Chapitre 32 : Je le sauverai.
Vêtue de sa robe de prêtresse d'une blancheur unique, Zelda attendait seule sur un banc du parc de la forêt, à l'est du château et à environ une centaine de mètres de la cathédrale. Elle venait de terminer une énième session de prière, et son humeur déprimée ce matin-là n'avait pas beaucoup aidé. Par moments, elle frissonnait encore à cause de la légère brise qui lui donnait froid sur ses pieds encore mouillés. Exténuée, la princesse se pencha en avant et s'accouda sur ses genoux avant de masser ses tempes. Cette nuit, elle n'avait pas fermé l'œil. Elle n'avait même plus la force d'être en colère ou frustrée, la fatigue était plus forte que toutes les émotions qu'elle pouvait être amenée à ressentir le lendemain matin de cette vive scène avec son père qui repassait en boucle dans sa tête. Zelda souhaitait simplement clore les paupières, et vagabonder dans le monde des rêves, pour s'échapper ne serait-ce que quelques heures… Son sommeil avait été rongé par les insomnies et il y avait bien longtemps que la blonde n'avait pas passé une véritable nuit blanche.
Link devait venir la rejoindre durant son court temps libre de la matinée. Zelda espérait qu'il n'avait pas oublié ; n'ayant pas prononcé un seul mot de ce début de journée, elle ne souhaitait parler qu'à lui. Il était le seul à même de comprendre son état dorénavant, et elle pensait qu'il allait réussir à l'apaiser un minimum, comme il avait su le faire au repaire des Yigas. De plus, elle voulait s'excuser de l'avoir rejeté et réprimandé alors qu'il n'avait fait qu'oser prendre sa défense. Mais pour le moment, Zelda se contentait de fermer les yeux et de respirer intensément l'air frais de ces jardins. Son soupir lui permit de relâcher une certaine pression installée en elle. Tout était si paisible, la princesse profitait de l'instant présent, elle en avait besoin.
Chaque membre de son corps paraissait si lourd… Ses jambes engourdies, ses épaules nues endolories, son bras gauche qui se remettait peu à peu de ses blessures ravivait une sensation désagréable… La princesse garda son calme lorsqu'elle comprit que ces ressentis physiques étaient le signe annonciateur d'une nouvelle vision. Mais elle était tellement anéantie que Zelda accueillit à bras ouverts l'angoisse qui naissait à chacune de ses prémonitions. Un malaise s'installa. Le ciel bleu parsemé de ses épais nuages changea de couleur pour se teindre d'un rouge vif. L'atmosphère malsaine la gagna jusqu'aux tripes, et le sol se fissura brutalement devant elle. Une vague de corruption en sortit l'instant suivant. Faible et incapable de contrôler ses émotions, l'Hylienne observa avec frayeur la scène qui se déroulait devant ses yeux. Voyait-elle là le jour de sa résurrection ? Les heures fatales où la Calamité resurgissait des entrailles de la terre ? Une silhouette humanoïde se dessina à travers le nuage de corruption ; celle-ci s'approcha de la blonde qui ne pouvait plus bouger. Elle aperçut deux iris verts et soudain, elle revint à la réalité à une vitesse remarquable.
- Princesse Zelda ? Vous m'entendez ?
Cette voix qui lui était très familière lui fit remarquer la présence du héros, à présent assis à ses côtés sur le banc, en tenue de capitaine de la garde. Il avait l'air beaucoup plus calme et normal que la veille, tout avait l'air de s'être arrangé de son côté. Rassurée qu'il soit venu, Zelda le dévisagea en comprenant qu'il venait de la sortir de sa prémonition.
- Link… marmonna-t-elle en posant sa main sur l'épaule de son ami comme pour tenter de se retenir de basculer en arrière.
Sans qu'elle ne puisse rien y faire, la princesse se mit à pleurer. Cette vision était la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Elle s'excusa auprès du capitaine et se retourna dos à lui pour se remettre de toutes ces émotions. Un triste silence s'installa, laissant Link qui ne savait comment agir pour la consoler entendre les reniflements de la blonde.
- Je suis désolé, dit-il, je n'ai pris la potion qui atténue le stress. Que dois-je faire pour vous aider ?
- Non, tout va bien. La crise est passée. Il s'agit simplement… du trop plein d'émotions soudain qui s'échappe de...
Link retira son béret, affligé par l'état de la princesse. Malgré les différents rangs sociaux et les codes, il décida de cesser de tergiverser et se dit qu'il était beaucoup plus important d'apporter son soutien à Zelda que d'hésiter à établir un quelconque contact physique qui pourrait être mal vu par un regard extérieur. Le héros se leva du banc pour aller s'y rasseoir du côté gauche de la prêtresse qui avait les poings serrés sur ses genoux.
- Je veux juste… trouver la solution au problème, sanglota-t-elle. Mais je n'y arrive pas… Et tout est de ma faute, je ne sais plus quoi faire…
Le prodige se fit courageux et tendit une main vers Zelda qui l'aperçut instantanément. Elle releva les yeux et, dans le désespoir le plus total, accepta de lui donner la sienne. Ce geste était lourd de sens pour tous les deux, il témoignait de l'affection grandissante qu'ils avaient l'un envers l'autre. Le chevalier recouvrit de sa seconde main celle de la princesse qui avait honte de se montrer dans un état aussi critique devant le héros d'Hyrule. Un élu des déesses qui avait le même destin qu'elle de sauver le monde…
- Princesse Zelda, écoutez-moi, débuta Link. Je vais vous parler en tant qu'ami. S'il faut un fautif, alors il s'agit bien là de la cour et de ses nobles qui ne vivent que pour assouvir leur désir de se sentir supérieur. Ils sont dévorés par l'orgueil et l'égoïsme. Ils ne méritent pas une princesse comme vous. Une princesse qui fait de son mieux et qui donne toute la force qu'elle a pour essayer de sauver son royaume et de le satisfaire. La vérité, c'est qu'ils n'en savent rien, ils se permettent de juger des choses simplement car ils ne supportent pas n'être que des ignorants de la situation. Ne prêtez plus attention à ces gens, ils vous font du mal depuis bien trop longtemps.
Il avait raison, malgré le fait qu'elle s'était habituée, la cour restait un poids qui ne pouvait disparaître en le niant. Plongée depuis ses six ans dans toutes ces critiques faites de la part des nobles et de la citadelle, Zelda se rendit compte qu'elle ne faisait que les accumuler, encore et encore en elle, et que leurs mots ne lui étaient pas indifférents comme elle voulait le croire. Link lui avait ouvert les yeux sur ce point.
- Je suis persuadé que votre mère est très fière de vous, termina le héros.
Zelda le regarda longuement, ses joues rougies par les sanglots. Link retira sa main de la sienne et fut obligé de quitter la douceur de sa peau. En lui souriant, la princesse reporta son attention sur ce contact auquel il venait de mettre fin et fut agréablement surprise de cette initiative prise par le chevalier. Le voir prendre en assurance avec elle ainsi malgré son titre la rendait heureuse. Car au fond, c'était ce qu'elle voulait.
- Je vous ai dit… ce que je pensais sincèrement, expliqua Link.
- J'apprécie grandement ta bienveillance, Link. Merci pour tout le soutien que tu m'apportes.
