Survivor-2WEI


2 janvier 2017

. . . . . . . .

Le salon n'était pas grand, mais avait le mérite d'être chaleureux et accueillant. Le canapé, un peu usé par le temps, était partiellement recouvert d'une vieille couverture de laine beige. Il y avait également un fauteuil assorti où une veste en cuir trainait sur le dossier. Les tentures étaient tirées mais pas entièrement fermées, ce qui laissait un brin de lumière naturelle s'infiltrer dans la pièce. Le poste de télévision était allumé sur la chaine des informations, où un présentateur d'une quarantaine d'années récitait d'un ton monocorde le texte qui lui avait été écrit à l'avance.

Il parlait du déroulé du journal télévisé, commençant par l'élection de la première femme à avoir détenu le titre de Premier Ministre, au Canada, le vingt-cinq juin, autrement dit exactement un an plus tôt. Accompagnaient les propos de l'homme des photographies représentant Kim Campbell qui prenait ses fonctions, serrant la main de différents individus. Il aborda ensuite le sujet des derniers hommages faits par certains à l'ex épouse de J.F. Kennedy -décédée une quarantaine de jours auparavant-, puis de la guerre civile au Yémen qui persistait depuis près de deux mois. Le son du poste grésillait un peu et il arrivait de temps à autre à l'image de sauter. Sur la table basse trônaient quelques livres anciens ouverts vers leur milieu et des plantes grimpantes s'enroulaient aux pieds du meuble en question.

Assis dans le canapé, un homme qui portait une chemise de bûcheron délavée était en train de patiemment démêler les cheveux d'une enfant qui, assise également, lui tournait le dos. Cela faisait plusieurs minutes qu'ils ne disaient rien. Son regard était focalisé sur l'écran où le présentateur commença à parler de l'ex-Premier Ministre du Canada, qui avait perdu son poste depuis peu à causes des découvertes qui avaient été faites à son sujet. L'homme se mit à parler des informations qui étaient remontées jusqu'à eux grâce à plusieurs sources anonymes qui révélaient la vraie nature de l'homme, et lorsque cela s'était fait savoir, on l'avait contraint de renoncer à ses fonctions.

–Pourquoi ils ont peur de nous ? demanda soudainement la fillette, les yeux rivés sur les images qui défilaient.

–Parce qu'on est différents, déclara simplement l'homme. Et les gens n'aiment pas ce qui est différent, soupira-t-il en passant la brosse dans les cheveux bruns de l'enfant.

–Mais on est pas méchants…

–Pas nous, non, lui répondit-il. Certains, oui, et c'est en grande partie à cause d'eux que les autres ont du mal à nous faire confiance. Tu comprends pourquoi je n'aime pas que tu sortes seule, même si nous sommes bien isolés ici ?

–Oui, ça je comprends, mais je comprends pas pourquoi ils changent pas d'avis… Moi je veux qu'ils soient gentils avec nous… A la télé ils disent que des trucs pas vrais en plus, dit-elle en désignant le poste de télévision. Et puis le monsieur qui vend les légumes au village, il a tout le temps l'air d'être pas content de nous voir…

–Je sais bien, dit-il en soupirant à nouveau. Heureusement, il est le seul dans les environs à être méfiants à notre égard. Les autres semblent s'être mis d'accord pour nous laisser tranquilles, ce qui me rassure.

–… C'était qui, le monsieur avec qui tu parlais l'autre jour, quand on est allés chercher les courses ? l'interrogea-t-elle.

–Lequel ? Celui avec le chien ?

–Non, l'autre, le corrige-t-elle. Celui qui avait un grand manteau noir… Pourquoi tu voulais que je reste dans la voiture ? J'avais fait une bêtise ?

–Non, pas du tout, la rassura-t-il en souriant un peu.

–Il était un peu bizarre… J'avais un peu peur de lui. C'est comme si c'était un gentil et un méchant en même temps. Il souriait même pas…

–C'est vrai qu'il avait l'air d'être assez sérieux, marmonna l'homme. Mais tu n'as pas à t'inquiéter, il n'avait pas pour but de nous nuire.

–Alors pourquoi tu étais énervé après, quand on est rentrés ?

–Il posait un peu trop de questions à mon goût. Il était évident qu'il avait une petite idée de ce qu'on est, et je crois qu'il cherche à créer… Une sorte de commando spécial.

–… Comme une armée… ? murmura la petite en se raidissant.

–Non, je ne pense pas. Plutôt… Une équipe. Un groupe qui défendrait les gens, et je crois qu'il a eu vent de tes capacités, mais je ne le laisserai pas s'approcher de la maison, surtout si tu n'as pas envie de le voir. Selon mon premier aperçu, je pense qu'il est possible de lui faire confiance, mais je préfère rester sur mes gardes.

–Alors il est gentil… ?

–Il en avait l'air. J'étais énervé parce que je croyais au début qu'il mentait, mais il a dit certaines choses qui m'ont prouvé le contraire.

–Comme quoi ?

–Il a détaillé quelques éléments concernant une association que seul un vrai membre pouvait connaitre. D'anciennes connaissances en ont fait partie, alors je suis moins inquiet. Je doute qu'il y ait beaucoup d'individus qui nous ressemblent dans leurs rangs, mais qui sait… Peut-être que tu pourras rencontrer quelques personnes qui t'aideront ? Enfin, mieux que moi ?

