Mot de l'auteur
/!\ Cette histoire est une réécriture en version boy x boy de "La quête des Livres-Monde" de Carina Rozenfeld, l'histoire et les personnages lui appartiennent ! Les livres peuvent être acheter sur amazon, fnac et en librairie ! (Environ 5 à 14 euros le livre et environ 30 euros l'intégrale) pour soutenir l'auteur et la financer dans ses projets ! /!\
PS : Les personnages autres que Nathan, Zayn, Lia et Aela ne m'appartiennent pas ! Ils sont de Carina Rozenfeld, une écrivaine très talentueuse que j'admire !
Nerveux, Nathan faisait les cent pas en attendant Aela. Dans sa poitrine, son cœur battait un peu trop vite, un peu trop fort. Ses paumes ne parvenaient pas à se défaire de leur moiteur, même quand il les passait fébrilement sur la toile de son bermuda. Pourtant, le temps était moins chaud aujourd'hui et de lourds nuages menaçaient l'horizon. Un parfum d'humidité envahissait déjà le jardin alors que les premières gouttes n'étaient pas encore tombées. En respirant le plus calmement possible, il répétait dans sa tête le discours qu'il avait préparé.
- Nath !
La voix d'Aela le fit sursauter et le tira de ses mornes pensées. Elle venait à lui toute souriante, vêtue d'un jean ultra moulant et d'une chemise rose à manches courtes. La lanière d'un petit sac à main assorti, appuyée sur son épaule, avait écarté un pan du chemiser et découvrait sa gorge de façon provocante. Elle déposa un baiser léger sur les lèvres de son ami.
- Comment vas-tu ? demanda-t-elle d'une voix joyeuse.
- Heu... en fait... pas super bien.
En faisant une petite moue interrogative, elle s'assit sur le banc dissimulé entre les deux pans d'une haie épaisse qui les masquait des regards des dernières personnes se dépêchant de quitter les lieux avant que l'orage n'éclate. Nathan l'observa quelques instants puis détourna les yeux. Comment réussissait-elle à être aussi jolie ? Décidément, elle faisait tout pour lui compliquer la tâche ! Évitant de la regarder, il se lança, inspirant une grande goulée d'air, comme s'il s'apprêtait à sauter dans le vide.
- Je voulais te parler de... de..., enfin..., je pense que...
Sa gorge était sèche comme du papier et il n'arrivait pas à débiter le beau discours qu'il avait pourtant maintes fois répété depuis la veille. Il était vraiment pathétique ! Qu'aurait fait Lia dans sa situation ? Elle aurait certainement trouvé un moyen d'annoncer la mauvaise nouvelle avec tellement d'humour que la fille aurait éclaté de rire plutôt qu'en sanglots...
- Voilà... Je pense que l'on ne devrait plus continuer tous les deux.
Ouf ! Il l'avait dit et ne put retenir un soupir de soulagement. Inquiet, il guetta une réaction de douleur ou de déception sur le visage d'Aela, prêt à lui apporter un peu de consolation, mais ses grands yeux bleus demeuraient secs, et elle, souriante. Ni choquée ni peinée.
- Je suis d'accord avec toi, acquiesça-t-elle. Je ressens la même chose. On n'est pas faits l'un pour l'autre.
- Quoi ?
Nathan était complètement abasourdi. Il avait imaginé mille scénarios, mais certainement pas celui-là ! Dire qu'il s'était torturé la nuit entière à l'idée de ce qu'il s'apprêtait à faire, de la peine qu'il détestait infliger, et voilà qu'Aela était d'accord avec lui !
- Ah ? trouva-t-il juste à répondre.
À ce moment-là, un roulement lointain résonna. L'orage arrivait. Le ciel était complètement occulté par d'épais nuages noirs et bas. Un courant d'air frais s'insinua entre les arbres, faisant frissonner les feuilles.
Aela se leva et s'approcha de lui. Elle était toujours aussi belle et, fugacement, en apercevant la partie découverte de son décolleté, Nathan se demanda s'il n'avait pas fait une erreur en rompant avec elle. Mais il se ressaisit et écouta ce qu'elle avait à lui dire. La jeune fille lui caressa la joue très doucement et le regarda droit dans les yeux.