Il se gratta l'arrière du crâne, ne sachant pas quoi répondre. Zelda sécha ses dernières larmes et prit une posture plus droite.
- Je suis heureuse que tu sois venu.
- Vous m'avez l'air extrêmement fatiguée, fit alors Link. Vous devriez aller vous reposer. Il n'est jamais bon de se forcer à rester éveillé.
Les cernes qui se dessinaient sous les yeux de la princesse ne mentaient pas. Mais elle refusa d'écouter le conseil du prodige.
- Chaque heure compte à présent. Je ne peux plus me permettre de perdre du temps.
Link se remémora les événements de la veille et voulut lui retirer tout doute sur la sûreté des propos qu'il venait de lui faire part. Nul ne savait comment la corruption pouvait influencer les actes du héros, alors ce dernier voulut rassurer Zelda.
- Je ne suis plus sous son emprise, comme vous avez dû le remarquer.
En effet, cette information satisfit son amie qui fut animée d'un grand soulagement. Il n'y avait rien de pire que de ne pas connaître la fiabilité des dires de la personne qui semblait la seule à même de nous comprendre.
- Heureuse de l'entendre, sourit la blonde.
- J'ai trouvé comment prendre le dessus sur ce démon. Lorsque des pensées excessives me viennent à l'esprit, je pense à…
Le chevalier se stoppa sans raison. Il jugea inutile de parler de nouveau de cette facette de lui que tous les deux ne souhaitaient plus revoir surgir. Après tout, ce n'était sûrement pas pour cela que Zelda avait demandé au héros de la rejoindre.
- Laissez tomber, venons-en aux faits. Vous désiriez me parler ? demanda-t-il.
- Je voulais m'excuser pour mon comportement d'hier, répondit la princesse. Tu t'es mis en danger pour me défendre, et ce que tu as dit m'a beaucoup touchée. À moins que ce n'était pas toi qui…
- Oh. Si, si bien sûr. La corruption n'a fait qu'amplifier mon agacement, à en croire mon expérience, elle ne change en rien ce que je pense. C'est comme cela que je peux garder un certain contrôle. C'est plutôt une belle chance. Je ne m'en serais pas si bien sorti si Impa n'avait pas réussi à retirer une grande partie de cette chose.
Zelda hocha la tête. Puis, elle leva les yeux sur le ciel d'un air attristé. En réalité, il s'agissait plutôt d'une nostalgie qui se dessinait sur son visage, elle pensa ensuite à son voyage prochain en direction d'Akkala qu'elle appréhendait.
- Je dois t'avouer que je ne me vois pas partir avec une simple escorte pour la source de la Force après tous les voyages que nous avons passés ensemble.
- Ces moments me sont également très chers. J'aimerais beaucoup continuer à assurer votre protection en-dehors de l'enceinte du château, mais malheureusement, je n'en ai plus le droit.
La princesse renonça à accepter ce qu'elle voyait comme une injustice pour Link qui n'était en aucun cas responsable de la colère dans laquelle était le roi. Le héros n'avait fait que suivre les ordres et effectuer son devoir en accompagnant Zelda au repaire des Yigas, la blonde se pensait la seule fautive dans ce périple car il s'agissait de ses propres intentions au départ. De plus, Link avait uniquement donné son opinion après avoir observé ce Gardien en contrebas, chose malgré tout très maladroite à faire face au souverain du royaume, sur un sujet si sensible.
- Je vais parler à mon père, décida Zelda. Tu ne mérites pas que l'on te prive de tes fonctions si brutalement.
- Je ne fais que subir les conséquences de mes actes.
Ce n'était pas dans l'habitude du héros de baisser les bras aussi rapidement. Ne plus être chevalier servant le peinait, mais malgré toute la déception qu'il ressentait, Link semblait accepter son sort. Pourtant, tous deux savaient la joie que leur procurait ces moments uniques qu'ils partageaient à travers les quatre coins d'Hyrule. Qui aurait cru, le jour de la nomination des prodiges, que les élus allaient atteindre un tel niveau de complicité entre eux ? Mutuellement, les deux jeunes gens s'apportaient un grand nombre de choses au quotidien, c'était quelque chose que Zelda ne pouvait pas voir disparaître à cause de la colère de son père.
- Non. Je refuse, s'exclama-t-elle. Personne ne pourra me faire sentir plus en sécurité que toi.
Link fut si stupéfait par la sincérité qu'il pouvait lire dans les yeux émeraudes de la princesse que ses pommettes se mirent à rougir involontairement. L'élu prenait vraiment ces mots comme un compliment, voire même une flatterie. Savoir qu'il offrait à son amie une sécurité plus que fiable ne pouvait que le rendre fier. Il en eut des frissons.
- Je… C'est… un grand honneur pour moi de pouvoir vous faire sentir aussi sereine durant vos séjours hors du château, formula le héros en cherchant ses mots.
Zelda continua.
- Si tu n'es plus mon chevalier servant, alors tu seras mon escorte pour ce voyage. Et pour tous ceux qui suivront. Tu assureras ainsi les mêmes fonctions, mais sans ce titre, si mon père tient véritablement à te le retirer.
- Ce n'est guère pour me déplaire. Mais pensez-vous que l'on nous laissera faire ?
- Je m'arrangerai.
Une mise en place d'une stratégie était nécessaire s'ils désiraient retrouver leur quotidien et ne pas se retrouver blotti à l'intérieur du château. Il était inconcevable pour Zelda de rester enfermée ici, et s'il fallait désobéir, soit, elle le ferait. Si le roi devait rester ignorant de la situation, c'était un risque qu'elle oserait prendre. Ses voyages et ses recherches contribuaient à son bien-être, la seule source de bonheur dans sa vie.
- Très bien, acquiesça Link.
Suite à sa grande colère de la veille, la blonde avait songé toute la nuit à se révolter et s'enfuir de cet endroit qui ne lui faisait que du mal. Juste pour quelques temps, partir à l'aventure et oublier ses soucis, sans penser à l'heure de son retour. Au bout du compte, elle ne l'avait pas fait. Se retrouver seul en pleine nature, en ces temps-ci, n'était pas une très bonne idée. Les monstres arrivaient par vague de partout ; même si pour le moment, l'armée d'Hyrule arrivait à les repousser, les choses allaient à coup sûr s'empirer par la suite. Elle ne pouvait pas se permettre de fuir seule.
- Désolée d'avoir fondu en larmes… s'excusa la princesse alors que son ami avait les yeux rivés sur son béret qu'il gardait entre ses mains.
- Je ne suis pas la personne qui vous jugera pour quelque chose d'aussi naturel que de pleurer. Soyez-en sûr, répondit le blond.
Voyant les minutes défiler sans que personne n'engage une quelconque autre conversation, Link se leva du banc et replaça son béret de capitaine sur sa tête. Il avait un conseil de guerre dans quelques minutes, chose qui n'était pas arrivée depuis un moment. Pour terminer, il vit Zelda qui l'observait replacer correctement ses manches et lui proposa de faire le chemin du retour ensemble.
- Je vous accompagne ? demanda-t-il.
- Volontiers.
Assise sur un simple lit dans le coin de la maison, encore en chemise de nuit, Nell tentait de recoudre une manche de sa tenue qu'elle avait déchirée quelques jours auparavant en trébuchant durant son petit voyage nocturne jusqu'au château d'Hyrule. Par ailleurs, c'était pendant ce même voyage qu'elle n'avait jamais autant couru de sa vie...
