J'ai retrouvé plein d'ancien brouillon de début de fic, je suis en pleine relecture pour voir si l'une d'elles mériterait d'être reprises!

.


NAO

.

.

"47, entonne Nao Yuuki."

Avec des gestes adroits, elle change de chargeur.

-39, gronde la voix agacée de Natsuki."

Elles se tiennent dans la même tour de guet, les autres patrouilleurs sont dispersés le long des murs ou sur les autres tours.

Nao ne l'admettra jamais mais elle est heureuse que Natsuki l'ait enfin rejointe. Être la fille d'une des membres du conseil a ses avantages, Natsuki a été excusée durant plusieurs jours de ses tâches et ce n'est pas très juste de l'avis de Nao.

Et ne la lancez pas sur l'autorisation que Natsuki a eu de partir à la poursuite de sa petite amie déserteuse en plein milieu d'une attaque de Horde.

"T'es devenue une looseuse, se moque-t-elle un peu garce -mais elle a de bonnes raisons, non?-"

Natsuki vise tranquillement et tire consécutivement jusqu'à ce que son arme clique à vide. Elle se tourne vers elle avec un sourire goguenard.

"Merci Nao, tu reconnais donc que je ne l'étais pas avant. C'est un peu en contradiction avec tout ce que tu me disais à l'époque mais au moins tu t'améliores.

-Tss."

Dans son viseur, Nao remarque Shizuru qui sort d'une rue au loin.

On ne lui a pas dit ce qu'il en retournait très exactement à son sujet, pas que Nao ne s'en soit préoccupée. Cette conne avait manqué de les foutre dans la merde,. Elle s'était barrée au pire moment, elle voyait mal comment elle pourrait justifier ça.

Nao n'avait eu aucun contact auparavant avec elle et ça lui allait très bien. Mais, a priori, quelles qu'aient été ses raisons, le conseil lui donnait des privilèges tout à fait exceptionnels.

En même temps depuis qu'elle s'était réveillée, cette garce avait bien su comment se mettre en avant et montrer à quel point elle était meilleure qu'eux. Elle sortait, parmi les mordeurs qui était aussi insensible à sa présence qu'ils l'avaient été dans la forêt.

Dès qu'on avait bien voulu la libérer de l'infirmerie, elle était sortie du camp et passait à présent chacune de ses journées à chercher quelque chose sur l'Ile. Elle revenait avec des estimations sur les mordeurs qui déambulaient dans les rues et pouvaient encore risquer de se rabattre sur leur mur, avait indiqué avoir abattu un marcheur. Nao suppose qu'elle cherche encore et toujours des Marcheurs, mais si elle en a pas retrouvé d'autres, elle n'en a pas parlé.

.

Elle porte un gilet orange fluo pour que les patrouilleurs ne lui tirent pas dessus et Saeko l'a chargé de caméras et de sacs hermétiques qu'elle remplit d'échantillons divers. Saeko et Youko ont repris des recherches avec une passion renouvelée qui, à n'en pas douter, vient de l'état si spécial de Shizuru.

Quoi qui détourne les mordeurs de Shizuru, le comprendre pourrait les aider tous. Ce genre de blabla rend Nao folle.

.

La pointe de son canon suit ses déplacements et elle songe qu'il faudrait bien peu de choses pour s'en débarrasser là maintenant.

Natsuki la remarque à son tour et elle donne l'ordre d'arrêter de tirer dans la zone où elle se trouvait. Nao se mord la langue pour ne pas lui rappeler qu'ils savent tous parfaitement tirer et qu'ils le font à la lunette -avec précision, les balles étant précieuse contre le nombre de mordeurs face à eux.

"Arrête de lui faire coucou, on dirait une débile, elle sait parfaitement que tu es là.

-Pourrais-tu être un peu moins salope parfois, Yuuki?"

Nao hausse les épaules, laissant son arme reposée sur son épaule via la lanière pendant qu'elle réajuste son bandana sur le nez. Tous ces mordeurs morts au pied de leurs murs charrient une odeur putride. Nao n'arrive pas à s'y habituer.