- Oui, on a passé un bon moment, et je sais que tu es un garçon génial, mais ça ne colle pas entre nous. Et puis, je ne suis pas dupe, tu penses à quelqu'un d'autre, n'est-ce pas ?
Nathan hocha la tête lentement. Il en voulut à ses joues de s'enflammer. Il aurait tellement préféré rester stoïque et détaché, et voilà que ses sentiments s'affichaient à livre ouvert sur son visage !
- Tu vois ? continua Aela. Mais je propose qu'on reste amis, d'accord ? J'aimerais vous aider, comme je le peux, à recréer Chébérith... Tu sais combien c'est important pour moi.
Encore sous le choc des paroles d'Aela, Nathan ne le sentit qu'à la dernière seconde, juste au moment où le tonnerre éclatait plus fort. Il le perçut à peine dans son champ de vision, vague fumée sombre dans les taillis. Il allait crier à Aela de courir, de s'enfuir, mais il était déjà trop tard. Les yeux de la jeune fille, quand il recroisa son regard, étaient déjà couleur d'encre noire, comme ceux des pantins qui l'avaient poursuivi le soir du 14-Juillet. Tétanisé par la surprise, il ne vit pas l'éclat argenté de la lame qu'Aela, qui n'était plus elle-même, tira de son petit sac puis qu'elle brandit dans sa main. Ses doigts étaient serrés tellement fort autour du manche de l'arme que ses jointures en étaient blanches. Nathan contempla le couteau comme si c'était la première fois de sa vie qu'il en voyait un, puis releva la tête, une expression de stupeur sur le visage. Il n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche pour poser une question, protester ou crier. Il sentit juste une douleur cuisante à la poitrine et il baissa un regard étonné sur la tache de sang qui s'élargissait sur son tee-shirt. C'était juste une coupure superficielle, mais elle faisait mal.
La voix désincarnée de l'Avaleur de Mondes chuchota alors par les lèvres exquises d'Aela, celles qu'il avait embrassées avec tant de délices :
- Dis-moi où est la source de la distorsion ! Dis-le-moi ! Sinon, je te fais encore plus mal.
Nathan releva lentement les yeux sur le visage déformé de la jeune fille. Ses traits étaient figés dans une expression d'horreur. Ses yeux emplis de néants écarquillés, ses lèvres tordues en un rictus monstrueux, sa bouche, rose d'ordinaire, noire de poussière grouillante.
- Non, répondit-il simplement.
L'Avaleur de Mondes fit grincer les dents d'Aela, sa fureur monta d'un cran.
- J'ai découvert dans l'esprit de l'humaine que c'était un livre ! Où est ce livre ?
Cette fois, la voix avait hurlé.
La pluie se mit soudainement à crépiter tout autour d'eux, froide, piquante. Nathan leva machinalement la tête vers le ciel, aussi sombre que l'Avaleur de Mondes. En quelques secondes il fut trempé.
- Où est le livre ? Je vais te faire souffrir si tu ne réponds pas !
Sans frémir, Nathan répliqua, s'égosillant lui aussi dans le fracas de l'averse et du tonnerre qui grondait, comme si tous les éléments se déchaînaient en même temps.
- Je n'ai pas peur de souffrir ! Je ne te laisserai pas détruire encore ce monde ! Laisse les Chébériens en paix, laisse-les revivre ! Ils ne t'ont rien fait !
Nathan s'étonnait lui-même de ses paroles, mais, face à celles menaçantes de l'entité, une colère énorme montait en lui, comme une houle submergeant tout, surpassant ses craintes. Il en avait assez d'être la cible du monstre, assez d'être menacé, d'avoir mal, de se sentir en danger. À ses yeux, l'Avaleur de Mondes lui apparaissait... mesquin. Oui, mesquin. Il avait l'univers entier avec lequel faire joujou, d'autres planètes arides à détruire. Pourquoi s'acharner autant sur Chébérith, sur son peuple ? Ne pouvait-il pas se détourner de ce monde ? Laisser les êtres vivants tranquilles ?
