Mot de l'auteur
/!\ Cette histoire est une réécriture en version boy x boy de "La quête des Livres-Monde" de Carina Rozenfeld, l'histoire et les personnages lui appartiennent ! Les livres peuvent être acheter sur amazon, fnac et en librairie ! (Environ 5 à 14 euros le livre et environ 30 euros l'intégrale) pour soutenir l'auteur et la financer dans ses projets ! /!\
PS : Les personnages autres que Nathan, Zayn, Lia et Aela ne m'appartiennent pas ! Ils sont de Carina Rozenfeld, une écrivaine très talentueuse que j'admire !
- Alors, fils, comment se passent ces vacances parisiennes ? Tu trouves des choses à faire ?
Nathan détacha ses yeux de la télé pour se tourner vers son père. Ils regardaient tous les deux le journal avant d'aller dîner. Nathan avait décidé de passer la soirée chez lui. C'était son excuse pour ne pas sortir avec Aela ce soir. Il s'était affalé sur le canapé auprès de son père, tentant de lui faire croire qu'il était concentré, mais son cerveau n'imprimait aucune image. Il aurait été incapable de décrire ce qu'il venait de voir.
- Oui, j'ai deux trois trucs qui m'occupent...
- Comme quoi ?
« Comme retrouver un livre qui contient presque tout un monde disparu dans un autre coin de l'univers, vulgairement mis en vente sur le net, me réconcilier avec un pote, et gérer une petite amie, pendant que je guette les attaques d'une méchante entité destructrice qui cherche à m'éliminer », pensa Nathan en réprimant l'hilarité qui menaçait de le saisir en s'imaginant donner cette réponse à son père.
- Bah, je traîne avec les potes, on profite du beau temps...
- C'est vrai qu'on a un bel été, chaud et sec, approuva son père. Tu as d'autres projets de vacances avec ta bande d'amis ?
- Heu, non..., pas vraiment.
- Il y a quelque chose qui ne va pas ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette, fit remarquer son père en baissant le son de la télé et en observant son fils plus attentivement.
- Non, ce n'est rien... Je suis fatigué...
- J'imagine ! Vu les heures auxquelles tu rentres tous les soirs ! Tu as une petite amie ? demanda-t-il de but en blanc, faisant rougir Nathan jusqu'à la racine de ses cheveux.
- Comment...?
- Le sixième sens paternel, fils, le sixième sens paternel ! déclara-t-il en frappant son front de son index et en lui adressant un clin d'œil complice. Elle est mignonne ?
Nathan ne pouvait pas rougir plus, mais ses joues étaient brûlantes.
- Oui, plutôt.
- Et cette petite amie, ce ne serait pas finalement un petit ami ? Avec le petit américain, Zayn ?
- Non !
- Ah ! Je vous trouvais très proches, tous les deux, je pensais... Enfin... Et ça se passe bien ?
- Ce n'est que le début, alors je ne sais pas trop... C'est bizarre.
- Bizarre... c'est un adjectif inhabituel pour une relation...
Nathan haussa les épaules.
- Oui, je sais.
- Bon, je ne veux pas être plus indiscret. Tu fais attention, hein ? Tu sais, les maladies...
Cette fois, ce fut au tour du père de Nathan de rougir. L'adolescent se tortilla sur le coussin du canapé. Il n'arrivait pas à croire qu'il avait cette conversation avec son père ! C'était surréaliste ! Il se demandait s'il n'était pas plus à l'aise avec l'Avaleur de Mondes dans sa tête qu'à ce moment précis de son existence...
- Papa..., murmura-t-il d'un ton gêné. Ne t'en fais pas, on nous met suffisamment en garde, et puis je n'en suis pas encore là...
- Ah, oh, parfait !
Son père se racla la gorge et remonta le son de la télé.
Nathan attendit un petit peu pour ne pas paraître impoli, mais, dès que le délai lui parut décent, il se leva et quitta précipitamment le salon pour aider sa mère en cuisine, espérant qu'elle, au moins, aborderait des sujets moins personnels !
Plus tard dans la soirée, il put enfin se réfugier dans son antre. Il resta quelques instants debout, au milieu de la pièce, comme il le faisait chaque fois, attentif, la tête penchée sur le côté, guettant un bruit. Enfin, il se détendit. Il était seul. Le monstre n'était pas là ce soir...
