avec son paternel sans réflexions de sa part. Mais depuis qu'elle s'en était allée nommer les prodiges aux quatre coins du royaume, ces repas avaient complètement disparu de sa vie.

- C'est exact, nous devons tout savoir, répondit Rhoam Bosphoramus. Mais vous savez aussi que cette tâche est déjà entre de très bonnes mains, n'est-ce pas ? Ce n'est pas là la priorité de la princesse d'Hyrule. Combien de fois devrais-je encore vous rappeler à l'ordre afin que vous cessiez de négliger vos responsabilités ?

Zelda s'opposa à cette idée.

- Je ne les néglige pas ! Je suis allé prier à la source du Courage, il y a quelques jours. J'y ai donné toute mon énergie, même si le résultat n'a pas été concluant…

- Était-ce la seule raison de vos voyages, ces derniers temps ?

Une vague de frissons s'empara d'elle, Zelda savait qu'elle ne pourrait pas mentir, et elle ne le souhaitait pas. À côté d'elle, Link serra les dents en comprenant à quoi le roi faisait référence. Visiblement, aucun d'entre eux n'avait pensé à cette option, mais les rumeurs courraient quotidiennement, la cour et les domestiques étaient de véritables surveillants de la vie de la princesse. De vrais espions ! Chaque action qu'elle entreprenait, chaque personne avec qui elle discutait, chaque mot qu'elle prononçait. Rien ne leur échappait, et il ne fallait que très peu de temps pour que le souverain soit au courant, qu'elle le veuille ou non. Une fois que Zelda sortait de ses appartements, c'était un véritable réseau de ragots et de potins sur sa personne qui se présentait.

- Com… Comment ? balbutia-t-elle.

- Vous croyez peut-être que je ne suis au courant de rien ?

Elle resta silencieuse un temps.

- Je… commença-t-elle avant d'être coupée.

- Un prisonnier est absent de sa cellule depuis plus d'une semaine. Dame Impa est dans l'incapacité de pouvoir assurer ses fonctions de magistrate adjointe. Comment avez-vous pu oser faire une telle chose ? Comment ma propre fille a-t-elle pris une décision aussi grave ?

La colère du roi se manifestait de plus en plus dans le ton qu'il employait. Zelda ferma un instant les yeux en recevant cette fureur qui, d'un côté, était compréhensible pour un père qui découvrait les agissements inconscients de sa fille.

- Tout le monde est courant ! La princesse d'Hyrule collabore avec le plus grand criminel que le royaume n'a jamais connu ! Vous vous êtes rendue chez les Yigas, avez-vous la moindre idée du danger dans lequel vous vous êtes aventurée ?

- Ce n'est pas ce que vous croyez.

- Devrais-je le comprendre autrement ?

La princesse porta ses deux mains contre elle et s'avança d'un pas pour tenter de convaincre le roi.

- Je vous en conjure, Père, attendez le jour de son procès. J'y participerai et je vous expliquerai dans le détail ce qui m'a poussé à agir ainsi.

- Cela suffit ! J'en ai assez entendu ! En plus de passer tout votre temps sur ces reliques, vous faîtes preuve d'une insouciance et d'une imprudence inacceptable ! Vos actions font scandale dans toute la citadelle ! Et durant ce temps-là, vous pensez que le pouvoir du sceau s'éveillera sans le moindre effort de votre part ?

Ces paroles étaient dures à entendre… Très dures lorsque l'on mettait tout en œuvre pour réussir depuis une décennie, cela l'affligeait beaucoup. Elle avait pris l'habitude de recevoir ce genre de discours, mais jamais le roi n'avait été aussi sévère. La blonde sentit un poids se former dans sa poitrine et les larmes lui monter aux yeux. Ne comprenait-il donc pas ? Croyait-il que la méditation était si facile que cela ? Elle avait réalisé tous les efforts possibles, absolument tous ! La pression qu'on lui infligeait n'allait que la tirer vers le bas, et pourtant, il continuait à lui faire part de ce même état d'esprit. Car il ne semblait pas voir la réalité des choses : Zelda était fatiguée de l'échec. Accablée. Anéantie.

