Hermione décida de marcher jusqu'au Manoir plutôt que d'y transplaner directement. Elle n'était pas spécialement pressée d'arriver dans cette maison dans laquelle elle savait qu'elle ne se sentirait pas à l'aise, surtout maintenant que Lucius Malefoy s'y trouvait aussi. Elle profita également du trajet pour essayer de se vider l'esprit quant à ce qu'il venait de se produire. Les choses n'auraient objectivement pas pu plus mal tourner.

A mi-chemin, elle ne fut pas surprise de trouver Harry, Ron et Ginny, assis au pied d'un arbre sur le côté du sentier. Avant qu'ils ne se rendent compte qu'elle était là, ils étaient en train de parler à voix basse, Ron marmonnant avec véhémence des choses qu'Hermione n'entendait pas, mais qu'elle avait peu de mal à imaginer. Harry lui répondait en gardant son calme, mais Hermione le connaissait par cœur, et elle savait bien que ce calme n'était qu'apparent.

Elle se racla la gorge, signalant sa présence, et trois paires d'yeux se tournèrent instantanément vers elle. Contre toute attente, ceux de Ron ne semblaient même pas en colère. Mais ils étaient d'une froideur telle qu'elle les avait rarement vus.

- Comment va-t-il ? demanda Harry d'une voix grave.

Hermione répondit par un long soupir accompagné d'un haussement d'épaules. Elle n'aurait pas su dire elle-même comment Drago gérait la situation, et cela l'inquiétait énormément.

- Ils ont été arrêtés ? questionna-t-elle.

- Oui, répondit Harry. Les collègues ont pris la situation en charge, ils ont été placés en état d'arrestation. On attend que Copper se réveille pour l'interroger, étant donné que c'est lui l'organisateur de tout ça. Malefoy l'a bien amoché…

- Il aurait fait bien plus que ça si Hermione n'était pas intervenue, commenta Ron d'une voix égale.

- Et ça lui aurait coûté une jolie place bien au chaud à côté de son père, répliqua Harry en jetant un coup d'œil à Hermione. Elle a bien fait d'intervenir.

Ron eut un petit rire sans joie avant de se lever.

- J'aimerais bien qu'on arrête de me prendre pour un imbécile, affirma-t-il en regardant Hermione droit dans les yeux. Ce que j'ai vu là-dedans… ça m'avait l'air bien plus que la simple amitié que vous êtes censés partager.

Hermione déglutit bruyamment, se sentant prise au piège sous le regard de son ex-fiancé. Elle chercha de l'aide auprès de Harry et Ginny, mais ceux-ci observaient la scène, impuissants. Hermione savait qu'elle ne pouvait pas mentir à Ron : cela aurait été se moquer ouvertement de lui et il ne méritait pas qu'elle le traite de cette façon.

- Parce que… parce que c'est plus que ça, avoua-t-elle dans un souffle en baissant la tête.

Ron ferma les yeux un instant, accusant le coup. Quand il les rouvrit, Hermione constata avec chagrin qu'ils n'étaient même pas en colère… juste remplis de déception.

- On se connaît depuis nos onze ans… on est restés ensemble pendant six ans. Six longues années, Hermione. Je t'accorde que sur la fin ce n'était pas le bonheur absolu, mais ça voulait bien dire quelque chose, non ? Et ça ne fait même pas encore deux mois qu'on est séparés, et tu es déjà avec quelqu'un d'autre ? Et avec Drago Malefoy, parmi tous les hommes sur cette planète.

- Ron…

- Deux mois, Hermione. Deux mois. Je ne m'attendais pas à ce que tu restes seule pendant des années, mais deux putain de mois. Après six ans de relation.

Le plus jeune fils Weasley ne criait pas. Sa voix était posée, calme. Malgré tout, l'amertume était plus que perceptible, et c'était sans doute encore pire que tout. Hermione aurait préféré qu'il lui hurle dessus, qu'il l'insulte de tous les noms, plutôt que de voir son visage si familier et rassurant déformé par la tristesse qu'elle lui causait.

- Je n'avais pas prévu que ça se passe comme ça, Ron, je t'assure. C'est arrivé…

- Honnêtement, je n'ai pas vraiment envie de savoir, la coupa-t-il. Je ne vais pas te demander depuis combien de temps ça dure, ni si ça a commencé avant notre rupture. Je ne vais pas te demander si ça ne te gène pas plus que ça qu'il soit marié, ou que tout le monde vous ai vu ce matin aussi proches qu'un couple puisse l'être. Ça ne me regarde plus, et je ne suis pas sûr d'avoir envie de connaître les réponses.