Il se promena quelques instants sur le Web et, tout en restant invisible pour ses contacts, il se connecta sur Messenger. Zayn était hors ligne, comme tous ces derniers jours, et Aela, par contre, était connectée, l'image de son profil apparaissant avec le point vert habituel.
Lia signalait quant à elle qu'elle passait une partie de la soirée avec Mélanie, sa nouvelle copine.
En soupirant, Nathan éteignit l'ordinateur et s'allongea sur son lit avec un bon bouquin et, dans les oreilles, la liste de lecture "musique douce" qu'il avait préparée dans son iPod. Il espérait dormir tôt ce soir parce qu'il se sentait particulièrement exténué...
Et pourtant, quelques heures plus tard, agacé de garder les yeux grands ouverts sur le plafond plongé dans l'obscurité, il se redressa en soupirant. Encore une fois, l'insomnie le torturait. Après avoir lâché son livre et éteint la musique, il avait tenté en vain de trouver le sommeil. Mais, comme toutes les nuits en ce moment, il avait l'impression que ses pensées se livraient une bataille féroce dans son crâne, s'écrasant contre les parois de son cerveau, à force de tourner en rond, de jaillir et de virevolter comme des oiseaux en cage devenus fous.
Il avait trop de choses à ruminer, à gérer, à garder pour lui.
Rallumant la lampe de chevet et s'asseyant sur le bord du lit, il s'ébroua et tenta de mettre un peu d'ordre dans ses réflexions. Neuf jours étaient passés depuis cette fameuse soirée où il avait embrassé Aela et découvert le Livre-Monde sur eBay. Neuf jours durant lesquels il avait vécu entre parenthèses, obnubilé par son espoir qu'Éric parvienne à deviner le mot de passe de Vendeurdetrésor et par les moments passés avec Aela. Finalement, la solution "piratage" n'avait pas abouti et, même s'il en ressentait de la déception (l'idée d'aller récupérer le livre par la fenêtre du vendeur l'avait fait rêver, lui inspirant l'image d'un superhéros rétablissant la justice lui-même), il était finalement soulagé. Franchir la ligne de la légalité le mettait, en fin de compte, beaucoup trop mal à l'aise. Tout n'était pas perdu malgré cet échec et il espérait que la solution de remporter les enchères fonctionnerait, même si c'était plus que compliqué.
Quant à Aela... Leur relation était sympa : ils étaient allés au cinéma, avaient partagé un déjeuner au restaurant, ils s'étaient beaucoup embrassés, allongés sur la pelouse du parc, il avait aimé la tenir entre ses bras pendant qu'il volait... Que des choses agréables, mais il ne se sentait pas complètement à l'aise avec elle. Passé les émotions nouvelles et intenses de la première soirée, il s'était vite senti perdu, étranger à sa propre histoire. Il l'avait désirée pendant des mois, soupirant comme une âme en peine à chacune de ses rebuffades. Et puis voilà qu'elle s'accrochait à lui comme s'il était une bulle d'oxygène au fond de l'océan. Il aurait dû se sentir heureux, comblé par la réalisation de son fantasme. Il avait espéré goûter, du fond de son cœur, aux « petits bonds » dont lui parlaient ses amis amoureux. Mais après une semaine, il devait s'avouer qu'il ne ressentait rien de tel. Tant que l'espoir commun de parvenir à craquer le compte eBay de Vendeurdetrésor avait duré, ils avaient pu trouver un sujet de conversation, mais, maintenant que c'était fini, un silence pesant s'installait trop souvent entre eux et Nathan ne savait pas comment le briser. Était-il normal de n'avoir rien à partager avec sa copine ? Non, certainement pas. Lui, il rêvait d'une relation amusante et pleine de complicité.
Et puis, après avoir rencontré Éric et sa particularité génétique, Nathan nourrissait des soupçons quant à la raison véritable qui avait poussé Aela dans ses bras. Visiblement, elle recherchait, chez son compagnon, l'originalité, la différence. Était-ce parce qu'elle avait eu un père singulier, étranger ? Cette question le travaillait chaque fois qu'il la faisait voler. Puis, au fil des jours, ce sentiment était devenu une quasi-certitude : elle compensait la perte de son père. Elle revivait à travers Nathan les sensations qu'elle avait connues enfant : voler dans les bras d'un être ailé, se laisser griser par les sensations puissantes qui n'étaient que des réminiscences d'un passé regretté. Aela avait besoin de cela pour se sentir exister.