Par Hylia… si sa mère n'avait pas disparu, si son guide ne s'était pas éteint brusquement, elle lui aurait sûrement partagé beaucoup de choses qui peut-être auraient pu l'aider à aller de l'avant… Plus les jours passaient avec cette idée dans sa tête qu'elle était incapable d'accomplir son devoir, et plus Zelda avait tendance à donner raison à son père. Elle-même ne se comprenait plus.

- Je fais tout mon possible, Père ! répliqua la princesse d'une voix tremblante.

- Mensonge ! Dorénavant, je vous interdis de vous approchez de ces reliques. Je vous interdis également, jusqu'à nouvel ordre, de sortir de l'enceinte du château hormis ce qui concernera la méditation ! Je ne peux pas prendre le risque de voir ma fille s'aventurer de nouveau dans un endroit d'où elle ne reviendrait pas, cette fois !

Link qui assistait pleinement à cette scène se retint de toutes réflexions. La princesse vivait-elle ce genre chose chaque jour ? Si tel était le cas, le héros en était vraiment désolé, il se souvint des mots d'Urbosa, elle n'a pas la vie facile… Link en avait à présent une véritable preuve tangible. Une forte envie de s'opposer aux propos du roi naquit en lui, le prodige avait été témoin de tous les efforts qu'avait fourni Zelda lors de leur voyage jusqu'à la source du Courage, comment pouvait-il lui adresser des mots aussi durs ? Dans l'incompréhension, Link soupira silencieusement. Rhoam Bosphoramus se déplaça jusqu'à l'extrémité de la muraille pour y observer la citadelle d'Hyrule de loin.

- Savez-vous comment ils vous voient, tous ? la questionna-t-il. Savez-vous au moins comment ils vous considèrent ?

Oui, elle le savait. On tâchait de lui rappeler chaque jour.

- Comme une princesse ratée, inconsciente et irresponsable, qui ne se soucie en rien du devoir qu'elle est vouée à accomplir depuis sa naissance.

La princesse s'était décomposée durant cette ultime intervention. Sourcils froncés, tête baissée, elle se sentait indigne. Elle ferma les paupières une nouvelle fois et déglutit afin d'éviter que l'eau ne coule sur ses joues.

- Montrez-leur, ma fille. Prouvez-leur qu'ils se trompent tous. C'est compris ?

Du côté de Link, celui-ci ressentit une chaleur soudaine lui réchauffer les entrailles lorsqu'il perdit le contrôle de son propre corps et se redressa subitement en gardant toujours le livre ancien dans les mains. Il ne pouvait rester muet après cela, c'était plus fort que lui. Ce n'était pourtant absolument pas dans sa nature d'être impulsif. Il regarda droit devant lui et adressa quelques mots au roi d'Hyrule qui fut ahuri de le voir prendre une telle initiative.

- J'ai accompagné Son Altesse durant tous ses voyages depuis ma nomination en tant que chevalier servant. Tous, sans exception. Y compris jusqu'à la source du Courage. Je crois, sans vouloir vous offenser, Votre Majesté, que vous faîtes fausse route. Je l'ai vue faire tout ce qui était en son pouvoir pour tenter de réveiller le pouvoir du sceau, je puis vous assurer qu'elle y porte de la rigueur, du sérieux, de la volonté, et de la détermination comme je n'en ai jamais vue. Bref, une très grande importance. Seulement…

Il marqua une pause.

- Je crains que ce qui lui manque soit des encouragements.

Zelda avait détourné le regard tandis que son père se mit encore plus en rogne. Son front se rida promptement et le héros sut pertinemment qu'il venait de commettre une très grave erreur.

- De quel droit osez-vous intervenir sur un sujet qui ne vous concerne absolument pas ?

