14 juin 1507(le soir) : tout comme la veille, nous partageons notre repas avec les deux Indiens. La conversation porte plutôt sur des sujets légers : à chaque fois que nous essayons d'en apprendre plus sur leur magie, la traductrice nous coupe gentiment d'un « vous devoir parler la langue ». Je commence à me demander s'il ne s'agit pas d'une sorte d'initiation secrète, qu'il faut réussir pour accéder au savoir !
Maintenant que les premières réticences sont surmontées, le chef se révèle lui aussi être un joyeux compagnon. S'il ne parle pas un mot d'espagnol et encore moins d'anglais, ses gestes et ses sourires sont assez expressifs, et nous passons un bon moment autour du feu, tout en nous régalant de poisson grillé.
Les Arawaks ont apporté des feuilles de cette étrange plante, le tabac, et ils nous montrent comment les rouler pour en faire des sortes de tubes, dont ils allument l'extrémité avec les flammes du feu de camp, avant d'en inhaler la fumée. L'odeur acre nous rebute, et nous sommes tous les quatre pris d'une quinte de toux. A vrai dire je ne comprends toujours pas l'intérêt de cette fumée, mais nos invités semblent l'apprécier.
Un peu plus tard, alors que nous sommes assis sur la plage, le regard perdu dans le ciel étoilé, je vois du coin de l'œil le chef faire un signe discret à la traductrice. Celle-ci inspire profondément avant de prendre la parole :
« Lui demander si vous nous aider. »
A nouveau, le dialogue est confus, mais nous finissons par comprendre. Il s'agit de leur peuple, des habitants des villages voisins emprisonnés par les Espagnols et envoyés de force travailler dans les mines. Pouvons-nous les sortir de cet enfer, les libérer ?
« Ce serait facile, déclare Septimus. Et puis, honnêtement, un peu d'action ne nous fera pas de mal, je commence à m'ennuyer ici.
- D'accord, interrompt Romulus, mais est-ce qu'on ne va pas s'attirer des ennuis ? Je veux dire, légalement, toute l'île est territoire espagnol. Les colons ne font rien d'illégal…
- Tu as entendu ce qu'ils font ! Ne me dis pas que tu approuves ?
- Non, non, bien sûr ! Je dis juste que ces affaires concernent les Moldus. Ce sont leurs lois, pas les nôtres. »
Elga intervient alors, pensive :
« La loi nous interdit d'interférer avec la justice moldue, c'est vrai. Mais est-ce qu'on ne peut pas trouver un moyen légal d'aider les Indiens ? Après tout, nous sommes partis du principe que les lois du Ministère de la Magie Espagnol s'appliquent ici. Mais s'il n'y a aucun sorcier Espagnol sur l'île, et qu'à l'inverse il existe des sorciers Arawaks… Enfin, je veux dire qu'on peut déposer un recours, demander une révision de la loi. Je ne sais pas. »
Elle secoue la tête et me regarde :
« Horace, tu n'as encore rien dit, qu'en penses-tu ? »
Je prends une profonde inspiration, pour me donner le temps de réfléchir.
« Ton idée est bonne, dis-je, mais elle risque de prendre beaucoup trop de temps. Déjà, les procédures sont très longues, le Ministère ne s'intéresse pas à ce qui se passe ici, et surtout, comment allons-nous prouver qu'il existe des sorciers Indiens ? On risque d'y passer des années, et on ne peut pas se permettre d'attendre autant. J'ai vu les mines, et les conditions de travail là-bas... Bref, dans quelques années j'ai peur qu'il ne reste plus personne à sauver.
- Donc, quelle est ton idée ?
- Trouver un moyen, efficace mais discret. Et si possible en restant dans ce qui est légalement acceptable. Nous n'allons pas prendre d'assaut la colonie, mais par exemple, rien ne nous empêche de donner un coup de main à des amis, ou de commercer avec eux.
- Commercer… »
Elga a soudain l'air inquiète.
« Tu ne veux pas vendre des armes aux Indiens, j'espère ?
- Non ! Non, pas des armes… Mais il doit y avoir un moyen… Je ne sais pas, il faut y réfléchir. Le tout est de trouver un plan, et vite. »
Nous restons silencieux un moment, puis Romulus hausse les épaules :
« Donc, par quoi on commence ?
- Par le plus simple, dis-je en souriant. Tout d'abord, il nous faut un meilleur traducteur ! »
C'est en effet la première étape. Nous allons devoir agir de concert avec les Indiens, et on ne peut pas courir le risque de mal se comprendre. Parmi les indigènes qui peuplent les colonies espagnoles, certains doivent commencer à bien parler cette langue, et doivent pouvoir servir d'interprètes. Ensuite, il ne restera plus qu'à trouver un plan pour aider les Indiens à faire s'évader leurs compagnons. Mais avec un peu de magie, ça ne devrait pas être trop compliqué, non ?
Néanmoins je ne comprends toujours pas. Pourquoi nous demander de l'aide, alors qu'ils ont leurs propres sorciers ? Est-ce une sorte de test ?