- Mais Ron, je…

- Mais juste, après tout ce qu'on a vécu ensemble… la séparation était déjà assez difficile, mais ça... Ça, je le vis comme un tel manque de respect.

Hermione sentit les larmes lui monter aux yeux à une vitesse alarmante.

- Et vous deux, ajouta-t-il en se retournant vers son meilleur ami et sa sœur. Vous étiez au courant, ça crève les yeux.

- Ce n'était pas à nous de t'en parler, se défendit Harry en prenant la main de Ginny dans la sienne. Hermione n'était pas prête à te mettre au courant, et nous avons respecté son choix.

- Bien sûr. Vous respectez ses choix, mais mon honneur, ma fierté, vous vous en moquez.

- Ron… tenta Ginny.

Ron secoua la tête, l'air infiniment déçu, et transplana, laissant un silence lourd seulement comblé par le bruit du vent dans les arbres.

Harry et Ginny se levèrent finalement, et cette dernière annonça qu'elle allait au Terrier pour essayer de parler à son frère. Hermione l'en remercia d'un regard avant qu'elle ne disparaisse à son tour.

- Je vais y aller aussi, dit Harry. Je veux être là pour interroger Copper quand il se réveillera.

Hermione se contenta de hocher la tête, penaude.

- Ne t'inquiète pas, la rassura son meilleur ami. C'était évident qu'il allait mal le prendre, on le savait depuis le début.

- Je ne voulais pas qu'il l'apprenne de cette façon, en étant mis devant le fait accompli.

- Je sais bien… seulement ce qui s'est passé aujourd'hui n'était pas non plus prévu dans nos plans.

- Il n'y a absolument rien qui va. Et tous les événements de ce matin vont être publiés dans l'édition de la Gazette de lundi. C'est une catastrophe, je ne sais pas comment Drago va gérer tout ça.

- Hermione, calme-toi, pria Harry en lui mettant les mains sur les épaules pour la regarder dans les yeux. J'avoue que la situation est merdique. On ne pourra pas empêcher la Gazette de publier sur l'enterrement, mais je peux essayer de faire pression pour qu'ils ne parlent pas trop de toi, et plus précisément de Malefoy et toi.

- Merci, Harry…

- Maintenant, c'est quoi le plan ? Tu veux aller à la maison ?

- Non, Drago m'a demandé de l'attendre au Manoir.

Elle ne put empêcher des frissons de parcourir son corps. La perspective d'aller dans cet endroit ne l'enchantait vraiment pas, et c'était peu dire, mais elle n'avait pas le choix. Harry ne manqua cependant pas de remarquer la chair de poule sur les bras de sa meilleure amie.

- Bon… tu me tiens au courant, d'accord ?

Hermione acquiesça et Harry l'embrassa tendrement sur le front avant de transplaner, la laissant seule sur le sentier. S'armant de courage, elle reprit sa route et se délecta de ces quelques moments de solitude. Ainsi éloignée du capharnaüm qu'avait été l'enterrement, la journée était simplement belle : le soleil brillait, lui réchauffant délicatement la peau ; le vent soufflait une brise agréable et les oiseaux chantaient doucement tout autour d'elle. Rien n'aurait pu laisser présager du carnage qui venait de se produire.

Elle arriva bien vite devant les grilles immenses qui barraient l'entrée au Manoir. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle devait faire, si Drago avait pensé à lui accéder l'entrée ou si elle se retrouverait grillée sur place dès qu'elle essaierait de toucher au portail. Cela ne l'aurait pas étonnée pas que les Malefoy aient mis en place une sorte de protection anti-sang-de-bourbe pour protéger leur demeure.

Avant qu'elle n'ait eu le temps de se poser trop de questions, un petit elfe de maison transplana juste en face d'elle, de l'autre côté de la grille.

- Vous êtes Miss Granger ? couina la créature qu'Hermione devina femelle.

- Oui, c'est moi.

- Maître Drago a prévenu Minty que Miss Granger viendrait et qu'il faudrait la laisser entrer. Venez, Miss. Minty va vous accompagner jusqu'au salon pour attendre Maître Drago.

- Merci beaucoup, remercia Hermione tandis que Minty lui ouvrit l'immense portail.