Nathan comprenait parfaitement la jeune fille, et il ne lui en voulait pas de ressentir ces besoins, mais il ne voulait pas remplacer le père d'Aela. Il trouvait cela malsain et surtout, il voulait être aimé pour ce qu'il était lui. Au moins, un petit peu... Inconsciemment, après qu'Éric eut échoué à les aider, il avait pris ses distances, trouvant des prétextes pour ne pas la voir ces dernières quarante-huit heures, et ce soir il était soulagé d'être resté chez lui, malgré la conversation surréaliste qu'il avait eue avec son père.
Il y avait en lui une autre source de malaise qui ne s'estompait pas : c'était la peine qu'il avait infligée à Zayn. Il n'avait jamais souhaité cela. Les deux Chébériens s'étaient rapprochés l'un de l'autre au fil de leurs aventures, et, avec Zayn, Nathan se sentait comme avec Lia : libre de parler de tout. Il était à l'aise avec lui, naturel, lui-même, qu'il dise des bêtises ou fasse preuve d'esprit, il n'y avait jamais d'embarras, alors qu'avec Aela, il avait toujours peur de dire un mot de travers, de faire un geste déplacé qui lui ferait réaliser que, dans le fond, elle n'avait jamais vraiment désiré être avec lui – ce qu'elle s'était d'ailleurs appliquée à faire pendant toute l'année scolaire !
Zayn ne l'appréciait pas que pour ses ailes, puisque lui-même en était pourvue. Et lui, il aimait Zayn aussi pour ce qu'il était, pour cette assurance qu'il affichait alors qu'il était fragile intérieurement, pour ses rêves de grandeur, sa ténacité... Il l'aimait parce qu'il était à la fois complètement différent de lui et pourtant étrangement similaire.
Son coeur eut un raté dans sa poitrine. Venait-il vraiment de penser qu'il aimait Zayn ? Il explora les recoins les plus secrets de son âme, laissant remonter à la surface des sentiments enfouis. Et il sentit son corps parcouru d'une intense vibration. Oui, il aimait Zayn. Il le touchait, le faisait rire. Il le trouvait beau, tout doré, avec ses ailes scintillantes. Il avait envie de passer ses doigts dans ses cheveux épais et mordorés, de plonger dans ses yeux brillants comme la surface de la mer sous le coucher de soleil. Il désirait plus que tout au monde l'appeler, entendre sa voix, s'excuser, lui expliquer qu'il ne savait pas comment il s'était mis dans cette situation, lui raconter sa tentative avortée de récupérer le Livre des Lieux. Saisi par l'émotion, il se précipita sur son téléphone et composa le numéro du magnifique Chébérien. Mais il tomba directement sur sa messagerie. Reprenant ses esprits, il réalisa qu'il était deux heures du matin. Zayn devait avoir éteint son téléphone pour éviter qu'un fou prêt à l'appeler au milieu de la nuit ne la réveille.
Alors, Nathan se mit à faire les cent pas dans sa chambre, incapable de contenir plus longtemps les tremblements de son corps, de son ceur, de son âme tout entière. Il était amoureux ! Vraiment amoureux ! Il les ressentait, finalement, les petits bonds dans son cœur ! Il éclata de rire, puis réfréna son excès de joie en pensant à Aela. Il allait devoir lui avouer la vérité, lui dire qu'il ne pouvait pas continuer avec elle. Allait-elle avoir de la peine à son tour ? Pourquoi, quoi qu'il fasse, devait-il forcément blesser quelqu'un ?
Toujours planté au milieu de sa chambre, il grinça des dents et enfonça ses poings dans les orbites de ses yeux fatigués. Que la vie pouvait être compliquée ! Non content d'avoir un monde entier à sauver, un Livre-Monde perdu entre les mains d'un inconnu, une entité destructrice à ses trousses, voilà que des histoires de cœur se mêlaient à tout cela. Il repensa à sa mère qui culpabilisait de le laisser seul à la maison cet été, sans vacances pour le dépayser loin de Paris - c'est ce qu'elle lui avait répété dans la cuisine. Un ricanement s'échappa de ses lèvres. Oh non ! Il ne se sentait pas seul, ne s'ennuyait pas, et il devinait que, s'il parvenait à remplir sa mission, il en aurait du dépaysement : tout un monde à découvrir !