Personne d'ailleurs et quand le vent tourne, c'est toute l'Académie qui empeste la mort.

Il y en a encore trop pour autoriser la sortie des gens "normaux", et tant que ce n'est pas possible, ils ne peuvent pas commencer à entasser les corps plus loin pour les brûler.

Et alors il va falloir des jours pour réunir et se débarrasser des corps.

Les murs heureusement ont tenu même s'il allait falloir le rafistoler en pas mal d'endroits.

.

Shizuru s'éloigne de la zone où elle se trouvait, elle rentre toujours au niveau de mur le moins attaqué par les mordeurs en un point d'accès défini à l'avance dans la mesure du possible. On lui fournit une échelle à corde à son arrivée qui est aussitôt remontée.

A croire que quelqu'un d'autres pourrait grimper après elle… les Marcheurs peut-être? Les mordeurs n'en ont heureusement pas la capacité, mais les Marcheurs, eux, présentent encore une bonne part de mystère.

Bien sûr, elle ne passe aucun test…

.

Finalement, Nao retire son bandana, grimace au relent putride plus fort encore sans sa protection en tissu et s'allume une cigarette.

Les yeux verts de Natsuki la jugent et Nao lui rend un regard acéré, du genre "mêle toi de tes affaires".

"Toujours pas intéressé de t'en griller une, alors? propose-t-elle néanmoins."

Non de la tête.

"Toujours un bâton dans le cul?

-Arrête un peu, Nao. Qu'est ce que t'as en ce moment? ça faisait longtemps que tu ne me cherchais plus comme ça.

-Qu'est ce que t'en sais? Tu t'es barré pendant des mois, sans n'en avoir rien à foutre de nous et t'es revenu avec la zarbi. C'est cool si tout le monde dit amen à tes conneries, mais pas moi, capich'?

-Va te faire voir, Nao.

-Quoi? T'aime pas que je te dise le fond de mes pensées? Grandit un peu."

Elle va peut-être un peu trop loin, mais les mots sortent plus rapidement qu'elle ne les pense. Natsuki s'était barrée sans lui en toucher un mot, alors qu'elles en avaient parlé ensemble. Elle aurait dû l'emmener, lui proposer au moins.

Nao déteste ça, tout change. Mai, avec ce stupide gamin qui lui prend tout son temps, Natsuki qui s'était barrée et préfère maintenant trainer avec l'autre chelou. Et puis tous les autres qui se sont un peu tous éparpillés… Nao déteste la solitude malgré ce qu'elle peut bien en dire. Elle est épineuse et agressive mais Mai et Natsuki, à leur manière, ne l'avaient jamais laissé tomber jusqu'à il y a un an.

Natsuki ne peut pas revenir ici comme une fleur et croire que tout va bien dans le meilleur du Monde. Nao n'a peut-être rien dit au départ, parce que Natsuki a repris sa vie comme si elle n'était jamais partie -exception faite, du retrait de ses tâches de patrouilleuses et de nouvelles histoires qui incluaient une nouvelle personne -si extraordinaire, si talentueuse, et Shizuru ceci et Shizuru cela.

Mai, qui s'était mise à la côtoyer, était venue y ajouter ses propres compliments et les choses avaient grossi.

C'est de la jalousie, si elle se montre honnête. Après tout, elle se sent laissée sur le carreau alors que tout le monde avance. De la jalousie et de la colère. Natsuki avait quitté tout le monde sans se retourner mais elle n'avait pas pu accepter que Shizuru lui fasse ce genre de chose. C'est vraiment se foutre de la gueule du monde…

Quelque part, Nao aurait souhaité avoir fait pareil au départ de Natsuki : forcer le conseil à partir à sa suite, même s'ils avaient mis un temps fou à comprendre qu'elle était partie… et puis en bateau… ce n'était pas en pleine mer que Nao aurait pu la pister.