L'Avaleur de Mondes eut un mouvement de recul. Il ne s'attendait pas à cette rebuffade. Il avait étudié les humains depuis son arrivée sur Terre, et il croyait que les êtres de chair étaient des lâches, qu'ils avaient peur de la douleur, de la souffrance. L'anomalie aurait dû avouer, le supplier de ne pas lui faire de mal. Mais, visiblement, il s'était trompé sur son compte. Par contre, il avait compris qu'un autre sentiment habitait l'âme des Terriens : la compassion. L'amour de son prochain était une faiblesse chez les êtres doués de raison et d'empathie. Si l'anomalie, comme il le pressentait, possédait un minimum de cette sensibilité, il serait facile de la retourner contre lui. Il ordonna au corps qu'il occupait de lever la main qui tenait le couteau. La lame brilla en reflétant la lumière brève mais intense de l'éclair qui stria le ciel au même instant. Il ricana.
- Dans ce cas-là, je vais la faire souffrir, elle !
Et en riant plus fort en même temps que le grondement de tonnerre qui ébranlait les cieux, il força Aela à se taillader l'avant-bras. Une mince ligne rouge se dessina sur sa peau diaphane, depuis le poignet jusqu'au creux du coude. Comme il habitait le corps de l'humaine, il s'étonna de la douleur qu'il ressentit, une brûlure aiguë qui se diffusa dans tout le bras. Ainsi, c'était cela d'avoir du sang qui coulait dans ses veines, d'être constitué de chair ! Il vit l'expression d'horreur qui se posa sur le visage de l'anomalie et il sut qu'il avait eu raison. Le garçon avait des sentiments pour la fille. La compassion, quelle déficience chez les humains !
Il tendit le bras blessé sous le nez de Nathan, et rajouta, d'une voix sourde :
- Et, après elle, ce seront les autres, tous ceux à qui tu tiens que je blesserai. Parle ! Dis-moi où est caché le livre, et je les épargnerai !
Nathan ne broncha pas. Ses yeux étaient hypnotisés par l'estafilade pourpre.
L'Avaleur de Mondes, ne décelant pas la moindre réaction chez le Chébérien, brandit à nouveau le couteau, pointant cette fois la lame vers le cœur d'Aela. Nathan réagit enfin.
- Noooon ! mugit-il en se précipitant sur la frêle Aela pour l'empêcher de se faire du mal.
L'Avaleur de Mondes n'avait pas imaginé que Nathan se jetterait sur lui, alors qu'il était infiniment plus fort qu'un être de chair et de sang ordinaire. Décidément, ces êtres pensants avaient des réactions complètement irrationnelles ! L'anomalie croyait-elle réellement pouvoir l'emporter sur une entité immortelle ? Il pivota pour parer le coup et le couteau rencontra à nouveau la poitrine du garçon, provoquant une seconde auréole rouge.
Nathan tituba en arrière, les yeux vitreux, la bouche entrouverte sur un cri qui ne sortit jamais. L'Avaleur de Mondes grogna et lâcha le couteau. Il n'avait pas voulu le blesser plus que nécessaire. Il avait encore besoin de l'anomalie ! Si elle devenait hors d'usage, elle ne pourrait plus lui donner les informations dont il avait besoin. Il y avait toujours l'autre mâle, certes, mais il lui fallait conserver tous les atouts possibles pour aller au bout de sa mission. Pas question d'en gâcher un avant la fin. Ensuite, il les éliminerait, mais pas tout de suite. Maintenant qu'il avait compris comment atteindre le Chébérien à travers ses proches, il savait comment lui faire avouer ce qu'il voulait. Il aurait l'occasion de recommencer, mais pas cette fois. Il était allé trop loin en l'endommageant autant.
Silencieusement, alors que Nathan s'effondrait sur le gravier détrempé, l'Avaleur de Mondes quitta l'esprit d'Aela, qui tomba à genoux.
C'était comme si elle s'éveillait d'un cauchemar. Elle avait vécu des événements qu'elle ne maîtrisait pas, des actes indistincts, perdus derrière un épais brouillard, comme dans un songe. Ses yeux s'ouvrirent lentement. Si elle ne s'était pas sentie ruisselante d'eau glacée, frigorifiée, frissonnante, elle aurait presque pu se persuader que tout ceci n'était qu'un mauvais rêve pendant une sieste. Mais un filet d'eau rougie s'insinuait entre ses doigts crispés sur les cailloux et elle eut un hoquet d'effroi.