Il se remit à faire les cent pas, agacé de devoir se contenter de rester éveillé dans sa chambre, à ruminer ses pensées, à chercher une porte de sortie qui n'existait pas – ou alors qui était très compliquée.
Une bouffée d'angoisse le saisit.
Il fallait qu'il s'échappe, là, maintenant. C'était vital. Sans réfléchir, il se précipita à la fenêtre et remonta le store qui le séparait de la nuit. Au même moment, le téléphone sonna. Et si c'était Zayn ? Son cœur fit un bond. Mais ce n'était que Lia. Que faisait-il encore debout à cette heure-ci ?
- Allô ? Lia ?
- Ah ! Nathan, je suis content que tu ne dormes pas, toi non plus.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
- J'ai une migraine horrible et, quand j'arrive à dormir, je fais des rêves trop bizarres, ça me fait flipper !
- C'est le stress…
- Peut-être mais, résultat, je suis encore aux taquets à cette heure-ci. Et toi ?
- Je réfléchis trop. J'ai des révélations nocturnes, avoua Nathan
- Des bonnes, j'espère.
- J'espère aussi. J'allais faire un tour dehors. Je viens te retrouver ?
- Bonne idée !
Nathan raccrocha et s'envola par la fenêtre comme un oiseau sortant de sa cage. Le halo orange des réverbères montait à peine jusqu'à lui. Avant de retrouver Lia, il s'élança vers le velours sombre du ciel, légèrement troué d'étoiles maigrelettes. Juste vêtu de son caleçon, il frissonna quand l'air se rafraîchit autour de lui. Il exécuta quelques pirouettes, se laissa planer au-dessus de la ville endormie puis redescendit au niveau de Lia.
Son amie l'observait depuis la fenêtre de sa chambre. Un grand sourire fendit son visage à l'approche de Nathan.
- Arrête de te la jouer, avec ta silhouette d'ange. Tu penses un peu à ta pote qui ne peut pas rivaliser avec toi !
Nathan soupira en levant les yeux au ciel. Il enjamba le garde fou et se retrouva dans la chambre de son amie, qui lui était aussi familière que la sienne : c'était la même pièce, mais deux étages plus haut. Jusqu'à la disposition des meubles qui était identique !
- Tu as fini de dire des bêtises. Tu as une petite amie, me semble-t-il, qui ne m'a pas adressé la parole une seule fois ! Je crois que sans mes ailes personne ne me regarde. Les deux qui s'intéressent à moi sont au courant de ma différence, alors, tu vois, tu as beaucoup plus d'atouts que moi ! Tu n'as pas besoin de tout ce tralala pour parvenir à tes fins.
Lia éclata d'un rire qu'elle tenta d'étouffer pour ne pas réveiller la maisonnée à cette heure tardive.
- Tu as raison ! C'est moi la tombeuse dans l'histoire !
Les deux adolescents s'assirent ensemble sur le lit, le dos appuyé contre le mur. Ils n'avaient pas allumé la lumière et seul l'éclairage urbain diffusait une légère lueur par la fenêtre ouverte.
- C'est quoi tes cauchemars ? demanda Nathan.
- Je ne m'en souviens pas vraiment. Mais je me réveille terrorisé et en sueur, avec une sensation de malaise, de panique.
- Tu deviens comme Zayn. Lui aussi, il fait des rêves bizarres. Au fait, tu as de ses nouvelles ?
- Presque tous les jours, avoua Lia (Nathan tiqua à cette révélation). On en est au même point : depuis que le détenteur du livre a refusé de le lui vendre directement, il surveille les enchères. Tu as vu comment elles sont montées ? C'est à cause de ce troisième gars qui s'est incrusté dans la vente, ils se tirent la bourse avec l'autre collectionneur, c'est la folie...
- Oui, j'ai vu... Il ne va quand même pas payer lui-même ? Il a peut-être de l'argent mais ce n'est pas une raison...
- Il en a parlé à Eyver qui, visiblement, est blindé de fric. C'est lui qui va payer. Il surveille tout ça avec lui.
- Pfff ! Si j'avais réussi à récupérer l'adresse du vendeur, on n'en serait pas là, murmura Nathan. Devoir payer pour un livre qui est censé nous appartenir, ça me met hors de moi.
