13 juin 1507 (le soir) : notre dialogue de sourds s'est poursuivi pendant un moment, dans un mélange de fous rires contenus et d'une petite dose d'exaspération. La conclusion est cependant apparue d'une façon… très inattendue.
L'oiseau coloré, perché sur l'épaule du chef, prend soudain son envol et décrit un large cercle au-dessus de nous. Il se pose sur un rocher, puis, avec un chant curieusement mélodieux, se met à étinceler, avant de… se transformer. A la place de l'oiseau se tient un vieil homme, encore plus recouvert de peintures et de plumes que les autres Indiens. Ses couleurs éclatent de tons rouges et or, et l'ensemble le fait ressembler à une flamme resplendissante.
J'ai bien sûr déjà vu des Métamorphoses, parfois impressionnantes, mais là, il s'agit d'une magie vraiment avancée. Transformer un objet de la taille d'un humain est déjà quelque chose, même quelqu'un d'aussi doué et talentueux que moi n'y arrive pas facilement. Se transformer soi-même, totalement, est encore plus difficile. D'autant plus s'il faut maintenir la Métamorphose plus de quelques minutes. Mais alors se transformer en oiseau, et voler…
Soit cet Indien sait également utiliser la magie pour apprendre à voler, soit il a passé assez de temps sous forme d'oiseau pour apprendre naturellement. Dans les deux cas, c'est incroyable. A côté de moi, Elga me pousse gentiment du coude, et je me rends compte de ma posture. Depuis plusieurs secondes, je suis resté la bouche ouverte, à fixer ce phénomène. Au moins, voilà deux mystères de résolus : tout d'abord, oui, il existe des sorciers indigènes et c'est pour cela que le village est inaccessible. De deux, voilà pourquoi ces Indiens nous ont approchés sans crainte et sans armes : ils n'en ont pas besoin.
Je secoue la tête pour reprendre mes esprits et m'incline vers le sorcier. Un à un, mes camarades font de même.
« Salutations, noble chef, dis-je. Nous sommes des amis, des sorciers venus d'Angleterre. »
Le vieil homme garde une expression indéchiffrable, et c'est la traductrice qui m'interpelle :
« Lui ne pas parler votre langue. Vous devoir lui parler dans sa langue. »
Hein ? Comment sommes-nous supposés faire ça ? Ou alors c'est encore un problème de traduction. Et si elle ne nous demandait pas de parler Arawak, mais plutôt un langage spécial, réservé aux sorciers ? Je me creuse la tête, sans voir où elle veut en venir.
De leur côté, mes amis n'ont pas plus d'idées. La seule langue commune des magiciens est l'étrange latin avec lequel nous lançons nos sortilèges. Mais ce n'est pas vraiment une langue, du moins personne ne s'en sert pour parler. Enfin, je peux toujours essayer.
« Accio, dis-je au sorcier Indien. Expelliarmus. Wingardium Leviosa. »
Il hausse un sourcil, et échange quelques mots avec ses compagnons. Je demande alors à la traductrice :
« Est-ce langue ? Accio. Wingardium Leviosa. Est-ce langue ? »
Son air confus montre que non. Nous discutons encore un moment, mais il commence à être tard, le soleil a déjà à moitié disparu derrière l'horizon, et je commence à me sentir à la fois fatigué et affamé. Après une rapide concertation avec mes amis, nous décidons, plutôt que d'insister, d'inviter les Indiens à partager notre repas. Avec un peu de chance, tout sera plus facile le ventre plein !
Pour une fois, nous n'avons pas de mal à nous faire comprendre, le langage des signes fonctionne bien. Les gestes pour « venez », « manger » sont quasi-universels. Quelques instants plus tard, nous voilà ainsi rassemblés autour d'un feu magique, sur lequel cuisent plusieurs beaux poissons, multipliés par magie. Quelques fruits complètent le tout, cueillis dans les environs.
Maintenant que la glace est brisée, nos invités se révèlent enjoués et amicaux. Nos tentes et notre équipement les intriguent : je crois, par exemple, qu'ils n'ont jamais vu de balais ou de tapis volants. Ni de tapis tout court d'ailleurs, puisqu'en ce moment il est déroulé sur le sol d'une tente et ne vole pas. Même de simples objets comme les écuelles en métal ne leurs sont pas familiers, et nous rions en les voyant tâter et faire résonner les récipients creux. Seul le sorcier reste distant. D'ailleurs, hormis le chef, les autres s'adressent rarement à lui, et toujours d'une manière humble et respectueuse.
Après le repas, les deux femmes entonnent un chant indigène, que les hommes accompagnent par des percussions corporelles. Nous nous joignons à eux, en frappant dans nos mains, et la musique s'élève dans le ciel nocturne.
En somme, c'est plutôt une belle soirée, même si, nous n'avons toujours pas compris ce que sont la « médecine », ou la « langue ». Enfin, ces questions attendront bien demain !