Tout doucement, craignant ce qu'elle allait découvrir, elle releva la tête et un gémissement s'échappa de ses lèvres. Ce n'était pas une hallucination ! Elle l'avait vraiment fait, elle avait tué Nathan !
Des souvenirs vagues, enchevêtrés, lointains lui revinrent à l'esprit. Hier, elle se coiffait, puis, soudain, il y avait eu cette voix dans sa tête, qui lui chuchotait des paroles dont elle ne se souvenait plus. C'est comme si on avait fouillé l'intérieur de son cerveau, ouvrant, l'un après l'autre, les tiroirs de ses souvenirs. Puis elle avait senti le besoin, l'envie, l'obligation de se rendre dans la cuisine où elle avait saisi un couteau tranchant, qu'elle avait caché dans son sac... Mais ce n'était pas vraiment elle ! On lui avait imposé ces gestes ! Comme aujourd'hui ! Jamais elle n'aurait fait une chose pareille. Ou alors elle devenait folle, schizophréne...
En pleurant, au bord de la crise d'hystérie, elle se traîna à quatre pattes vers la silhouette inanimée de Nathan et se pencha sur lui, elle colla son oreille sur sa poitrine souillée de sang. Son cœur battait encore et une faible respiration lui parvint, saccadée, gargouillante. Il était vivant ! Maintenant, il fallait appeler un médecin. Spontanément, elle s'apprêtait à composer le 112 sur son téléphone tout en s'efforçant d'inspirer longuement pour calmer les pleurs et la nausée qui provoquaient des soubresauts dans tout son corps, mais elle s'arrêta dans son mouvement, réalisant la gaffe qu'elle s'apprêtait à commettre. Elle ne pouvait pas ! Personne ne devait savoir que Nathan avait des ailes ! Paniquée, les mains tremblantes, elle tenta de réfléchir, de chercher une solution. Ses pensées lui échappaient comme si on les happait à l'extérieur de son crâne, son corps ne lui appartenait plus, il avait été profané, souillé, et elle n'arrivait plus à se reconstituer. Levant le visage vers le ciel, elle laissa la pluie glacée ruisseler sur sa peau comme pour se purifier de l'intrusion de l'entité. Enfin, ses tremblements diminuèrent et un début de réflexion parvint à se former. Seule une personne déjà au courant de la situation pouvait l'aider. Fiévreusement, elle fouilla dans la poche du bermuda de Nathan et trouva son portable. Elle l'ouvrit et appuya sur une touche. La liste des derniers numéros appelés s'afficha. L'avant-dernier était le sien et le dernier, celui de Zayn. Éperdue, elle le composa, priant pour que l'ami de Nathan décroche...
Zayn était de bonne humeur aujourd'hui, malgré la pluie qui tombait à torrents. Il avait pardonné intérieurement à Nathan, parce qu'il le lui avait demandé, et aussi parce qu'il n'attendait que cela. Cette décision l'allégeait d'un fardeau énorme. Autre point positif, les enchères n'étaient pas montées depuis la veille. PassiondesLivres s'était peut-être lassé, ou alors était parti en vacances, en tout cas, il n'avait pas enchéri. Donc LennyFiant non plus. Pour l'instant, la situation était au point mort et c'était toujours mieux que rien.
Il écoutait un peu de musique depuis son ordinateur en rangeant des bricoles dans sa chambre quand le téléphone sonna. Sur le petit écran, le nom de Nathan s'inscrivit. Un immense sourire étira les lèvres du Chébérien. Il décrocha, heureux et impatient d'entendre sa voix…
Sauf que ce ne fut pas celle de Nath qui résonna à l'autre bout de la ligne quand il dit « Allô ? », mais une voix féminine, étouffée de sanglots, tremblante...
- Zayn, c'est toi ?
- Oui, qui est à l'appareil ?
- C'est Aela.
Le cœur de Zayn cessa de battre. Encore elle ! Quel toupet de l'appeler, depuis le téléphone de Nathan qui plus est ! Il avait envie de lui raccrocher au nez, mais l'écho de panique qui semblait émaner de sa rivale l'arrêta.
- On a de gros problèmes. Nathan est gravement blessé et je ne sais pas quoi faire. Je ne peux pas appeler un médecin...
- Quoi ? Que s'est-il passé ?