–Mais j'ai pas envie de partir… Je veux pas aller dehors.

–Je sais que tu as peur. Moi aussi, tu sais ? lui dit-il tandis qu'elle se tourna vers lui, et il continua à brosser ses cheveux. Mais quoi qu'il arrive, je te protégerai de tous les dangers. Je ne laisserai plus jamais quiconque s'en prendre à toi, d'accord ?

Elle acquiesça et se réfugia dans les bras de l'homme, qui la serra contre lui avec affection. Cela faisait vingt-trois mois qu'il l'avait rencontrée et qu'il s'occupait d'elle jour après jour, craignant à chaque seconde que quelqu'un de mal intentionné la retrouve et la fasse à nouveau souffrir. Elle avait mis longtemps à oser se confier à lui, lui raconter ce qu'elle avait vécu avant que leurs chemins se croisent au beau milieu de l'été quatre-vingt-douze, et il en avait été terrifié. Lui aussi avait traversé des épreuves difficiles, mais jamais à un tel âge. La maintenant dans ses bras, il ne fit pas attention à l'appareil qui sonnait, sur la table de la salle à manger.

C'était son téléphone portable à clapet, qu'il avait laissé ouvert. Un nom s'afficha sur l'écran désormais allumé, nom qui ne lui était pas encore si familier que ça puisque la rencontre avec l'individu en question demeurait particulièrement récente. Les lettres clignotèrent un instant, indiquant le titre suivant : « N.F-SHIELD ». Cela sonna donc dans le vide pendant une dizaine de secondes, puis cela s'éteignit, marquant l'appel manqué à l'écran.

Autour, l'air ambiant avait un peu changé, le décor également. Toujours le même salon agréable où il y faisait bon vivre, un nombre plus conséquent de plantes dans les recoins de la pièce, les rideaux fermés complètement cette fois-ci, un poste de télévision à peine plus moderne. Le même présentateur, avec vingt ans de plus, mais toujours aussi neutre lorsqu'il abordait les sujets qui seraient traités dans le journal télévisé du jour ; l'abdication récente du roi d'Espagne, le renforcement de la présence des conseillers militaires américains en Irak, les émeutes mutantes à répétitions.

Sur le fauteuil usé, il y avait toujours une veste en cuir, mais une autre s'y trouvait, sur l'accoudoir, et était déchirée au niveau de l'épaule gauche. Des romans ouverts sur la table basse, du matériel médical tel que des tubes de médicaments, des compresses, du bandage. Et dans le canapé, deux personnes. L'homme, qui avait toujours la même allure à très peu de détails près, ainsi qu'une jeune femme, qui lui tournait le dos et portait un jean et un débardeur, tous deux noirs. Ses longs cheveux bruns étaient attachés en une épaisse tresse qui retombait sur son épaule droite.

–Ne bouge pas, lui suggéra-t-il en soignant l'arrière de son épaule gauche, qui était bien écorché, tu risques d'aggraver la situation. Et essaye de te détendre un peu.

–C'est facile de dire ça… marmonna-t-elle.

–Calme-toi, souffla-t-il en essuyant le sang qui avant séché, avait d'appliquer une compresse sur la plaie. Plus tu t'énerves, plus ça va mettre du temps à guérir, et tu te souviens du temps que ça a pris la première fois que tu as été blessée à cet endroit. Et quelle idée tu as eu d'aller te défouler en tapant dans un arbre, ça t'a bien déboité l'épaule, d'autant plus que tu étais déjà blessée, souligna-t-il.

–Je n'ai pas besoin que tu me rappelles ça… murmura-t-elle en baissant la tête, poings serrés. Tu as fini ?

–Presque, répondit-il en posant les morceaux de compresse usagés et imbibés de sang. Je crois que c'est Fury qui essayait de nous joindre, commenta-t-il simplement. Tu veux que je lui dise de rappeler plus tard ? lui proposa-t-il gentiment, ce à quoi elle ne répondit pas. S'il te plait, ne joue pas la carte du silence avec moi.

–… Tout ce que je veux, c'est qu'on me laisse tranquille… déclara-t-elle en se crispant lorsque l'homme toucha un point encore sensible au niveau de sa plaie. Je suis fatiguée, je… J'en ai marre… Que Decker détruise tout, qu'il fasse comme bon lui semble, j'en ai plus rien à faire…

–Em… soupira l'homme en la faisant se tourner vers lui, regarde-moi, lui demanda-t-il, et il croisa son regard qui se remplissait de larmes. On finira par l'avoir. Je ne sais pas encore si c'est toi ou moi qui lui tombera dessus en premier, mais sache qu'il passera un très mauvais moment si je le trouve.

–Quoi que je fasse, il me retrouvera toujours…

–Et on l'attendra pour le faire regretter, lui promit-il. Deux fois, certainement pas trois. Je ne le laisserai plus te faire du mal. Je regrette de ne pas avoir été présent pour toi ces derniers temps, et à chaque fois que Stryker cherchait à atteindre ma mémoire pour l'altérer et me faire oublier qui j'étais, je ne faisais que penser à toi pour me forcer à tenir bon, car je savais que je devais résister pour toi, affirma-t-il en prenant ses mains entre les siennes. Lorsqu'on s'est recroisés dans cette base l'an passé, après que Stryker vous ait capturés toi et ton groupe , et que Jean m'a permis de me sauver, j'ai compris que j'avais bien fait de résister. Tu sais que si par la suite, je ne suis pas revenu dans l'immédiat, c'était parce que je craignais de te faire mal. Mais maintenant que j'y repense, je me rends compte que je n'aurais jamais dû te laisser seule, et que la faute est donc mienne pour tout ce qui s'est produit par la suite.