- Tu as essayé, c'est déjà ça, le rassura Lia, en lui donnant un petit coup de poing sur l'épaule.
Nathan hocha la tête dans le noir. Le sentiment de malaise avait fait son retour à la mention de Zayn, comme si il avait été là, cachée dans la pièce, à les écouter. Le jeune homme sursauta et se raidit. Il y avait bien quelqu'un qui les espionnait, il en était certain. Cette sensation lui était familière, il l'avait déjà éprouvée plusieurs fois.
- Lia, on nous écoute.
Son ami se crispa à son tour en fouillant du regard les coins obscurs de sa chambre.
- C'est Manon, tu crois ?
- Non, ce n'est pas ta sœur. C'est...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. L'Avaleur de Mondes était déjà sur eux. Nathan se prépara à subir son nouvel assaut, mais, l'ignorant complètement, la nuée noire se précipita sur Lia. Des mèches obscures, comme du coton sale, se détachèrent et pénétrèrent dans la tête de la jeune femme, par les oreilles, les narines, entre ses dents.
Horrifié, Nathan assista à la torture de sa meilleure amie, tendue comme un arc contre le mur, les yeux exorbités et ténébreux, fixés sur ceux de son camarade, mais aveugles, sa bouche ouverte sur un cri silencieux. Nathan aurait voulu hurler, mais il était tétanisé, et il ne devait surtout pas réveiller le reste de la famille de Lia qui dormait paisiblement à côté. Il sentait des larmes d'angoisse couler sur ses joues. L'Avaleur de Mondes allait détruire le cerveau de Lia qui n'était pas préparé à un tel traitement, il devait faire quelque chose, arrêter l'entité, mais comment ? Aucune arme ne pouvait l'atteindre, rien ne pouvait détruire la destruction ! Il ne put s'empêcher de frapper le mur du poing, empli d'un sentiment de rage et de désespoir. Impuissant, il assistait à la mort de son amie !
Puis, soudain, tout fut terminé. La nuée s'échappa par la fenêtre sans un bruit, laissant Lia inanimée sur le lit, aussi flasque qu'une poupée de chiffon. Respirait-elle encore ?
En toute hâte, Nathan se pencha sur son visage en posant une main sur sa poitrine. Il suspendit son propre souffle, guettant le moindre son, le moindre battement de cœur. Oui, Lia respirait ! Très faiblement, comme si elle était profondément endormie, mais elle était vivante. Mais jusqu'à quel point son esprit avait-il été endommagé par l'attaque de l'entité ?
Doucement, Nathan secoua son amie.
- Lia, je t'en prie, réveille-toi, dis-moi quelque chose...
Il se souvenait des paroles d'Eyver quand Zayn avait perdu connaissance après l'assaut de l'Avaleur de Mondes : « Il est en état de choc... » Il espérait qu'il en était de même pour son amie, sa sœur. Tremblant, pleurant, Nathan attendit, près du corps de Lia, un temps qui lui parut être une éternité. Il tenait une de ses mains dans la sienne et la serrait parfois, avec le désir de lui insuffler sa vitalité, sa force, son espoir. De l'autre, il essuyait son propre front couvert de sueur, ses yeux remplis de larmes de détresse. Dehors, la nuit était silencieuse. Pas un souffle d'air, pas un ronronnement de moteur. Le temps était suspendu aux battements légers et irréguliers du cœur de Lia.
Enfin, cette dernière remua faiblement alors que le ciel commençait à pâlir sur l'horizon. Un gémissement de douleur rauque s'échappa de ses lèvres exsangues.
Nathan sursauta. Il avait dû s'assoupir, la tête calée contre le mur derrière lui. Aussitôt, il se pencha sur son amie.
- Lia, Lia, tu m'entends ? Réponds-moi, je t'en supplie, dis-moi que l'Avaleur de Mondes ne t'a rien fait de grave !
- T'en fais pas, mon pote... Il n'a pas aimé l'aménagement intérieur de mes neurones. Le cœur de Nathan fit une pirouette.
- Il ne t'a rien fait ?
- Je ne dirais pas ça... (La voix de Lia n'était qu'un chuchotis.) Disons qu'il m'a bien tripoté le cerveau et que c'est une sensation particulièrement désagréable, mais j'ai toujours dit qu'il n'était pas le bienvenu, et le répulsif de Jérôme marche à merveille.