- Je... je ne sais pas trop, mais Nathan perd beaucoup de sang et il est inconscient. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Je suis perdue.
La voix d'Aela était montée dans les aigus, et elle se mit à pleurer plus fort. Zayn sentit ses jambes devenir molles comme du coton et, pour éviter de tomber, il s'assit, ou plutôt s'écroula, sur son lit. Il tenta de se composer une voix calme, tandis que la terreur l'envahissait.
- Où êtes-vous ?
- Au parc près de chez Nath. Il pleut des cordes, il n'y a que nous.
- Très bien. Reste près de lui, je vais trouver une solution. Garde le téléphone avec toi pour que je puisse te rappeler.
- Oui, merci.
Zayn raccrocha, toute animosité, toute rancœur envers Aela s'évanouit. Nathan était en danger, blessé. Certainement une autre attaque de l'Avaleur de Mondes. Mais comment, cette fois ? Quel stratagème avait-il employé ? Il démêlerait tout ça plus tard. Le plus urgent était de trouver un médecin qui pourrait garder le secret sur les ailes de Nathan. Et il savait déjà à qui il allait s'adresser. Il inspira une grande goulée d'air pour se donner un peu de courage, raffermit ses jambes et se leva.
D'un pas décidé, il se rendit dans le salon qui était vide. Machinalement, il jeta un cil à son reflet dans le miroir du couloir. Son visage avait perdu toutes ses couleurs et un masque d'angoisse était plaqué sur ses traits. Il passa par la cuisine qui était tout aussi déserte et alla toquer à la porte du bureau de son oncle.
- Entrez ! lui répondit la voix de baryton de Ben.
Rassemblant toute sa bravoure, Zayn appuya sur la poignée et poussa la porte. Ben était assis derrière son bureau, une belle table de bois sombre et brillant, cerné par d'immenses bibliothèques remplies d'ouvrages de médecine. D'ailleurs, il était en train d'en consulter un qu'il referma. Il releva la tête et sourit à Zayn.
- Voilà le magnifique !
Mais il dut remarquer l'air sinistre de son neveu car il enchaîna sur un autre ton.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Ben, j'ai besoin de toi. C'est important.
- Tu as un problème ?
- Oui, en fait, c'est mon ami Nathan, dont je t'ai parlé, qui en a un, plus précisément, annonça-t-il d'un ton angoissé.
- Ah... Dis-moi tout...
- Il est grièvement blessé, il gît dans un parc où il a été attaqué.
La voix de Zayn s'étrangla sur ces dernières paroles. Encore une fois, il se sentit ramollir et s'assit dans le fauteuil de cuir placé devant lui.
- Il faut appeler le SAMU ! s'exclama Ben en saisissant le combiné de son téléphone.
Zayn se redressa de son siège pour stopper son mouvement.
- Non, on ne peut pas, déclara-t-il en même temps.
- Pourquoi ?
Zayn ferma les yeux et chercha les mots pour expliquer... Comment dévoiler leur secret ? Comment son oncle allait-il le prendre ? Allait-il les dénoncer ? Parler à ses parents ? Il balaya ces interrogations, n'ayant pas le choix. Nathan était en danger de mort et il ne faisait confiance qu'à son parrain.
- Il a... il... est spécial. Et on ne peut pas révéler cette spécificité à tout le monde.
Il se mordilla la lèvre inférieure. Ben fronça les sourcils. Forcément, il n'avait pas compris un mot de ce qu'il venait de raconter !
- C'est-à-dire ?
- Je... je ne sais pas comment te dire. Lui et moi... on a... on est... différents. Mais vraiment différents.
Il tripota un moment la manche de son gilet, n'osant pas croiser le regard de son oncle. Il ouvrit la bouche, la referma, avant de se risquer enfin. Mais Ben le devança et parla d'une voix très affectueuse, presque chuchotante :
- Il a quelque chose dans le dos, n'est-ce pas ?
Zayn releva la tête brusquement. Ben était immobile en face de lui, un air d'une infinie douceur et empreint de compréhension posé sur son visage calme et patient. Il savait quelque chose. Mais comment ?
- Co... How do you know?