–… C'était… Pas ta faute, affirma-t-elle. A… Alex et Jean… C'était pas à cause de toi.

–De toi non plus, enchaina-t-il vivement en la rapprochant de lui afin de la serrer dans ses bras, cherchant à la réconforter à tous prix car la voir ainsi lui faisait terriblement mal au cœur. Je sais que tu voulais les sauver, mais personne n'y pouvait rien… Mais tu es la personne la plus courageuse que je connaisse, et tu as toujours su t'en sortir, ajouta-t-il en resserrant son étreinte lorsqu'il sentit qu'elle commença à pleurer silencieusement. Désormais, quoi qu'il arrive, je serai toujours là pour toi, jusqu'à ma mort. Je t'en fais le serment.

Elle soupira de soulagement, se sentant mieux dans ses bras. Lorsqu'il était là, elle n'avait plus peur. Elle se sentait bien, et en sécurité, comme si le reste du monde ne pouvait plus rien contre elle. La seule chose qu'elle craignait, c'était qu'on les sépare. Que quelqu'un l'empêche un jour de le revoir. Il avait disparu durant un très long moment durant lequel elle s'était sentie abandonnée, entre deux-mille cinq et deux-mille quatorze. Elle avait ignoré la raison de cette disparition, puisqu'il ne lui avait donné aucune nouvelle, aucune explication. Ce n'était qu'assez tardivement qu'elle avait appris que c'était tout simplement parce que William Stryker lui était tombé dessus.

–Je t'aime, fillette, lui dit-il après quelques secondes écoulées dans le silence.

–… Moi aussi, papa… répondit-elle en sentant la peine qu'elle éprouvait se mêler à l'apaisement.

Ils restèrent ainsi durant un long moment, refusant de se laisser perturber par quoi que soit susceptible de survenir. Ils n'y avaient qu'eux, si bien qu'ils ne semblèrent pas remarquer la silhouette féminine qui les observait silencieusement depuis le début, située juste à côté du poste de télévision, bras croisés. Laissant un soupir s'échapper, Madison se laissa envahir par le tas d'émotions qui l'avaient traversées à cet instant précis. Elle se souvenait de cet élan d'affection dont Logan avait fait preuve à son égard. De l'inquiétude qu'elle avait concernant les plans machiavéliques de Decker. De ce sentiment de honte qui s'était emparée d'elle à cause de tout ce qu'elle avait fait avant de se retrouver là. Elle se rappelait d'absolument tout dans les moindres détails, comme si cela s'était produit la veille.

Les deux silhouettes s'évaporèrent lentement, de même que certains éléments du décor tels que les livres, les vestes, le nécessaire de soin… Ne laissant désormais plus qu'une maison meublée, mais vide de toute forme de vie à part elle. Un peu de poussière s'était déposée sur la table basse de la salle de séjour. Le souvenir avait définitivement disparu.

–Que s'est-il passé pour que tu sois dans cet état ? l'interrogea une voix calme dans son dos.

Elle ferma les yeux et soupira encore. Elle se tourna à quatre-vingt-dix degrés, apercevant du coin de l'œil une silhouette se tenant dans l'embrasure de la porte restée ouverte. Elle savait depuis le début qu'il était là, qu'il l'avait suivie jusqu'à cet endroit.

–Je suppose que tu me poses cette question parce que Natasha n'a rien voulu te dire…

–C'est vrai. C'est aussi parce que j'aimerais que cela vienne de toi, souligna-t-il. Tu n'es pas obligée de m'en parler tout de suite, mais j'imagine que ça a un rapport avec le fait que Nat semblait savoir que tu n'étais plus toi-même… N'est-ce pas ? demanda-t-il prudemment.

Elle se tut. Elle ignorait s'il était enfin temps ou non de lui expliquer, et elle se mit à fixer le sol, pensive et nerveuse à l'idée que Tony puisse la juger à cause de son passé plus que trouble. Sans le regarder dans les yeux, elle le vit néanmoins baisser à son tour la tête en la secouant légèrement.

–Ça peut attendre, déclara-t-il gentiment, je ne te force pas à…

–Hydra, lâcha-t-elle platement.

Il se figea. Bien entendu, il s'en était douté, mais avait sincèrement espéré que cela ne soit que de simples suppositions. Pas la vérité. Il la trouva tendue et calme à la fois, et comprit pourquoi la meilleure amie de sa sœur avait eu l'air aussi terrifiée lorsqu'elle s'était rendue compte que cette dernière était mentalement manipulée par quelqu'un d'extrêmement dangereux. Il fit un pas vers l'intérieur, entrant pour la première fois dans cette maison perdue au fond des bois dont Madison lui avait déjà touché deux mots. C'était ici qu'elle avait vécu avec son père adoptif durant de longues années. Il aimait bien l'environnement.

–… Decker m'a retrouvée, dit-elle simplement, le regard perdu dans le vide.

–Comment ?