- Le répulsif... de Jérôme... Il t'a fait l'injection de mémo ? Quand ? Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
Lia se redressa doucement en grimaçant. Son nez saignait et Nathan attrapa un mouchoir de la boîte posée sur la table de nuit.
- Je ne savais pas si ça allait marcher et je ne voulais pas t'inquiéter. Si tu avais vu que je prenais la menace au sérieux, tu aurais encore plus flippé.
- Mais tu es folle ! s'écria Nathan avec l'envie de l'étrangler maintenant. C'est là que j'ai flippé ! J'ai cru que tu allais mourir ou devenir un légume une fois ton cerveau complètement fondu ! Il va me falloir des jours pour m'en remettre ! Espèce d'abrutie !
- Moi aussi je t'aime, Nath. Il ne m'aurait pas tué. Il ne voulait pas me tuer. Il veut savoir où est cachée ce qu'il appelle la source de la distorsion.
- Comment tu le sais ?
- Il est super bavard. Il chuchotait dans ma tête d'une drôle de voix. Il était sur le point de le découvrir mais, comme me l'a expliqué Jérôme, le mémo lui a fait suivre un mauvais chemin. À la fin, il était complètement paumé et tournait sur lui-même dans ma tête. Enfin, un truc comme ça. Ce n'est pas facile à décrire.
Nathan se laissa aller contre le mur en fermant les yeux.
- Je suis désolé que tu aies à vivre tout ça par ma faute. Heureusement que Jérôme fait des miracles avec le mémo.
- Ouais, il maîtrise son sujet, le gars, ça c'est sûr. T'en fais pas, j'assume. Si je suis là, c'est par choix, personne ne m'y a forcé.
- Je sais, mais quand même...
Lia s'assit près de Nathan, dans la même position, les paupières closes aussi, ses avant-bras posés sur ses genoux repliés devant elle. Ses mains pendaient mollement vers les draps froissés du lit.
- C'était quoi, ta révélation nocturne à toi ? demanda-t-elle pour changer de conversation.
Nathan soupira en esquissant un sourire.
- Je suis amoureux de Zayn.
- Eh ben, c'est seulement maintenant que tu t'en rends compte ? Ça crève les yeux depuis le début ! Tu n'as pas besoin de mémo pour te perdre dans ton propre cerveau, toi ! Tu comptes faire quoi ?
- L'appeler, lui demander pardon, je me mettrai à genoux s'il le faut, murmura Nathan.
- Je ne crois pas que ce soit le genre de Zayn d'aimer les mecs à genoux. Mais bon... Et pour Aela, c'est quoi ton plan ?
- Lui expliquer...
- Bonne chance...
- Merci...
Il n'avait pas prévu de se retrouver dans un labyrinthe neuronal. C'était une expérience étrange. Non pas douloureuse, mais inattendue. Jusqu'ici il avait rencontré deux formes de cerveaux. D'abord ceux des anomalies, inviolables. Comprenant qu'il ne parviendrait pas à trouver la réponse à sa question dans les esprits protégés des créatures, il avait dû imaginer d'autres moyens de parvenir à ses fins. Il s'était donc tourné vers les humains poreux, ouverts comme des portes en plein vent.
Ces derniers temps, il avait bien employé les nuits : il avait visité les esprits endormis des parents de l'une des anomalies. Tout doucement, sans insister, fouillant juste leurs souvenirs à la recherche de l'information qui lui manquait tant. Il ne comptait pas tuer les humains. Leur temps n'était pas encore venu – c'était prévu pour beaucoup plus tard, il ne fallait pas bousculer le schéma préétabli du cycle de l'univers. Ce qui l'intéressait, c'était seulement de découvrir où se cachait la source de la distorsion pour la détruire, puis, seulement après cela, détruire les anomalies afin de terminer son travail.
Mais les humains, il n'avait besoin d'eux que pour le mener jusqu'à son but du moment.
Il avait vite compris que les familles des deux anomalies ne savaient rien, même pas qu'elles étaient des créatures venant d'un autre monde ! Quelle étrangeté ! Décidément, les êtres doués de sentiment se comportaient de manière incohérente, pleine de secrets, de cachotteries, de peurs, de doutes... Il se félicitait de ne pas être le jouet de ces épuisants états d'âme.