Le silence régnait, la jeune voyageuse était rassurée de se retrouver enfin au calme. Lorsqu'elle avait revu Faras, elle avait beaucoup insisté pour qu'il rentre ici quelques jours, au village de Cocorico, chez lui. Ce qui était fait, à présent. Malheureusement, même après une nuit à ses côtés, - ce qui n'avait pas eu lieu depuis plusieurs mois -, Nell pensait qu'il serait resté avec elle au moins pour la journée… Mais Faras était déjà parti rejoindre Impa qui s'occupait de sa blessure à la jambe. Il ne s'arrêtait jamais, la cheffe du village devait sûrement aussi en avoir assez de l'entendre bavarder des reliques à longueur de journée, il ne semblait pas prendre conscience qu'elle devait se reposer, et la sœur de Pru'ha n'osait peut-être pas lui demander de la laisser tranquille…
Cela attristait Nell qui n'avait pas l'habitude de ressentir en priorité ce genre de sentiments moroses. Rares étaient les moments où ils se retrouvaient chez le Sheikah, toujours occupé au château. Cela faisait plus de deux mois qu'ils n'étaient pas revenus en ces lieux paisibles, perdus dans les hauteurs de Narisha. Et même s'il avait été violemment attaqué dans son laboratoire, le scientifique se portait très bien, contrairement à Nell qui avait eu très peur ce jour-là. Elle n'arrivait d'ailleurs pas à comprendre comment ce qu'il s'était réellement produit pouvait avoir eu lieu, et ces pensées la hantaient toujours.
Bref, l'Hylienne se retrouvait seule, chez son amant, en train de s'ennuyer à mourir… En réalité, elle ne s'arrêtait jamais de voguer à travers les diverses régions du royaume, c'était sa source de bonheur, alors lorsqu'elle cessait toutes péripéties, elle ne savait plus véritablement quoi faire. Et se sentir d'une certaine manière abandonnée par Faras qu'elle n'avait pas pu réellement voir depuis deux mois, c'était assez difficile, notamment quand celui-ci ne prenait même pas le temps de discuter avec elle pour mettre les choses au clair.
À croire si une quelconque relation existait vraiment entre eux…
Suite à l'événement au laboratoire qui avait beaucoup fait parler dans les quartiers de recherches du château, l'homme lui avait expliqué qu'une personne corrompue par Ganon l'avait sauvé d'une autre, et après description physique, Nell n'avait nul doute qu'il s'agissait d'Alan. Tout s'expliquait, voilà donc pourquoi ce dernier s'était envolé dans une fumée mauve et noirâtre devant elle ! Décidément, il ne cessait de lui sauver la vie, à elle ou ses proches, même des années plus tard. Certes, il avait beaucoup changé depuis… mais au fond, il portait toujours la même bonté que la fois où il avait sauvé toute la famille de Nell, durant l'adolescence de l'Hylienne. Elle était certaine. Certaine que même avec un esprit démoniaque qui avait pris possession de son corps, le véritable Alan ne pouvait disparaître définitivement.
Et ce fut pourquoi la voyageuse posa le tissu à recoudre à côté d'elle lorsqu'elle prit conscience de la réalité des choses. Et elle ne voulait pas y croire, ce n'était pas possible. Elle ne pouvait pas rester ici à se tourner les pouces et le laisser basculer du côté du Mal pour l'éternité. Pas après tout ce qu'il avait fait pour elle, sans même qu'on ne lui demande... Sans attendre plus longtemps, la jeune femme s'habilla en enfila sa tenue de voyage avant de se diriger vers la porte d'entrée. Elle l'ouvrit pour se retrouver à l'extérieur.
Nell en avait assez d'être laissée de côté, elle pouvait réaliser des choses beaucoup plus intéressantes que de rester là à attendre que Faras la rejoigne. L'originaire d'Adeya prit le chemin qui menait à la résidence d'Impa, les brins d'herbes mêlés à la rosée du matin humidifiant ses chevilles. Lorsqu'elle arriva devant les deux gardes Sheikahs qui surveillaient les passants, Faras descendait justement les escaliers de bois de chez Impa.
L'aventurière prit un air qu'elle n'avait guère l'habitude d'afficher, celui de la contrariété. D'une voix ferme, elle s'adressa au Sheikah, le nez plongé dans son carnet de notes qu'il lisait constamment.
- Je m'en vais, prononça-t-elle, sûre d'elle en disposant ses mains sur ses hanches.
Faras releva la tête et fut intrigué de sa présence. Pris au dépourvu, il plongea dans l'incompréhension en assimilant les mots de sa bien-aimée.
- Nell ? Que se passe-t-il ?
- À toi de me le dire, Faras.
Il retira ses lunettes de son visage en les relevant sur son front. Le Sheikah n'avait pas l'habitude de la voir dans cet état, elle semblait assez frustrée. Il referma son petit journal qu'il tenait entre ses mains pour entamer la discussion qui allait s'avérer quelque peu tendue.
- Je… Je ne comprends pas…
Nell lâcha un hoquet de stupéfaction. Enfin, le point positif était qu'il ne se rendait pas compte qu'il la délaissait depuis trop longtemps, c'était déjà mieux que s'il en avait parfaitement conscience.
- Tu n'as pas juste l'impression d'oublier que je fais partie de ta vie, même pas un tout petit peu ? s'étonna l'Hylienne.
Faras la prit à l'écart des habitants du village qui pouvaient passer près d'eux et entendre leurs échanges. Il la dirigea vers un petit ponton qui menait à une statue d'Hylia. Une fois seuls, il jeta un regard aux alentours et adopta une voix qui prouvait son inquiétude au vu de la situation.
- Est-ce que ça va ? s'interrogea le scientifique.
- Oh ! s'exclama Nell. Tout va bien, j'ai juste l'impression de sortir avec un fantôme…
Elle avait décidé d'arrêter de lui faire des concessions à chaque fois qu'ils pouvaient se voir, la voyageuse désirait commencer quelque chose de plus grand avec l'associé de Pru'ha, comme une vie commune, par exemple. Rien que cela lui ferait déjà très plaisir. Mais Faras changeait à chaque fois de sujet lorsque ce dernier était abordé. Fâchée, elle savait que son comportement ne lui ressemblait pas, ce qui donnait plus d'impact au problème.
- Je suis très occupé, tu sais que c'est important, expliqua le Sheikah, un peu gêné.
- Plus important que moi, visiblement.
- Ne le prends pas comme ça, s'il te plaît…
Nell lut d'une manière distincte l'appréhension et la peur sur le visage de son amant. Mais non, elle n'allait pas une nouvelle fois céder ! C'en était trop pour elle.
- Je sais que j'ai l'habitude d'être souriante, joviale, tout ce que tu veux… mais là, c'est trop, tu vois ?
Il soupira. La culpabilisation commençait à s'emparer de lui. Peu habitué à ce qu'on le fasse retourner à la réalité ainsi, l'homme comprenait de plus en plus qu'il ne pouvait gérer une vie sentimentale avec une façon de travailler comme la sienne. Ayant déjà eu une première relation par le passé, le Sheikah avait peur que les liens qu'il tissait avec Nell ne soient rompus de la même manière qu'avec Cherry, son premier amour.