- Il nous concerne tous. C'est l'avenir d'Hyrule qui est en jeu.

Bon sang ! Pourquoi continuait-il ? Il était déjà allé beaucoup trop loin et pourtant quelque chose le poussait à continuer de prendre la défense de la princesse.

- Je devrais vous retirer vos fonctions pour avoir accompagné ma fille dans un lieu aussi hostile ! Vous faîtes honte à votre père !

- Peut-être qu'une aide morale apportée à Son Altesse pourrait lui permettre de…

- Assez !

Le cri du roi résonna. Cette étrange chaleur que ressentait le prodige au plus profond de lui disparut suite au silence pesant qui venait d'être installé, et qui laissait percevoir les bruits mécaniques du Gardien non loin de là. Link, confus, s'agenouilla comme chaque personne de son rang devait le faire devant leur souverain. Quelque chose avait influencé son caractère et sa personnalité, et ce fut en comprenant cette idée qu'il eut une hypothèse plus que probable sur la raison de ses agissements anormaux.

- Vous êtes le chevalier le plus talentueux du royaume, le Héros élu des déesses, mais lorsque j'apprends que ce même héros emmène ma fille dans des endroits aussi dangereux, je ne peux que prendre la décision de vous retirer votre titre de chevalier servant de façon permanente. Dans tous les cas, ma fille n'en aura plus besoin dans l'enceinte du château.

Zelda soupira tristement.

- Ne vous avisez plus jamais de m'adresser la parole ainsi, reprit-il.

- Je vous présente mes excuses… fit Link.

- Vous partirez avec une escorte pour la source de la Force dans les trois jours qui viennent, c'est un ordre.

Sur ces mots adressés à la princesse, Rhoam Bosphoramus fit demi-tour et s'en alla d'un pas lourd. Link se releva, mal à l'aise, et Zelda resta immobile le regard perdu dans ses pensées. Dix secondes s'écoulèrent avant que le héros ne tente une interaction avec son amie.

- Je…

- Tu pensais peut-être te faire retirer encore plus de titres ? C'est cela ce dont tu voulais ?! Link, qu'est-ce qu'il t'a pris, par toutes les déesses ?!

Elle avait encore raison, il n'aurait jamais dû la défendre ainsi, même si cela partait d'une bonne intention. Ce n'était pas le fond qui dérangeait Zelda, au contraire, elle avait trouvé assez flatteur tout ce que Link avait mentionné pour s'opposer à son père, mais le héros s'était mis en danger et en subissait les conséquences… Si ses échecs commençaient à impacter la vie de son ami, c'était encore pire ! La princesse, bouleversée par ce qui venait de se produire, démontra une colère, - due à la honte qu'elle ressentait -, envers le prodige qui la faisait culpabiliser.

- Je… je crois que… C'est la corruption… révéla Link.

Elle se remémora qu'Impa lui avait informé que le reste de corruption toujours en Link pouvait en effet avoir une modification sur sa personnalité, mais elle ne pensait pas tant… Sur le moment, elle n'eut que faire de ces explications qui élucidaient bien des mystères.

- Dans ce cas, tâche de garder le contrôle sur toi-même à présent ! répondit Zelda. Fais en sorte que cette chose ne te transforme pas de nouveau en un Link différent de mon véritable ami !

Elle se dirigea vers son étude tandis que le héros resta à sa place.

- Princesse Zelda, je suis sincèrement désolé…

- Link, je ne te retiens pas. J'ai besoin d'être seule.

Une princesse ratée…

Incapable d'accomplir son destin…

Irresponsable…

Inconsciente…

…Ratée…

En somme, ce n'était qu'une bonne à rien pour son peuple… selon elle, il n'y avait que cette explication. Zelda claqua la porte derrière elle avant de sentir quelques larmes sur son visage. Elle regarda les nombreux papiers étalés sur la table de son étude, depuis plusieurs jours, elle avait indiqué de nouvelles pistes de recherche dans la méditation, comme lui avait conseillé Link. « Repartir de zéro, de nouvelles bases, autre état d'esprit ? Autre méthode ? Faire abstraction de toutes pensées, quelle qu'elles soient ? ». Ses différentes idées s'étalaient sur plusieurs morceaux de parchemins.