Une fois les cerveaux des parents fouillés, sans succès, il avait repéré l'amie femelle, celle qui vivait dans le même bloc de béton que l'anomalie. Ils semblaient proches, se voyaient beaucoup. En espionnant leur conversation nocturne ce soir-là, l'évidence s'était imposée à lui : l'humaine savait quelque chose, il était impliqué dans cette histoire ! Pressé de connaître le secret de ses pensées, il était entré dans son cerveau pour s'y perdre. Au moins, il en avait retiré une preuve, à défaut de l'information qu'il espérait : l'humain savait bel et bien où se trouvait la source de la distorsion, et c'est pour cela que son esprit avait été protégé. Il ne lui restait plus qu'à guetter, à chercher quel autre Terrien en savait autant que lui, un qui n'aurait pas pris la peine de fortifier ses pensées. Il se remit aussitôt à observer, espionner, avec l'espoir de découvrir la bonne personne. Il attendrait le temps nécessaire, l'éternité ne représentait rien pour lui...
Nathan raccrocha et jeta le téléphone sur son lit en poussant un soupir de soulagement. Il l'avait fait, il avait réussi à surmonter cette nouvelle épreuve !
Après être rentré de chez Lia, certain que son amie allait bien, à part un évident épuisement, il s'était endormi lui aussi, d'un sommeil empli de craintes qui lui avaient occasionné quelques cauchemars, dont il se souvenait à peine au réveil. Après cette grasse matinée bienvenue, il avait hésité, tergiversé, évité son téléphone longuement. Pour reculer le moment fatal où il allait devoir faire face à ses choix et à ses responsabilités, il était allé courir un peu, puis il avait pris une douche plus longue que nécessaire. Pour perdre encore du temps, il était allé vérifier sur la page eBay si les enchères pour le Livre-Monde avaient changé. Mais il n'y avait rien de neuf.
Sa guitare lui faisait de l'œil, ce qui lui aurait donné une nouvelle excuse, mais il avait résisté. Son téléphone en main, il l'avait observé comme si c'était un objet étrange venu d'une autre planète. Dans sa tête la bataille faisait rage; mille doutes, mille questions tournoyaient comme des insectes bourdonnants et gênants. Comment être sûr des mots à employer ? Comment tourner les choses pour ne pas provoquer un psychodrame ? Finalement, il avait osé composer le numéro.
À sa grande surprise, Aela n'avait pas eu l'air étonnée par son annonce qu'il avait quelque chose d'important à lui dire. C'est même elle qui avait proposé, comme point de rendez-vous, le petit coin discret, au parc, où ils s'étaient déjà retrouvés à l'époque où elle voulait lui dire qu'elle connaissait son secret. Demain, toute cette situation embarrassante serait terminée. Enfin, il l'espérait...
Toutefois, il lui restait une autre tâche à effectuer afin de se sentir en accord avec lui-même. Il reprit son téléphone et appela Zayn. Comme d'habitude, il ne décrocha pas et le répondeur accueillit le garçon avec une voix robotique. Depuis le premier soir, il avait évité de laisser un message, incapable de trouver ses mots. Mais aujourd'hui Nathan n'hésita pas quand le bip retentit, l'invitant à prendre la parole :
- Salut, Zayn, c'est moi... Je sais que je me suis comporté comme un imbécile et je tiens à m'excuser. Je n'ai jamais voulu te blesser... Tu sais... tu sais combien... je tiens à toi. Je vais me sortir de cette situation, je vais régler tout ça. Il me pèse de ne plus te voir, d'être mis à l'écart de ce que tu fais pour retrouver le Livre-Monde. Je n'ai même pas pu te raconter ce que j'ai essayé de mon côté. Je ne sais plus quelle est ma place dans tout ça... J'espère que tu voudras bien accepter de me parler à nouveau...
Nathan coupa la communication, le cœur battant. Il avait réussi à sortir les mots qui tournaient dans sa tête, il les avait imprimés sur la bande du répondeur et il souhaitait que Zayn les écoute, et le rappelle. Alors, il attrapa sa guitare, histoire de traduire ses émotions en notes de musique et de trouver, peut-être, un peu d'apaisement...