Alors qu'elles commencèrent à marcher sur le long chemin qui menait jusqu'à l'entrée du Manoir, Hermione remarqua que Minty ne cessait de renifler. Un coup d'œil vers la créature lui apprit qu'elle avait les yeux rouges et qu'elle s'empêchait très certainement de pleurer.

- Je suis désolée pour ta Maîtresse…

- Oh, merci, Miss Granger…

Minty renifla de façon plus soutenue avant de fondre en larmes, visiblement incapable de se retenir. Cette vision brisa le cœur d'Hermione. Elle qui s'était tant battue pour la liberté des elfes de maison avait du mal à comprendre le lien unique qui liait un maître à son elfe, quand celui-ci était bien traité.

- Maîtresse Narcissa était une sorcière formidable, se lamenta la petite elfe. Minty ne sait pas comment Minty va faire sans elle ! Minty ne peut pas s'arrêter de pleurer !

Hermione ne savait pas quoi faire devant ce triste spectacle. Elle avait envie de consoler le petit être qui semblait littéralement noyé sous le chagrin, mais elle n'était pas sûre de la façon dont elle devait s'y prendre. Tout doucement, elle s'agenouilla à sa hauteur et posa une main tentative sur l'épaule frêle de l'elfe. Celle-ci sursauta et regarda Hermione de ses yeux rougis et globuleux, avant que ses larmes ne redoublent d'intensité et de se nicher dans les bras de la jeune femme.

- Qu'est-ce que Minty va devenir sans sa maîtresse ? pleura-t-elle, ses sanglots étouffés par le vêtement d'Hermione.

- Allons, Minty, je suis sûre que Drago s'occupera très bien de toi.

- Maître Drago est un bon maître, mais Minty n'est pas sûre qu'il voudra bien garder Minty avec lui…

- Il ne te laissera pas tomber, lui assura Hermione. Allez, viens, Minty. Ne t'inquiète pas.

Hermione se redressa et fit apparaître un mouchoir de sa baguette, avant de le tendre à Minty. Cette dernière regarda Hermione comme si elle venait de lui offrir le plus précieux des cadeaux, avant de se moucher et de reprendre sa route.

- Est-ce que le père de Drago est là ? demanda la sorcière tandis qu'elles se rapprochaient dangereusement du Manoir.

- Maître Lucius est dans son ancienne chambre et Maître Drago a demandé à Minty de conduire Miss Granger dans le salon. Maître Drago a expressément spécifié que Maître Lucius ne devait pas être en contact avec Miss Granger.

Sans s'en rendre compte, Hermione laissa échapper un soupir de soulagement qu'elle n'avait même pas eu conscience de retenir.

En arrivant devant la porte d'entrée, Hermione avait l'impression que son cœur cherchait à sortir de sa poitrine. L'imposante bâtisse, qu'elle n'avait vue qu'une fois, lui semblait bien plus chaleureuse que dans ses souvenirs. La journée ensoleillée n'y était certainement pas étrangère, mais tout de même, en pénétrant dans les lieux, la peau de ses bras fut parcourue de chair de poule. Elle se souvenait avec précision de ce jour où les rafleurs les avaient traînés ici, elle, Harry et Ron. Elle eut l'impression que la cicatrice sur son bras la démangeait, et elle ne sut si c'était une simple réaction psychologique, ou si l'endroit grouillait encore de magie noire.

Minty conduisit Hermione jusque dans le salon et lui proposa diverses choses à boire et à manger que la jeune femme déclina poliment. L'elfe eut l'air désemparée de son refus, alors Hermione consentit à lui demander du thé glacé. Minty revint à peine une minute plus tard lui donner sa boisson, avant de finalement la laisser seule dans l'immense salon qui lui était si étranger.

Hermione était assise au bord du canapé, n'osant pas se mettre à l'aise. Elle observa autour d'elle comme on regardait une pièce d'un château que l'on visite. Tout était démesurément trop grand : le plafond, les tableaux, la cheminée, le canapé lui-même. Toute la famille Weasley, descendance comprise, aurait pu tenir dessus. Hermione essaya de s'imaginer un petit Drago évoluer dans cet environnement pour se détendre, mais étrangement, elle n'arrivait pas à se le représenter souriant et heureux comme n'importe quel enfant.