La princesse les attrapa tous et les empila avant de déchirer rudement toutes ses hypothèses qu'elle jugeait inutiles après avoir entendu un tel discours. Les bouts de papiers se multiplièrent, encore et encore dans les mains de Zelda, dévastée. Elle les jeta sur le bureau mal rangé dans un cri de colère mélangé à ses sanglots. En dix ans de découragement, elle commençait à toucher le fond du gouffre. Si la prêtresse du royaume ne parvenait pas à trouver comment réaliser son devoir, peut-être qu'en fin de compte, elle était également vouée à disparaître avec le reste d'Hyrule…

Le lendemain, des rideaux filtrant la lumière du jour matinale furent tirés en un instant. La pièce obscure et chaude s'éclaira en illuminant la commode placée face à la fenêtre où passait le soleil, seule une ombre enfantine se démarqua dessus. Emmitouflé dans sa couverture qui n'était plus bordée sur les coins du lit, quelqu'un lâcha un gloussement grognard, comme si l'ours se réveillait de son hibernation. Pour lui, il était tôt ; pour elle, il était tard. Lysia se jeta sur le lit double place pour secouer le matelas, et faire lever la marmotte ! Elle y rebondit telle une sauterelle avant de continuer à embêter son père qui n'avait aucunement l'intention de bouger. Surexcitée à l'idée de vivre une nouvelle journée avec lui, la jeune fille savait que si elle attendait qu'il se lève de lui-même, elle ne profiterait pas assez longtemps de ce qu'ils avaient prévu de faire.

Lysia perçut le long soufflement de nez de Gabriel et elle soupira en s'allongeant sans grâce par-dessus la couette, à côté de lui. Ses cheveux blonds étalés sur l'oreiller, elle scrutait le plafond de bois sous ses yeux et se posa un tas de questions sur la fabrication d'une maison aussi grande que celle dans laquelle ils vivaient à deux. C'était la plus prestigieuse de l'Étape d'Hyrule ! De quoi s'en vanter. Son inépuisable esprit d'enfant vagabondait sans cesse dans toutes les directions possibles. Lysia écouta les oiseaux chanter à l'extérieur et les gens parler dans la rue principale de la ville dont leur voix était à peine perceptible depuis la chambre parentale. La blonde simula une moue en bougonnant, sans articuler ses mots.

- T'es trop paresseux, papa… dit-elle.

Cela faisait deux heures qu'elle attendait, Lysia était en pleine forme dès qu'elle mettait un pied en-dehors de son lit. Depuis leur retour chez eux il y avait cinq jours, elle ne voulait que revivre pleinement sa vie d'avant son cauchemar. Une voix éraillée lui répondit alors que Gabriel était couché sur le flanc, dos à elle.

- Contrairement à toi, ma fille, je profite de pouvoir dormir quand je peux…

La petite Hylienne se redressa et s'assit en tailleur en continuant à faire bouger la totalité du lit.

- Tu as dit qu'on irait au marché, aujourd'hui. Je suis prête !

- Le marché ne va pas disparaître… il dure toute la journée…

- Il est onze heures, papa…

Il en profita pour taquiner sa fille qui ne comptait pas le laisser tranquille. Ce n'était pas comme si c'était une première pour l'homme… Pour lui, onze heures, c'était une très bonne heure pour rester au lit lors de ses journées de repos. Depuis sa nouvelle vie, seul aux côtés de Lysia, Gabriel travaillait au modeste et sympathique restaurant de l'Étape, son préféré, là où tout avait commencé… Ce lieu le rendait très mélancolique, mais depuis, il s'était habitué et avait dû faire avec.

- Eh bien tu vois ! Il est tôt ! déclara-t-il.