–J'étais… Désemparée. Déprimée après avoir perdu deux amis très proches. Logan n'était toujours pas revenu, ajouta-t-elle. Et j'étais faible. Je n'étais plus capable de me protéger moi-même, j'ai donc été une proie facile.

–Combien de temps… ? osa-il demander.

–… Six mois.

Six mois. L'information percuta douloureusement dans le cerveau de Tony. Sa petite sœur avait été retenue captive durant six longs, très longs mois par un savant fou sans que personne ne sache lui venir en aide.

–C'était un peu avant Noël, en deux-mille treize. J'ai… vrillé. Il m'a attrapée, et je suis ressortie pour la première fois au bout de quelques semaines. Mais je n'étais plus… « moi ». J'étais tellement détruite lorsqu'il m'a récupérée qu'il n'a pas été très compliqué pour lui de faire ce qu'il voulait de mon esprit. J'y ai même croisé Bucky, avoua-t-elle, ce qui le mit un peu mal à l'aise.

–… C'était toi ?

Elle le regarda sans comprendre.

–L'associée du Soldat d'Hiver, en deux-mille quatorze, précisa-t-il. Oui, Miss Romanoff m'en a parlé il y a quelques années, poursuivit-il, voyant son air surpris. Seulement, elle ne m'avait jamais dit qu'elle savait de qui il s'agissait.

–… C'était moi, confirma-t-elle d'un ton un peu froid. Mais, si ça peut te rassurer… Je n'ai pas été en mesure d'achever la dernière mission qui m'avait été confiée, et qui était très certainement la pire de toutes, puisque j'ai été stoppée avant.

–Par Natasha ? devina-t-il, tandis qu'elle acquiesça.

–Elle et Clint ont su me retrouver avant que je ne commettre trop de dégâts… Heureusement, d'ailleurs… Après ça, j'ai été gentiment escortée au Shield et… j'ai eu droit à un lavage de cerveau complet pour éliminer ce que Decker y avait implanté comme ordres et convictions…

Tony s'approcha davantage, lui laissant tout de même un minimum d'espace pour respirer.

–Je me souviens… De la torture que ça a été pour redevenir moi-même, avoua-t-elle. J'avais lutté intérieurement pour résister à ce qu'on m'avait ordonné de faire durant si longtemps et au moment où j'ai cédé, tous mes remparts s'étaient effondrés. Les reconstruire n'a pas été simple…

. . . . . . . .

–Ouvrez la porte.

–Nous avons reçu des consignes précises. Elle doit rester fermée jusqu'à nouvel ordre.

Natasha soupira, contenant toute la rage qui l'animait. Elle détestait qu'on l'empêche de faire ce qu'elle voulait, surtout dans une telle situation. A ses côtés, Clint la tenait par l'épaule droite, cherchant à la rassurer en lui montrant qu'il était là pour elle, qu'elle n'était pas seule. Pourtant, la jeune femme savait qu'il demeurait aussi perturbé qu'elle et que malgré les apparences, il avait beaucoup de mal à conserver son calme. Contrairement à elle, qui avait un bras cassé, ses blessures étaient minimes ; un bleu sur la pommette, l'arcade sourcilière ouverte et recousue, quelques traces rouges sur le visage ayant vu le jour à cause de divers coups. Sauf qu'intérieurement, ses plaies étaient bien plus grandes, et lui laisseraient des cicatrices ineffaçables.

En face d'eux se trouvait une large vitre qui séparait la pièce en deux. De leur côté, un homme était assis à un bureau et sous ses yeux s'étalaient des écrans et plusieurs manettes et boutons différents. Debout non loin de lui, un autre individu se tenait droit, imperturbable, tenant entre ses mains une imposante arme à feu qu'il était prêt à utiliser au moment où il en recevrait l'ordre. Il faisait plus sombre que dans l'autre partie de la pièce, dont les murs étaient blancs et la lumière criarde, froide. De ce côté-là, il n'y avait presque rien. Aucun meuble. C'était un espace vide, à l'exception d'un élément : une personne assise à terre, contre le mur.

–Elle a bougé ? lança l'archer en portant son attention sur le technicien.

–Pas depuis qu'elle est réveillée, répondit ce dernier en levant les yeux vers cette femme qui, tête baissée, avait les avant-bras posés sur ses genoux pliés et ramenés contre elle. Ça fait cinq jours qu'elle fixe un point dans le vide, ajouta-t-il, faisant allusion au fait qu'en dépit de son visage tourné vers le sol, les deux yeux bruns de la femme étaient dirigés vers le miroir qui lui faisait face. Elle n'a pas réagi lorsqu'on lui a injecté le sérum ce matin.

–Et elle a dit quelque chose ? l'interrogea ensuite Clint.

–Cinq jours, Barton, répéta l'autre homme, on dirait qu'elle a déconnecté. Pas un seul mot qui puisse vous intéresser. Simplement sa mission, qu'elle répète en boucle dès qu'on lui pose une question. A part les visites des scientifiques, elle est isolée de tout contact avec l'extérieur, comme vous le savez, mais malgré la glace sans tain, certains des gardes qui effectuent des tours de ronde ici ont l'impression qu'elle arrive à les voir au travers, qu'elle les fixe jusqu'à ce qu'ils sortent. Vous pensez que c'est le cas ?