Après avoir bu quelques gorgées de thé, elle se leva pour faire le tour de la pièce. Quelques photos sur la cheminée avaient attiré son attention, alors elle décida de satisfaire sa curiosité. L'une d'entre elle montrait Narcissa tenant un bébé dans les bras, Lucius regardant sa femme et son fils avec un air qui frôlait l'adoration, dont Hermione ne lui serait pas cru capable. Les deux parents semblaient si jeunes sur la photo, et force était d'admettre qu'ils étaient tous les deux d'une grande beauté. Lucius ressemblait trait pour trait à son fils au même âge, et Drago était, sans surprise, un magnifique bébé. Sur une autre, Drago était assis sur un fauteuil fastueux, ses parents chacun d'un côté. Hermione estima que la photo devait avoir été prise avant la rentrée de sixième année. Elle prit le cliché entre ses mains pour le voir de plus près, examinant Drago plus attentivement. Il était d'une pâleur à faire peur et ses yeux étaient froids. Elle se souvenait que même à l'époque, elle l'avait trouvé étrange, tout au long de cette année scolaire. Elle caressa la photographie du bout des doigts lorsqu'un raclement de gorge la fit sursauter violemment.

Lucius Malefoy se tenait dans l'encadrement de la double porte du salon, observant Hermione avec le même masque impassible que son fils maîtrisait tant. La jeune femme reposa le cliché sur la cheminée à la hâte.

- Qu'est-ce que… qu'est-ce que vous faites là ? balbutia-t-elle d'une petite voix qu'elle ne se reconnaissait pas.

Hermione n'était pas vraiment ce qu'on pouvait qualifier de timide, mais la présence du patriarche Malefoy la mettait mal à l'aise plus que de raison. Sa déchéance faisait peine à voir, et Hermione ne savait pas si elle ressentait pour lui plus de pitié ou de haine.

- Il se trouve que malgré toutes mes fautes, je suis encore chez moi, Miss Granger.

Hermione resta silencieuse, ne sachant que répondre. Maintenant qu'elle le voyait de plus près, elle réalisa combien elle avait été loin de la vérité en pensant que Lucius n'était plus que l'ombre de lui-même. Son visage maladif était creusé par des rides beaucoup trop profondes pour son âge, et ses cheveux semblaient avoir depuis longtemps perdu leur superbe couleur inhérente à sa famille. Il ne se tenait plus aussi droit que jadis, et Hermione était prête à parier qu'il avait même perdu quelques centimètres depuis qu'il vivait à Azkaban. Ses yeux, en revanche, étaient toujours du même gris que ceux de son fils, d'une indifférence à faire froid dans le dos.

- Puis-je savoir à quoi vous jouez avec mon fils ?

Sa question la sortit de sa contemplation malsaine, et si Hermione ne se sentait déjà pas à l'aise, c'était encore pire maintenant.

- Que voulez-vous dire ?

La bouche de Lucius se tordit en un rictus mauvais qui fit craqueler ses lèvres d'une sécheresse inquiétante.

- Sans doute Drago a-t-il trouvé en vous une sorte de… distraction ?

Il parlait lentement, choisissant ses mots afin de les rendre le plus blessant possible. Hermione remarqua avec aigreur que la prison ne lui avait rien pris de sa méchanceté.

- Mais si vous pensez réellement qu'il abandonnera tous ses principes pour votre joli minois… alors vous êtes encore plus idiote que ce que vous laissez paraître.

Hermione se redressa de toute sa hauteur, refusant de se laisser impressionner par de simples mots, fussent-ils ses craintes exactes quant à sa relation avec Drago.

- Ses principes ? Ou les vôtres, Monsieur Malefoy ? demanda Hermione sans se démonter.

A nouveau, Lucius laissa échapper un rire mauvais.

- Elle est idiote, alors… susurra-t-il, une malice malfaisante au fond des yeux.

- Drago n'a rien avoir avec vous ! se défendit Hermione qui n'arrivait pas à se retenir.

Elle savait qu'il était inutile de débattre avec cet homme, pourtant, elle ne pouvait pas s'en empêcher : Lucius savait très bien frapper là où ça faisait mal.

- Vous pensez ? Savez-vous depuis combien de temps notre famille vit-elle en Angleterre ? interrogea-t-il d'un ton qui laissait à penser qu'il savait très bien qu'Hermione connaissait la réponse.

- Presque mille ans.