- Zayn, je suis ton oncle, mais je suis aussi médecin et quand tu n'étais qu'un bébé, tes parents s'inquiétaient pour toi parce que tes omoplates n'étaient pas exactement à leur place. Je t'ai fait subir une batterie d'examens et j'ai découvert deux cartilages inattendus dans ton dos. Rien de grave, mais c'est quelque chose qui n'aurait pas dû exister selon les normes de la morphologie humaine. Je... Je me suis permis de pousser les analyses un peu plus loin, j'ai étudié ton ADN, et j'ai découvert que... tu n'étais pas comme les autres. Je ne l'ai pas avoué à tes parents. Je ne voulais pas les inquiéter. Je préférais attendre de voir comment tout cela allait évoluer. Et puis tout est rentré dans l'ordre. Ton dos s'est redressé tout seul et on n'en a plus jamais parlé. Mais je savais... Il est comme toi, n'est-ce pas ?
Sous le choc, Zayn acquiesca. Toutes ces années il avait su, et il s'était tu... Incroyable !
- Ces cartilages, souffla-t-il d'une voix limpide, sont devenus des ailes. Et personne ne doit le savoir...
Ben hocha la tête d'un air entendu. S'il était surpris par la révélation sur les ailes, il n'en laissa rien paraître.
- Allons chercher ton ami tout de suite, alors.
Il se leva et passa une main sur l'épaule de son neveu en contournant son bureau.
- Je suis content que tu aies eu assez confiance en moi pour me demander mon aide.
Et, doucement, il le tira par le bras pour la faire réagir.
- Tu vas me raconter tout ça sur le chemin, murmura-t-il en attrapant les clefs de sa voiture.
- Nathan, tiens bon, d'accord ? Ne lâche pas, je t'en prie...
Aela chuchotait les mêmes paroles comme une litanie rassurante, en tenant la main de son ami. Elle surveillait son souffle, erratique, mais toujours présent. Le sang coulait moins fort de sa poitrine. Du mieux possible, elle avait appuyé sur la plaie le foulard qu'elle portait en bandeau autour de ses cheveux. Il avait rougi rapidement, et Nathan n'avait pas repris connaissance et sa peau blême, ruisselante de pluie, était devenue cireuse et glacée.
L'orage était reparti, emportant avec lui sa colère et ses grondements, laissant derrière lui une ondée régulière et froide.
Aela ne le remarquait même pas. Elle était imbibée d'eau glaciale, ses vêtements collaient à sa peau frissonnante, mais peu lui importait. Elle répétait les mêmes mots inlassablement, en espérant insuffler un peu de son courage à Nathan.
Le téléphone de ce dernier se mit à vibrer sourdement et elle sursauta, avant de décrocher maladroitement d'une main, ne voulant pas lâcher celle qui s'accrochait au blessé.
- Allo ?
- C'est Zayn. On est dans le parc, où êtes-vous ?
Aela expliqua rapidement leur position. Bientôt, des pas pressés firent crisser le gravier de l'autre côté de la haie et Zayn apparut, suivie d'un homme très grand aux yeux incroyablement bleus.
Aela sentit alors une grande fatigue plomber ses épaules en quelques instants et elle se mit à trembler de froid, de peur, à claquer des dents.
L'homme se pencha aussitôt sur Nathan et déchira, d'un geste sûr, le tee-shirt pour découvrir la plaie. Il tâta son cou à la recherche d'un pouls. Pendant qu'il prodiguait ses soins au garçon, Zayn s'assit à terre sans se préoccuper de l'humidité et passa un bras autour des épaules d'Aela qui s'était remise à pleurer.
- Ça va aller. Mon oncle est médecin, il va le sortir de là. Comment te sens-tu, toi ?
- Misérable. Tout est ma faute, et je n'ai rien pu faire, arriva-t-elle à prononcer entre deux hoquets.
- Que s'est-il passé ?
À mi-voix, Aela raconta tout. Elle pensait que Zayn allait la repousser, dégoûté par son geste, mais au contraire il la serra un peu plus fort à l'épaule.
- On l'appelle l'Avaleur de Mondes, celui qui t'a fait ça. Nathan a dû t'en parler. C'est lui qui a détruit Chébérith. Ne te sens pas coupable. Ce n'est pas toi qui as agi ainsi, c'est lui. Il a juste utilisé ton corps pour chercher à faire parler Nathan. Viens, on va te raccompagner chez toi...