Lysia prit un air désabusé en croisant les bras.

- Très drôle, maugréa-t-elle.

Le père lui avait promis de passer la journée dans l'ambiance chaleureuse du marché hebdomadaire de la ville, il fallait bien qu'il tienne sa promesse. Conclusion : il n'avait pas le choix, Gabriel était dans l'obligation de céder face à la précipitation de Lysia. Il essaya tout de même de se justifier, même si cela ne fonctionna point.

- Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit ce mois-ci… chuchota l'homme en se mouvant enfin dans les draps grisâtres.

- Parce que j'ai bien dormi moi, tu crois ? répliqua la blonde.

Il se retourna vers elle en sortant ses cheveux décoiffés de l'oreiller. Qu'avait-elle dit ? Qu'elle était prête ? Dubitatif, il lui reposa la question en se retirant de la couverture.

- Attends, comment ça tu es prête ? Tu es habillée ?

Gabriel attira son attention sur la tenue de sa fille : un pantalon hylien taille enfant ainsi qu'un léger maillot beige, aux manches beaucoup trop courtes pour elle. Décidément, elle ne le lâcherait pas, celui-là…

- Lysia, je t'ai dit que cet habit était trop petit pour toi ! rappela l'homme.

- Mais je l'adore…

- Tu as déjà mangé quelque chose ? continua Gabriel.

Il passa une main devant sa bouche avant de bailler en silence. Lysia se figea et le fixa suite à sa question, les yeux écarquillés. Sa fille lui partageant un grand sourire, il haussa un sourcil en comprenant qu'elle lui cachait quelque chose. Le frère d'Alan plissa les yeux, tentant d'afficher un air autoritaire malgré le fait qu'il venait de se réveiller. Ce qui ne faisait qu'amuser Lysia.

- Quoi ? s'interrogea-t-il. Tu fais les mêmes yeux que quand tu as fait une bêtise…

- Lève-toi et tu verras !

Elle était toujours aussi maligne… Fidèle à elle-même ! Gabriel s'étira et reprit la situation en main, en voyant que son autorité n'avait aucun effet sur elle.

- Aux dernières nouvelles, c'est moi qui décide ici, demoiselle, alors tu vas me faire le plaisir d'enfiler quelque chose à ta taille et de réparer la bêtise que tu as faite.

- Je n'ai rien fait, c'était juste pour te faire te lever.

Il se redressa soudainement, la surprit, et la fit tomber sur le dos contre le matelas, prêt à la recouvrir de chatouillements auxquels elle ne résistait jamais. Lysia rit et s'enfuit de la chambre en courant.

- File avant que je ne te rattrape ! Allez !

- Tu es nul à la course, papa !

Celui-ci se leva mais n'essaya guère de la rattraper. Il l'entendit descendre dynamiquement les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée en courant et la rappela de nouveau à l'ordre pour éviter qu'elle ne tombe. Comme cela était déjà arrivé, l'Hylien faisait dorénavant plus attention. Après ce brusque réveil, il passa sa main sur ses joues et son cou, l'aîné grimaça en grattant sa barbe qui commençait à beaucoup trop s'imposer à son goût. Il était temps qu'il reprenne soin de lui, il avait consacré ses journées pour sa fille depuis leur retour et cela faisait des semaines qu'il ne s'était pas rasé, il en avait perdu l'habitude. En sachant qu'il avait horreur de sa tête avec une barbe plus ou moins visible, cela l'agaça.