- Je suis navré. J'ai peut-être un peu trop forcé sur le travail ces derniers temps, s'excusa-t-il.
- Un peu ? Tu te fiches de moi ?
Il baissa le regard, confus. Nell fut désolée que les remords l'envahissent, mais il ne pouvait s'en prendre qu'à lui. Elle lui partagea ses intentions qui ne pouvaient plus être discutées. Quand elle avait décidé quelque chose, elle s'y engageait jusqu'au bout.
- Je pars, Faras, dit-elle simplement. J'ai quelque chose à faire.
Le chercheur laissa tomber ses notes à ses pieds, il fit un pas en avant, ne comprenant pas ce qu'elle cherchait à faire.
- Tu t'en vas ? Mais où comptes-tu aller ?
- Disons que j'ai plusieurs dettes envers quelqu'un que je dois régler.
Il fronça les sourcils sous l'incompréhension.
- Oh, mais c'est vrai, tu n'es pas au courant, ajouta Nell. Comme c'est étrange… Figure-toi que la personne qui t'a sauvé, au laboratoire, je la connais. Et je dois la retrouver.
Faras n'avait nullement songé à ce que cette histoire ne le rattrape de cette façon. Voilà qu'on lui annonçait que l'Hylienne partait rencontrer une personne corrompue. Elle avait perdu la tête, le Sheikah regretta amèrement de lui avoir parlé de ces deux hommes. Sidéré, il prit un air très sérieux que peu de gens avaient l'occasion de voir sur son visage. Malheureusement, la jeune femme était plus que sûre d'elle. Il agissait bien trop tard, cette idée avait germé comme une graine dans son esprit depuis leur arrivée à Cocorico et elle avait eu le temps d'y réfléchir. Son choix était fait.
- Tu veux faire quoi ? Nell, arrête ces bêtises, c'est de la folie ! s'exclama Faras.
- Je sais ce qu'il est devenu, j'en suis parfaitement consciente. Mais je sais aussi ce qu'il est vraiment au fond de lui.
Nell installa un silence pesant puis continua.
- Et il ne mérite pas ça. Je dois l'aider.
- Enfin, tu sais bien que c'est impossible ! Son esprit est corrompu, on ne peut plus rien faire !
- Plus rien ? Tu en es sûr ? Ce n'est pas ce que tu disais il y a quelques jours.
Il comprit à quoi elle faisait référence et écarquilla les yeux, il refusait d'y croire. Les chances pour qu'une telle chose arrive étaient si minimes que son improbabilité frôlait l'impossibilité. Faras comprenait peu à peu le plan de sa compagne, il souffla et ferma les yeux. Il devait la raisonner sur-le-champ s'il ne voulait pas qu'un danger ne s'abatte sur elle, car tout ce qu'elle allait réussir à faire en allant à la rencontre d'Alan, c'était perdre la tête, ou peut-être même trouver la mort.
- L'immunité d'Hylia est tout sauf fréquente, rappela Faras.
- Il la priait tous les jours, il me l'a dit de vive voix. Il a toutes ses chances de recevoir la bénédiction divine. Il lui faut simplement quelqu'un pour l'épauler pour qu'il parvienne à retrouver sa lucidité. Et je serai cette personne.
Il s'approcha d'elle, plaqua ses paumes de mains froides contre ses douces joues, et parla un peu moins fort d'un ton tremblant.
- Nell, je t'en prie, ne fais pas ça… Je suis désolé, je vais faire plus attention. À partir de maintenant, on s'accordera plus de temps l'un pour l'autre, je te le promets.
La voyageuse afficha un triste sourire et récupéra les mains du scientifique avant de d'entremêler ses doigts dans les siens. Elle voyait bien là qu'il s'en voulait, cette discussion, ils auraient dû l'avoir bien plus tôt.
- C'est trop tard, Faras. J'ai déjà pris ma décision.
Nell le lâcha, fit un pas en arrière et passa une main dans ses cheveux. Elle croisa ensuite ses bras dans son dos, gênée de laisser Faras seul ici. Mais ce voyage, cela faisait plus d'une semaine qu'elle le prévoyait secrètement, son instinct lui disait de partir.
- Il faut que j'y aille, insista l'Hylienne. Je dois l'aider, je ne peux pas faire autrement. Je le sauverai.
- Nell, je t'aime. Je ne veux pas que tu mettes ta vie en danger, ou pire, que tu te fasses corrompre…
La tension de leur début de conversation s'était dissipée, la voyageuse souffla du nez en remarquant que le Sheikah lui partageait les émotions qu'il ressentait pour elle. Ce n'était pas non plus des adieux, en tout cas, ça ne devrait pas en être.
- Moi aussi, je t'aime, dit-elle. Mais j'ai besoin d'un minimum d'attention, tu comprends ? Et depuis deux mois, je me sens terriblement seule. Tu es quelqu'un de bien. Tu es drôle, généreux, intelligent… Mais…
Faras se décomposa.
- Tu n'es plus sûr de rien pour nous deux, c'est ça ?
- Écoute, je reviendrai. On en reparlera à mon retour.
- Laisse-moi t'accompagner, dans ce cas. Tu ne sais même pas où est-ce qu'il se cache !
Nell renonça. Mais ce qu'il disait était vrai, elle ne savait pas où trouver Alan, cependant, elle fut témoin des pouvoirs que la corruption lui avait donnés et ce n'était pas une puissance qui allait passer inaperçu éternellement. Après quelques recherches au bon endroit, elle finirait bien par savoir où il se trouvait.
- Il faut que je fasse ce voyage seule. Pour me retrouver avec moi-même, expliqua-t-elle, et faire ce que je dois faire depuis pas mal de temps.
Le scientifique brisa la distance qu'elle avait établie entre eux, en se reculant. Il la prit dans ses bras et l'enlaça si éperdument que cela surprit la jeune femme qui savait Faras de nature très pudique avec ses émotions. Il cachait ses véritables sentiments derrière son excentricité et sa folie qui le montraient toujours joyeux et passionné. Nell perçut toute cette sincérité dans son geste, elle venait de lui ouvrir les yeux. Elle plaça une main dans son dos et une autre dans ses cheveux coiffés en bataille en humant son parfum si singulier.
- Vois ça comme une… pause ? suggéra-t-elle.
Il soupira.
- Je suis obnubilé par mes recherches et je t'ai laissée tomber. Comment ai-je pu…
- Je sais que tu feras tout pour rattraper cela, je sais tout de même de qui je suis tombée amoureuse. Non ?
- S'il te plaît… Je ne peux pas te laisser faire ça. Tu n'as aucune chance face au monstre que cet homme est devenu. Rentrons, je cesse de travailler et… on fera ce que tu veux. C'est promis.
Nell répondit par un silence qui témoignait d'une hésitation nouvelle. Sa colère avait disparu, et par Hylia… elle ne l'avait jamais vu comme ça, si rongé par les regrets. C'était un signe démonstrateur de l'amour véritable que Faras portait à la jeune femme, des signes qui se faisaient rares. Lorsqu'elle vit leur étreinte perdurer alors qu'ils n'étaient pas dans leur intimité, mais au beau milieu d'un village, la voyageuse accepta simplement de rentrer avec lui et renonça à partir dans l'immédiat.