- C'est exact. Un millénaire, Miss Granger. Un millénaire d'un sang gardé pur par des dizaines et des dizaines de générations. Cela serait… extrêmement présomptueux de votre part de penser que Drago pourrait briser tout cela d'un claquement de doigt… même si je ne doute pas de votre valeur. A ce qu'on dit, n'êtes vous pas la sorcière la plus brillante de sa génération ?

Sa voix était si sûre d'elle qu'Hermione se surprit à le croire, l'espace d'un bref instant. Qui était-elle, après tout, pour détourner Drago de près de mille ans de coutumes ancestrales ?

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

La voix sèche de Drago résonna dans tout le salon. Si sa voix trahissait une quelconque colère, son visage, lui, ne laissait rien transparaître du tout.

- Je discutais avec ton invitée, mon fils. Il y a bien longtemps que je n'ai pas eu l'occasion de bavarder avec d'autres personnes que les gardiens d'Azkaban.

- Attends-moi là-haut, exigea-t-il d'une voix qui ne laissait guère place au refus.

Devant cette autorité évidente, Lucius se résigna facilement. Avant de prendre congé, il fit quand même l'effort de se retourner vers Hermione.

- Ne lui adressa plus jamais la parole, cracha Drago avant que son père ne puisse ouvrir la bouche.

- Oh, mais nous avions fini de discuter, de toute façon. N'est-ce pas, Miss Granger ?

Avec un nouveau rictus malsain, Lucius disparut derrière la grande porte du salon. Hermione reporta son attention sur Drago qui avait les poings serrés et la respiration quelque peu saccadée.

- Qu'est-ce qu'il t'a raconté ?

- Ça n'a aucune importance.

Bien sûr que si, ça en avait. Hermione savait d'ores et déjà que les mots de Lucius la hanteraient ce soir avant de s'endormir. Mais elle ne pouvait décemment pas en parler maintenant à Drago, qui venait d'enterrer sa mère à l'instant même.

Le blond s'approcha d'elle et la sonda du regard, l'air de réfléchir à s'il la croyait ou non. Hermione lui offrit un sourire qu'elle espérait convaincant, et bien que Drago ne fût pas dupe, il décida de laisser cette discussion pour une autre fois.

- J'ai deux trois petites choses à régler avec lui avant qu'il ne retourne en prison.

- Je sais. Vas-y.

Il lui caressa doucement la joue, ses doigts encore plus légers sur sa peau que le souffle du vent qui l'avait accompagnée dehors. Il fronçait les sourcils, l'air plus torturé que jamais, et encore une fois, Hermione ne put que s'imaginer ce qui se passait dans son esprit à ce moment-là. Alors elle lui dit la seule chose qu'elle savait le réconforter un tant soit peu.

- Je serai toujours là quand tu reviendras. Je t'attendrai.

Elle lut dans ses yeux toute la reconnaissance qu'il avait à son égard, et elle savait que dans l'état actuel des choses, c'était tout ce qu'il avait à lui offrir. Elle tourna légèrement la tête et embrassa tendrement la paume de sa main qui reposait toujours contre sa joue.

En le regardant partir, son cœur se serra en se demandant comment cette discussion entre père et fils pourrait aboutir. Rongée par l'angoisse et l'incertitude, elle retourna près de la cheminée pour replonger dans les photos de famille des Malefoy, cherchant Drago du regard sur chacun des clichés. Une fois qu'elle les eut toutes regardées, elle releva la tête et remarqua pour la première fois que sur le mur trônait les armoiries de la famille, un M somptueux entrelacé au milieu de serpents de couleurs de la maison Serpentard. Sur une bannière argentée, on pouvait lire Sanctimonia Vincet Semper.

La pureté vaincra toujours.

.

.


.

.

Drago prit un instant pour se calmer avant de rejoindre son père à l'étage. En le voyant parler à Hermione en arrivant au Manoir, il aurait juré qu'il aurait pu le frapper jusqu'à ce que mort s'en suive. L'expression blessée sur le visage d'Hermione était bien suffisante pour qu'il devine quelle avait été la teneur des propos de Lucius.

Il ressentit tout à coup une immense lassitude. Il était à peine plus de midi, pourtant il avait l'impression qu'il était beaucoup plus tard. Les événements de la matinée lui avaient pris tant d'énergie qu'il se sentait étrangement vide, mais toujours bouillonnant de colère. Il se refusa à penser à l'enterrement de sa mère maintenant ; sinon, il était certain que son père ferait les frais de son courroux.