Maintenant, Natsuki est devenue cette adolescente prépubère en mal d'amour… C'est à la fois désespérant et dégoûtant. Natsuki qui n'a même pas conscience de la chance qu'elle a, de tout ce à quoi elle a tourné le dos: sa mère, ses amis, son travail, son toit, son bien être général, tous les privilèges qu'elle a toujours eu sans même le savoir. Le pire, c'est que même en étant consciente, Nao est sûre qu'elle repartirait, surtout si c'est pour la rencontrer Fujino.

.

Sa journée terminée, Nao descend de la tour de guet à la suite de Natsuki. Silencieuses, ne marchant même pas l'une à côté de l'autre, depuis cette pseudo dispute, Nao la suit jusqu'à la Cantine. Il y a foule et l'odeur du pain et des plats couvrent heureusement celle des mordeurs du dehors. Nao se sent réchauffée par l'ambiance, bien que Natsuki s'éloigne aussitôt pour s'asseoir à la table la plus à l'écart où Shizuru dine déjà.

Nao balaie les lieux du regard, connaissant tout le monde sans avoir envie de partager leur table. Puisqu'elle est dans le mood, autant continuer. Elle récupère sa nourriture et vient s'asseoir à la table de Natsuki.

Cette dernière la foudroie du regard, le sourire timide qui avait étiré ses lèvres avant son arrivée disparaissant aussitôt pour une moue pincée. Elle ne fait toutefois aucune remarque verbale.

"Bonjour Nao-san, lui répond Shizuru avec bonhomie."

Pour une raison quelconque, le repas de Shizuru est systématiquement dans une assiette et accompagné de couverts différents de tous les autres. Un fait que Nao n'a pas manqué de relever.

"Fujino, claque-t-elle sèchement. Tu as apprécié ta petite promenade parmi les tiens?"

Shizuru abaisse ses couverts et Natsuki lui donne un coup de pied.

"Tu sais Yuuki-san, chacun d'entre vous à la possibilité de devenir comme eux, je suis la seule par contre à qui ça n'arrivera jamais, alors… (petit inclinement de la tête amusé mais regard minéral) quelques parts ils vous ressemblent plus que je ne pourrais jamais leur ressembler."

Ses doigts blanchissent autour de sa fourchette et, brièvement, Nao envisage de la lui enfoncer dans l'œil, au moins son apparence serait plus semblable à ce qu'elle est : un monstre dissimulé sous des traits gracieux.

Nao n'a peut-être pas cherché d'info mais elle est intelligente et a côtoyé les personnes qui ont les réponses. La plupart des choses ont donc été reconstituées. Et si, pour la plupart des citoyens de Fuuka, elle est une sorte de miraculée, un mythe vivant, une "immunisé", Nao a bien compris qu'elle est un "marcheur" à son meilleur: pleinement intelligente, pleinement capable de se fondre parmi eux, pleinement capable de contaminer vite et bien. Ce n'est pas ses couverts différents qui l'empêcherait de contaminer quelqu'un. Et Natsuki, cette idiote, serait la plus facile d'entre eux.

Prendre les choses avec une telle légèreté, leur rappeler sans remords ce qu'ils peuvent si facilement devenir… cela dégoûte Nao qui se souvient trop clairement des derniers instants de sa mère, la dernière contaminée de Fuuka.

Nao ouvre la bouche pour répliquer mais Natsuki, anticipant, la coupe.

"ça suffit. J'aimerai manger tranquillement. Nao, si tu n'es pas capable de te maitriser, rien ne t'oblige à t'asseoir là, tu peux aussi bien changer de table."

Parce qu'évidemment Natsuki préfère Shizuru à elle.

Nao se cale dans son siège en un signe clair qu'elle ne compte pas partir, même si elle évite de répliquer quoique ce soit, sentant Natsuki sur le fil du rasoir. Elle est presque sûre qu'elle risque de rencontrer son poing si elle poursuit un discours agressif surtout envers Shizuru.

Son regard rencontre celui de la femme en question et elle y voit le même dédain, le même dégout que celui qu'elle ressent pour elle. Au moins elles sont sur la même longueur d'ondes.

Shizuru détourne finalement les yeux pour découvrir que Natsuki l'observe, les sourcils froncés.