Car oui, elle ne voulut guère faire marche arrière. Et même si cela ne lui plaisait pas, elle allait devoir s'en aller plus tard, en secret.
Les passants n'avaient d'yeux que pour ce petit groupe qui discutait autour d'une table bancale, près d'une taverne de l'Étape. À l'heure où le marché hebdomadaire de la ville se prolongeait en foire nocturne jusqu'aux alentours de minuit, ces quatre personnes complotaient plus qu'elles ne bavardaient. La rue principale était bondée, cet événement attirait un grand nombre d'Hyliens et d'habitants du royaume de toutes les races, et c'était en priorité pour cette raison qu'ils étaient présents, ce soir-là. Leur voix se perdant dans le brouhaha de la foule, ils pouvaient échanger sans préoccupations.
Bras croisés, l'homme brun le plus jeune du groupe attendait patiemment le moment opportun pour passer à l'action en observant le flux de personnes tantôt déambuler sur la rue et tantôt s'arrêtant à différents commerces installés pour la soirée. Savoir que personne ne voyait venir ce qu'il avait organisé avec ses coéquipiers lui faisait afficher un sourire malveillant. En face de lui, l'unique femme parmi eux ne tenait pas en place. Impatiente, elle se mordillait les ongles en dévisageant certains passants d'un regard effrayant, avec la seule hâte de se déchaîner avec ses nouveaux dons qu'elle avait du mal à contenir en elle.
À sa droite, son mari faisait des repérages discrets en scrutant le bar de la taverne où son groupe et lui avait fait mine de venir manger. Il voulait se montrer prudent afin de mener à bien leur plan d'attaque imminent. Il donnait par moments quelques coups de pied à son voisin devant lui pour le raisonner. En effet, le dernier et troisième homme semblait rêvasser, le regard dans le vide vers son assiette encore pleine à laquelle il n'avait pas touché. Son esprit vagabondait ailleurs et on dut le ramener plusieurs fois à la réalité pour qu'il reste concentré sur le rôle crucial qu'il avait à jouer. Le moindre faux pas était potentiellement une erreur qu'ils allaient devoir assumer à l'avenir.
La femme châtaine qui ne cessait de gigoter dans tous les sens sur sa chaise attrapa avec vigueur le verre rempli d'un vin de Firone devant elle et enchaîna les gorgées une par une sans s'arrêter. Celles-ci produisant un bruit désagréable à chaque déglutition qui ne passa pas inaperçu autour de la table. Après cinq rudes avalements, le jeune homme assis devant elle l'arrêta dans sa course en lui arrachant le verre des mains, renversant ainsi quelques gouttes du liquide rouge sur les modestes vêtements de l'Hylienne. Cette dernière ancra son regard dans celui de l'homme qui lui fit signe de se calmer.
- Il est temps, chuchota la femme.
- Patience, maman, répondit-il. C'est une opération qui s'avère très délicate.
La mère s'enfonça dans le dossier de sa chaise, déçue. Elle fit remarquer son mécontentement en récupérant et brisant son verre d'une simple pression exercée par ses doigts dessus. Le récipient perdit sa forme circulaire pour finir en miettes sur la table et une large flaque de vin s'étala sur cette dernière. Sa paume de main blessée à cause des morceaux de verre pointus qu'elle avait créés, elle prit un air désabusé. Ses voisins la regardèrent en soufflant du nez. À côté d'elle, l'homme le plus âgé s'adressa au chef des opérations, son propre fils.
- Nous allons devoir être rapides et efficaces si nous voulons que notre puissance ne se retourne pas contre nous. On n'est pas à Tabanta, ici, mais dans la deuxième plus grande ville d'Hyrule.
- Et nous nous y emploierons, papa, n'aie crainte.
Ce fut au tour du dernier homme perdu dans ses pensées à intervenir, celui-ci bascula son regard perçant vers le jeune chevalier à sa droite. Il posa délicatement ses mains contre ses cuisses et attendit dix longues secondes avant de formuler un premier mot avec sa douce voix posée.
- Combien de personnes, Brad ? demanda-t-il.
- Plus d'une centaine.
Il haussa les sourcils, peu convaincu de leur réussite avec autant de monde. Cet air assez condescendant déplut au brun qui était sûr de son coup. Peut-être était-ce son obsession de vouloir devenir le chef d'une armée qui le poussait à réaliser quelque chose d'aussi délicat. Mais si cela fonctionnait, il gagnerait un avantage considérable avant même la résurrection du Fléau Ganon.
- Je te dis que ça va le faire, Alan, assura Brad.
- Tant de personnes à rallier à notre cause… ajouta le sceptique. Tu n'as pas peur que l'on soit affaibli en partageant le même esprit qu'une centaine de gens ?
Le chevalier corrompu serra les dents et se retint de frapper son associé qui l'agaçait avec ses remises en questions et ses doutes qui froissaient la fiabilité de son plan d'origine. Alan avait à peine parlé depuis les quinze minutes durant lesquelles le groupe s'était installé autour de cette table, et la seule fois où il ouvrait la bouche, c'était pour contrarier Brad.
- Plus nous serons nombreux, et plus nous serons forts, répliqua ce dernier. Tu doutes des capacités de notre Seigneur ?
L'oncle tourna la tête et regarda la foule marcher. Des Hyliens, des Zoras, quelques Gorons… Chacun semblait être heureux d'être ici, ils profitaient des derniers chauds rayons du soleil avant de voir briller la vingtaine de grandes torches aux flammes vacillantes sur les extrémités de la grande rue du marché. Alan les regarda d'un air impassible et fit part d'une dernière remarque. La réflexion qui était de trop.
- Il y a des enfants, dit-il.
Le brun s'agita subitement et attrapa le col de l'homme aux iris verts perçants. Ce qui fit sursauter Maëlle qui tremblait toujours d'excitation, prête à faire exploser la rage de son nouveau côté sombre. Son mari, lui, se contentait d'observer la dispute, indifférent.
- Bordel, c'est quoi ton problème ? T'es pas foutu de rattraper un gosse alors ils te font tous peur maintenant, c'est ça ? cracha Brad.
- Les mômes ne peuvent pas garder une telle force en eux. Ta mère a déjà beaucoup de mal.
La concernée lui jeta un regard noir.
- La ferme, fit-elle.
- Un enfant succombe sur-le-champ sous la rage destructrice qui s'installe dans ses tripes, expliqua Alan.
Son interlocuteur n'y vit aucun inconvénient et ne voyait pas pourquoi il faisait mention de ce détail qui lui avait traversé l'esprit. S'attarder sur l'effet de la corruption sur le corps d'un enfant était bien la dernière chose dont Brad se préoccuperait. Celui-ci plissa les yeux et tenta de déchiffrer les pensées de l'homme au comportement déroutant.
- Et donc ? insista le chevalier.
- Donc je regardais simplement le nombre de morts que nous allions faire au minimum. Autrement dit, tous les enfants.
Un silence de suite brisé par le raclement de gorge de Daniel s'était installé. Brad et Alan se dévisagèrent, l'un avec un regard neutre et sûr de lui et l'autre en tentant de se persuader que ses doutes naissant concernant l'oncle n'avaient pas lieu d'être. Le chef des opérations dissimula un grognement d'agacement et soupira.