- Tu n'as pas pu t'en empêcher, n'est-ce pas ? demanda-t-il en entrant dans la chambre de ses parents dans laquelle Lucius l'attendait.

- Il faut bien que quelqu'un la remette à sa place, puisque tu es incapable de le faire.

Lucius regardait la pièce comme s'il la voyait pour la première fois de sa vie. Et, à raison, Drago réalisa que c'était la première fois en six ans que son père remettait les pieds au Manoir. Lucius tapota doucement le lit avant de s'y asseoir et de pousser un profond soupir de satisfaction. Le confort de son ancienne chambre devait contraster de manière presque ridicule avec celui de sa cellule.

- Que quelqu'un la remette à sa place ? répéta Drago, abasourdi. Mais qui es-tu pour dire une chose pareille ? Tu penses vraiment que tu as toujours une quelconque influence sur moi ?

- Moi peut-être pas, il est vrai. Tu as été très clair quant à tes sentiments à mon égard lors de ta dernière et unique visite.

Drago entendait aisément le regret poindre dans sa voix, mais il ne pouvait se résoudre à en avoir quelque chose à faire. Son père avait fait trop d'erreurs, trop de mauvais choix pour que Drago puisse seulement songer à lui pardonner.

- Mais n'oublie pas que tu portes sur tes épaules le poids de notre nom, et de tout ce que cela implique.

- Tu as raison. L'héritage des Malefoy est si précieux, il serait dommage de tout envoyer en l'air, ironisa Drago.

- Tu ne peux pas nier ce que nous sommes, ni encore moins songer à tout ruiner pour une…

- Pour une ? Pour une quoi, Père ? Dites-le et je peux vous assurer que les gardiens n'auront plus rien à récupérer quand j'en aurais fini avec vous.

La colère qu'il parvenait tant bien que mal à maîtriser depuis plus d'une heure semblait sur le point d'exploser. Drago ne pouvait plus regarder cet homme dans les yeux. En lui, il ne voyait que ses échecs, que ses erreurs. Lucius représentait tout ce pourquoi il n'était pas heureux dans sa vie. Il lui en voulait pour tant de choses qu'il aurait été impossible de les lister. Il lui en voulait pour la Marque, pour l'avoir élevé comme il l'avait fait et surtout, il lui en voulait pour la mort de sa mère. Il était bien conscient que Lucius ne pouvait être déclaré comme responsable de ce décès, mais si Narcissa s'était retrouvée dans cet état, c'était entièrement sa faute.

- Drago, tu ne peux pas être sérieux…

- Je suis tout ce qu'il y a de plus sérieux, je peux vous l'assurer.

Il s'avança jusqu'à être en face de lui, puis fit apparaître une chaise pour s'asseoir à sa hauteur.

- Vous allez m'écouter attentivement.

Il avait réussi à contenir parfaitement les trémolos dans sa voix. Vu de l'extérieur, Drago paraissait tout ce qu'il y avait de plus calme.

- Maintenant que Mère nous a quittés, il ne reste plus une seule personne sur cette Terre qui a la moindre estime pour vous. J'ignore ce qu'elle voyait en vous pour vous aimer autant, pour vous demander auprès d'elle jusqu'à la fin, mais toujours est-il que désormais, cet amour est parti avec elle.

Lucius restait digne, mais Drago voyait bien l'effet que son petit discours avait sur lui. A la mention de Narcissa, ses yeux se voilèrent d'un chagrin qui ne pouvait être feint. Son fils l'ignora : il était bien trop tard pour avoir des regrets.

- Cela fait bien longtemps que le respect que j'avais pour vous autrefois n'est plus. L'emprise que vous aviez sur l'enfant que j'étais n'a plus lieue d'être. Vous craignez pour notre nom ? Vous craignez pour la pureté de notre lignée ? Alors écoutez-moi bien.

Drago se rapprocha davantage. Il voulait voir le désespoir dans les yeux de son père quand il allait prononcer les mots qui finiraient de le briser.

- Souvenez-vous bien de ce jour, parce que c'est la toute dernière fois que vous me voyez. Le jour où votre femme a été enterrée, profanée, ce jour où vous n'avez pas bougé le petit doigt pour défendre son honneur, sonne aussi le jour où vous voyez votre fils pour la dernière fois. Mais je vous rassure, vous aurez régulièrement de mes nouvelles.