Gabriel passa de l'autre côté de la chambre pour ouvrir la fenêtre et réarranger la couverture sur la seconde place du lit où Lysia s'était affalée brutalement. Généralement, le père ne passait jamais de ce côté de la pièce qui autrefois était l'espace de son ancienne conjointe, il n'y avait simplement rien à faire, ici. De plus, c'était un endroit qui, quelques années en arrière, était encore imprégné de son odeur, à elle, même après son départ soudain. Ainsi, il prit l'habitude de ne pas s'y rendre pour éviter de torturer son esprit. La seconde chambre de la maison était devenue une salle de jeu pour Lysia, il n'avait donc qu'ici où dormir, dans cet endroit rempli de lourds souvenirs. Il se pencha pour s'occuper du drap lorsque de ses pieds nus, il marcha sur une partie de planche de bois du plancher qui se démarquait des autres de par sa couleur plus foncée et l'absence de fixations qui l'avait faite bouger lorsque l'homme avait posé son pied dessus. Intrigué, il examina le bois et fit se déplacer le morceau de planche libre dans la limite de son emplacement à l'aide de son talon.

En dix ans de vie dans cette demeure, il n'avait jamais remarqué cela. Gabriel s'accroupit et tapota la surface de la planche cassée qui sonnait creux. Une petite cachette secrète… par Hylia, il trouvait encore des surprises ici après tant de temps. L'homme cala ses ongles dans la fente formée entre le bois non fixé et le reste du plancher puis souleva le rectangle, laissant une petite araignée s'enfuir de ce piège dans lequel elle était tombée. En effet, sous le bois, était cachée une vieille boîte fermée, verrouillée. Gabriel s'en empara et l'examina en retirant la poussière sur son dessus, il y avait une petite serrure dans laquelle une clé de la taille équivalente devait être introduite s'il voulait savoir ce qui se trouvait à l'intérieur. Étant donné l'emplacement de ce mystérieux écrin, le père en conclut qu'il s'agissait d'affaires appartenant à Madeline. Mais pourquoi les cacher dans une boîte elle-même placée sous une planche de bois du sol de la chambre ? C'était ce qui l'intriguait le plus.

Des bijoux ? Une somme de rubis ? Ou une boîte à souvenirs ? Ce qui était sûr, c'était qu'il avait mis la main sur quelque chose dont sa bien-aimée à l'époque ne lui avait jamais parlé. La curiosité l'anima et Gabriel décida de récupérer cette boîte et d'envisager de retrouver la clé pour l'ouvrir.

Une heure plus tard, Lysia et son père se retrouvèrent dans la grande salle à manger de la maison, où la porte d'entrée donnait. Gabriel enfilait une légère veste printanière tandis que sa fille observait cette même boîte qu'il avait posée sur la table, juste sous ses yeux. La blonde était accoudée sur celle-ci et sans que son père ne l'anticipe, elle engagea un sujet de conversation sensible, mais tout à fait normal pour tout enfant de son âge.

- Est-ce que maman aimait bien aller se promener au marché ?

Vint le moment où il fut assez retissant, où il ne préférait pas se remémorer toute cette histoire complexe une fois de plus, il le faisait déjà assez souvent, quotidiennement. Expliquer ce passé, ces évènements troublants à une petite fille de huit ans qui se demandait juste pourquoi sa mère ne vivait pas à ses côtés, Gabriel ne trouvait pas les mots. La réalité des choses était plutôt dure et d'un côté, le père ne souhaitait guère blesser Lysia en la lui partageant complètement.

- Lysia, on a déjà parlé d'elle… soupira-t-il.

- Tu ne m'as jamais dit pourquoi elle était partie d'ici. De sa maison.

Il la regarda en s'asseyant face à elle, autour de la grande table.

- Je ne t'ai rien dit car je n'en sais rien, Lysia.

- Tu ne sais pas pourquoi ?

- Non… enfin si, mais…

Elle insistait beaucoup sur ce sujet depuis la première fois que Gabriel lui en avait parlé, il y avait déjà deux ans, l'homme apprit à se mettre à sa place et à penser comme elle, qui ne savait rien de cette terrible soirée où il découvrit si brutalement ce mot sur la table. C'était d'une violence émotionnelle atroce… Lysia voyait bien que son paternel cherchait quoi dire, comment agir, cela ne la rendait que d'autant plus intriguée. Elle était simplement curieuse.