- Je vois, dit-il. J'ai cru un instant que tu avais ressenti quelque chose comme de la pitié. Je me suis trompé, n'est-ce pas ?
Alan changea aussitôt d'expression. Plus ferme et plus sérieux, il faillit tomber de sa chaise, étonné que le brun puisse penser une telle chose. Comment pouvait-il ne plus être sûr de son dévouement envers le Grand Fléau ?
- Ne me fais pas vomir avec ce mot, lâcha-t-il à voix basse.
- C'est ce que je voulais entendre.
Le jeune homme lâcha son aîné. Il s'était fait des illusions et en fut très rassuré. Il se pensa légèrement à cran et décida de se focaliser sur la suite. Dans quelques minutes, le groupe de quatre sèmerait la panique dans la ville… Le père du brun remarqua qu'on les épiait depuis l'intérieur de la taverne et comprit que certains commençaient à se demander ce qu'ils manigançaient. Deux hommes adossés contre le bar se chuchotaient quelque chose en les observant. Daniel le fit savoir aux autres et intervint.
- S'il y a des survivants, enfants ou adultes, pour témoigner de ce qu'ils auront vu, le royaume entier sera au courant et nous ne pourrons plus nous cacher si facilement.
- Il n'y en aura pas, je te l'assure, répondit sa femme en fixant les deux Hyliens curieux, chacun un verre à la main.
Les minutes passèrent. Cinq… quinze… puis trente… Et après une demi-heure d'attente, le soleil fut enfin entièrement couché. La luminosité s'affaiblissait de plus en plus et les torches brillaient d'une manière plus étincelante. Le ciel devint plus foncé en se teintant d'un bleu marine. Mais les premières étoiles n'étaient pas encore venues l'embellir de leur lueur. Autrement dit, il était temps d'agir. Il y avait toujours autant de monde dans la rue principale de l'Étape, Brad ordonna à ses coéquipiers de se lever et de quitter la table afin d'aller se fondre dans la masse de la foule.
Maëlle passa immédiatement devant, suivie de Daniel, puis de son fils. Alan dut se motiver de les rejoindre et ferma la marche. Chacun se fraya un chemin dans l'imposant regroupement de personnes en poussant certaines d'entre elles sans même s'excuser. Arrivés près de l'installation d'un vendeur de bijoux, ils s'arrêtèrent au pied d'un des piquets qui portait une des torches. Brad ressentit la chaleur des flammes et savoura cette sensation qui le fit frémir. La lumière orangée du feu se refléta sur leur visage. Le feu… c'était bien là ce qu'ils désiraient voir advenir de cette ville.
Alan tourna la tête à gauche lorsqu'il reconnut un rire parmi tous les autres. Un rire si familier qu'il ne pouvait pas le confondre. Une certaine nostalgie l'anima sur le moment. Dans son champ de vision, il n'aperçut tout d'abord qu'un groupement de gens qui ne tarda guère à se déplacer et rejoindre le flux de personnes plus important à proximité. Puis, la vue enfin dégagée, il les reconnut. Tous les deux. Ils étaient là… bien sûr qu'ils étaient là...
- Regarde, papa ! Il est parfaitement à ma taille ! s'exclama Lysia qui manifestait sa joie de porter ce bracelet qu'on venait de lui acheter.
- Content qu'il te plaise, répondit son père avant de remercier la vendeuse qui n'était que ravie de voir qu'elle avait fait le bonheur d'une enfant.
Gabriel sourit en contemplant la joie de sa fille. Les yeux rivés sur son nouveau bijou d'opale, elle faillit trébucher en bousculant involontairement quelqu'un qui passa près d'elle. Son père lui pria de faire attention avant de relever le regard et croiser celui de son frère qui l'espionnait depuis sa position. Il resta stoïque en reconnaissant son cadet. Bouche bée, Gabriel voyait sa famille revenir au complet. Cela faisait des semaines qu'il attendait ce moment ! Quelle surprise ! Mais lorsqu'il voulut l'appeler et lui faire signe, les iris d'Alan changèrent de couleur et devinrent rouges. Son frère s'arrêta en comprenant la situation. Ces yeux… Ce visage sans émotions. Et il était accompagné de Brad…
Merde, pensa-t-il, choqué de ce qu'il venait de voir. Il l'avait corrompu… Brad n'en avait fait qu'à sa tête depuis leur séparation chez le vendeur de potions et il avait rallié l'oncle à sa cause. En remarquant que lui et sa bande semblaient vouer un culte à une de ces grandes torches, Gabriel prit sa fille par le poignet et l'obligea à le suivre avec précipitation.
- Allez viens, on rentre, dit-il.
La petite Hylienne fut plongée dans l'incompréhension et refusa dans un premier temps de suivre l'homme. Ce n'était pas ce qui était prévu au départ, pourquoi avait-il changé l'heure sans la prévenir ?
- Quoi ? Mais tu avais dit qu'on restait jusque…
- Ne discute pas, Lysia. On rentre, c'est un ordre.
Elle fut obligée de prendre le chemin du retour, un bras tiré par son paternel qui insistait pour qu'elle se hâte davantage. Son changement d'humeur si brutal la tourmentait, mais elle n'osa pas lui demander ce qu'il se passait et se contenta d'obéir, l'air inquiet. En jetant un œil derrière elle, Lysia vit le frère de Gabriel à son tour.
- Oncle Alan ! J'ai vu oncle Alan ! s'écria la blonde.
- Suis-moi, allez, n'eut que comme réponse son père.
Au même moment, la flamme autour de laquelle le groupe de Brad s'était retrouvé s'éleva haut dans les airs. Celle-ci tournoya de plus en plus vite en s'affinant sur son bout, plus elle rétrécissait sa distance entre elle et le ciel. Une colonne de corruption l'avait presque entraînée jusqu'aux nuages pour ensuite stopper son ascension. La foule de gens était hypnotisée par cet étrange phénomène qui se produisait devant eux.
Soudain, la masse de corruption entama sa chute en allant s'écraser sur une résidence de la ville. Un gigantesque souffle de feu brûlant s'échappa de ses murs en les détruisant sous le choc et la maison ne tarda pas à être dévorée par les flammes. Les ébahissements se transformèrent en cris de panique et la centaine de personnes présentes s'affola en sentant la chaleur émaner de la bâtisse incendiée. En l'espace de dix secondes, l'ambiance festive avait complètement vrillé au chaos. Maëlle, les yeux rouges étincelants, réapparut dans le ciel sous sa forme spirituelle, fière du résultat de ce qu'elle venait de produire. Brad, Alan, et Daniel firent de même en barrant toutes les issues.
Leur but : corrompre le plus de personnes possible.
La foule se fit entourer par un cercle violacé. Prises au piège, les premières victimes tombèrent au sol après être entrées en contact avec un des quatre fidèles. Daniel passa au travers de plusieurs corps à la suite sans se soucier de leur propriétaire. Maëlle entraîna avec elle un Hylien en s'envolant dans les airs avant de changer de cible. Brad, lui, restait au sol et se baladait tranquillement dans la foule paniquée avec Alan. Le duo allia sa puissance destructrice d'un geste vif de leur bras droit en simultané. Et une dizaine de personnes fut touchée par la malice. Durant ce temps-là, le feu comptait bien entendu se propager sur les autres bâtiments en bois, ce qui allait bloquer les quelques ruelles qui pouvaient encore servir de sorties de secours.