Il fit une pause dramatique avant de reprendre.

- Vous lisez la Gazette, n'est-ce pas ? On vous laisse encore ce droit ? Alors pour commencer, vous lirez un article sur mon divorce.

Lucius écarquilla les yeux.

- Le tout premier dans l'histoire des Sang-Purs de Grande-Bretagne. Une honte, une infamie. Et c'est un Malefoy qui en fera l'exploit.

- Drago…

- Quelques semaines plus tard, coupa-t-il comme s'il n'y avait eu aucune interruption, ou peut-être quelques mois, cela dépend du temps que prendront les préparatifs, mon second mariage fera la Une. Pas parce que c'est le mien, mais parce que ce sera le nôtre. La communauté sorcière l'adore, Père, vous devriez le savoir.

- Non, Drago, tu n'oserais pas…

- "Drago Malefoy et Hermione Granger se disent oui, malgré tout ce qui les oppose", cita Drago en soulignant un titre imaginaire de la main. Ça ferait une belle première page, vous ne trouvez pas ? J'espère quand même qu'ils trouveront un titre plus accrocheur. En tout cas, il y aura de quoi faire couler de l'encre. Le tout premier mariage mixte dans l'histoire des vingt-huit sacrés. Et encore une fois, ce sera grâce à moi. Quel progrès, n'est-ce pas ?

- Tu ne peux pas faire ça.

Lucius essayait d'avoir une voix menaçante, mais elle tremblait tellement qu'elle aurait été incapable d'effrayer qui que ce soit.

- Et qui va m'en empêcher ? Vous ? Du fond de votre cellule ? Non… mais ce ne sera pas fini, Père. Vous n'imaginez tout de même pas que je laisserai le nom des Malefoy s'éteindre avec moi.

Drago eut la satisfaction malsaine de voir son père secouer la tête, incapable de prononcer un mot. Ses mains tremblaient lorsqu'elles se saisirent du col de la pauvre chemise que Lucius avait eu droit de porter pour l'enterrement de son épouse.

- Regardez-moi bien, Père. Parce qu'avec moi mourra la lignée des Sang-Purs de notre famille. A partir de maintenant vous avez officiellement tout perdu, et moi je vais enfin pouvoir vivre la vie que j'ai moi-même choisie.

Drago avait tellement de haine en lui qu'il aurait été capable de lui cracher au visage ; cependant, il se retint. Voir le semblant de couleurs qui subsistaient sur le visage de son père s'évaporer à mesure qu'il prononçait ces mots était une victoire dont il devrait se satisfaire.

Plein de dégoût, il lâcha la chemise et se leva en posant sur son père un regard méprisant qu'il n'avait aucun besoin de forcer.

- Adieu, Père, se contenta-t-il de dire en se retournant pour quitter la pièce.

- Attends, Drago ! Tu ne peux pas faire ça ! Tu te rends compte que tu le regretteras un jour, n'est-ce pas ? Balayer toute notre pureté d'un revers de main pour une sang-de-bourbe !

Drago serra les poings. L'envie de lui faire du mal picotait ses phalanges, mais encore une fois, il savait qu'il devait se retenir s'il ne voulait pas finir ses jours juste à côté de lui, dans une cellule voisine.

Sans un mot ni un regard, il sortit de la chambre sous les cris désespérés de son paternel. Sur le seuil de la porte, les deux gardiens d'Azkaban attendaient patiemment.

- Ramenez-le, ordonna simplement Drago. Et transplanez. Je ne veux plus le voir.

Les deux hommes acquiescèrent, et à peine quelques secondes plus tard, Drago entendit le crac indiquant que son père était définitivement sorti de sa vie.

Il ne perdit pas de temps avant de redescendre au rez-de-chaussée pour rejoindre Hermione. Il savait que trop réfléchir, c'était prendre le risque de s'enfermer dans une bulle à laquelle il ne devait pas encore succomber. Comme elle l'avait promis, Hermione était toujours là et discutait avec Minty en grignotant dans le plat que l'elfe lui avait préparé.

- Maître Drago désire-t-il quelque chose à manger ? proposa Minty dès qu'elle eut remarqué sa présence.

- Non, merci, je n'ai pas faim.

- Très bien, Maître Drago. Minty peut-elle faire quelque chose pour son Maître ?

Drago évitait soigneusement le regard d'Hermione qu'il sentait peser lourdement sur lui.