–Ça se pourrait bien…

Le regard de la détenue était noir. Meurtrier. Dangereux. Vide de toute émotion. Il n'avait rien à voir avec celui que l'archer connaissait presque par cœur, si bien qu'il avait l'impression d'observer une parfaite étrangère. Natasha, légèrement en retrait, était immobile. Ses pensées demeuraient toujours aussi confuses, et elle se sentait nauséeuse. Il lui fallut un moment avant d'oser bouger. Elle se dirigea vers le technicien et sous l'œil avisé de celui-ci, elle pressa l'un des boutons de sa main valide. Dès lors, le miroir disparut, ne devenant qu'une simple vitre épaisse à l'allure banale, mais disposant de certaines fonctionnalités dissimulées. La rouquine, très prudemment, s'en approcha, suivie de très près par son meilleur ami et s'arrêta à environ un mètre de la paroi transparente.

–… Très courageux… lâcha alors la prisonnière d'une voix lugubre, un peu cassée et plutôt basse, ce qui furent ces premiers mots depuis un moment.

Ces deux mots suffirent à faire frissonner les occupants de l'autre partie de la pièce.

–Je suis désolée, souffla Natasha.

–Pourquoi donc… ? l'interrogea-t-elle en relevant un peu plus la tête vers elle, croisant son regard. Pour avoir été tous les deux inconscients au point de ramener un tel danger au sein de cette base, ou pour cette torture que l'on me fait subir jour après jours dans le simple et unique but de modifier ce que je suis, alors que je suis immunisée à la douleur… ? murmura la brune d'un air mauvais mais distant qui rendit mal à l'aise l'équipe qui la détaillait.

–Ça ne t'arrêtera pas, reprit Clint, mais on t'a administré le sérum tous les jours, ce qui veut dire que tu ne peux pas te servir de tes pouvoirs… Et, « ce que tu es », ce n'est pas ça. C'est encore Decker qui parle à ta place. Tu sais qu'on est presque sur le point de te récupérer, c'est pour ça que tu te braques de la sorte, marmonna-t-il en croisant les bras. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il t'a fait subir, des horreurs qu'il a dû faire remonter et des techniques qu'il a employées pour te retourner le cerveau, mais tout va rentrer dans l'ordre, je te le promets, dit-il d'un ton ayant récupéré de l'assurance, mais la dernière partie de la phrase parut ridicule à entendre pour la détenue, car un sourire discret se dessina sur ses lèvres.

–Vous me fatiguez, soupira-t-elle, l'air exténuée, tout en se redressant lentement, et ils purent mieux voir l'imposant bandage qui entourait toute son épaule gauche. Toujours prêts à sauver les autres, c'en devient lassant… leur dit-elle en s'approchant à pas de loups de la vitre, fixant les deux agents. Mais dites-moi… Qui vous sauvera VOUS lorsque je sortirai d'ici… ? Qui m'empêchera de dépecer vivantes chacune des personnes arpentant les couloirs de ces lieux, puis de brûler leurs corps ? Qui me stoppera quand, une fois dehors, j'arracherai le cœur de tous ceux qui oseront se mettre en travers de mon chemin… ? les interrogea-t-elle, ses cheveux noirs retombant devant son visage et lui donnant un air effrayant. Vous serez les derniers à qui je m'en prendrai… Et je me demande encore lequel des deux je tuerai devant l'autre… réfléchit-elle à haute voix, s'arrêtant à quelques centimètres de la paroi. Je forcerai le second à regarder jusqu'au bout, déclara-t-elle sans la moindre émotion, ça sera plus divertissant… leur souffla-t-elle en plaquant ses deux mains contre la vitre.

–Navré de couper court à vos projets, mais nous en avons d'autres pour vous, s'exclama Nick Fury en entrant dans la pièce principale, rejoignant ses agents d'un pas décidé, puis il alla se placer aux côtés du technicien. Ouvrez les portes.

–Monsieur, qu'est-ce que vous faites ? le questionna Natasha, surprise par son intervention soudaine.

–Ce qu'il faut pour mettre fin à ce problème. Ouvrez la porte, répéta-t-il à l'homme, qui pianota un instant sur son clavier et dans la cellule, les portes qui se trouvaient de part et d'autre de la salle coulissèrent, laissant entrer quatre individus armés jusqu'aux dents, suivis d'un scientifique qui poussait un large siège sur roulettes ainsi qu'une machine médicale associé à celui-ci.

La brune paraissait à la fois furieuse et terrorisée à l'idée qu'on l'approche. Toujours appuyée contre la cloison, son regard se raccrocha à celui de Natasha qui, déstabilisée, tressaillit imperceptiblement. Elle savait qu'elle ne pouvait en aucun cas se permettre de se laisser aller tant que sa meilleure amie était dans cet état. Il fallait qu'elle tienne le coup jusqu'au bout. Pour elle.

–Attachez-la, ordonna Fury à ses hommes, ces derniers ayant attendus que leur patron s'adresse à eux, et ils avancèrent vers la prisonnière, qui continua à fixer l'autre femme située de l'autre côté de la vitre.

L'espionne russe fut surprise qu'elle ne cherche pas à se débattre plus que ça lorsqu'ils l'attrapèrent par les bras avant de la forcer à s'asseoir dans le siège, où ils la sanglèrent fermement afin qu'elle n'ait aucun moyen de s'échapper. Une fois que cela fut fait, les quatre agents sortirent, ne laissant que le scientifique dans la cellule.