Du côté de Gabriel et Lysia, ils s'étaient éloignés de la rue bondée du marché et arrivèrent devant chez eux. Le père ouvrit brusquement la porte d'entrée de la grande maison, toujours en tirant sa fille par le bras. Il n'avait pas osé regarder derrière lui, préférant se concentrer sur leur survie et leur fuite et éviter de se retrouver dans la même situation que tous ces gens qu'il ne pouvait pas sauver. Gabriel claqua la grande porte derrière lui, s'agenouilla, et posa chacune de ses mains sur les épaules de Lysia pour lui expliquer ce qu'elle devait faire.
- Dirige-toi vers la porte de derrière, dit-il.
On entendait l'agitation chaotique même à l'intérieur. Lysia prit peur.
- Papa, qu'est-ce qu'il se passe ?!
- Je ne sais pas. Mais nous devons partir, et vite.
À travers une fenêtre, la petite fille vit une étrange lumière, puis de la fumée ardente s'élever au-dessus de celle-ci, elle eut un mouvement recul et son cœur s'accéléra.
- Il y a le feu ! alerta la blonde.
Le frère d'Alan regarda à son tour et garda son calme lorsqu'il comprit que cet incendie n'était absolument pas dû au hasard. Il avait été provoqué, l'Étape d'Hyrule était en train de subir un attentat. Ce n'était rien d'autre que les actes démoniaques de Brad qui avait depuis décidé de rompre son accord et mettre fin à sa coopération avec l'ancien voleur. La mort du héros d'Hyrule et seulement la mort du héros d'Hyrule… À en voir la tournure qu'avait prise cette soirée, le chevalier corrompu désirait bien plus que tuer le héros élu des déesses.
- Merde… marmonna Gabriel.
Le père cacha cette vision d'horreur à sa fille en se plaçant devant elle. Il jeta un œil autour de lui pour savoir quelles affaires il allait être indispensable d'emmener. Car en effet, l'aîné ne prendrait pas le risque de revenir ici après de tels événements. En tout cas, pour le moment, ils devaient fuir. Pour que lui et sa fille soient en sécurité, question de survie.
- Ne regarde pas, énonça le père.
- J'ai peur… s'affola Lysia sur un ton terrifié.
Il posa délicatement une main contre la joue de la petite Hylienne qui sentit la chaleur corporelle de son père lui réchauffer le visage. Gabriel la rassura le plus possible, comme il savait si bien le faire.
- Hé. Je suis là, d'accord ? Tu n'as rien à craindre. On n'a plus de temps, il faut qu'on se sauve, tu comprends ?
- Il faut qu'on aide oncle Alan, il ne peut pas rester là-bas !
Ne voulant guère la blesser davantage en lui informant que son oncle n'était plus le même depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, il inspira profondément en cherchant ses mots mais ne sut quoi répondre.
- Il… commença-t-il.
Lysia était à l'écoute, elle attendait la suite. Mais rien de plus ne sortit de sa bouche et Gabriel prit comme excuse la situation pressante.
- Allez va, je te rejoins.
La blonde prit la direction de l'arrière de la maison où ils allaient pouvoir sortir en sécurité et en toute discrétion. Son père attrapa un sac accroché au mur près la porte d'entrée pour y ranger les affaires les plus importantes. Il se précipita à l'étage et prit tout le nécessaire pour quelques jours, il oublia un certain nombre de choses mais l'essentiel était là. Lorsqu'il descendit les escaliers à toute vitesse, ses yeux se posèrent sur la table de la salle à manger sur laquelle l'étrange coffret qu'il avait découvert le matin même était posé. Il n'avait pas trouvé la clé pour l'ouvrir, mais l'homme décida tout de même de placer la boîte dans le sac. Il termina par cet objet puis referma son bagage qui pesait à présent un certain poids.
Plus une seconde n'était à perdre, Gabriel voulut rejoindre sa fille lorsqu'un bruit sourd retentit juste derrière lui. Il se baissa instinctivement en plaçant ses mains contre ses oreilles. La seule chose qu'il vit dans un premier temps en se tournant était un trou béant dans la porte d'entrée, en plein milieu, comme si un boulet de canon l'avait traversée. Une silhouette se dessina alors devant ses yeux et Gabriel ne fut pas surpris de reconnaître son frère qui, il ne fallait pas l'oublier, l'avait également vu il y avait quelques minutes. Alan ne voulut guère l'ignorer.
- Tu croyais que j'allais vous laisser vous échapper ? s'empressa-t-il de dire au père.
Ce dernier se releva en essayant de garder une expression qui ne manifestait pas la peur qui lui rongeait dorénavant l'estomac. Il se décala pour arriver derrière la grande table tandis que le nouvel arrivant était à l'opposé. La peur de son propre petit frère… Jamais l'Hylien n'aurait pensé ressentir une telle chose un jour, mais pourtant cela avait bien lieu. Et il mourrait d'envie de faire payer celui qui avait embrouillé l'esprit de son cadet.
- Salut, frangin, fit Gabriel. Écoute, fais pas le con.
- Alors ? Tu l'as sauvée ? demanda Alan dans la foulée.
Ce fut un refus catégorique pour lui de faire intervenir Lysia dans leur discussion. L'ancien voleur savait qu'il parlait aussi d'une certaine manière à l'entité de Ganon et il ne risqua pas de mettre une nouvelle fois sa fille en danger, elle avait déjà assez souffert comme ça. Il eut une sueur froide en analysant le comportement d'Alan.
- Pas elle, dit-il. Je t'en supplie.
- Je m'inquiète pour ma nièce, enfin…
- Dans d'autres circonstances, je t'aurais laissé la voir, mais…
Il marqua une pause.
- Bordel, regarde ce que tu es devenu !
- Les choses ont changé, Gabriel. Je t'avais prévenu depuis le début que collaborer avec le Mal était une mauvaise idée. Mais tu ne m'as pas écouté, et Brad s'est fait un plaisir de te manipuler.
Alan faisait se remémorer à son frère des choses qui le remplissait de regrets. Il avait mal agi, il n'avait pas fait les bons choix, mais le passé était passé. À présent, il ne pouvait que demander pardon pour sa folie meurtrière.
- Je m'excuse, d'accord ? Quand elle s'est fait enlevée, je suis devenu fou, j'en ai fait pas qu'à ma tête. J'aurais dû t'écouter.
- Tu as repris ton ancienne identité de voleur et tu as souhaité la mort du sauveur du royaume pour satisfaire tes désirs.
Alan remuait le couteau dans la plaie pour le faire craquer, ou alors était-il en train de le manipuler à son tour ? Mais Gabriel avait bien l'intention de garder les idées claires et de ne pas faiblir face aux propos de son frère. Même si cela le désolait d'entendre ce discours sortir de sa bouche.
- Je ne voulais que sauver ma fille ! répliqua-t-il, en espérant que cela pouvait se comprendre un minimum.
- La vérité, c'est que tu n'as pas changé. Tu as toujours été un voleur de trésor sans pitié. Tu vis dans une maison familiale qui ne t'appartient même pas. Tu ne peux pas t'empêcher de voler les biens des autres.