Pour la millième fois depuis neuf jours, Zayn refusa de décrocher quand le numéro de Nathan s'afficha sur son téléphone. En haussant les épaules, il se tourna vers l'écran de l'ordinateur posé sur ses genoux en tailleur, pour examiner la situation des enchères sur le Livre-Monde. Elle n'avait pas beaucoup évolué. PassiondesLivres était toujours sur le coup et depuis quelque temps un troisième larron s'était greffé à l'aventure. Un certain LennyFiant (quel pseudo ridicule, pensait Zayn) était entré dans la danse et surenchérissait dès que PassiondesLivres ou lui-même le faisait. Ce petit jeu était vite devenu lassant et Zayn avait décidé de se retirer de l'affaire pour le moment. Il n'était plus qu'un observateur qui voyait le chiffre des enchères grimper sans lui. De mille cinq cents euros, le prix avait grimpé à plus de cinq mille euros et il restait encore cinq jours avant la conclusion de tout cela. Il avait décidé avec Eyver d'attendre la dernière minute pour tenter de poser la dernière enchère, celle qui compterait au final. Mais il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter de voir le prix atteindre de tels sommets. Même si Eyver prétendait avoir les moyens, il trouvait tout ceci aberrant. C'était comme si le fameux LennyFiant se faisait un plaisir de poser un chiffre toujours plus haut, alors qu'il pouvait faire comme lui : attendre le dernier instant pour l'emporter...
Il en était là de ses pensées quand le bip de son téléphone lui indiqua qu'il avait un message. Il se figea et se mordilla la lèvre inférieure. C'était la première fois depuis le début de cette histoire que Nathan lui en laissait un ! Fébrile, Zayn se saisit de l'appareil posé près de lui, à portée de main, et écouta la déclaration de son ami avidement.
Il rosit en écoutant les paroles d'excuses de Nathan. Enfin, il lui demandait de lui pardonner ! Enfin ! Il lui avouait même qu'il tenait à lui ! Il ferma les yeux en se laissant tomber en arrière sur son lit. Un poids énorme venait de lui être ôté. Il se promit que, la prochaine fois qu'il appellerait, il décrocherait. La clef de leur réussite, c'était Zayn et Nathan, ensemble, soudés, solidaires. Il aussi avait besoin de lui et il le lui dirait... Il était temps d'enterrer la hache de guerre. Avec un sourire, il se redressa et ferma l'écran de l'ordinateur pour le poser sur le sol, au pied de son lit. Que PassiondesLivres et LennyFiant continuent leur petite guerre absurde. Pour le moment, il avait juste envie de réécouter le message de Nathan.
Aela contempla son reflet dans le miroir de sa coiffeuse. Elle ne releva pas la moindre trace de tristesse ou de frustration sur ses traits, dans ses yeux. Pourtant, elle devinait parfaitement ce qui allait se passer demain, quand elle verrait Nathan. Il allait rompre avec elle, mais ce n'était pas grave. Non, vraiment, sincèrement, ce n'était pas grave. Elle devait bien se l'avouer, leur relation n'avait pas tellement de sens, malgré leurs origines similaires. Ils n'avaient pas de points communs, n'aimaient pas la même musique, ni les mêmes films, ils n'avaient pas grand chose à se dire. Aela savait pertinemment qu'elle s'était jetée dans les bras de Nathan parce qu'il réveillait en elle les échos de bons souvenirs, son désir refoulé d'être plus chébérienne qu'humaine, son regret éternel de ne pas avoir d'ailes. Et aussi parce qu'il était si beau ! Mais cela ne suffisait pas à rendre leur relation intéressante.
Elle réfléchissait à tout cela, riant intérieurement : voilà qui aurait passionné un psychanalyste, si elle avait dû s'allonger sur son divan pour lui faire part de ses préoccupations. Peut-être que Nathan et elle pourraient devenir bons amis. S'il parvenait à recréer Chébérith, elle irait là-bas, elle retrouverait son père et lui raconterait leur histoire. Elle trouverait peut-être un autre Chébérien pour l'aimer... Elle rêvassait ainsi, ses pensées voletant à la surface d'un monde dont elle ne connaissait que peu de chose : ce que son père avait bien voulu lui raconter. Occupée à se coiffer machinalement, elle ne percevait pas qu'une présence sombre, presque invisible, l'observait, tapie quelque part près du plafond. Dans le miroir, elle ne vit pas ses yeux bleu clair virer au noir total, comme s'ils étaient investis par le néant, car son esprit ne lui appartenait déjà plus…