- Nathan n'a rien de grave, déclara Ben en se levant après lui avoir mis un bandage provisoire et lui avoir fait une piqûre. C'est une blessure superficielle, mais il a perdu pas mal de sang, Je le ramène à la maison pour refermer tout ça correctement et surveiller ses fonctions vitales le temps qu'il reprenne connaissance. Il ne devrait en garder aucune trace, sauf, peut-être, une cicatrice.
Il se tourna vers Aela, se pencha afin de remonter son visage vers lui, en tirant doucement sur son menton. Il lui souleva une paupière avec le pouce.
- Veux-tu quelque chose pour calmer tes nerfs ? Tu as été sacrément secouée. Tu es en état de choc.
Aela secoua la tête en signe de négation.
- Je vous remercie, mais pour l'instant j'ai du mal à penser, alors si je prends quelque chose ce sera pire.
Elle releva une main pour écarter ses cheveux lourds de pluie de ses yeux écarquillés et rougis par les larmes.
Ben fronça les sourcils en apercevant l'estafilade qui courait sur son avant-bras.
- Tu es blessée aussi ?
Aela remarqua alors seulement la ligne écarlate et boursouflée.
- Oh !... C'est lui..., l'Avaleur de Mondes, qui m'a fait ça. Enfin... je crois. Tout est tellement flou…
Ben passa un doigt sur l'entaille.
- Ce n'est pas profond. Je vais te désinfecter. Si la blessure devait prendre une mauvaise allure, je te donnerais un traitement antibiotique.
Ben s'activa à soigner le bras d'Aela pendant que Zayn se baissait à son tour vers Nathan dont il s'était rapproché. Il passa une main sur son front pour le dégager de la mèche châtain et trempée qui le barrait et se permit de dessiner le contour de sa joue, de sa mâchoire, du bout de son index.
- Je suis là maintenant, lui chuchota-t-il à l'oreille.
Sa tâche achevée, Ben se tourna vers sa nièce et lui tendit un trousseau de clefs.
- Tu prends ma sacoche et tu m'ouvres la voiture pendant que je le porte.
Il souleva Nathan dans ses bras comme un bébé démesuré. Il grimaça en appréciant pas son poids mais ne flancha pas. Zayn, chargé des affaires de son oncle, soutient quand même Aela qui titubait sur le chemin bosselé du parc.
- Tu es sûre que tu ne veux pas que Ben te donne quelque chose ? insista Zayn.
- J'en suis sûre. Ça va aller. Appelle-moi juste quand il reprendra connaissance, afin que je me sente moins coupable.
- Évidemment ! Mais je me répète : tu n'as pas à te sentir coupable. Il t'a choisie aujourd'hui pour servir ses objectifs, mais demain il trouvera quelqu'un d'autre. D'ailleurs, ça risque de nous poser de nouveaux problèmes.
Il s'était murmuré à lui-même ces derniers mots, prenant conscience de l'ampleur de la menace, maintenant que l'Avaleur de Mondes avait trouvé ce biais pour les atteindre. Mais ce n'était pas le moment d'y penser. D'abord, ils devaient prendre soin de Nathan et ensuite ils réfléchiraient à cette question tous ensemble. Comme avant, comme cela devait être.
Ils arrivèrent à la voiture de Ben, un énorme 4x4 noir éclatant, garé juste devant une des entrées du parc. Zayn déverrouilla les portières et Ben se plia pour allonger Nathan à l'arrière. Zayn s'installa près de son ami, Aela monta à l'avant.
- Tu as eu le bon réflexe en appelant Zayn, la rassura Ben avec un sourire chaleureux. Nathan va s'en tirer grâce à toi. Je te conseille de prendre un bon bain chaud, un doliprane et de faire une longue sieste. Si jamais tu devais faire des cauchemars ou des insomnies, contacte-moi, je te donnerais de quoi t'apaiser quelques jours. D'accord ?
Aela hocha la tête timidement.
Ils la déposèrent en bas de chez elle. Après un dernier signe de la main vers la voiture, elle ouvrit la porte de son immeuble,
- Je t'appelle dès qu'il reprend connaissance, lui promit à nouveau Zayn par la vitre à demi baissée.