"Comment est ton repas?"

Nao renifle au manque flagrant de subtilité pour détourner la conversation, mais Natsuki s'adoucit et se remet à manger en décidant de l'ignorer. Elle jette cependant de réguliers coups d'œil à Shizuru qui a visiblement décidé de parler pour la tablée.

Parce qu'évidemment Nao est le problème.

Elle finit son repas et n'étant guère plus amusée de la situation -l'a-t-elle jamais été? embêter Natsuki a perdu beaucoup de son intérêt dernièrement, probablement parce qu'elle ne réagit plus comme avant- Nao quitte la table sans les saluer.

L'odeur de mort lui saute au visage à peine la porte passée. L'odeur est moins agressive qu'en haut des murs mais après avoir été plongé dans l'ambiance chaude aux odeurs de nourritures succulentes, le contraste est d'autant plus affreux. Nao préfère cependant se griller une nouvelle cigarette, appréciant durant quelques minutes que la fumée et l'odeur de la nicotine qui emplit ses poumons mais surtout ses narines chasse l'odeur de mort.

Putain de vie!

A quoi bon? Quel intérêt y avait-il à tout ça? Entre ces murs, à patrouiller des rues vides -enfin des rues qui étaient vides-, à devoir supporter tous ces ploucs qui se contentent de cette petite vie, de faire des enfants avec des crétins ou des vieux…

Elle écrase sa cigarette sous son talon et déambule dans Fuuka, marchant entre les champs, faisant abstraction des coups de feu qui abattent encore des mordeurs -moins nombreux qu'en journée du fait de la faible luminosité. On évite d'allumer les projecteurs qui en attireraient plus encore que les sons qui se répercutent dans les montagnes aux alentours.

Elle se tient finalement là comme une conne, à contempler le ciel, l'esprit tournant à vide.

Natsuki s'était barrée sans elle, elle était revenue changée et Nao qui aurait aimé partir avec elle était simplement restée là à végéter. Peut-être qu'elle doit arrêter de se plaindre de tout ce qui ne va pas et oser faire ce qu'elle veut.

Sera-t-elle déçue en découvrant que personne ne partira après elle? Oui bien sûr, puisqu'on se bougeait pour une étrangère contaminée mais pas pour un fidèle citoyen de Fuuka. Mais après tout, personne n'a suivi Natsuki non plus. Pas vraiment, pas plus loin que l'île et sans croire réellement qu'on la retrouverait.

Et peut-être que Nao trouvera sa Shizuru… façon de parler évidemment. Elle ne veut pas une meuf pour commencer, et encore moins de cette façade souriante remplie de mensonge, certainement pas de ce sac à parasite qui aurait dû être enfermé en quarantaine.

Nao inspire profondément pour tenter de se calmer comme Youko avait tenté de lui apprendre lorsqu'à la mort de sa mère, sa perte avait provoqué de graves problèmes de gestion de la colère.

Elle a à la place droit à une crise de toux atroce alors qu'elle s'étrangle sur la mauvaise odeur.

"Putain, jure-t-elle les larmes aux yeux."

Au moins, elle peut attribuer ses larmes à l'odeur et à sa crise de toux, pas à cette sensation de naufrage, à cette impression de solitude entouré de monde, celle de ne pas appartenir à cet endroit.

A qui laissera-t-elle un mot pour justifier son départ? Qui s'en souciera même?

Et elle-même? Se souciera-t-elle de l'éventuel peine qu'elle cause?

Nao continue d'entendre des tirs et elle se rappelle des mordeurs qui les assaillent.

Ce n'est pas le moment d'entreprendre un tel voyage, non pas qu'elle leur doit sa protection ou sa loyauté, sa mère est morte pour eux c'est bien assez, mais rien ne vaut qu'elle risque sa vie dès les premières heures de son départ.

Autant s'esquiver au moment où il va falloir entreprendre le travail ingrat de réunir les mordeurs morts pour les cramés.

Et tous ces faux amis qui ne pensent qu'à eux continueront leur vie sans elle, elle mérite mieux.