–Monsieur, reprit l'archer, je sais bien qu'elle est sur le point de craquer, mais elle ne va supporter ça longtemps. Vous avez déjà essayé cinq fois hier, et vous avez bien vu que ça l'affectait physiquement plus vous tentiez votre chance, énonça-t-il légèrement inquiet, tout comme l'était la rouquine.

–Ne croyez pas que cela m'enchante, Barton, mais vous avez déjà eu un petit aperçu de ce que c'est, la manipulation mentale, alors à moins que vous ne disposiez d'une solution plus délicate, nous procéderons ainsi, déclara le chef du Shield sans défaire son attention du docteur, à qui il s'adressa ensuite ; Allez-y.

Ce dernier hocha la tête et administra un produit à la prisonnière, qui n'eut aucune réaction apparente. Après cela, il quitta la cellule et la porte se referma derrière lui.

–Bien, commençons, déclara Nick en mettant ses mains dans son dos. Nom, affiliation.

Elle ne répondit pas et l'observa avec un air de défi. S'étant replacée en retrait avec Clint, Natasha priait pour qu'elle réponde quoi que ce soit afin d'écourter cette séance de torture qui l'attendait, ce qu'elle ne fit malheureusement pas malgré l'attente de Fury. Celui-ci s'empara de l'écran que lui avait remis le scientifique en les rejoignant, puis il appuya sur un bouton. La réaction fut immédiate de l'autre côté de la paroi. A peine visible, mais immédiate tout de même. La détenue se crispa un peu, le produit coulant dans ses veines ayant l'effet d'une décharge lorsque ses composants étaient « activés » à distance.

–Nom, et affiliation, répéta-t-il.

–Elément quarante et un, affirma calmement la jeune femme, le regard vide. Hydra.

Nouvelle petite décharge. Ce qui perturbait le plus son amie, au-delà du fait que voir la brune se faire « agresser » de la sorte était particulièrement éprouvant pour elle, c'était qu'elle ne bronchait pas. Ne faiblissait pas. Ne clignait des yeux à aucun moment, malgré ce petit tremblement qui la parcourait dès que Fury pressait l'un des boutons déclencheurs. Ce dernier, par ailleurs, soupira en regardant son agent lui faire face.

–Je n'ai pas envie de jouer à ça toute la journée. Nom, et affiliation, s'exclama-t-il un petit peu plus vivement.

–Иди к черту, cracha-t-elle froidement, ses yeux lançant presque des éclairs à son interlocuteur.

Natasha n'eut pas énormément de mal à comprendre les paroles de l'internée. Elle sut que Fury lui aussi s'était douté qu'elle avait compris, car il se tourna vers elle, attendant visiblement qu'elle lui fournisse une traduction. Elle n'en avait pas envie, car elle savait que ce qui suivrait serait bien plus douloureux pour sa meilleure amie. Pourtant, le regard insistant de son patron et le fait qu'elle désirait que tout cela prenne fin au plus vite eut raison d'elle, et après avoir rassemblé tout son courage, elle affirma simplement, sans regarder l'homme dans les yeux ;

–… « Allez au diable ».

–Je vois, dit-il en soupirant une nouvelle fois avant de marcher vers le panneau de contrôle, où le technicien observait la scène sans rien dire, secondé du médecin. Je suppose que nous n'avons pas le choix, dit-il ensuite en soutenant le regard de la détenue. Je me doute bien qu'intérieurement, vous faites tous les efforts du monde et que rien ne sort, mais il va falloir accélérer le processus, car je crains que les effets des techniques utilisées par Decker ne s'estompent de moins en moins au fil des jours.

–Monsieur, ne faites pas ça, le sollicita la rouquine d'un ton qu'elle s'efforça de rendre aussi neutre que possible.

–Silence, Romanoff, répliqua-t-il en s'adressant ensuite à l'homme toujours installé à son poste. Envoyez les ultrasons, déclara-t-il, ce qui terrorisa tout le monde autour de lui. Je suis prêt à prendre le risque de ce qui va suivre, affirma-t-il, refusant de montrer à ses hommes qu'intérieurement, il s'agissait de l'une des décisions les plus difficiles à prendre qui soit. Envoyez, répéta-t-il, et le technicien dut se résoudre à exécuter les ordres en effectuant quelques manœuvres sur son clavier, et une image thermique de la jeune femme attachée apparut sur l'écran, puis il activa l'un des dispositifs et dès lors, ils virent quelque chose se produire dans l'organisme de la captive.

Dans sa cellule, fermement attachée, elle sembla enfin réagir. Ce n'était au début qu'à très petites doses, mais des ultrasons que seule elle pouvait percevoir étaient diffusés dans la pièce. Elle serra très lentement les poings, faisant face, ne se laissant pas faire, mais progressivement et rapidement, cela empira. Toujours sans ciller, elle dévisageait les trois individus qui l'observaient.

–Vous l'avez-vous-même spécifié il y a quelques années, Barton, souffla Fury. C'est une battante. Une survivante. Jamais elle n'abandonnera.

Cette phrase, qui aurait pourtant dû rassurer les proches de la concernée, ne fit que les angoisser davantage. Ils ne purent s'empêcher de s'imaginer que tout pourrait très bien dégénérer à tout moment. Peu à peu, la femme enfermée se mit à trembler, les toisant toujours.