- Je veux bien que tu commences à trier les affaires de ma mère. Je vais avoir plusieurs rendez-vous la semaine prochaine concernant les droits de succession, il faudrait mettre de l'ordre dans toute cette paperasse.

- Tout de suite, Maître Drago.

- Et ensuite, repose-toi.

La petite elfe couina avant de disparaître du salon, laissant les deux sorciers complètement seuls dans l'immense Manoir. Drago sentait qu'Hermione ne savait pas comment réagir. Plusieurs fois, elle faillit se lever du canapé dans sa direction, sans pour autant initier son geste.

- Je n'ai aucune envie de rester ici, annonça-t-il simplement.

Et en effet, c'était au-dessus de ses forces. La présence de sa mère hantait chaque recoin de cette maison, et c'était plus que ce qu'il ne pouvait supporter.

- Tu veux qu'on aille chez moi ? proposa Hermione qui sembla soulagée qu'il amorce la conversation.

Drago se contenta de hocher la tête et aussitôt, Hermione le rejoignit et lui tendit la main. Il s'en empara et se retrouva frappé de la sensation de bien-être qui l'envahit brièvement à son contact. La jeune femme les fit transplaner et ils se retrouvèrent dans son salon chaleureux, bien loin de l'ambiance majestueuse, mais froide, du Manoir familial.

En baissant les yeux sur Hermione, il remarqua, qu'évidemment, elle le fixait avec intensité. Dans ses iris brillait l'inévitable pitié qui allait de pair avec la compassion qui était de mise dans sa situation. Drago détourna le regard, incapable de faire face à cette empathie qu'il savait néanmoins sincère. Il l'entendit expirer un profond soupir qui lui parut immensément triste.

- Est-ce que tu veux parler ? demanda-t-elle d'une voix douce.

- Non, répondit Drago sans hésiter.

Du coin de l'œil, il vit Hermione hocher la tête, guère surprise.

- Est-ce que tu veux rester seul ?

La réponse fut un peu plus longue à venir.

- Non, répondit-il quand même.

Hermione l'entraîna alors vers le canapé sur lequel elle s'allongea, légèrement adossée sur l'accoudoir. Sans un mot, elle tendit la main, l'invitant silencieusement à la rejoindre. Drago songea un instant à tout ce qu'il était censé faire, plutôt que d'être ici, à sa mère qu'il venait d'enterrer, aux pourritures qui avaient ruiné ses funérailles, à son père qu'il avait vu pour ce qu'il se promettait être la dernière fois de sa vie, à sa femme qu'il avait congédiée sans le moindre scrupule… il pensait tellement, et surtout tellement fort, qu'il eut l'impression que sa tête allait exploser. Les yeux infiniment doux d'Hermione avaient l'air d'être un paradis dans lequel il voulait se perdre, juste l'espace de quelques heures.

Capitulant, il s'installa entre ses jambes entrouvertes, nichant son visage au creux de son cou, respirant son odeur rassurante. Aussitôt, Hermione logea une main dans ses cheveux, et l'autre dans son dos, les deux exécutant des mouvements tendres et apaisants. Drago ferma les yeux et se laissa aller, se concentrant uniquement sur les battements réguliers du cœur d'Hermione. Il vida son esprit comme il savait si bien le faire, bloquant toute peine, toute colère, et tout ce qui menaçait de le rendre fou depuis des jours. Bientôt, il ne ressentit plus que les légères caresses contre lui, et il se demanda si, finalement, ce n'était pas là ce qu'il pouvait faire de mieux pour ne pas sombrer : faire barrage dans son esprit jusqu'à ce qu'il ne puisse plus rien éprouver du tout.

.

.


.

.

Hello hello !

Encore un chapitre qui transpire la joie de vivre, pas vrai ? Bon, en même temps, vu les derniers événements, c'était une évidence.

Comme d'habitude, merci infiniment pour tous vos commentaires sur le chapitre précédent !

J'ai hâte de lire ce que vous avez pensé de celui-ci ! Comme vous vous en doutez, la fin ne présage rien de bon quant à la façon dont Drago va gérer son deuil, mais on compte sur Hermione pour l'aider dans cette épreuve !

On se rapproche tout doucement de la fin... 4 chapitres restant plus l'épilogue (maintenant c'est sûr) je ne réalise pas qu'on touche presque au but !

Merci encore à vous tous et on se dit à dans deux semaines !

Prenez soin de vous !