- Écoute, ce sont des choses très compliquées. Mais c'est normal que tu te poses des questions, après tout. Pour te répondre, oui, elle adorait se balader au marché.

- C'est quoi ça ? C'était à elle ? continua la blonde en parlant de la boîte tout juste découverte par Gabriel.

Le père acquiesça.

- Je crois, oui.

- Je peux voir ? demanda-t-elle en approchant sa main qui fut de suite repoussée.

- Non, refusa Gabriel. De toute façon, on ne peut pas l'ouvrir.

Lysia reporta ses mains contre ses joues, déçue de ne pas pouvoir y jeter un œil. Elle sentait la discrète tension dans la voix de l'homme qui démontrait qu'il voulait garder un minimum à distance sa fille de sa mère.

- Pourquoi je ne peux pas regarder ? le questionna-t-elle.

- Tu pourras regarder quand je te l'autoriserai. Mais ce n'est pas le moment.

- Tu me montreras, promis ?

- Promis.

Cela suffit à la petite fille qui savait que son père gardait toujours ses promesses. Elle fut élevée depuis son plus jeune âge dans l'honnêteté et la fidélité, le mensonge n'était pas toléré, elle le percevait de ce fait comme une grave faute à ne jamais commettre. Cette transmission de valeurs était importante pour tous les deux. Alors lorsqu'une promesse était en jeu, il n'y avait pas à réfléchir, l'engagement était pris. Il fallait la tenir. C'était tout de même le principe d'une promesse…

- J'aimerais bien savoir à quoi elle ressemble, ajouta Lysia. Et pourquoi elle est partie. Elle ne nous aimait pas ?

Cette innocence dans sa voix fit un pincement au cœur de Gabriel. Cependant, il n'y avait aucun signe de tristesse, ou de déception. Non, Lysia se posait la question en toute indifférence. Comment ressentir la moindre émotion pour quelqu'un que l'on ne connaissait pas ? Il la rassura, et lui prit une main.

- Si… si bien sûr qu'elle t'aimait…

- Je n'en suis pas si sûre, elle ne serait pas partie, dans ce cas, si ? Ou alors elle ne t'aimait pas toi ?

Gabriel baissa la tête en soupirant. Il savait que son procès était imminent et qu'il allait devoir lui expliquer tout cela en détail prochainement, mais il ne se sentait pas encore prêt à lui en parler à cet instant. Comme le père avait déjà essayé une fois indirectement, mais qu'elle ne lui avait pas prêté la moindre intention, il avait repoussé sa seconde tentative à plus tard. Lysia sentait qu'elle mettait mal à l'aise l'homme et regretta ses interrogations.

- Bon, reprit l'aîné en regardant la petite Hylienne dans les yeux. Je ne veux pas rendre ce sujet interdit, d'accord ? Tu as le droit de me demander ce que tu veux à propos de ta mère, mais s'il te plaît, il faut que tu comprennes qu'il y a certaines choses que… tu devras savoir uniquement au moment venu.

Elle n'y voyait aucun problème ; elle comprenait, même. De nature assez empathique et dévouée aux autres, la blonde ne voulait pas plus gêner son père. Tous les deux étaient très complices et privilégiaient le bonheur de l'autre avant le leur. Lysia était très mature pour ses huit ans, elle hocha la tête en acceptant qu'elle ne pouvait pas tout savoir tout de suite.

- D'accord. Désolée, s'excusa-t-elle.

- Ne sois pas désolée, ma chérie, c'est tout à fait légitime.

Elle fronça les sourcils.

- Légi… quoi ?

- Légitime. Ça veut dire que tu as le droit de te poser ce genre de questions.

Après un petit silence, Gabriel frappa vivement sa main à plat sur la table dans le but de leur changer les idées et se leva de sa chaise. Il était temps de profiter de ce beau soleil qui brillait dehors et de savourer l'ambiance conviviale installée par les artisans, commerçants, et producteurs de la ville tous réunis dans la joie, et la bonne humeur.

- Alors ? On y va, à ce marché ?