–Envoyez, ordonna Fury.

Tous ses muscles se raidirent subitement et elle pencha la tête en arrière en serrant les dents, le choc ayant été violent. Lorsqu'elle rabaissa la tête, les autres se rendirent compte que sa respiration était désormais plus rapide. Pourtant, elle ne semblait pas prête à lâcher l'affaire de sitôt.

–Encore.

Autre salve d'électricité, et son visage se tourna vers le sol. Quand son regard croisa à nouveau les leurs, ils n'y virent que de la haine et du mépris. Ses doigts s'écartèrent et s'agrippèrent aux poignées des accoudoirs du siège fait de cuir et de métal, comme si elle attendait patiemment la prochaine attaque.

–Encore ! aboya-t-il, ne pouvait laisser la moindre émotion apparaitre en un tel instant.

Natasha souffrait atrocement en assistant à ce spectacle. Instinctivement, Clint s'était placé un peu devant elle afin qu'elle comprenne qu'elle n'était pas obligée de regarder, qu'elle pouvait sortir à tout moment. Pourtant, elle refusait d'abandonner ainsi cette personne qui avait déjà tant fait pour elle, pour lui, pour le reste du monde. Elle ne pouvait tout simplement pas ne pas être là.

–Affiliation, tenta une énième fois Fury, craignant malheureusement de connaitre la réponse qu'il allait recevoir.

–… Hydra.

L'homme se tourna vers le technicien, qui savait ce qu'il avait à faire, même s'il avait du mal à exécuter les ordres. Il augmenta la puissance des ultrasons et en renvoya après quelques secondes d'hésitation. Encore une fois, la visée se retrouva avec la tête baissée, et tous crurent alors voir un courant électrique parcourir ses veines, sous sa peau. Brusquement, les meubles qui les entouraient, que ce soient les chaises, le bureau du technicien, la vitre elle-même, tout se mit à trembler. Et subitement, ils virent la mutante se libérer d'un geste particulièrement brusque en tirant sur ses liens, qui se rompirent comme s'ils étaient faits de papier, ce qui fit sursauter ses deux amis proches, qui ne s'y étaient pas attendus. Elle leva ensuite les yeux vers eux. Leur intégralité -iris et sclères- étaient désormais noirs. D'un mouvement toujours aussi brusque, elle se redressa, se retrouvant debout sur ses deux pieds.

–A-t-elle déjà eu ce type de réaction au cours des derniers jours ? demanda Fury à son équipe.

–C'est la première fois, Monsieur, répondit le scientifique en consultant les données liées à l'organisme de la jeune femme, venez voir, ajouta-t-il, et tous à l'exception de Natasha se dirigèrent vers l'écran afin de comprendre pourquoi il les appelait. C'est différent par rapport à hier, mais même si elle lutte pour revenir, c'est loin d'être réglé.

La rouquine sursauta une nouvelle fois lorsqu'un bruit sourd survint à quelques centimètres d'elle. Elle tourna la tête, vit que la détenue avait plaqué avec violence sa main contre la cloison transparente et que celle-ci la dévisageait avec tant de fureur qu'elle donnait l'impression d'être un animal sauvage retenu en captivité depuis bien trop longtemps. L'archer se précipita vers la vitre et en écarta Natasha, non pas pour la protéger mais pour l'empêcher de rester bloquée sur cette vision effrayante. Peu de temps après cela, alors que les ultrasons ne cessaient d'augmenter, la prisonnière abattit son poing droit, métallique, sur la vitre, et la puissance qu'elle y mit fissura le verre.

–Envoyez ! tonna Fury en sentant sa voix sur le point de craquer, peinant à prononcer de tels mots à cause du fait que son agent résistait encore trop.

Cette dernière faillit, se tenant proche de la paroi. C'était de plus en plus difficile, douloureux, épuisant. Tenant toujours bon, elle tomba cependant à genoux lorsque l'offensive, en plus de continuer, prit plus d'ampleur. Elle détacha sa main de la vitre et se prit la tête entre les mains durant quelques secondes, avant de frapper le sol de ses deux poings serrés, déferlant sa rage dans ce geste qui fut accompagné d'un cri. Sa meilleure amie, elle, sentait qu'elle était à deux doigts de tourner de l'œil, alors que ce n'était pas la première fois qu'elle voyait quelqu'un se faire torturer ainsi, mais là, c'était différent. Et surtout, c'était tous les jours depuis plus de trois semaines, à plusieurs reprises. Elle savait qu'il fallait qu'ils règlent ce problème au plus vite, mais elle n'était absolument pas fan de ce genre de méthode.

–Monsieur, ça suffit, s'exclama alors Clint, et Natasha le remercia silencieusement pour cette intervention, elle ne va pas tenir.

–Elle va tenir, Barton, répliqua son patron sans lâcher la brune des yeux, qui se tenait à nouveau la tête entre les mains, presque sur le point de s'arracher les cheveux tant la douleur qui la parcourait était intense. Il le faut, ajouta-t-il, mais l'archer ne prit plus la peine de l'écouter et il marcha dans une direction bien précise.

–Ouvrez la porte, déclara-t-il fermement, mais personne ne prit la peine de lui répondre, encore moins d'accéder à sa requête. Fury, ouvrez cette foutue porte ! s'emporta-t-il, ce qui ne lui arrivait que rarement, et seulement dans des cas extrêmes.