Gabriel encaissa les coups. Il se créa comme un bouclier invisible qui repoussait ses mots pour que le père ne les assimile pas trop et évite de prendre au sérieux ce qu'Alan disait… C'était la corruption qui parlait, il voyait le même regard que Brad à travers ses yeux… Son véritable frère n'aurait jamais été aussi dur avec lui.
- Tu ne peux pas changer ta vraie nature, s'acharna le corrompu. L'enlèvement de Lysia n'a fait que l'éveiller de nouveau après toutes ces années passées aux côtés de cette espèce de sale…
- Ne l'insulte pas ! le coupa brutalement Gabriel, pris d'une colère sans nom.
Son cri résonna dans toute la maison. Lysia, cachée dans une autre pièce, resta malgré tout silencieuse et écoutait attentivement toute la discussion fraternelle. Alan s'étonna de l'énervement si soudain du père.
- Ne me dis pas que tu l'aimes encore après ce qu'elle t'a fait ?
- N'insulte pas la mère de ma fille, reprit fermement Gabriel plus calmement.
- Madeline ne t'as jamais aimé ! Ni toi, ni Lysia !
L'aîné répliqua aussitôt.
- Si je me suis mis à voler, c'était pour notre survie à tous les deux ! Je me suis occupé du gamin que tu étais alors que moi-même j'en étais un ! Je sais que tu ne penses pas ce que tu dis. Réveille-toi, Alan. Réveille-toi et nous pourrons reprendre la vie que nous avions commencé à mener. Reprends-toi, frangin...
- Je suis l'un des leurs, maintenant, souffla le concerné. Plus rien ne pourra venir changer ça.
Gabriel nota que les bouts des doigts de son frère se mettaient à tressaillir. Il ne passa pas non plus outre le fait qu'Alan avait adopté une respiration plus rapide. Il savait qu'il pouvait lui sauter dessus d'une seconde à l'autre, ce n'était qu'une question de temps.
- Ne m'oblige pas à me battre contre toi, signala le père.
Alan fut envahi par un rire moqueur.
- Te battre ? Tu n'en auras même pas le temps. Tu vas nous rejoindre à ton tour, tout comme ces dizaines de gens dehors. Et ça se passera exactement comme quand elle s'est barrée : tu ne vas rien voir venir.
Dans un amas de fumée mauve, Alan s'élança par-dessus la table rectangulaire en la survolant dans sa longueur et en se dirigeant droit vers son frère qui s'accroupit et passa en-dessous. Le corrompu percuta un mur et fit tomber plusieurs cadres accrochés sur celui-ci à cause de l'impact. À même le sol, Gabriel se pressa de rejoindre l'autre bout de la table ; lorsqu'il y parvint, le père fut propulsé en arrière par une force invisible et son corps se plaqua violemment contre la grande porte d'entrée trouée. Dans un gémissement plaintif, il trébucha au sol, affaibli. Il n'avait aucune chance face à de tels pouvoirs, rien ne servait d'essayer de riposter sous peine de se faire corrompre à son tour. L'homme se releva en panique en essayant de fuir Alan qui leva une main vers l'imposant meuble central de la pièce. Le bois de la table se fissura subitement en deux, laissant passer une traînée de malice déchaînée qui passa par une fenêtre qu'elle brisa dans le même temps pour revenir par ce qu'il restait de la porte de la demeure.
Concentré sur le contrôle de cette chose qui semblait sortir de sa propre main, le cadet avait fermé les yeux et ne fit pas attention à la position de Gabriel qui, malgré tout, osa se ruer vers lui en le frappant à la mâchoire. Alan fut dans l'obligation de cesser ce sortilège démoniaque qui ravageait tout sur son passage ainsi que de basculer sa tête en arrière bien qu'il ne ressentit aucune douleur particulière dû à ce coup de poing crocheté de la part de son aîné. Ce dernier ne prit pas le risque de continuer sur cette lancée, s'il s'approchait trop de lui, pour sûr, la corruption se ferait un plaisir de l'envahir. De plus, il n'avait nul envie de plus blesser son frère. Mais il n'hésiterait à faire, à contrecœur, ce qu'il fallait si les choses venaient à se corser davantage.
Gabriel ordonna à Lysia de sortir à l'extérieur, par l'arrière de la maison. Simultanément, un grognement bestial résonna dans la salle à manger. Un cri qui venait des entrailles même du vendeur de potions corrompu maintenant aux iris rouges sang. La totalité de l'épiderme d'Alan fut recouvert d'une matière violette et visqueuse qui avait dû s'échapper des pores de sa peau d'une façon inconnue. Il était méconnaissable. Un monstre venu tout droit de l'enfer. Horrifié par cette soudaine métamorphose, le père récupéra au sol le sac qu'il avait rempli d'affaires pour un long voyage tout en gardant un œil sur Alan qui le fixait en s'approchant dangereusement de lui.
- Par Hylia… souffla Gabriel.
- Tais-toi ! s'écria l'enragé en jetant une chaise dans la direction de l'aîné que celui-ci esquiva.
Le père comprit vite quel moyen de pression il pouvait utiliser pour affaiblir Alan. En y réfléchissant, cela coulait de source ! La simple mention de la déesse Hylia le mettait dans un état foudroyant. Une seule petite pensée et c'était une haine sans pareille qui jaillissait du corps du corrompu. Pourrait-il perdre ses moyens en continuant sur cette lancée tout de même risquée ?
- Quoi ? s'étonna faussement Gabriel. Il y a un problème avec cette divinité, peut-être ? Cette même déesse que tu priais tous les soirs, avant de te coucher. Tu t'en souviens, au moins ?
Alan planta ses ongles dans ce qu'il restait de visible de ses paumes de mains, sous cette couche maléfique de corruption qui remplaçait sa peau.
- Si tu ne la fermes pas maintenant… prévint-il.
- Et cette petite figurine que tu as offerte à Lysia, continua son frère en ignorant ses paroles, elle ne la quittait jamais.
Alan fut victime de plusieurs spasmes lorsque la nuit où il avait laissé fuir un enfant de dix ans en pleine tempête de neige lui revint en tête. Gabriel venait de stimuler son esprit qui réagit comme lorsque l'associé de Brad avait posé les yeux sur la figurine d'Hylia d'Arthur. Ce dernier ouvrit grand la bouche, mais son hurlement se manifesta seulement après quelques secondes. Il était dans l'incapacité d'agir, totalement soumis à ses pensées. Il s'agenouilla et un gaz de la même couleur que la corruption l'entoura petit à petit, jusqu'à former un brouillard épais qui fit disparaître Alan en son sein. Gabriel ne resta pas plus longtemps spectateur de cette scène morbide et rejoignit avec hâte sa fille qui l'attendait, triste d'avoir dû faire subir une douleur qui s'apparentait atroce à son fraternel.
Une fois sortis d'affaire, Lysia et son père se sauvèrent vers la sortie de la ville la plus proche pour éviter d'assister plus longtemps au massacre de l'incendie. Ils ne savaient pas où ils allaient se rendre, ni quand ni comment. Mais une chose était sûre, la petite famille allait devoir trouver un nouvel endroit où vivre. Du moins pour quelques jours dans un premier temps. Car leur demeure, grande et somptueuse dans laquelle ils avaient passé des années, venait de littéralement exploser derrière eux.