–… Envoyez, ordonna-t-il simplement au technicien, ne pouvant pas lâcher tout, et il dut endurer la vision de son agent qui se tordait de douleur en criant, des salves de magie émanant de son corps et allant frapper les murs qui l'entouraient, les marquant de traces noirs semblables à celles que pourraient générer un incendie.

Pendant que Clint implorait Fury de les laisser rejoindre la détenue, Natasha était paralysée. De leur côté, le technicien et le scientifique observaient l'avancée des événements sur les écrans, voyant directement ce qu'il se passait dans le cerveau de celle qu'ils étudiaient, sous l'œil avisé de leur chef. Au bout d'un moment qui leur parut à tous interminable, les cris venant de l'autre côté de la cloison cessèrent et ils remarquèrent que l'image thermique qu'ils avaient de la jeune femme n'avait plus rien à voir avec celle du début. Elle était passée de jaunâtre et parsemée de taches bleutées à un rouge orangé vif. L'affichage en direct de ce qu'il se passait dans son cerveau, où des traces noirâtres avaient pris place depuis un long moment déjà, changea également ; toutes les traces s'effacèrent brusquement.

Fury observa les deux hommes, qui après s'être échangés un regard, acquiescèrent, les mots n'étant désormais plus nécessaires. Le chef s'approcha lentement du panneau de contrôle, y effectua quelques manipulations, et la porte que tentait de forcer l'archer s'ouvrit au grand soulagement de ce dernier, qui s'engouffra dans l'ouverture à une vitesse phénoménale, se dirigeant vers la cellule. Roulée en boule sur le sol froid, la brune tremblait terriblement, terrorisée, souffrante, fiévreuse. Quelques courants d'électricité semblaient toujours parcourir ses veines, mais plus autant qu'avant. Lorsque son meilleur ami fit irruption dans la pièce, il courut vers elle et se laissa tomber à ses côtés, l'attrapant délicatement par les épaules, ne craignant même plus une quelconque rechute.

Restant à genoux, il l'aida à se redresser afin de voir ses yeux en premier lieu. Il l'avait sentie tressaillir au contact, mais il n'y avait plus qu'une seule chose qui l'importait : s'assurer que c'était terminée, qu'elle était enfin tirée d'affaire. Il murmura son nom, attrapant doucement son visage d'une main en la plaçant sur sa joue puis la fit redresser la tête vers lui. Ce fut alors sur un magnifique regard chocolat qui lui était très familier qu'il tomba et il soupira de soulagement. Quant à elle, elle paraissait terrifiée et sa respiration était toujours assez irrégulière. La meilleure chose qu'il trouva à faire fut de la serrer contre lui, voulant à tout prix qu'elle soit rassurée par un contact familier. Après quelques secondes, alors qu'elle était toujours à moitié allongée par terre, il la sentit cependant lui rendre son étreinte, ce qui le fit soupirer une nouvelle fois, et il crut également l'entendre étouffer un sanglot.

–Chhh, c'est fini… C'est terminé, Em… lui murmura-t-il, yeux clos, caressant ses cheveux avec douceur, cherchant à l'apaiser. C'est terminé… répéta-t-il, se sentant lui aussi sur le point de fondre en larmes à cause de toute la pression qu'il avait accumulée au cours des derniers mois.

Il remarqua ensuite la présence de Natasha, qui avait eu beaucoup de mal à se défiger, avant de les rejoindre dans la cellule. Celle-ci s'agenouilla à son tour, l'air véritablement troublée, et après y avoir réfléchi un instant, elle passa lentement sa main dans le dos de sa meilleure amie, qui frissonna en sentant quelqu'un d'autre la toucher, puis leurs regards se croisèrent eux aussi. L'espionne russe n'y lut que de la peur, de la honte, des remords qui leur étaient, du moins c'est ce qu'elle jugea, certainement destinés, après quoi elle s'approcha des deux individus et partagea leur étreinte comme si c'était leur dernière, alors qu'il s'agissait en réalité de leur première. Tous les trois, le monde autour d'eux n'existant plus durant une fraction de seconde qui s'éternisa. Plus rien pour venir les perturber dans cet instant qui n'appartenait qu'à eux.

Toujours dans l'autre partie de la pièce, Nick Fury s'appuya contre le bureau et baissa la tête en soupirant. Lui aussi venait de vivre un moment particulièrement éprouvant. Pour la ramener parmi eux, il avait dû s'en prendre à l'une de ses meilleurs agents, qu'il connaissait depuis tant d'années, alors qu'il avait juré qu'entre ses mains, son « père » n'aurait jamais à se soucier de ce qui pourrait lui arriver, qu'il s'arrangerait pour veiller sur elle. Il l'avait fait, mais avait dû prendre certaines mesures lorsqu'il s'était s'agit de la faire se souvenir de la personne qu'elle était ; cette mutante qu'il trouvait formidable, cette battante infatigable, cette femme courageuse, et non l'une de ces armes vivantes forgées par Hydra.

Il se perdit dans ses pensées, réfléchissant au meilleur moyen qu'il aurait pour la mettre à l'abris le temps qu'il trouve Decker et lui fasse la peau, puis il releva la tête et vit les trois amis à quelques mètres de là, dans la cellule ce qui lui arracha un sourire sincère, alors qu'il ne souriait jamais.

Sauf pour eux.